Avatar n’est pas un mauvais film. L’argument est mince, on l’a souligné. Mais comme de nombreux bon films de science-fiction, son génie est dans son imagerie. Ce qui règle immédiatement la question de la 3D, qui n’est qu’un accessoire de plus dans le magasin des effets du film, mais certainement pas l’essentiel.
Je ne comprends pas ceux qui me chantent les louanges d’un relief extraordinaire et inédit. Disons que la 3D est de bonne qualité, et que certaines scènes du film l’exploitent avec à-propos. Mais on n’est pas à la Géode, et comme le dit justement Olivier Beuvelet, la platitude reprend vite le dessus. On ne peut pas en permanence faire l’effort d’accommoder pour la dimension visuelle. Dès qu’on rentre dans le récit, on oublie ce détail, comme on a vite fait d’oublier les caractéristiques chromatiques d’un film, très perceptibles au début, puis de moins en moins au fur et à mesure qu’on est absorbé par son imaginaire. Plutôt qu’un film en 3D, parlons de moments 3D du film, ceux où cette technologie se rend visible parce qu’elle sert le récit: essentiellement les scènes d’action pure, sans dialogue, poursuite ou combat, où l’on peut se laisser aller au toboggan du plaisir visuel.
Pourtant, ce ne sont pas ces scènes qui m’ont le plus frappé. A l’aune du souvenir, les images qui restent sont celles des corps. De ces corps extraordinaires des Na’vi: nus, grands, jeunes, athlétiques et pourtant sveltes, sans poils, sans une once de gras, tout droit sortis d’un rêve d’esthéticienne. Les images les plus fortes du film sont celles des courses dans les arbres de ces corps si beaux, ces corps d’une surhumanité idéale, érotisée et pourtant désexualisée, moitié Dieux du stade, moitié Pocahontas.
Pas étonnant qu’on veuille rejoindre ces divinités, fut-ce au prix de la trahison de sa propre espèce. Le hic, c’est que Jack Sully ne peut pas rester un dieu, mais doit revenir réhabiter sa carcasse infirme toutes les nuits. Ce qui fait du corps de l’avatar un corps d’emprunt, un habit qu’on revêt, fut-il de chirurgie esthétique. Le symptôme fort du film est dans son goût pour ces extensions, cette réalité augmentée dont la 3D est une expression visuelle, comme si la condition humaine ne pouvait plus nous suffire. Exemplaire, le combat final entre le méchant général américain, engoncé dans un costume-robot emprunté à Matrix, et le marine renégat, dans son ensemble bleu avatar. Matrix auquel le film de Cameron, tout comme Surrogates, a repris le modèle d’un corps réel endormi, prisonnier d’une machine, tandis qu’un corps de rêve danse et se bat.
Mais dans Matrix, les combats de jeu vidéo n’étaient qu’un moyen pour atteindre l’objectif – le seul possible, le seul envisageable à l’époque: percer le voile du théâtre d’ombres, retrouver le réel, réintégrer l’humanité des corps.
C’est un autre destin qui attend Jack Sully: à l’inverse de Little Big Man, il restera parmi les Cheyennes – et personne dans la salle n’imagine de fin plus heureuse que cette adoption par la tribu alien, tandis que les humains, petits, minables, courbant l’échine, sont renvoyés chez eux comme une troupe d’émigrés mexicains.
C’est parce que les Na’vi sont si beaux qu’on n’a pas remarqué l’inversion. La majeure partie de la science-fiction du XXe siècle retravaille le refoulé du colonialisme. Qu’on en donne une vision conquérante ou tragique, l’alien est là pour nous fournir cette figure de l’Autre, de celui qui est foncièrement étranger, du non-humain. Ca commence avec La Guerre des mondes (1898), de Herbert George Wells, et dans la longue série de confrontations qui vont suivre, c’est toujours l’humain qui gagne – ou qui reste – à la fin. Car comment pourrions-nous accepter de ne plus nous voir à l’écran?
