Hollande/Depardon, le baptême du mème

En opposition sensible avec celle avec son prédécesseur, l’image de François Hollande était restée jusqu’à présent relativement lisse. Limitée à quelques tentatives peu vigoureuses, la caricature ne semblait pas réussir à accrocher un personnage insaisissable.

La photo du portrait officiel a fait entrer François Hollande dans la satire par la grande porte. Comme pour la réception de l’affiche « La France forte », on ne peut qu’être frappé de la vivacité de l’accueil public, qui a jugé sans concession la proposition de Depardon.

Choisi pour sa renommée plutôt que pour sa maîtrise du genre du portrait, le photographe est un auteur inégal. Comme le montrent les images du making-of, celui-ci a tenté d’animer la pesante convention de l’effigie officielle, en essayant d’y inscrire la dynamique d’une marche en avant. L’idée était audacieuse, mais force est de constater que l’effet est raté. Hollande n’est pas un top-model habitué à défiler sous les sunlights, son allure est empruntée, sa posture peu naturelle. Au lieu d’un mouvement, on perçoit un étrange arrêt sur image. De plus, le photographe a voulu imprimer sa marque de documentariste par un subtil jeu d’ombre « naturelle ». Malheureusement, appliquée à une image destinée au grand public, cette habilité pour galerie d’art la fait ressembler à une photo amateur ratée.

Il y a des portraits qui appellent irrésistiblement le coup de crayon, la moustache vengeresse. A trop vouloir signer l’image, Depardon est passé à côté de l’exercice. La réception du web est sans appel. Soulignée par des soucoupes volantes ou des éléphants, sa bizarrerie excite la verve des commentateurs. Comme pour la France forte, la satire, dûment recyclée par plusieurs sites de presse, pollue en temps réel l’annonce officielle. La plupart des détournements sont postés sur Twitter et Facebook avant même la présentation, prévue pour 16h, forçant leMonde.fr à avancer la publication de son billet. Après la pluie de l’investiture, Hollande a eu son baptême du mème. De quoi réjouir un président plus que jamais ordinaire – pour ne pas dire weirdo.

22 réflexions au sujet de « Hollande/Depardon, le baptême du mème »

  1. Plus les années passent, plus la satire augmente sur le Web (puisqu’il n’y a plus à attendre la parution hebdomadaire et retardataire d’un « Canard enchaîné » sur papier).

    Dans cinq ans (donc pourquoi pas dès maintenant ?), la photo officielle du nouveau Président sera mise en ligne avant même son élection. Si le genre existe encore.

    Je vous trouve plus dur ici que dans votre interview du « Monde » d’hier : l’aspect « photo amateur » est-il tellement méprisable ? Le reflet renvoyé aux Français (simplicité, presque bonhomie, « extérieur jour » mais palais de l’Elysée « surexposé » à tous les sens du terme…) est adéquat avec le changement voulu et, jusqu’à présent, mis sur les rails.

    Quant au choix de Raymond Depardon, il va aussi dans le sens « patrimonial » de la France telle qu’elle est, telle qu’elle souhaite redevenir : pas celle de l’ostentatoire, de la réussite friquée et des petits copains aux valises bourrées de billets.

    On se fera à cette photo et aussi à cette politique, comme les Français de l’étranger (ou les étrangers en France, un jour) l’ont déjà manifesté par leur vote récent.

    L’image « Instagram » est un peu, en fait, une « photo de famille » : elle rompt la distance habituelle (l’ancien apprenti-Président dans la bibliothèque dorée dont il n’avait jamais lu un livre) entre le chef de l’Etat et ses adminitrés. Il en est le représentant et non un super-héros (il n’en a pas « l’étoffe », au sens de « cape ») capable de tous les miracles.

    Ce ne sont quand même pas quelques soucoupes volantes, rajoutées sur l’image officielle, qui vont faire peur à François Hollande, il possède aussi (en plus de la détermination) le sens de l’humour – et de l’esthétique.

