Objet culturel à part entière, icône de l’accès pour tous à la culture ou au contraire symbole de répression et de totalitarisme, le livre a marqué l’histoire de l’humanité. L’identification immédiate d’un ouvrage a été rendu possible grâce à un attribut simple, à l’origine simplement utilitaire : la couverture. Ce référent visuel a trôné en souverain unique pendant les siècles de l’âge d’or de l’imprimerie. Mais l’arrivée des nouvelles technologies de l’information et de la création a bouleversé l’ordre établi, et a subitement relégué la couverture imprimée au rang de quasi-antiquité. La couverture de livre est-elle pour autant morte? La reliure est-elle réellement une relique muséale, appelée à disparaître au profit d’images pixellisées ? En quoi l’arrivée des livres dématérialisés a-t-elle profondément modifié le rôle et l’importance de la couverture des livres sur écran? Cela a-t-il eu une influence sur le consommateur final ? Ce travail commencera par établir les origines de la couverture, ainsi que sa fonction originelle. Puis nous nous intéresserons plus précisément aux fonctions et attributs des couvertures de livre dans le contexte socioculturel actuel, plus spécifiquement par rapport à l’avènement des e-books.
1.1 Approche historique de la couverture
a) La couverture, une fonction originelle utilitaire.
Les couvertures de livres existent depuis les débuts de l’imprimerie. Mais jusqu’en 1820, « couvrir » un livre était un procédé très particulier : les livres s’achetaient dans des magasins spécialisés, puis l’acheteur allait chez un relieur, qui rassemblait les feuilles du livre, les reliait, et les assemblait sous une couverture choisie par le client. Les livres étaient chers, fragiles, et finalement assez rares. Les couvertures servaient à protéger les magnifiques textes précieux, écrit à la main pour certains, et dont le papier devait être abrité des usures du temps et des lecteurs. Cette première fonction était donc uniquement pratique.
A partir de 1820, les imprimeurs ont modifié leurs procédés de fabrication et ont commencé à commercialiser des livres avec la couverture incluse. Pour les rendre plus attractives, ces couvertures étaient illustrées. A début, ces illustrations étaient de simple dessins, monochromes et faciles à imprimer, représentant des formes géométriques basiques.
Puis, les progrès aidant, les illustrations se sont enrichies. Les dorures imprimées sont apparues, ainsi que les gravures en polychromie. Le terrain des couvertures de livres a peu à peu été investi par les affichistes et autres artistes à la mode. Cette période coïncide à une montée de ce qui sera appelé plus tard le « design graphique » : les illustrateurs se sont petit à petit spécialisés, et sont passés d’artistes purs à artisans illustrateurs, plus spécialisés. Vers les années 1830, la « couverture amovible » a fait son apparition, avec pour vocation essentielle de protéger la couverture des intempéries et du transport hors bibliothèque : cette seconde couverture préfigure ce qui sera plus tard le packaging d’un livre.
Dès lors, la couverture allait avoir une autre signification, plus publicitaire et purement communicative. Avec l’Art Nouveau et le Dadaïsme, le livre entame une révolution quasi totale : le design de couverture entre dans la « mass book culture » et les couvertures deviennent de plus en plus développées. Grace à ces dernières, le livre devient non seulement un vecteur de culture par son continua, mais aussi un objet culturel en lui-même, par son apparence.
Après-guerre, les couvertures sont au centre d’un enjeu marchand : la concurrence. C’est à partir de ce moment que la couverture va communiquer sur l’intérieur du livre, comme un teaser de cinéma. Les illustrations sont très posées, la photo prend une très grande part dans cette communication. L’objectif : attirer l’attention du client et donc du lecteur. Le livre est façonné par les stratégies marketing.
On l’a vu, les couvertures ont évolué pour accompagner le livre dans ses changements sociaux et culturels. Car aujourd’hui le livre est un objet culturel important, aux natures multiples… et complexes !
b) La couverture, un objet culturel
Dans un magasin de livres, la première chose que l’on voit sur les rayonnages, c’est bien entendu la couverture des livres à vendre. L’acheteur (le futur acheteur) est entouré de couvertures criant leurs mérites, appelant son regard et cherchant son attention. Cette parade visuelle n’a qu’un but : nous convaincre de consulter, de feuilleter et d’acheter. C’est une parade de séduction à laquelle se livrent les ouvrages, un appel à l’achat. Un proverbe anglais dit qu’il ne faut pas juger un livre sur sa couverture («don’t judge a book by its cover», l’équivalent de notre «l’habit ne fait pas le moine»). Mais en termes marketing, c’est bien évidemment l’inverse qui se produit : on choisit parfois un livre uniquement… sur sa couverture.