Or, ce que nous dit désormais la science-fiction, c’est que nous ne souhaitons plus être humains. District 9 fournit de cette nouvelle figure une vision autrement plus brutale qu’Avatar. Là aussi, les humains sont dépeints comme des monstres si sanguinaires, si dépourvus de sentiments, que le spectateur finit par s’identifier au camp des aliens, que le héros rejoint inexorablement au fur et à mesure de sa métamorphose. Au détail près que, comme les extra-terrestres de District 9 ne sont pas de beaux demi-dieux, mais de grandes crevettes qui adorent la patée pour chats, ce changement de camp s’impose à nous avec la violence du désespoir.
Même repeint dans le bleu des contes pour enfants, ce message reste perceptible dans Avatar. Quand l’humanité a fui, il ne reste plus qu’à fuir l’humain. Et rêver à de grands indiens qui chevauchent dans les forêts d’Endor les thoats de John Carter. Non, l’humanité n’est pas contente ni fière d’elle-même. Et ne rêve même plus de changer le monde. Ce qu’elle désire, c’est se réfugier dans l’imaginaire, retourner dans la Matrix, ne plus jamais en sortir. Et rendre les rêves toujours plus vrais, pour oublier l’horreur monstrueuse du réel qui nous est imposé.
A lire également:
- Avatar de Cameron, Darwin ou pas Darwin? Sciences2, 18/12/2009.
- Avatar ou les trois dimensions de la platitude, Devant les images, 21/12/2009.
- Quand les blancs arrêteront-ils de faire des films comme Avatar?, Melanine, 22/12/2009.
16 réflexions au sujet de « Quand l'humanité a fui, il ne reste plus qu'à fuir l'humain »
Il est intéressant que Cameron ait choisi un titre religieux lié à la réincarnation (des divinités je crois), aussi.
Sinon, j’admire l’habileté de la comm’ qui semble avoir convaincu la France entière que la 3D n’existait pas ou pas réellement avant « Avatar ».
autrement plus intéressant !
http://melanine.org/article.php3?id_article=370
@ Dan: Je vois que vous avez lu avec attention mon billet, où je renvoie in fine à celui de la journaliste américaine, en effet bien intéressant, et qui fait aussi le rapprochement avec District 9.
Nous ne proposons pas tout à fait la même lecture. Je trouve un peu rapide, ne serait-ce que sur un plan strictement biologique, de tout ramener à la question de la race (en elle-même une catégorie problématique, d’ailleurs – mais effectivement d’un emploi plus courant aux Etats-Unis). Comme je l’écris ci-dessus, ce n’est pas d’hier que la SF manipule la question de l’Autre: le personnage de l’alien est précisément celui qui permet de mettre en scène l’altérité la plus distante.
C’est pourquoi la réponse de District 9 comme d’Avatar ne me paraît pas pouvoir se réduire à la lecture racialiste et à la domination du point de vue blanc qu’Annalee Newitz croit y apercevoir, de manière un peu obsessionnelle. Faisons honnêtement la comparaison avec un film comme Independance Day, et l’on constatera que les blancs (et plus précisément les WASP) en prennent ici pour leur grade.
Dans un film, il n’y a pas que le scénario qui compte, mais ce que celui-ci engage de la réponse du public. District 9 comme Avatar mettent sans l’ombre d’un doute le public du côté des aliens. Ca, c’est nouveau (on peut trouver une première trace de ce symptôme avec ET, mais dans un contexte assez différent) et ça mérite réflexion.
Bravo André ! C’est presque du direct et le recul est grand… Quel regard !
Aveuglé par l’image en 3D, j’avais mal vu le film. Trois petites remarques… et joyeux Noël.
