Millenium, la photographie comme preuve à l'ère numérique


S’il fallait un point d’étape pour mesurer la remarquable stabilité du motif de l’authenticité de la photographie à l’ère numérique, le film Millenium, les hommes qui n’aimaient pas les femmes (David Fincher, 2012 [1] NB. Je n’ai pas encore lu le roman de Stieg Larsson dont ce film est adapté.) pourrait fournir un document éloquent.

Visiblement inspirée de Blow-Up (Antonioni, 1966), l’enquête policière menée par le journaliste Mikael Blomkvist (Daniel Craig) et son assistante Lisbeth Salander (Rooney Mara) repose largement sur un chassé-croisé de photos, dont on attend qu’elles livrent la clé de l’énigme. De nombreuses scènes sont dédiées à la consultation d’albums, à la recherche de documents visuels ou à l’examen détaillé de photographies.

Particularité du film: les événements sur lesquels portent l’enquête sont anciens. La disparition d’Harriet Vanger, principale énigme à résoudre, remonte à 1966. La photo sert donc classiquement d’intermédiaire entre ce temps révolu et l’époque actuelle. Que ce soit sous la forme de séquences dont la colorimétrie évoque les jaunes chauds du Kodachrome ou de photos d’album proprement dites, ces images datées ont pour fonction d’assurer la reconstitution d’un passé déjà lointain. La révélation de l’identité du tueur sera apportée par un couple de photographies en champ/contrechamp et la reconnaissance d’un détail identifié par comparaison d’images (voir ci-dessus).

L’intérêt du film est de confronter cette iconographie vintage avec les outils du présent. Comme souvent chez Fincher, l’époque contemporaine est fortement marquée par l’empreinte des technologies récentes – mobile, ordinateurs portables, écrans plats, vidéo en ligne, etc… La mobilisation des éléments de l’enquête fait constamment circuler les images du support cartonné à l’écran, qui apporte de nouveaux moyens d’investigation. Dans un clin d’oeil au visualiseur de Blade Runner, les documents du passé se retrouvent soumis au crible des instruments numériques, transformés en diaporama sous iPhoto ou coupés-collés sur Photoshop.

L’imagerie numérique elle-même n’est pas absente du film. Lisbeth Salander, enquêtrice de la génération Y, est aussi habile à hacker les ordinateurs qu’à installer des caméras espion, et menace son tortionnaire de publier en ligne les images du viol qu’il lui a fait subir.

Dans tous les cas, les usages de l’image restent strictement d’ordre documentaire. Si l’on peut tromper l’objectif, si certains détails défient la lecture, aucune image n’est manipulée: la photo ne ment pas. Certains plans, comme ceux qui associent les photographies anciennes à la visualisation sur écran (voir ci-dessus) attestent mieux qu’un long discours de la robuste continuité de l’image comme preuve. Pixel ou pas, l’authenticité coule d’un support à l’autre comme l’eau de la source.

Notes

Notes
1 NB. Je n’ai pas encore lu le roman de Stieg Larsson dont ce film est adapté.

2 réflexions au sujet de « Millenium, la photographie comme preuve à l'ère numérique »

  1. je m’étonne, naïvement: Ce n’est pas tant l’image qui fait preuve que le caractère involontaire et non intentionnel de ce qu’elle a saisi, et qui n’était pas son propos, surtout. Sa valeur tient justement à cela. Aux images cartonnées répondent étrangement les tableaux de fleurs séchées conservées par le grand-père: envoyés au commanditaire de l’enquête, ce sont de fausses vraies pistes: leur intention est opaque. Mais ils témoignent simplement d’un écho, une persistance dans le présent de ce qui, mort, ne devrait plus être, et en cela, ils ne mentent pas. Pour les photos, même chose. Il ne s’agit pas d’en faire le support d’une vérité, mais le porteur de ce qui ne peut être indice que pour un chercheur qui n’était pas le photographe et sait qu’y chercher. Et que montrent-elles ? l’équivalent du visage terrifié qu’évoque Deleuze: l’ouverture sur un possible que j’ignorais. Ce qui est frappant, c’est de voir alors qu’effectivement, les technologies modernes sont séparées des images étudiées, mais parce qu’elles servent une dimension temporelle, active et interactive où la tromperie est détournement ou piratage, intervention sur la communication des autres, plus que trucage de l’image.
    Mais pourquoi truqueraient-ils les images puisque ce sont les personnages eux-mêmes qui l’incarnent, avec le jeu sur leur image sociale et publique/leur réalité, là où Lisbeth Salander choisit de choquer par son image pour mieux préserver sa propre « vérité » (cf sens de ses tatouages): c’est bien du côté des usages qu’il faut chercher le statut de l’image, dont l’opacité tient à sa vie propre, qui, dans la photographie notamment, est négligée.

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