Ceux qui ont suivi sur ce blog le feuilleton iconographique du premier et du second tour de l’élection présidentielle ont pressenti l’existence d’un clou de la représentation de l’accès à la magistrature suprême: celui où François Hollande est photographié aux côtés de sa compagne, saluant la foule – une image choisie dès lundi par Le Monde et Paris-Match pour célébrer l’événement.
Avant même la parution du magazine, je savais que celui-ci allait utiliser une image du couple – et pas seulement parce que Valérie Trierweiler est membre de la rédaction. Prescience? Pathosformel? Temps cyclique? Disons plutôt déduction logique à partir de l’observation des habitudes iconographiques de l’hebdomadaire.
L’une de ses allégories les plus prévisibles est bien l’emploi de la figure du couple pour représenter l’accession au pouvoir d’un nouveau président français. Cette tradition inaugurée en 1969 avec l’élection de Georges Pompidou n’est qu’en apparence une figure matrimoniale.
Magazine people avant la lettre, qui s’adresse en priorité au public féminin, Match offre une place de choix aux noces des stars ou des têtes couronnées, très souvent mises en couverture. Mais il existe une autre lignée iconographique, qui mobilise le couple en dehors de l’opportunité fournie par le mariage ou les fiançailles: celle de la figuration de la souveraineté dans des occasions politiques solennelles.
Le Shah d’Iran et Farah Dibah, représentés dans leurs costumes d’apparat à l’occasion du couronnement de 1967, offrent l’expression classique d’un motif directement issu de la tradition dynastique: la figure du sacre. Son application à l’univers républicain s’effectue par le biais de plusieurs expérimentations préalables, comme la photo en février 1959 d’Yvonne et Charles de Gaulle, peu de temps après son élection à la présidence de la République (mais c’est une autre couverture qui avait figuré l’accession au pouvoir proprement dite).
L’élection de John Kennedy, en novembre 1960, fournit le repère principal de la démocratisation de la figure du sacre. C’est parce qu’ils sont jeunes et beaux que les Kennnedy se mettent en avant, proposant une image apparemment renouvelée du politique, alors que le choix de l’auto-exposition médiatique ne fait que reprendre la manière des souverains d’antan. Cette vision familiale n’a évidemment rien à voir avec les principes de la démocratie élective (qui ne confère aucune responsabilité au conjoint du dirigeant), mais elle humanise la représentation du pouvoir et rapproche le gouvernant de ses sujets, conformément à la mise en scène dynastique, où l’état matrimonial fait partie des composants de la souveraineté.
Appliquée à la fonction présidentielle, cette figure apparaît comme l’expression modernisée d’un pouvoir plus aimable, comme en témoigne la couverture qui montre le couple Pompidou dans une attitude décontractée, en dehors de tout apparat. En 1969, cette image constitue le point d’orgue d’un traitement séquentiel commencé quelques semaines avant l’élection, qui a présenté les principaux candidats par le biais d’entretiens et de portraits en couverture.
En 1974, pour l’élection de Giscard, un premier hiatus enraye la mécanique. Match a publié en amont une interview d’Anne-Aymone Giscard d’Estaing, illustrée par un montage d’une photo de l’épouse sur fond de portrait du candidat. Du coup, le résultat de l’élection sera présenté par une image de la cour de l’Elysée. En 1981 puis en 1988, le couple Mitterrand donne l’occasion de rétablir une formule désormais ritualisée, inaugurée par les couvertures consacrées aux candidats avant le premier tour, suivie par un montage du duel pendant l’entre-deux tours.
En 1995, nouvel accroc: le magazine a cette fois illustré un entretien avec Balladur par un portrait du couple, publié en amont de l’élection – une anticipation maladroite au regard du code établi. Le 8 mai, la couverture est consacrée aux adieux des Mitterrand à l’Elysée – là encore une variante d’inspiration dynastique. L’élection de Chirac est représentée par un portrait de Bettina Rheims. Le couple retrouvera en revanche sa place assignée à l’occasion de la réélection de 2002.
L’arrivée de Sarkozy en 2007 illustre la rupture. Les journalistes savent que les rapports entre Cécilia et Nicolas sont à l’orage. Plutôt que l’image du couple, c’est un portrait de famille recomposée, sous les ors du palais élyséen, qui consacre l’accession au pouvoir. Le couple se verra offrir une couverture de rattrapage en juin. Mais c’est l’année suivante que la photo de Nicolas avec Carla, un an après son entrée en fonction, vient restituer l’indispensable rencontre du pouvoir et de l’humanité matrimoniale.
On notera que le personnage du premier ministre voit à son tour sa nomination saluée par un portrait de couple, à commencer par Michel Rocard en 1988, suivi par Juppé en 1996, Jospin en 1997 et Raffarin en 2002. Quelque soit la souriante décontraction des modèles, l’extension de la figure est une confirmation de son usage au titre de manifestation de la souveraineté.
(Recherche menée grâce à la collection indexée des couvertures de Paris-Match sur Flickr par Patrick Peccatte.)
3 réflexions au sujet de « Le people met du sacre dans l'élection »
Vue dans cette vertigineuse perspective, l’image était en effet prévisible 🙂
Par ailleurs, je me suis souvent demandé pourquoi dans les couv’ montrant Sarkozy avec Carla, celle-ci était systematiquement dominante sur l’image. Comme on peut facilement l’observer sur votre icono, c’est le seul cas de couple souverain où ce phénomène se présente. Parce qu’elle est mannequin et lui homme de petite taille ? C’est etrange. J’en avais même fait un court billet ici (couv de Gala, à l’époque) : http://brossegherta.wordpress.com/2008/10/05/premiere-de-couv/
En fait non, excusez-moi. La couv de Gala montre juste le contraire (j’ai eu comme une illusion cognitive, il y a bien domination, mais elle est totalement inversée…)
Jusqu’à présent, les magazines people sacralisaient l’élu républicain. Il est donc normal que l’étape suivante soit que seuls ceux qui sont déjà sacralisés par les magazines people puissent prétendre à la légitimité républicaine. 🙂
« Et maintenant, Maryse Joissains-Masini veut faire annuler l’élection de François Hollande, un homme politique qu’elle juge « ridicule » quand il « agite ses petits bras ». »
http://www.rue89.com/rue89-presidentielle/2012/05/09/maire-ump-daix-et-si-lon-ressortait-loffense-au-president-232017
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