« A l’aune du souvenir, les images qui restent sont celles des corps. »
Je me faisais la réflexion qu’aucune image en 3D du film ne me restait en mémoire et que le souvenir que j’en avais était comparable au souvenir de choses et de corps vue séparément en un même lieu, ils font office d’images dans un univers « illusoirement » présent. L’espace des vues en 3D est pourtant unifié par la vision perspective, mais ce qui manque ici c’est la planéité de l’image, la perception du support plan, c’est à dire au fond son corps. Et c’est sur les corps des na’vis que repose cette consistance du corps des images… Il n’ y a pas d’image dans la 3D…
« Mais dans Matrix, les combats de jeu vidéo n’étaient qu’un moyen pour atteindre l’objectif – le seul possible, le seul envisageable à l’époque: percer le voile du théâtre d’ombres, retrouver le réel, réintégrer l’humanité des corps. »
Alors que Matrix était critique et se présentait comme une version moderne du mythe de la caverne, nous mettant en garde contre les illusions du virtuel, Avatar exprime ce désir de fuir la simple humanité, que tu pointes, de manière primaire, pour rejoindre le « vert paradis des amours enfantines » et sûrement traiter sur un mode « innocent » le poids du refoulé ; le massacre des indiens à l’origine de l’Utopie américaine… La figure du fou de guerre dédouane la communauté… La comparaison avec Besson était très juste. Il fait aussi des films qui consistent en une immersion dans un sous-monde (Subway, The big blue, Nikita, Léon, Arthur…) qui s’apparente à la Matrix et il est aussi un faiseur d’images sans histoire…
« Non, l’humanité n’est pas contente ni fière d’elle-même. Et ne rêve même plus de changer le monde. Ce qu’elle désire, c’est se réfugier dans l’imaginaire, retourner dans la Matrix, ne plus jamais en sortir. Et rendre les rêves toujours plus vrais, pour oublier l’horreur monstrueuse du réel qui nous est imposé. »
C’est ici que la forme de la 3D entre en congruence avec le thème que tu as mis en lumière ici… Le film et son argument commercial plaisent sûrement pour ce qu’ils permettent d’aller coloniser un monde imaginaire et s’y implanter. Et c’est paradoxal, car cela ne remet pas en cause le principe de colonisation mais sa forme. Il ne s’agit plus pour l’homme dominateur de piller les ressources mais, quelque part, de piller l’imaginaire, ou le bonheur de ceux qui sont devenus les derniers témoins de l’humaine nature…
Tristes tropiques.
Bonjour André. Ce parti du renoncement à l’humain, ou d’un renoncement à tout espoir vis-à-vis d’un réel à venir, est le parti d’un certain cinéma. On trouvera un parti obstinément différent dans un film tel que La route (The road, John Hillcoat, 2009). Pas glop hein, l’ambiance ; sûrement très différente de Avatar, que je n’ai pas vu.
Sur La route, nous restons entre humains, mais avec le fiston à côté, il s’agit de ne jamais tomber dans le bas-côté du suicide, ni d’embrasser les platanes de l’anthropophagie (et je tasse ici deux risques : tomber sous la dent des cannibales et devenir cannibale soi-même, faute de vivres). Deux travers dont il convient de se demander dans quelle mesure ils constituent réellement des travers, des paysages latéraux aux yeux d’une « saine » humanité itinérante.
La route nous offre une « 3D » alternative à celle de Cameron : désolation, désillusion et heu… droit devant ;-). Mais la fois dans l’humain est elle présente, jusqu’au bout. Joyeux Noël !
Les critiques pleuvent sur cet « Avatar ». Beaucoup sont justes ou fondées, mais il me semble que la plupart tombent à l’eau, simplement parce qu’elles sont hors sujets.
Il est bien beau d’analyser les ressorts de l’affect ou de l’impérialisme blanc et de dénoncer les structures mentales désuètes qui encombrent toujours la pensée de l’être humain, l’évolution culturelle est certes rapide, mais elle n’efface pas des millions d’années d’évolution en 1 ou 2 siècles de modernisme. Et honnêtement, ces critiques ont elles mêmes un vieil air de « déjà entendus mille fois ».
