Culture et adolescents: une possible rencontre?

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“Cf. Hall, S., & Jefferson, T. (1993). Resistance through rituals. London: Routledge). La grande différence qui s’opère à l’époque actuelle est la démocratisation d’accès à ces codes. Toute personne dotée d’un ordinateur peut ainsi tisser des liens réels ou virtu…”

Le 12 février 2011, l’association Itinéraires bis organisait un colloque intitulé Culture et adolescents: une possible rencontre? et invitait son public à répondre aux questions suivantes: «Les jeunes d’aujourd’hui sont-ils brouillés avec la culture? Les adolescents ont-ils de nouvelles façons de se cultiver? Comment faire naître le désir de culture et de découverte artistique chez les adolescents? Comment les amener à croiser la matière culturelle? Y-a-t-il des œuvres spécifiques pour les adolescents?»

Cette association n’est pas la seule institution culturelle à s’interroger à ce sujet, en atteste l’organisation d’une journée de réflexion au titre presque similaire «Adolescents et culture: est-ce possible?» par le Théâtre de Sartrouville en janvier 2009. Ces interrogations semblent suggérer que les adolescents de 2011 sont coupés du monde culturel, c’est-à-dire des équipements légitimes: théâtre, musées… Ce constat est partagé par une étude réalisée en 2009 par la Jeunesse Ouvrière Catholique (pdf), auprès de 8000 jeunes, dans laquelle on nous annonce que 63% des jeunes disent ne jamais aller au théâtre, 92% disent ne jamais aller à l’opéra et 4 sur 10 sont en désaccord avec l’affirmation «aller au musée, au théâtre ou à l’opéra m’intéresserait».

Ces constats alarmants et alarmistes sont pourtant loin de dresser un tableau fidèle à la réalité et ne font que démontrer l’inadéquation des structures culturelles françaises face aux mutations de la demande et des publics. En effet, la culture évoquée dans ces lignes est la même que celle évoquée un demi-siècle plus tôt par Malraux lorsqu’il décrétait la mission du Ministère de la Culture de «rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent» (décret du ministère de la Culture, 24 juillet 1959). Cette culture, que l’on pourrait qualifier de culture savante ou de culture de la classe dominante est celle légitimée par les institutions: la musique de Schoenberg chère à Adorno, les romans de Balzac ou le théâtre de Molière, etc. L’État culturel français s’est construit autour de cet idéal paternaliste d’éducation des masses à la haute culture des classes dominantes et les institutions culturelles perpétuent cette tradition (( Cf. Fumaroli, M. (1991). L’Etat culturel: Une religion moderne. Paris: Editions de Fallois)).

Ce schéma de transmission verticale du savoir est pourtant dépassé, notamment chez les plus jeunes, comme l’avance Olivier Galland: «dans les jeunes générations au moins, la relation entre un haut niveau d’éducation et les pratiques cultivées tend à se distendre» (( Olivier Galland « Individualisation des mœurs et choix culturels », in Le(s) public(s) de la culture, Presses de SciencesPo, 2003, p. 87-100.)). Et ce constat s’affranchit des barrières sociales, sauf dans le cas exceptionnel des «sous-niches du haut», ces jeunes privilégiés, dont les parents sur-encadrent les pratiques culturelles pour assurer la reproduction du schéma familial. Aujourd’hui, dans la majorité des cas, le modèle de La Distinction semble dépassé. La télévision et la radio familiales ont été remplacés par de nouveaux modes de diffusion et de transmission culturelle. On assiste à une érosion de la transmission familiale, qui s’explique par plusieurs facteurs.

En effet, la culture aujourd’hui se construit autour de tribus, pour reprendre l’expression de Michel Maffesoli: des groupes d’initiés se rassemblent autour d’images qui agissent comme des vecteurs d’une communauté. Cette évocation rappelle la définition anthropologique de la culture comme un ensemble des représentations propres à un groupe quel qu’il soit. La culture fonctionne comme ciment social, et la musique qu’on écoute définit une façon de s’habiller, de se coiffer. Les collégiens et lycéens de France se transmettent entre eux leur culture et se réunissent autour de styles musicaux communs ou d’intérêts pour un genre cinématographique particulier. Ces dernières années ont vu l’essor des geeks, des emokids ou des lolitas, pour ne citer que quelques exemples. Autour d’un intérêt commun se construit un univers graphique, sonore et vestimentaire. Pour faire partie de la tribu, on doit en comprendre les codes et références. Ce phénomène n’est bien sur pas nouveau et pour s’en convaincre il suffit de se remémorer les mods et punks anglais, cas d’études chers aux pionniers des études culturelles (( Cf. Hall, S., & Jefferson, T. (1993). Resistance through rituals. London: Routledge).

