La poisse. Après avoir rencontré quelques difficultés imprévues dans son projet de représailles sur la Syrie, François Hollande avait à son agenda une séquence apparemment sans risque: l’illustration de la rentrée scolaire, le mardi 3 septembre, dans une école du Nord de la France.
Patatras! Le président n’y est pour rien. C’est le photographe Denis Charlet et les iconographes de l’AFP qui laissent passer dans la sélection un portrait où le sourire figé du modèle prend l’allure d’une grimace. L’air ridicule de Hollande en smiley vivant est vite repéré par quelques twittos et sites inamicaux, qui s’emploient à une rediffusion moqueuse, forçant l’agence à retirer en fin de journée l’image, assortie d’un « mandatory kill » invitant ses clients à faire de même (voir ci-dessous).
Il n’en fallait pas plus pour déclencher un « effet Streisand« , ou mise en avant de ce qu’on a voulu cacher. Evénement médiatique, le retrait est commenté par la presse en ligne. De l’évocation d’une censure par ordre à l’autorité défaillante d’un pouvoir qui ne sait pas se faire respecter, toutes les occasions sont bonnes pour reproduire un portrait devenu mème, polluant la solennité du déplacement présidentiel à Oradour-sur-Glane. « Nous aurions mieux fait de ne pas tuer cette photo face au buzz déclenché« , admet l’agence dans l’après-midi du 4.
Ce retrait comprend pourtant une confirmation précieuse: celle de l’existence de la caricature photographique, genre à l’existence problématique. Comme l’affirme Philippe Massonnet, directeur de rubrique à l’AFP: « on prend la décision de publier une photographie pour sa valeur informative, jamais pour la violence ou, en l’occurrence, le ridicule qu’elle peut générer ».
Voire. En réalité, le portrait photographique, qui n’a pas de valeur informative en dehors de l’attestation de présence, est très souvent utilisé pour éditorialiser un article. On se souvient par exemple de la longue série de Unes consacrées au procès DSK, où l’expression du visage de l’accusé était systématiquement choisie pour représenter l’évolution de l’affaire. De même, la réprobation morale suscitée par les propositions xénophobes de Nicolas Sarkozy après le discours de Grenoble avait-elle été souvent affichée par l’utilisation d’un portrait grimaçant, ou d’une allusion au salut nazi.
Mais cet usage illustratif n’est pas aisément admis par les professionnels, qui n’aiment pas voir souligner les trucs et les effets de manche du journalisme, en contradiction avec la revendication d’objectivité et de neutralité du genre. Plus encore, la caricature photographique, volontiers utilisée par les organes satiriques ou militants, ne fait pas partie des pratiques avouées par les médias d’information. Formats et genres sont strictement délimités: Le Monde ne pourrait sans dommages recourir à un traitement satirique du ressort du Canard enchaîné. C’est pourquoi les écarts constatés, lorsqu’ils relèvent d’un choix éditorial volontaire, entraînent un démenti offusqué – ou un silence gêné.
Genre inavoué, la caricature photographique prospère discrètement dans les bases de données spécialisées. Alors qu’un portrait raté était autrefois jeté, il est désormais soigneusement archivé, en vue d’une réutilisation ultérieure, dans l’attente de l’occasion qui permettra d’exploiter cette ressource précieuse.
La mise en ligne de Hollande en smiley paraît à première vue une erreur d’inattention. Faut-il l’interpréter comme la manifestation d’un manque d’autorité du pouvoir, ainsi que le suggère Bruno Roger-Petit, qui affirme que pareille mésaventure ne serait jamais arrivée à Nicolas Sarkozy? Au terme d’une vérification rapide, on peut trouver de nombreux portraits peu flatteurs de l’ancien président sur la base de l’agence, qui n’est pas aussi scrupuleuse que le suppose l’éditorialiste.
La question n’est donc pas celle d’un respect présidentiel imposé de force aux médias, dans le droit fil de la tradition monarchique. Le président n’est après tout qu’un people comme un autre, et peut essuyer le feu de la critique. En revanche, la caricature visuelle est une arme dont la puissance ne peut être utilisée sans justification ni doigté.
Plutôt que d’une erreur d’inattention, il faut probablement parler d’un problème d’interprétation. La vocation caricaturale d’une image photographique est affaire de lecture, de contexte – et de sensibilité politique. La légende initiale dans la base de l’AFP montre que ce potentiel n’avait peut-être pas été identifié («Lors d’une visite à l’école Michelet à Denain, le 3 septembre 2013, François Hollande sourit, présidant une table ronde sur la réforme des rythmes scolaires mise en place par le gouvernement»). C’est la rediffusion de l’image et l’accumulation de commentaires moqueurs qui a mis en évidence sa composante satirique.
La réaction de retrait atteste à la fois que l’AFP reconnaît l’usage caricatural du portrait, mais qu’elle le juge inapproprié ou prématuré. Moins saisissant sur un plan politique, l’aveu est plus intéressant sur un plan médiatique. C’est bien le contexte général, et les difficultés rencontrées en ce moment par Hollande, qui amènent l’agence à refuser d’être accusée de jeter de l’huile sur le feu. Ce n’était pas le moment d’en rajouter. La poisse, on vous dit.
Lire également sur ce blog:
- « Les icônes du photojournalisme, ou la narration visuelle inavouable« , 25/01/2013.
- « Hollande/Depardon. Le baptême du mème« , 05/07/2012.
2 réflexions au sujet de « Hollande en smiley: la caricature photographique existe (nous dit l'AFP) »
Vous appelez ça la poisse : c’est vraiment ça ! ça rappelle le fameux sparadrap du capitaine Haddock dans Vol 717 pour Sidney. C’est comme si les images démontraient ici une forme d’agilité qui, en ces circonstances, s’est manifestée comme une adhérence tenace et croissante. Plus l’agence veut ménager le sujet Président, et plus ça le ridiculise… L’image physique, elle, n’a pas bougé.
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