Pourquoi j’irais bien voir avatar? pourquoi la 3D est un argument qui me ferait me déplacer au cinéma?
Simplement pour la promesse d’un divertissement réussi, d’un moment d’oubli, d’une saturation des sens, d’un répit intellectuel, de retrouver un instant ce sentiment de l’enfant dépassé par le monde qui l’entoure. Voilà pour moi le sens de ce cinema hollywoodien.
Je me doute que ce film est un navet(scénario insipide et attendu, personnage caricaturaux, dialogues creux, happy end, etc, etc.), je n’irai certainement pas le voir en me disant: voilà enfin un film qui révolutionne le genre et qui va me permettre de renouveler ma pensée!
Non, c’est un divertissement grand public, j’en attends de sortir le temps d’une projection de la trame de mon quotidien, la technologie 3D en tant que nouveauté technique (à ceux qui disent le contraire, je leur demande quand pour la dernière fois ils ont vu un film 3D? au futuroscope?^^ dans la confidentialité de quelque salle parisienne?^^ La 3D ne date pas d’hier certes, elle reste cependant une technologie balbutiante peu expérimentée :-p) étant une invitation supplémentaire au dépaysement.
Si donc le succès escompté de ces super productions s’appuie bien sûr sur des conventions culturelles pour le moins détestables, il me semble que toutes les critiques entendues pour l’instant sont tout aussi attendues que le film lui-même et se trompent de cible.
Les films « imaginaires » me semblent plus nombreux ces dernières années(depuis la dernière trilogie stars wars et le seigneur des anneaux en passant par Matrix pour les pontes du genre). C’est pour moi une bonne chose, car si penser l’autre est un exercice pour le moins difficile et se résume le plus souvent à calquer des images nouvelles sur des structures très usuelles(ce qu’aucune de ces trilogies, dont la forme même donne matière à réflexion,ne parvient à éviter), l’existence et le succès de ces films relèvent pour moi de la soif de découverte, de la curiosité qui semble nous échapper depuis l’avènement de notre planète en village global.
Je ne vais pas demander à James Cameron de mener la révolution culturelle qui permettrait à l’humanité de s’élever moralement comme vous semblez tous le souhaiter à travers vos critiques « sociales » voire « éthiques » d’un produit commercial. Non, c’est un américain qui fait un film grand public pour les américains, j’attends de son film qu’il m’offre un moment de plaisir et de divertissement, en ce sens, je n’ai aucun doute qu’Avatar ne soit pas réussi et j’espère bien rêver de peaux bleues(lisez Norbert Sanchez Pignol ou Antonio Damasio pour de la SF d’un autre calibre 😉 )
Pour ce qui est de changer le monde, établir la justice sociale, l’égalité des hommes et des peuples, je ne compte pas plus sur J. Cameron que sur M. Moore, je comptais plus sur vous(l’intellectuel) et moi(le quidam), et surtout sur nos représentants politiques.
Bref pour résumer mon propos: il est aisé de démasquer les structures cognitives peu recommandables qui sous-tendent les récits de ces succès cinématographiques populaires. Mais si leur critique est légitime, je m’interroge beaucoup sur leur pertinance. Sauf à supposer que le public est une grosse bête aveugle et stupide qui va chanter les louanges du peuple américain déifié sitôt sortie de la salle, avis que je ne partage pas, je ne vois pas en quoi les stéréotypes véhiculés par les films de ce genre sont à dénoncer avec tant de ferveur. Le cinema est un art, il nous offre un reflet de l’air de son temps, le cinema n’est ni une science humaine, ni un mouvement politique, ne lui en demandons pas tant.
