L'événement éclairé par l'image (iconographie du premier tour)

Le premier tour de l’élection présidentielle française, le 22 avril 2012, a livré des résultats dont l’interprétation apparait difficile, et dépend essentiellement des anticipations ou des éléments de contexte. Alors que les sondages donnent François Hollande nettement vainqueur au second tour, avec environ une dizaine de points d’avance, la proximité des deux principaux candidats ou l’arithmétique des reports de voix restitue une incertitude paradoxale à un scrutin qui paraissait joué d’avance. Si le rejet du président sortant est exceptionnellement fort, la faible adhésion que suscite la candidature socialiste place les deux protagonistes dans un mouchoir. Inattendu, le haut niveau des voix frontistes (égal à celui obtenu en 2002 par Jean-Marie Le Pen) accentue encore le brouillage de la lecture du scrutin.

A l’exception notable du Figaro, seul à suggérer une victoire de la droite, et du Monde, qui met en exergue le score de Marine Le Pen, les options de qualification journalistique de l’événement ont oscillé lundi entre l’apparente neutralité de la sélection des deux protagonistes du second tour et l’anticipation de la victoire de Hollande (voir ci-dessous, cliquer pour agrandir).

Mis à part les quotidiens engagés dans le soutien à un candidat, comme Le Figaro, L’Humanité ou Libération, la presse française, et tout particulièrement la PQR, a largement opté pour la figure du duel, qui crée une égalité artificielle entre un président sortant désavoué par le scrutin et le favori des sondages. Matérialisée par le montage (qui respecte toujours le positionnement gauche/droite des candidats), cette figure suppose la sélection d’images en miroir ou la similitude des expressions.

Rompant sensiblement avec la prudence de la presse française, la presse étrangère a plutôt souligné la position de favori de Hollande, ou bien la défaite de Sarkozy. La victoire est signifiée visuellement par les bras levés (ou un bras levé) et le sourire, tandis que l’image de la défaite est symbolisée par une grimace, la bouche serrée par un rictus de désappointement, les yeux baissés. Il est remarquable de constater que ces qualifications qui soulignent l’asymétrie de l’antagonisme sont à peu près absentes des Une françaises.

On notera également l’existence de variations et de légères discrépances, comme celle des Dernières Nouvelles d’Alsace, qui contredit le titre « Avantage Hollande » par une illustration de duel (voir ci-dessus). Une option complémentaire est fournie par l’image d’un Hollande au visage sérieux, voire préoccupé, utilisée pour souligner les contradictions ou la complexité de la situation politique qu’il doit affronter.

Confirmant la fonction de l’image dans la qualification de l’information, cet échantillon montre exemplairement comment le dispositif journalistique transforme le document photographique en support narratif. Dans le contexte du compte rendu d’un événement, et en fonction de l’iconographie disponible, l’image a pour rôle de synthétiser de manière emblématique l’interprétation proposée par la rédaction. Plutôt qu’une « image sans légende« , elle est à proprement parler un « legendum« : un guide de lecture qui éclaire la signification de l’événement.

5 réflexions au sujet de « L'événement éclairé par l'image (iconographie du premier tour) »

  1. « Rompant sensiblement avec la prudence de la presse française, la presse étrangère a plutôt souligné la position de favori de Hollande, ou bien la défaite de Sarkozy.  »
    Je suppose que les lecteurs de la presse étrangère suivent de beaucoup plus loin les élections françaises que les lecteurs de notre presse nationale. De ce fait, l’évènement en lui-même est suffisamment dramatique pour qu’une simple illustration des faits marquants du scrutin soit suffisante pour faire leur une. Pour la presse nationale, une dramatisation du deuxième tour correspond à la fois à une nécessité économique (il va falloir tenir jusqu’au deuxième tour avec cette actualité en une) et à une attente des lecteurs tous bords confondus. Un média qui dirait que l’élection est pliée et que désormais il va nous parler d’autre chose, se tirerait une balle dans le pied.

    « Confirmant la fonction de l’image dans la qualification de l’information, cet échantillon montre exemplairement comment le dispositif journalistique transforme le document photographique en support narratif.  »
    Dans cette perspective de dramatisation de l’évènement, ce qui me frappe dans les unes successives de Libé depuis lundi, c’est que l’image semble n’avoir d’autre signification que de qualifier l’information par l’emploi de la pleine page. La photo de Sarkozy de dos aujourd’hui est même exemplaire de ce point de vue. La seule chose qu’elle signifie, c’est que nous vivons des instants d’une grande importance parce qu’elle occupe toute la une. La signification de l’évènement, c’est le texte, qui recouvre le centre de l’image. Elle n’est même plus à proprement parler une illustration du récit médiatique, juste un indicateur de l’importance qu’il convient de lui attacher
    Mais le recours à des portraits détourés, donc extraits de tout contexte, me semble participer du même procédé, même si c’est un peu plus subtil. L’indicateur ce n’est plus seulement la taille de la photo dans la page, mais la taille du visage dans la photo. (Je me trompe ou Marine est un poil plus grande dans le Kleine Zeitung que Nicolas? 🙂 )

  2. Je ne suis pas hostile à l’explication par les motivations économiques, mais il me semble néanmoins simpliste de réduire la différence flagrante entre presse nationale et presse internationale à ce seul motif. L’image du duel, dans son équilibre très construit, supposée illustrer le refus apparent de prendre parti, est en réalité une manière assez peu discrète de prendre parti pour Sarkozy, puisque cette présentation égalitaire est parfaitement artificielle.

    Comme dans la réception française de l’affaire DSK, c’est ici l’unanimisme du traitement qui me paraît un bon indicateur de l’idéologie. Au final, quoique suivant l’élection « de plus loin », ce seront les organes étrangers qui auront fourni la meilleure qualification de l’événement « 1er tour » – puisque c’est Hollande qui va gagner… Le maintien jusqu’au bout de la fiction d’un rebond du challenger restera une caractéristique du paysage éditorial français, trahissant la profondeur de l’empreinte sarkozyste dans les classes supérieures.

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