    Il faudrait se demander d’ailleurs pourquoi ces « détournements » sur Internet (parfois plutôt nuls) ont profité immédiatement d’un tel battage médiatique. L’UMP doit se frotter les mains (dans Photoshop), vous ne pensez pas ?

  2. « Comme pour la réception de l’affiche “La France forte”, on ne peut qu’être frappé de la vivacité de l’accueil public, qui a jugé sans concession la proposition de Depardon. »
    La nature même du détournement, c’est d’être sans concession me semble-t-il. Ou alors, ce n’est plus drôle ou supposé tel.
    Dans le cas des personnes publiques, lorsqu’une image suscite de nombreux mèmes est-ce nécessairement parce que la photographie a été jugée avec sévérité ou n’est-ce pas plutôt une reconnaissance de son importance symbolique?
    Je ne peux imaginer une photo officielle du nouveau Président de la République qui ne suscite des mèmes.

  3. @ Dominique Hasselmann: « Plus les années passent, plus la satire augmente sur le Web »: ne doit-on pas se réjouir de l’extension de la capacité donnée au plus grand nombre de répliquer au spectacle de l’institution? J’observe avec attention les mécanismes d’appropriation visuelle: il serait en tout cas faux de croire que cette capacité s’exerce de façon indifférenciée. Comme pour les autres formes d’expression en ligne, les modalités de la réaction collective ont des règles précises, où la perception d’un ridicule ou d’un excès joue un rôle déterminant. Dans la période récente, il y a eu deux réponses conversationnelles massives, et deux seulement: « La France forte », et le portrait officiel de Hollande. Personnellement, j’aime bien la photo amateur – et les soucoupes volantes. Mais je ne suis pas sûr que tout le monde veuille faire ses photos de mariage dans un décor si original.

    @ Thierry Dehesdin: La comparaison avec « La France forte » permet de préciser ce point. Les affiches de campagne de Hollande n’ont pas fait l’objet de détournements massifs. D’autres candidats au mème, comme les photos de l’investiture, ont eu une circulation qui est restée modérée. Même si la solennité d’une présentation officielle contribue sans doute à exciter, par son potentiel d’exposition, l’envie de participer au jeu, la viralité de la satire (qui ne se constate pas seulement par l’existence de remixes, mais aussi par la réactivité de leur production, par la fréquence des signalements ou encore par leur recyclage médiatique) constitue donc bien une forme de jugement sur l’image, ou sur son adéquation avec sa fonction.

  4. Pour un photographe, la photo officielle du Président de la République est la mère de toutes les commandes. 😉
    Normalement pour juger du travail d’un photographe sur une photo de commande, on considère l’adéquation de son travail à la commande. Si son travail répond à la commande, on pourra ensuite s’interroger sur l’adéquation de cette commande au projet qui l’a initié, vendre de la lessive ou dans ce cas « brosser un portrait à la fois conforme aux normes et à l’idéal de la fonction ». (Sylvain Maresca http://culturevisuelle.org/viesociale/3207 )
    Ici, la seule personne dont l’opinion critique sur le travail du photographe serait réellement intéressante, ce serait celle du Président. Répond-t-elle à son cahier des charges?
    Si la photo est « réussie », la discussion porterait alors sur le projet du commanditaire, l’image que Hollande a voulu donner aux français.

    Ce qui est assez pervers avec la photo officielle du Président de la République, c’est que le photographe est choisi non pas pour sa capacité à répondre à la commande initiale (de la même façon que pour photographier des bijoux on choisira un spécialiste de la photo de bijoux), mais pour ce que symbolise son nom et son travail. http://www.slate.fr/tribune/57135/hollande-depardon-photographe Le photographe devient partie prenante dans ce jeu de symboles et de normes, non pas parce qu’il est un spécialiste des photos de Président, mais en raison de son nom, de son identité sociale.

  5. Pour parler de l’image, elle est plus proche de l’affiche de campagne de Sarkozy que des autres photographies officielles : beaucoup de vide. Et donc, la nature ayant horreur du vide… Mais sans plaisanter, ces images vides sont beaucoup plus faciles à remplir qu’une image trop pleine !