C’est tout ce que vous retenez de son article ?! Une soi-disant « obsession », qui vous permet en passant d’évacuer la question raciale (voire de la disqualifier un tout petit peu)… et l’importance de la « réponse du public » que vous trouvez « nouveau »… Nouveau pour qui ? Le public blanc ?
On parle de la centralité du film SF qui n’a jamais changé et vous répondez « accueil par le public ». C’est étonnant, non ?
L’analyse de Newitz n’est pas parfaite, mais c’est la seule que j’ai pu lire qui ait titillé ce qui me gêne aux entournures dans les analyses concernant la science-fiction. Cette question de l’Autre, est effectivement souvent questionnée, triturée par les auteurs du genre. Mais les critiques restent souvent en surface, aussi parce qu’ils ne voient finallement que ce qu’ils y voient depuis là ou ils sont av »ec la prétention de parler pour l’humanité entière. Nous ne prétendons pas à parler depuis l’universel. On voit les choses depuis notre place de spectateur ou de lecteur. Et quand je vois Jar Jar Bings, je suis mal à l’aise. Quand je lis Kim Stanley Robinson, je ne comprends pas son problème avec les Musulmans. Et quand je lis Octavia Butler, je n’ai pas moins ni plus de facilité à me projeter dans les personnages que quand je lis Serge Brussolo, K.Dick ou d’autres chez qui je ne ressens pas ce type de gêne. Leur moindre prétention à l’universel fait probablement qu’ils font beaucoup plus mouche.
Effectivement, la question coloniale est sous-jacente dès La guerre des mondes (voir les analyses de Lindqvist dans “Exterminez toutes ces brutes »), on voit aussi celui du rapport à l’Autre dans beaucoup de romans gothiques. Les analyses (francophones) de Matrix sont aussi passées à côté de quelque chose: les frères Vaschowski sont très imprégnés de culture populaire américaine et donc de culture afro-américaine. Ils vont bien au delà même de ces appartenances en faisant ensuite V pour Vendetta, ou ils choisissent d’aborder la question des genres, sexualités et repression. C’est presque du Foucault.
Je n’ai pas lu en France d’analyse faisant de parallèle entre l’histoire américaine, l’esclavage et Matrix alors que c’est là du début à la fin, tellement visible. Il y a aussi beaucoup d’influence des cultures hacker et féministes. Là ou vous voyez la cave, je vois le marronnage,les sociétés autonomes du Maroni, les utopies pirates, la révolution haïtienne. Et le choix de Keanu Reaves : comment ne pas voir justement ce qui fait la particularité de cet acteur aux origines multiples: difficile de croire qu’il a été choisit au hasard. Les sages de Zion (mythologie rasta) voient entre autres Cornell West sortir de son université pour faire le clown. En plus des métaphores informatiques, le film est truffé de références justement autres, c’est à dire non issues des cultures dominantes légitimes.
Alors si il y a fuite, c’est une fuite de quoi? Un ami me disait l’autre jour: District 9 est un film Boer qui parle des Réfugiés Zimbabwéens.
Quand vous parlez des Dieux du Stade, vous parlez au final de la même chose, de l’ambiguité de Leni Riefensthal (voir ici : http://melanine.org/article.php3?id_article=97). Là ou je ne vous rejoins pas c’est que je pense que ces films ne fuient pas n’importe quel humain. Mais celui qui a besoin d’un débat national sur son identité et qui n’en peux plus du carcan de dominant dans lequel il ne respire plus, car celui-ci l’enferme aussi (voir justement V pour Vendetta).
Je voulais aussi parler de Ray Bradbury et de ses chroniques martiennes. Mais ça sera une autre fois.
Il est habituel de voir une certaine vivacité s’exprimer à l’occasion de la critique de blockbuster. C’est bon signe: cela montre que la sollicitation de l’imaginaire n’est pas lettre morte. Pour ce qui me concerne, j’ai pris la précaution, à la fin de mon billet, de donner trois indications de lecture complémentaires (dont celle de Melanine), qui ne sont pas redondantes avec mon appréciation (sinon à quoi bon). Ce que je partage ci-dessus est une opinion personnelle, que je n’impose à personne, et qui vient après d’autres, qu’il ne me paraît pas nécessaire de répéter. Comme on peut le voir, les quelques réactions ci-dessus couvrent déjà un assez vaste éventail, qui doit inciter à la tolérance.