La grande différence qui s’opère à l’époque actuelle est la démocratisation d’accès à ces codes. Toute personne dotée d’un ordinateur peut ainsi tisser des liens réels ou virtuels avec une communauté d’initiés partageant des goûts similaires. Alors qu’il y a encore 20 ans il fallait envoyer des lettres à des magazines de référence pour trouver des pairs culturels, aujourd’hui il suffit d’afficher son goût pour tel ou tel artiste sur Facebook ou Myspace. Comme le confirme la dernière étude des Pratiques culturelles des Français, l’essor d’internet dans les foyers français y est pour beaucoup (( cf. Donnat, O. (2009). Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique: Enquête 2008. Paris: La Découverte.)).

Massivement connectés, les adolescents d’aujourd’hui écoutent de la musique sur leur baladeur Mp3 ou sur des blogs musicaux et ne sont plus dépendants de la télévision familiale. Ainsi, leur chambre devient leur lieu de consommation culturelle, dans laquelle ils peuvent construire leur univers propre, éloigné de la culture parentale. L’essor des blogs musicaux n’est qu’un exemple parmi d’autres d’un nouveau mode de partage, au sein duquel les prescripteurs passés (médiateurs culturels, parents, professeurs) sont remplacés par des pairs, amateurs éclairés d’un genre particulier. En effet, Internet et particulièrement le web 2.0, a contribué à l’essor d’un nouveau genre de spécialistes, qui ne détiennent pas de diplômes particuliers, mais qui sont dotés d’une connaissance du quotidien (( Pour une étude plus détaillée de ce nouveau phénomène, l’étude de Flichy, P. (2010). Le Sacre de l’amateur : Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique. Paris : Seuil.)).

Le marketing s’est bien sûr emparé de ce nouveau mode d’identification et le marketing tribal est devenu commun: on développe un produit pour telle ou telle niche de la population. On recherche l’âme sœur sur pointcommuns.fr en listant ses films préférés et ses lectures. Aujourd’hui notre culture nous définit plus que jamais. La culture aujourd’hui s’approprie, elle définit une identité. Nous sommes ce que nous écoutons, et ce que nous lisons. Et chez les plus jeunes, cette identité se construit autour de la culture populaire, plutôt que la culture de leurs parents comme l’explique Dominique Pasquier: «Chez les lycéens, la culture dominante n’est pas la culture de la classe dominante, mais la culture populaire ((Pasquier, D. (2005). Cultures lycéennes: La tyrannie de la majorité. Paris: Autrement. 162.)).»

Si l’on regarde les intérêts affichés sur Facebook, on constate que le rappeur Lil’ Wayne récolte 24.007.952 like, Metallica enregistre 16.795.959 fans, tandis que Mozart n’est apprécié que par 793.657 utilisateurs de Facebook et que seuls 286.884 utilisateurs listent Van Gogh dans leurs intérêts. Cela ne veut pas dire que seuls 286.884 utilisateurs aiment Van Gogh, mais ceux-ci se sont sentis assez investis dans leur intérêt pour l’afficher sur Facebook. Que cet intérêt soit réel ou inventé importe peu: en disant «j’aime Van Gogh», l’utilisateur passe un message au reste de ses amis et au reste des amateurs de Van Gogh sur son identité. Bien que ces chiffres ne fassent pas office de preuve, ils sont malgré tout symptomatiques d’un bouleversement des attitudes à l’égard de la culture ainsi que d’une redéfinition du sens même de culture au sein de la société française.

Bien que la jeunesse française affiche un dédain marqué pour les chefs d’œuvres de l’humanité, ceux-ci leur sont malgré tout familiers. En effet, cette culture, devenue culture générale est étudiée dès le plus jeune âge à travers des représentations du Médecin malgré lui en classe de 4e, de visites au Louvre, de peintures réalisées en classes d’arts plastiques «à la manière de».

Le musée imaginaire collectif, pour revenir à Malraux, s’est également hyper-développé avec la multiplication des moyens de diffusion. Les citations et appropriations de chef d’œuvres sont omniprésentes sur Internet. Bien sûr on pourra nous rétorquer qu’écouter Kanye West n’équivaut en rien à l’émotion que peut provoquer le Concerto d’Aranjuez de Miles Davis. Pourtant, West comme tant d’autres rappeurs incorpore dans ses morceaux des références et des influences issues de l’avant-garde africaine-américaine (avec notamment des samples de Gil Scott-Heron, héros musical et révolutionnaire contemporain). De plus comme l’explique Chantal Mouffé «any form of critique is automatically recuperated and neutralized by capitalism» et cette observation s’applique également à l’art présent dans les formes d’entertainment populaire (( Mouffé, C (2008) “Art and Democracy: Art as an Agonistic Intervention in Public Space,” Art as a Public Issue 14.)).

