Le printemps des camphones. Dans une année riche en événements iconographiques, la révolte tunisienne occupe la première place. Non pas les classiques allégories révolutionnaires affichées à retardement par la presse, mais les usages visuels militants: photos de rassemblements au camphone immédiatement retransmises pour appeler à rejoindre la manifestation, ou appropriation d’images de presse détournées pour rediffusion virale sur les réseaux sociaux (photos: Azyz Amami, Tunis; remix anonyme à partir de Fred Dufour/AFP, Tunis, 18/01/2011).
La vague noire. Le tsunami japonais porte avec lui une avalanche d’images. Dès le 13 mars, l’espace médiatique est déjà saturé de traductions symboliques de l’événement. On peut préférer à ces exercices illustratifs conventionnels le simple enregistrement des vidéos amateurs ou des reportages des premières équipes télé, qui montrent la catastrophe sans effets de manche (capture d’écran: vidéo amateur du tsunami, 11/03/2011).
L’iPhonographie réveille la photo. C’est à un colloque de photographes pro que je découvre le succès des photoapp de l’iPhone, dont les plus branchés ont la collection complète. Sitôt installées, Hipstamatic ou Instagram s’avèrent des machines redoutables pour jouer à la photographie, associant effets de citation vintage à la contemporanéité du partage instantané. La révolution numérique avait libéré l’image – mais pas la photo, maintenue sous la tutelle de quelques sourcilleux gardiens de l’orthodoxie. L’iPhonographie, qui préfigure dès aujourd’hui les habitudes de demain, fait joyeusement voler en éclats les préventions de la vieille garde, dont les grimaces et les contorsions devant ces appareils zazous font franchement plaisir à voir (photo: André Gunthert).
Arles découvre la photo numérique. Fallait-il clouer le web sur une cimaise pour que certains s’aperçoivent de son existence? L’exposition « From Here On » emmenée par Joan Fontcuberta fait le pari de dépoussiérer le vieux festival à grand renfort d’appropriation ludique. C’est gagné: cet été, même les plus rétifs à la culture numérique n’auront parlé que de ça! (photo: André Gunthert)
Google, encyclopédie des images. Alors que l’image était un fichier opaque inaccessible au search, le lancement par Google de la recherche par image ramène le visuel dans l’indexabilité numérique et transforme son immense mémoire visuelle en espace de consultation encyclopédique. Une révolution qui ne fait que commencer, et qui a déjà largement transformé la nature de l’information visuelle (lire: Patrick Peccatte: « Du bon usage des photos de stock« ).
L’image fluide. Il n’est pas si fréquent d’assister à l’apparition d’une nouvelle figure dans le domaine des images. Dans un espace de temps très court, une perception originale de l’image numérique s’est installée parmi les représentations communes, se substituant à l’imaginaire traditionnel des formes visuelles. Alors que l’image a longtemps été pensée comme un objet figé, sur le modèle du tableau accroché au mur, de la carte éditée ou du tirage photographique, cette nouvelle figure impose de nouvelles propriétés directement issues de l’univers numérique, mettant en avant la mobilité, la plasticité ou la réactivité des formes visuelles, caractéristiques d’une immatérialité qui bouleverse la façon de penser l’image.
Appuyée sur la diffusion de la technologie multitouch employée par l’iPhone (2007) ou l’iPad (2010) ou leurs imitations, la figure de l’image fluide s’étend bien au delà de l’utilisation d’un matériel spécifique: elle irrigue l’imaginaire par son emploi récurrent dans les films, séries, publicités et autres formes fictionnelles, mais aussi par son installation dans les usages visuels informatifs. Constituée par le va-et-vient entre usages réels et projections fictionnelles, l’image fluide est une nouvelle forme culturelle de l’imaginaire contemporain.
DSK ou la langue des signes. On aura rarement si peu entendu un politique professionnel. Dans l’affaire Strauss-Kahn, jusqu’au bout, c’est l’absence d’informations qui alimente le commentaire. C’est pourquoi, comme dans la presse people, qui ne scrute jamais tant la photo que lorsqu’elle n’a rien à se mettre sous la dent, l’espace médiatique a décidé de faire parler les images. Dominique a-t-il souri? A-t-il fait la grimace? Tout se gâte ou tout s’arrange au gré des mimiques choisies par les rédactions, qui font de l’ancien directeur du FMI un véritable mime Marceau. Un cours de journalisme grandeur nature, magistral feuilleton visuel où l’on aperçoit l’innocent présumé se métamorphoser en coupable garanti par le seul truchement des images.