Toutes les opinions sont recevables, à l’exception de celles qui veulent mettre un terme à la discussion. Si le cinéma occupe une telle place dans notre culture, ce n’est pas que pour des raisons commerciales, mais parce que la coutume s’est installée de soumettre ses histoires à la réflexivité critique et à l’échange collectif. Qu’elle soit menée au café après le film, sur un forum ou sur un blog, l’activité critique est la source de la vitalité culturelle du cinéma. Ou pour le dire plus vite: parler du cinéma, c’est faire le cinéma. Continuons.
Il y a aussi un parallèle à faire entre Avatar et les jeux videos de la série des Myst-Riven-Exile. Les emprunts (pour être gentil…) sont flagrants.
Ceux qui se sont baladés dans les âges de Myst ne seront pas dépaysés…
(Riven est sorti en 1997…)
Je m’autorise à appeler ceux qui ont vu Avatar à répondre à ce très court sondage : http://www.hyperbate.com/avatar/
Le but est de vérifier si la salle dans laquelle les gens ont vu le film a eu une influence sur la qualité de leur expérience.
Bonjour,
Je ne peux pas m’empêcher de faire le rapprochement entre ce que vous décrivez de la médiocrité des petits humains lamentables, confrontés à d’autres êtres supérieurs et stylisés, et le chapitre des Voyages de Gulliver consacré aux chevaux (« A Voyage to Houyhnhnms », merci Wikipedia). Voire à la Planète des Singes, où on organise une sorte de chasse aux humains qui semblent des créatures si minables.
Dans les deux cas, on a une alternative noble et élégante: le héros, qui représente la civilisation contemporaine au lecteur/spectateur dans ce qu’elle conserve encore, plus pour longtemps, de valable. Et là, non ? on se dissout complètement dans cette « humanité » alternative et supérieure? il fallait donc des créatures de transition, entre nous et ces modèles – en pâte à modeler bleue…
Bonjour,
Pourquoi tant d’acharnement non seulement à en parler, mais d’abord à aller voir ce film?
Je pose la question suivante. Combien de temps faut-il consacrer au cinéma, dans l’année ou par semaine, pour donner deux heures à « Avatar » sans se frustrer de films vraisemblablement (ou certainement !) meilleurs?
Autrement dit, il faut du temps à perdre pour aller voir cette chose hollywoodienne et prédictible.
Je rappelle que Bunuel, du temps de son exil mexicain volontaire, il raconte ça dans son livre de souvenirs co-écrit avec J-C Carrière, allait, à une certaine époque, voir chaque après-midi un film hollywoodien avec un ami, et chaque jour au tiers du film les deux compères en prédisaient la fin.
Vous me direz: mais il prenait le temps, Bunuel! Oui, et pour deux raisons. De un, le cinéma, c’était son métier, et il n’avait pas autre chose à se mettre sous la paupière. Et de deux, il nourrissait sa révolte.
Une autre question, c’est: pourquoi se ruer sur les objets du tapage médiatique?
La réponse est désobligeante, chers frères et soeurs.
@gleboutte: bouder le film du mois, c’est un peu snob non ? Vous trouvez Avatar prédictible, mais sans l’avoir vu, et avec comme argument que Buñuel allait voir pour s’en moquer des Westerns ou des Capra qui passaient au Mexique ?