On peut citer les Simpsons, construits autour de références et clins d’œil à la littérature, au cinéma, à l’histoire ou encore aux médias. Dans l’épisode 16 de la saison 22 des Simpsons, actuellement diffusée aux États-Unis, les dessinateurs font un clin d’œil à l’affiche iconique de l’artiste Chicano Xavier Viramontes, Boycott Grapes. Cette affiche, réalisée en 1976 pour la Galería de la Raza de San Francisco rendait hommage à la grève des raisins lancée par César Chavez, qui avait permis de lancer le mouvement Chicano sur la Côte Ouest américaine (voir ci-dessous). Cette affiche est rarement représentée dans les livres d’histoire de l’art et pour la voir il faut ouvrir des catalogues d’expositions spécialisées sur l’art de l’affiche Chicano (( On peut citer comme exemple l’exposition majeure Just Another Poster ? Chicano Graphic Arts in California organisée par l’Université de Californie à Santa Barbara en 2000.)). Ici, les Simpsons, programme très populaire chez les adolescents, se réapproprie une œuvre révolutionnaire.

On peut également citer Gilmore Girls, la série pour adolescents célèbre pour ses gilmorisms – des références subtiles faites à la culture savante (Charles Dickens ou Noam Chomsky) et populaire (I Love Lucy, Carson Daly) – qui ont fait l’objet de nombreux blogs à l’époque de la diffusion. Ces nouveaux modes de citation et d’appropriation de la culture, si symptomatiques de la société postmoderne, sont présents de façon diffuse dans l’environnement culturel. Les enfants d’aujourd’hui capables de chatter et d’écouter de la musique en faisant leurs devoirs maîtrisent ces références.

La génération des moins de 30 ans, comme nous l’explique Olivier Donnat «a grandi au milieu des téléviseurs, ordinateurs, consoles de jeux et autres écrans dans un contexte marqué par la dématérialisation des contenus et la généralisation de l’internet à haut débit: elle est la génération d’un troisième âge médiatique encore en devenir (( Donnat, O. « Les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique », Culture Etudes 5/2009 (n°5), p. 1-12.)).» Cette génération est difficile à appréhender pour le sociologue de la culture, habitué à évaluer l’utilisation des supports. En effet, pour évaluer la lecture, Les Pratiques culturelles des Français décortique la lecture des journaux et des livres, et ce modèle est dépassé. Avec la dématérialisation des contenus, les supports ne sont plus une source fiable pour évaluer la consommation culturelle.

Les digital natives se cultivent différemment, et développent de nouveaux univers culturels qui leur sont propres. Ils ont leurs propres goûts, définis par leurs camarades de classe et amis. C’est à cause de ces différentes mutations qu’Itinéraire bis s’interroge sur les jeunes et la culture. Pourtant les organisateurs de ce colloque semblent ne pas réaliser que le paternalisme et l’évangélisation des esprits, chers aux politiques culturelles françaises ne permettront pas de recréer le lien entre les acteurs institutionnels et la jeunesse française. La culture change et elle ne se limite plus à ce qu’une certaine élite légitime. Si les institutions françaises veulent récréer des liens avec les jeunes, elles se doivent de prendre la mesure de la complexité du champ élargi de la culture. Elles se doivent également d’échanger avec le public pré-adolescent et adolescent, au lieu de tenter de leur apprendre la culture.

7 réflexions au sujet de « Culture et adolescents: une possible rencontre? »

  1. Bonjour et merci pour cet article
    Je crois aussi que ces mécanismes d’appropriation et de composition d’identité culturelle très hétéroclites (càd qui ne correspondent plus à la conformité d’une culture institutionnelle partagée et commune) sont, par ailleurs, démultipliés par l’hétérogénéité des groupes eux-mêmes. Pour ce qui concerne l’école, en banlieue, les élèves d’une classe n’ont pour ainsi dire aucune référence commune qui puissent correspondre à un patrimoine « légitime » (au sens de Malraux). Ils naviguent entre leurs héritages culturels familiaux extrêmement variés au sein d’un même groupe (Maroc, Philippines, Côte d’Ivoire, Sénégal, Algérie, Colombie, Chine, Inde, Antilles etc. etc.), leur construction culturelle de tribu d’adolescents et les bouts de culture « légitime française » traditionnelle qu’on exige d’eux. Cette situation favorise aussi une construction culturelle composite et inédite que les outils numériques permettent largement de développer.