    Mais ça n’a rien à voir avec le phénomène… ça l’aide juste.

    Sinon, c’était très difficile de ne pas avoir envie de lui mettre au moins des colts à la ceinture… tellement que je n’ai pas eu le temps de le faire, quelqu’un d’autre y avait pensé !

  6. Sur la qualité de l’image, il y a à redire.

    Sur le fait qu’elle ait été reprise en boucle et modifiée par « le web » dans de fortes proportions, je trouve au contraire que le phénomène à dans l’ensemble été assez limité. Ce n’est pas une déferlante, alors même que le détournement est devenu une figure imposée pour tout « lol-twitteur » qui se respecte.

    D’un épiphénomène on a voulu faire un phénomène de grand ampleur, repris dans tous les médias ce matin.

    Il eut été plus intéressant de chercher à comprendre pourquoi seulement un épiphénomène.

  7. #Reg, : C’est vrai que j’ai trouvé la réponse assez faible et assez « bonne enfant ». Mais je crois que ce qui compte, pour le phénomène global, c’est plus la rapidité, l’immédiateté de la réaction, plus que son ampleur (pour Sarko, il y avait de la rage…). Cette immédiateté qualifie le phénomène : c’est l’équivalent d’un « bon mot », et il y a une sorte de concours permanent très distendu entre les internautes, à celui qui aura la meilleure répartie. On est bien dans le cadre de la « conversation » Guntherienne ! 😉 Mais une conversation globalisée, distendue, symbolique, ou chacun tente de se faire entendre, de se faire remarquer, à travers même son anonymat, mais qui pourra s’enorgueillir de voir son « trait d’esprit » passer de compte facebook en compte facebook….

  8. @ Reg: J’aimerais bien qu’on me définisse les critères d’une « déferlante »… 😉 L’essentiel de la réponse au portrait s’est produit hier entre 14h et 16h, qui était l’heure annoncée de la présentation, pour diminuer ensuite (il y a eu d’autres remixes, certains beaucoup plus agressifs, mais ils ont été moins repris). Compte tenu de cet espace de temps relativement bref, et de l’absence de générateurs automatiques (comme celui proposé par les militants socialistes à l’occasion de la réception de « La France forte »), la circulation des remixes a été suffisante pour constituer un phénomène sensible (traduit par exemple par l’apparition de mots-clés dans la liste de trends sur Twitter, ou pour apparaître en première page de Google images sur des requêtes contextuelles). Il s’agit en tout cas du premier mème d’ampleur concernant Hollande. Relisez le titre de mon billet, il désigne assez précisément le phénomène que j’ai voulu décrire…

  9. En lisant votre titre, mon premier commentaire est nul et non avenu. 😉

    Sur la « déferlante », on est effectivement dans la subjectivité : en bon twitto-dépendant, je n’ai eu l’info que par des tweets et re-tweets concernant votre observation, ainsi que des liens vers vos comptes flickr et facebook. Très peu voire pas du tout par d’autres canaux sociaux (Twitter, FB). D’où cette impression d’épiphénomène.

  10. A l’ordre des bons mots Facebook, et donc parfaitement hors sujet (on devrait trouver un néologisme, « un bon mook » ?) je propose du haut de ma superbe
    La mariée était en nous…

  11. Je suis assez d’accord avec Alain François : la photographie de Depardon offre de l’espace, du vide, de la prise pour de nombreuses variantes du mème, alors que son affiche de campagne était beaucoup plus… pleine (ce qu’on pouvait peut-être faire de plus prégnant, sur l’affiche papier en tout cas, était de la déchirer, bref de retirer au lieu d’ajouter). Le portrait officiel offre plus qu’un visage ou un corps à détourner : elle offre tout un cadre, un véritable décor où planter des choses ou des êtres, sur le sol ou dans les airs.

