La vie d'une icône est un cliché

Le 15 avril dernier, un mois après le séisme japonais, le quotidien The Daily Yomiuri publiait une photo de Yuko Sugimoto – rendue célèbre par sa personnification du drame nippon, sous les traits de la pleureuse d’Ishinomaki – où elle apparaissait en mère de famille souriante avec son fils (ci-dessous, image centrale).

« Nous avons retrouvé l’icône du Japon meurtri », titrait Paris-Match en emboîtant le pas du Yomiuri (ci-dessus, image de droite), attestant que l’iconisation n’est que le premier stade d’une nouvelle vie médiatique. Peut-on être le héros d’une photographie comme on est le héros d’un film? Existe-t-il un statut de « star de photo » similaire à celui de star de cinéma? A ces deux questions, la réponse des images est à l’évidence positive – ce qui montre que la distance est moins grande qu’on le pense entre document et fiction.

La première et la plus célèbre de ces icônes involontaires, la petite vietnamienne immortalisée en 1972 par Nick Ut, brûlée par le napalm, avait vu sa vie transformée par ce rôle imprévu. D’abord utilisée comme symbole propagandiste par le gouvernement communiste du Vietnam, Kim Phuc devient ambassadrice de l’Unesco en 1994 et se consacre à l’aide aux enfants victimes des guerres à travers sa fondation. Une photographie largement diffusée de Joe Mc Nally pour Life (ci-dessus, à gauche) la montre en 1995 avec son enfant dans les bras, le haut du dos dénudé laissant apparaître les cicatrices de ses blessures.

De la pseudo-« Marianne de mai 68 » à la jeune afghane du National Geographic (voir ci-dessous), les personnages ainsi « retrouvés » par la curiosité médiatique semblent donner corps à l’image et restituer le réel derrière le spectacle des apparences.

Il ne s’agit pourtant que d’un piège, d’une figure de style de plus. Celles et ceux qui ont été ainsi « retrouvés » n’avaient jamais eté perdus que pour le regard inquisiteur du journalisme, prompt à exhiber les dehors de l’enquête pour réinscrire dans la légitimité médiatique un processus strictement auto-réalisateur.

La vie d’une icône – qu’on ne connaît que par ses photos – a tout de l’image d’Epinal. Celle qui était montrée en victime réapparaît en figure maternelle, apaisée et rassurante. Celle qui menait la rébellion a été bien punie par la vie. Réécrit par un journalisme tout droit issu de la comtesse de Ségur, le destin de ces stars malgré elles prend le tour pontifiant d’un conte moral. S’il y a une vie après la photo, celle-ci a décidément le goût du cliché, attestant qu’on n’est jamais vraiment sorti du registre symbolique.

(Avec mes remerciements à Yoko Tsuchiyama.)

2 réflexions au sujet de « La vie d'une icône est un cliché »

  1. Pour Kim Phuc, relire Annick Cojean, L’enfant symbole du Vietnam, Le Monde 19 août 1997)(17 interventions chirurgicales et 14 mois d’hospitalisation … une célébrité payée au prix fort )

    Dans cette page http://clioweb.free.fr/blois/kimphuc.htm
    deux sites web permettent de comparer les angles de prise de vue, les cadrages…
    et de suivre le destin de cette photo devenue célèbre :
    http://digitaljournalist.org/issue0008/ng_intro.htm
    http://www.zeithistorische-forschungen.de/site/40208413/default.aspx

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