  2. Je voudrais proposer plusieurs remarques au sujet de cet article:

    1. La notion de « jeunes » est trop large, trop vague, pour être réellement opérante. Le conformisme « tribal » dont il est fait mention est surtout celui des collégiens ; il commence à s’estomper au lycée. On est jeune jusqu’à quel âge ? Il faudrait préciser les catégories et les âges.

    2. La diversification des pratiques et consommations culturelles est un phénomène mis en avant par de nombreux sociologues et observateurs. Avec les nouveaux modes d’accès dématérialisés aux produits culturels (entendus au sens large), des pans entiers de la production culturelle ont acquis une visibilité, une audience inédite. La dimension « intellectuelle » de l’ordinateur – technologie savante s’il en est – contribue à légitimer cette diversification culturelle. En clair, un étudiant en lettres peut regarder aujourd’hui une série américaine sur internet alors qu’il ne l’aurait pas forcément fait sur la télé, parce que l’ordinateur est culturellement plus légitime que ne l’a jamais été la télévision. Dans ce contexte, peut-être que la culture dominante apparaît encore plus minoritaire qu’elle ne l’a jamais été.

    3. Plusieurs enquêtes de sociologues font apparaître que la diversification culturelle est encore un attribut des classes dominantes : de fait, ce sont surtout les enfants de ces milieux aisés et cultivés qui diversifient leurs pratiques culturelles (ils écoutent de la techno en plus de Mozart), alors que les jeunes des milieux populaires n’ont pas plus accès qu’auparavant à la culture dite légitime. Voir par exemple la synthèse sur « Les univers culturels des Français »,proposée par Olivier Donnat : http://www.sorbier.net/les-univers-culturels-des-francais.pdf, qui souligne la persistance de profils caractérisés par l' »exclusion » ou le « dénuement culturel ».

    Finalement, j’en viens à me demander si l’approche alarmiste des pratiques juvéniles ne se focalise pas essentiellement sur les « jeunes » des classes moyennes, dont on pense qu’ils devraient pouvoir être gagnés par la culture dominante, alors qu’ils sont aspirés par de nouveaux modes de consommation.

  3. Bonjour,
    Attention à ne pas confondre Culture (ensemble d’expériences esthétiques ou intellectuelles variées formant références) et identité culturelle (ensemble de références familiales, religieuses, nationales…). L’héritage culturel familial n’empêche pas obligatoirement les expériences différentes, la puissance de l’industrie, « culturelle » ou se prétendant telle, est un obstacle bien plus menaçant à la constitution d’une culture riche, variée, et active. Et quand on dit : « Chez les lycéens, la culture dominante n’est pas la culture de la classe dominante, mais la culture populaire », de quelle culture populaire parle-t-on ? A l’évidence, il s’agit de celle transmise par les médias dominants. Il n’est évidemment pas question de discuter la qualité de cette culture, mais bien d’en contester, éventuellement, le mode de fabrication, et surtout les processus de diffusion, hégémoniques. Est-il bien fondé de remplacer l' »idéal paternaliste d’éducation des masses à la haute culture des classes dominantes » par la domination de modèles commerciaux, marketés et jetables ? Qu’on m’entende bien : c’est le mode de domination de ces modèles qui est aujourd’hui à combattre, bien plus qu’une culture officielle. Les œuvres ne sont pas en cause a priori.
    Ce qui devrait être légitime, ce n’est pas tel ou tel patrimoine, savant ou populaire, mais bien la possibilité de s’y confronter de manière active, sans tabou ni appréhension. C’est donc, encore et toujours, d' »autorisation » qu’il s’agit. Ce n’est pas, à mon sens, une question de supports, mais d’usage de ces supports. Et quand on parle de « consommation culturelle », on a déjà adopter la langue de l’adversaire : celui du pouvoir économique qui ne veut pas de spectateurs actifs. Alors comment ne pas se dire que c’est encore une fois du côté de l’éducation qu’il faut regarder…

    Goutte d’eau dans la mer, sans doute : les musiciens-intervenants en milieu scolaire œuvrent, dans leur domaine, à modifier ce rapport imposé à la culture. « Digital natives », eux aussi, ils n’ignorent rien de la pluralité des usages et pratiques de la musique, savante, populaire, « institutionnelle » ou traditionnelle.