Avatar n’est pas un film au scénario surprenant, et encore moins artificiellement surprenant (Buñuel sur la fin, on aurait dit un tract d’Arlette Laguiller filmé par Jean Girault non ?). Mais c’est un film politique et il raconte une de ces histoires qu’on peut raconter de mille manières mais qui resteront toujours racontables, et même, qu’il faudra toujours raconter. Pas le film du siècle peut-être – le siècle est jeune – mais un film qui remplit un contrat de grand spectacle au coeur pur où on se laisse embarquer. Au fond un bon film populaire est plus rare et sans doute plus difficile à ne pas rater qu’un bon film intelligent. Buñuel aurait deviné la fin, mais et alors ?
Se ruer sur l’objet de tapage médiatique n’est pas forcément une mauvaise idée : il est important de savoir à quoi les autres ont vibré, ce que les autres ont appris ou compris. La tour d’ivoire c’est confortable, mais quand on vit dans une société, il faut la connaître un peu et savoir de quoi elle se nourrit et à défaut, s’abstenir de juger.
Si vous avez un peu de courage, tentez l’expérience !
Avatar… Pourquoi se priver d’un bon divertissement visuel, quand on en est fan ? J’en suis ressorti « satisfait » comme d’un manège à Disneyland.
C’est d’ailleurs bien sûr ce qui me laisse sur ma faim, puisque dans la même salle de cinéma on peut aussi voir de grands chefs d’oeuvre ! Quand un film qui a autant de moyens n’investit pas plus dans le scénario, ça me tracasse. Manichéisme volontaire pour raison commerciale, diriez-vous ? Moi je pense qu’on peut être fin et grand public à la fois ! Les ateliers de scénario américains sont capables de produire une synthèse pareille.
Résultat, donc, en dehors de quelques idées visuelles et narratives, j’ai regretté un manque de « personnalité » du film ; qui ne manquait pas à Matrix 1 – et ça ne l’avait pas empêché d’être rentable.
Le débat initial à propos des images 3D : ça paraît une innovation nécessaire dans la catégorie du cinéma divertissement / sensationnel. C’est comparable au passage du noir et blanc à la couleur, à mon avis (plutôt – fort ?). Alors la question stratégique serait pour les distributeurs : est-ce que ça va être aussi indispensable que la couleur ? J’ai l’impression que oui, cela va fixer à terme un nouveau seuil, en-deça duquel un film de divertissement fera pâle figure.
Le critère qui confirmerait l’existence de ce nouveau seuil serait le suivant : vous souvenez-vous que vous avez vu les images en relief ?
Pour l’instant, les réponses que j’ai recueillies sont plutôt positives… Mais c’est la réponse de la mémoire inconsciente des spectateurs qui m’intéresserait davantage !
Je suis moi-même incapable de répondre. J’ai quand même trouvé le relief beaucoup moins marquant que « Fly me to the moon » vu en 3D sur écran hémisphérique.
Par ailleurs, quelque chose me gêne beaucoup, mais je ne lis et n’entends rien à ce sujet. Tout le monde dit : on s’y croirait, etc.
Et moi je ne vois que du dessin très fin, je ne sens pas la matérialité des objets, de la végétation et des Na’vis. Je n’ai pas le sentiment que je pourrais les toucher. Ce sont des images, du rêve, donc quand Jake Sully se réveille, je sors d’un rêve avec lui. (La 3D n’a pour moi pas remédié à cette immatérialité. )
Je ressens ce gap entre les premiers Star Wars qui utilisaient des maquettes et filmaient des explosions réelles, et les derniers entièrement synthétiques. Même salis synthétiquement, je n’ai pas le sentiment que je pourrais toucher les grands destroyers stellaires de la Revanche des Syths, alors que c’était le cas dans les premiers épisodes produits.
Pour tout vous dire, je me sens seul avec ça… Y a-t-il quelqu’un pour me sauver de cet isolement ?
En conclusion, ce film serait donc une quintessence du divertissement, car il est divertissant à tout point de vue : y compris par son issue, celle explicitée par André Gunthert et d’autres (à savoir : fuir son humanité).
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