La mort des tyrans doit se voir. Ben Laden, Kadhafi, personne ne les regrettera. Pourtant, quoique dans des conditions différentes, leur exécution sanglante n’a pas suffi. Cette mort, il fallait pouvoir l’exhiber, comme un trophée, pour s’en réjouir. Certes, l’une des deux images était un fake, l’autre non. Mince différence, en définitive, quand il s’agit d’alimenter l’appétit médiatique. L’espace d’une matinée, le faux portrait de Ben Laden a parfaitement fait l’affaire, suffisamment pour imprimer dans notre mémoire comme l’écho du stéréotype attendu (lire: Olivier Beuvelet, « Esthétique du tyran mort« ).
La fin du rêve américain. L’American Dream s’écrivait à coup d’affiches publicitaires sur les murs. C’est avec d’autres images que les membres d’Occupy Wall Street ont manifesté sa fin. Sur le blog collaboratif We are the 99%, ils ont mis en ligne des autoportraits où s’inscrivent les déboires de la middle class américaine. «No job», «unemployed», «no health insurance»: l’exposition collective des ratés du processus fait apparaître la colère et l’incompréhension des laissés pour compte. C’est dans cette marmite-là que se préparent nos lendemains.
Un pays qui rétrécit? Aux Etats-Unis, Obama. En France, Omar Sy. Le premier est président de la république. Le second joue les Oncle Tom. Même si le succès d’Intouchables a pu réjouir, dans un lourd climat de xénophobie ambiante, son racisme naïf révèle à quel point la France est un pays en voie de régionalisation culturelle et politique. Roman le plus vendu du XIXe siècle, La Case de l’oncle Tom passe pour avoir favorisé l’émergence de la cause abolitionniste aux Etats-Unis. Le succès d’Intouchables peut-il s’inscrire dans une dynamique similaire? (lire: Olivier Beuvelet, « Bienvenue chez les Intouchables« ).
La crise à la lettre. Il existe un monde d’images qui sont à peine des images, tout juste des signaux, pour rappeler que certaines réalités n’ont pas de traduction iconographique. Les unes, comme l’économie, parce que ce sont des domaines immatériels et abstraits. Les autres, comme la souffrance sociale, parce qu’on trouve vulgaire de les exhiber aux yeux de tous. Heureusement, il y a les lettres de Scrabble, figures de style qui permettent d’éviter de s’interroger sur les vrais ressorts de la crise. Il arrive qu’on critique les images, leur profusion, leurs usages – mais quand il n’en y a pas, c’est pire…
Lire également sur ce blog:
3 réflexions au sujet de « 11 images pour 2011 »
Petit joueur http://lightbox.time.com/2011/12/31/lightbox-365-a-year-in-photographs/#1 😉
Je n’ai pas eu le courage de tout regarder et encore moins de tout analyser, mais l’exercice est intéressant parce que l’on est à la fois dans la logique de l’image de presse (c’est le Time) et dans une contrainte du « masque de charme » sans doute plus grande que dans une approche de la photographie éditoriale traditionnelle. La règle un jour/une photo suppose que souvent les images soient choisies plus pour leurs qualités esthétiques que pour leur pertinence ou l’importance de l’évènement qu’elles illustrent.
Il y aurait sans doute également beaucoup à dire sur les légendes.
http://lightbox.time.com/2011/12/31/lightbox-365-a-year-in-photographs/#136
La mort de Cheetah, aussi, l’antique compagne de Tarzan, aura marqué cette fin d’année !
@Tietie007: Selon un article de Michel de Pracontal publié par Mediapart, qui reprend en partie l’enquête effectuée par celui qui aurait dû être le biographe du chimpanzé décédé, celui-ci n’aurait malheureusement rien à voir avec les (divers) compagnons simiesques de Johnny Weissmuller à l’écran.
Les commentaires sont fermés.