  4. Juste une question sur la première partie : on s’alarme juste depuis que le phénomène a touché la (petite) bourgeoisie ? Je suis trop jeune pour le savoir mais je doute que la « culture légitime » ait pu être véritablement acquise par un grand nombre de personnes. Encore moins par l’école d’ailleurs qui a déjà du mal à faire passer les cours pour intéressants dans son mode de fonctionnement actuelle, alors la Graaaaande Cultuuuuure, pensez-vous. Les visites au Louvre sont de vastes blagues. Monter sur Paris, avoir mal au pied et se retrouver devant des milliers de tableaux qui n’ont pour caractéristique commune que d’avoir des codes auxquels nous sommes étrangers, non merci.

  5. @Dominique Pifarély: Pour ma part, je pense que toute implication culturelle a une dimension identitaire. Il est exact que l’école républicaine prétend fournir un stock culturel présenté comme neutre et égalitaire. Mais nous savons bien à quel point la culture scolaire est orientée – l’émoi suscité chaque année par les affaires du Bac suffit à illustrer la part de mythologie nationale qui irrigue profondément ce réseau de connaissances.

    Votre réaction montre bien que la question du contenu est finalement accessoire, et que tout le problème est de savoir quel modèle culturel domine – autrement dit, de savoir à quelle construction identitaire on adhère. Le Kulturkampf entre culture bourgeoise et culture industrielle, parfaitement perçu par les adolescents, est un combat pour la domination des esprits. Entretemps, un 3e modèle, celui de la culture participative, s’installe par le biais des nouvelles technologies, et devient à son tour un redoutable concurrent. Ce modèle est terriblement efficace, parce qu’au lieu de situer l’enjeu référentiel autour de contenus particuliers, il le déplace sur le geste de l’appropriation, qui est le moteur même de toute construction culturelle. On n’en a pas fini avec la guerre des cultures…

    @Derp: Je suis d’accord avec le constat que la culture bourgeoise a de plus en plus de mal à maintenir sa position de référence, qui est par définition liée à l’évolution complexe des rapports de force des groupes sociaux. Votre mention des « codes auxquels nous sommes étrangers » souligne un défaut majeur du système, qui est d’avoir fini par croire à la transparence de ses contenus ou à la naturalité de ses objectifs. Bien plus visible aujourd’hui que par le passé, la diversité des codes culturels s’oppose à la reproduction mécanique des modèles – c’est tout le problème de l’école aujourd’hui.

  6. eh bien, je voudrais abonder dans le sens de Dominique Pifarély. Attention à ne pas confondre culture populaire et produit commercial, sachant que l’industrie culturelle est trop heureuse de pouvoir vendre ses produits marketés sous le label en apparence archi-démocratique de « culture populaire ».
    Quant aux modifications des modes de diffusion et donc modes d’appropriation, je suis d’accord, mais attention à na pas en surestimer l’importance : mes enfants, au collège, écoutent massivement Hannah Montana et Lady Gaga, et non pas des productions réellement porteuses de valeurs « populaires » (un concept qu’il faudrait d’ailleurs essayer de définir…)

    Ce que je voudrais souligner, c’est que ces produits commercialo-populaires sont la plupart du temps bien moins rebelles par rapport à l’idéologie dominante que ne le sont les productions de ce qu’on appelle la « haute culture » –

    (et pour corser le tout, la haute culture est rarement imperméable à ce qui se fait et se dit ailleurs: elle est influencée par les productions la culture populaire — cf. sur ce point les analyses de Bakhtine sur Rabelais ou sur la parole romanesque)

  7. 1) Les jugements de valeur sur l’une ou l’autre culture ne sont pas pertinents, puisqu’ils sont produits de l’intérieur d’un système par un adepte.

    2) L’expression « culture populaire » est en effet trompeuse, il est plus juste de désigner par « culture industrielle » celle qui est issue des industries culturelles.

    3) A noter que la culture bourgeoise comprend paradoxalement une part industrielle, l’édition, plus ancienne industrie culturelle dont la part romanesque noble est valorisée sous le terme de « littérature ». Il s’agit pourtant d’une industrie de loisir qui n’est pas différente dans ses principes du cinéma ou de la télévision, mis à part le fait qu’elle est décrite depuis le XIXe siècle sur un modèle emprunté aux beaux-arts (« auteur » et « style » venant remplacer « artiste » et « art »), construction critique installée comme référence dominante par l’institution scolaire, qui contribue largement à nier sa dimension commerciale.

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