La défense de Nafissatou Diallo a décidé de publier son témoignage, à une semaine de l’audience du 1er août, via une longue interview reproduite par Newsweek et un entretien avec Robin Roberts sur ABC, diffusés l’un et l’autre le 25 juillet (voir ci-dessus). A cette occasion, le grand public peut pour la première fois apercevoir le visage de la femme de chambre.
Plusieurs portraits supposés de la victime avaient été diffusés dès le 15 mai, issus de recherches sommaires sur les réseaux sociaux ou sur Google images (voir ci-dessus), dont la photo d’une jeune fille souriante, semblant correspondre aux premiers éléments de description d’une «très jolie» jeune femme noire.
La Provence se fait épingler en publiant le portrait d’une inconnue aux cheveux blonds illustrant le faux profil Facebook « Ophélia » (voir « Nafissatou Diallo, la femme aux quatre (faux) visages« , par Vincent Glad). A noter que l’Apple Daily, dans sa version reconstituée de l’agression, ne s’embarrassait pas de telles préoccupations, et représentait la femme de chambre sous des traits caucasiens (voir ci-dessous).
Pendant plusieurs semaines, alors que celle-ci reste dissimulée, la chasse aux photos de la femme de chambre fait fureur. Le 25 mai, BFM-TV diffuse un portrait non daté montré par son frère à la presse en Guinée. Le magazine romand L’Illustré, le 8 juin, puis Paris-Match, le 9 juin, publient d’autres photos issues de la famille, vieilles de plus de dix ans, barrées d’un bandeau noir.
Les deux portraits en costume traditionnel seront les images les plus souvent reprises, floutées ou non. La palme revient sans doute au site Populaires.fr, qui retouche une version floutée pour restituer son regard à la victime (voir ci-dessous).
Pendant près de deux mois et demi, Nafissatou Diallo a eu une existence fantomatique, construite par diverses médiations. La comparaison des images récentes avec la série des portraits publiés montre qu’un long chemin séparait le fantasme de la réalité. …Ou du moins de l’image construite pour son témoignage public, qui présente le sage portrait d’une mère de famille et d’une employée modèle.
Parmi les vignettes renvoyées le 28 mai dernier par Google images, on aperçoit une photo un peu plus exubérante, entretemps disparue, avec lunettes de soleil, cheveux longs et un décolleté plus avantageux (voir ci-dessous), qui n’avait pas semblé jusqu’à présent un candidat sérieux, mais qui pourrait bien être un portrait récent de la plaignante.
Ce qu’on peut découvrir de Nafissatou Diallo sur ces images offre-t-il une clé pour décrypter l’épisode de la chambre 2806? Je ne le crois pas. En revanche, cette iconographie en dit long sur notre regard sur l’événement. Comme dans l’assassinat de Ben Laden, les images ne montrent rien de ce qui s’est passé, mais racontent ce que nous avons voulu voir.
7 réflexions au sujet de « Les métamorphoses de Nafissatou Diallo »
Ces images racontent ce que nous avons voulu voir et nous avons sans doute aussi voulu voir ce qu’elles nous racontaient : je me demande qui est la « vraie » ? Celle qu’on nous présente aujourd’hui ? Celle qu’on nous présentait hier ? Quel est le « vrai » discours aussi ? Celui d’aujourd’hui, celui d’hier ? Un conte pour adulte, aussi vrai que celui d’Oslo…? Poser la question c’est déjà une mise en doute de ces informations…
Pourquoi « »notre » regard sur l’évènement » ? Je ne me sens pas du tout impliqué dans cette série de clichés plus ou moins suspects.
Finalement, celui qui apparaîtrait comme le plus « vrai », le dernier -on imagine mal cette dame travailler au Sofitel sous l’aspect que présente Paris-match, risque d’apparaître comme le plus faux. Comme le produit d’une fabrication médiatique, que ruine par avance la couverture ridicule, style « Qui-police » de Newsweek, qui semble avoir rejoint le New York Post.
@JMb: « Pourquoi ‘notre’ regard sur l’évènement? » Oui, cette formule est une généralisation trop hâtive. Il aurait mieux valu dire: le lectorat postulé par le dispositif.
La décision de Cyrus Vance (aller ou non devant le tribunal) dépendra sans doute de la crédibilité du numéro télévisé de Mme Diallo.
En Afrique, ça ne passe pas du tout, comme a dit un blogueur Africain « en Amérique, si tu pleures, c’est que tu dis la vérité ! »
Pas sûr que ça passe aux É-U non plus.
Elle en a fait beaucoup trop pour être convaincante.
Tout se passe ici comme si les images n’étaient pas là pour illustrer le récit, mais que le récit n’avait d’autre fonction que de commenter les images.
Pendant la première saison, on a surtout commenté les images de DSK. La perp walk, l’hôtel, les cravates des policiers, la maison, Anne Sinclair, le couple, la fille, tout ça c’était visuellement très fort entre Dallas et les experts. Mais on n’avait pas l’histoire du point de vue de DSK et l’image est vite devenue l’objet principal des commentaires. De l’autre coté, on avait bien l’histoire de Mme Diallo, mais pas les images. Il y a eu quelques tentatives avec les manifs des femmes de ménage, un pasteur évangélique, mais ça n’a pas pris. La mise en scène n’était pas à la hauteur du récit. Lorsque la saison se termine, le récit de Mme Diallo est inaudible, parasité par les commentaires et les débats autour des images de DSK.
Le scénario de la deuxième saison reprend sans réelle nouveauté dans le récit. La breaking news, c’est l’image de Mme Diallo. Elle est désormais incarnée. Je ne suis pas certain cependant que cela suffira à rendre son récit audible. On sent un peu la même déception dans les commentaires des journalistes que lorsqu’un roman populaire est adaptée pour le cinéma et que l’on est déçu par le casting. Encore une fois l’image parasite son histoire au point de la rendre inaudible.
La période de la (relative) invisibilité de ND ne pouvait durer indéfiniment, il s’agissait donc de jouer de la façon la plus efficace de l’effet du dévoilement. Trop tard, cette image n’aurait plus servi à rien. Dans cette séquence, elle a été utilisée pour contredire l’image de la prostituée brandie par les avocats de DSK. Au total, je continue à penser que le traitement visuel a été plutôt clément dans l’ensemble pour DSK, qui n’a pour ainsi dire pas eu à subir la caricature. On the other side, le traitement visuel de ND atteste que son histoire a bien été prise au sérieux: ce qu’on nous a donné à voir, en 3 étapes successives (la jolie jeune fille, l’africaine en tenue traditionnelle, la mère de famille blessée) n’a pas été l’image de la prostituée ni même de la séductrice, mais d’une victime. Maintenant que l’image de ND a rejoint le destin commun des personnages médiatiques, le traitement iconographique va forcément évoluer: on verra dans les jours et les semaines qui viennent quelle direction prendront les messages visuels.
Commentaire très juste mais autre chose me frappe : la vitesse à laquelle tout ceci avance.
Le début de l’affaire, puis le coup de théâtre du mois dernier, puis le retour-apparition de Mme Diallo, on s’habitue à tout cela, on le commente aussi sec sans même se souvenir qu’on a merdé les fois précédentes et puis on passe à la suite, ou à autre chose.
Ces images me laissent la même impression d’emballement et le récit qui les accompagne (ou les précède, je ne sais pas) me semble avant tout être une construction bricolée sous le coup de l’énervement, en y pensant à peine (« ça ou autre chose… »).
Le plus navrant est que l’on se sent participer, de manière assez veule, à cette consommation imprudente de faits sans intérêt et d’images orphelines.
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