    Outre cette particularité, je note la préoccupation de Raymond Depardon de faire apparaître les drapeaux français et européens dans le portrait (« Comme tout le monde, j’ai regardé les anciennes photos et noté les impératifs, comme la présence des drapeaux tricolore et européen »). L’une des raisons d’être de ce portrait plutôt raté – ne brandissons surtout pas la normalité ou l’intention de simplicité comme autant d’excuses – n’est-elle pas aussi là, dans une intention mal concrétisée d’exploiter ces deux grands drapeaux qui « sèchent » dans le jardin ?

  12. Le regard est d’abord attiré par le contraste entre la concision sombre de la silhouette présidentielle et l’irrésolution diaphane de l’arrière plan, bâtiments et ciel, il est intrigué par la disjonction entre le corps et le décor et l’absence des transitions ou des paliers dans la profondeur de champ. Le contraste chromatique tranché entre le vert et le noir accuse cette fracture, qui fait penser à un montage truqué, introduisant une note de bizarrerie et d’artifice, tantôt dérangeante, l’impression d’une gaucherie, tantôt suggestive, la quête d’une angélophanie. La différence entre les bras droit et gauche, une distorsion optique produite par le raccourci (Hollande est saisi légèrement de biais et pas frontalement), renforce la bizarrerie. Ces bifurcations n’ont pas échappé à Raymond Depardon, ils font partie d’un vocabulaire pictural français classique, qui veut que les parties ne soient pas dissoutes dans le tout, mais exposées dans une clarté ostensible. Le divorce, aimable mais perturbant, entre le président et son palais, invite le spectateur à romancer toutes sortes de relations entre l’homme et le siège du pouvoir central. Le portrait officiel de François Hollande est un kit, un puzzle offert démocratiquement aux rêveries du citoyen. Jamais l’Elysée n’aura autant ressemblé à un manoir champêtre (on a évoqué à juste tire un « Relais et Châteaux ») et la tension entre le vert et la pierre (où est la vache a-t-on dit) exprime parfaitement l’attachement à la paysannerie et au rayonnement de la puissance politique. L’Elysée passe au vert, pour établir une passerelle entre la Corrèze et le Faubourg Saint-Honoré, mais aussi entre le bâti et le bio. Cette pondération fantasque entre l’homme et le décor n’a pas été méditée par une agence de com, elle est simplement l’expression d’un rêve et de quelques chimères, d’un nouveau président, d’un photographe adulé et d’une nation qui se cherchent. Un joli miroir.

  13. Personne ne nie que Depardon soit un grand nom de la photo. Il a produit des chefs d’oeuvre, mais l’honnêteté oblige à dire qu’il n’a pas toujours été à la hauteur de sa réputation.

    Dans le cas présent, je pense qu’il s’est trompé d’exercice, qu’il a joué une partition pour spécialistes, comme une grande démonstration de fin de carrière, alors que cette image a pour fonction d’être tout public, et qu’elle doit avant tout parler un langage simple et intelligible – ce qui n’est pas si facile.

    Le portrait de Giscard par Lartigue est incontestable. Quoique gonflé, il s’impose avec une rare évidence. Gisèle Freund s’est acquittée de l’exercice sans tenter de faire les pieds au mur: elle est restée classique, c’est ce que souhaitait Mitterrand, l’image s’insère dans la série de manière cohérente tout en apportant une variation qui fait sens. On peut discuter le portrait de Chirac par Bettina Rheims, mais c’est globalement un coup plutôt réussi, avec là encore une innovation intéressante et lisible. Je n’aime pas le portrait de Warrin, qui me paraît raté. Mais ce qu’on peut dire de tous ces présidents, c’est qu’au moment où on leur tire leur portrait, leur personnalité, leur signature politique est clairement établie. Hollande est je crois beaucoup plus mystérieux. Bien malin qui peut dire où il emmène la France. Depardon a voulu le représenter en mouvement. Est-ce une affèterie stylistique ou une vraie indication de son tempérament politique? Il est trop tôt pour le dire, mais nous pourrons en juger sereinement d’ici un an ou deux…

  14. … Enfin… On est bien-heureux d’apprendre que Depardon faisait aussi des photos de mariages sans mariée à l’Elysée! Bravo Depardon…

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