Depuis l’arrivée des e-books, l’industrie des livres s’est radicalement transformée. Et la couverture est l’un des bras armés de la féroce concurrence que se livrent éditions de papier et éditions digitales.
1.2 Les composantes de la couverture
a) la couverture, un teaser en forme de synthèse
La couverture est le lien primaire entre le livre et le lecteur. Elle introduit l’intérieur du livre et reflète une promesse. Elle nous donne des indications objectives basiques sur le contenu du livre et son auteur, sa maison d’édition. C’est la « carte d’identité » du livre.
Plusieurs éléments de la couverture nous indiquent différents aspects du livre. Le rapport entre texte et image aide le lecteur à trouver des informations sur la nature du livre, son genre et son style. L’illustration de couverture, ou son absence, placent le lecteur au centre d’une sensation culturelle, dont l’intensité varie selon l’objectif recherché : ainsi utiliser une image iconique, ancrée dans l’inconscient collectif pour illustrer une couverture de livre permet une identification immédiate et suscite une réaction culturellement prédictible chez le lecteur. A l’inverse, l’illustration peut être crée ex nihilo pour plaire à la cible visée.
La couverture possède une importante fonction de synthèse, qui est un véritable résumé illustré de l’intérieur du livre. En outre, le support physique de la couverture peut varier selon les genres, les styles et les collections. On en différencie la texture, entre mat et brillant, entre couverture souple et couverture dure. Ce choix matériel n’est pas anodin : il reflète, là encore, la promesse véhiculée par le livre et participe à l’équilibre marchand qui va déclencher l’acte d’achat. Les codes visuels de la couverture (typographie, mise en page,…) sont primordiaux quant à la perception que va se faire le futur lecteur du livre.
b) Processus de création d’une couverture
La couverture du livre est la partie la plus travaillée par le plus grand nombre de personnes. Son processus d’élaboration implique une chaine de création longue, complexe, faisant intervenir à la fois des impératifs artistiques, éditoriaux, mais aussi marketing et commerciaux. A l’instar d’une couverture de magazine, avec laquelle elle ne partage pas la périodicité de renouvellement, la couverture de livre doit attirer. C’est au Directeur artistique qu’incombera la responsabilité de générer l’élan originel, sur la base de recommandations stratégiques. Le responsable de collections, l’auteur et l’agent prennent ensuite le relais, chacun avec des impératifs et des envies propres, parfois concurrentes, souvent dissonantes car recouvrant des intérêts singuliers. L’éditeur intervient souvent à ce stade, pour trancher les conflits et insuffler une direction. L’équipe commerciale, à son tour, prend part au processus et affine la direction choisie en fonction des cibles visés et des objectifs attendus. Et parfois même les libraires ont leur mot à dire, via le réseau de distribution de l’éditeur. Cet ensemble aboutit à la création d’une couverture. Aujourd’hui, avec les avncées de la PAO et l’avènement des plateformes cross-media, ce processus a été considérablement fluidifié et accéléré.
2. Le livre, un produit culturel complexe
2.1 Le livre, un produit culturel concurrencé
a) La pochette de disque, une icône collective
Un autre produit culturel a développé une relation complexe avec la couverture qui l’abrite : le disque, encore plus que le livre, entretient un lien étroit, presque symbiotique, avec l’illustration qui l’identifie. Pourtant le mécanisme de perception entre pochette de disque et couverture de livre est différent : les pochettes de disque font intégralement partie du produit. On les collectionne, on les garde, on les regarde. Au point que certaines pochettes de disque font aujourd’hui partie du patrimoine culturel collectif. Il en va différemment des couvertures de livre, qui, à part certaines éditions iconiques (Pléiade, les Jules Verne rouge et or) ne sont pas considérées comme « faisant partie » du produit. Il est difficile d’identifier avec certitude les causes de cette disparité, mais on peut envisager l’hypothèse que la pochette est le lien matériel unique qui relie l’acheteur à la musque qu’il achète (le disque, en lui-même, n’est qu’un instrument). Pour le livre, les pages se suffisent à elles-mêmes. En outre, un disque n’a qu’une seule et unique pochette, ce qui n’est pas le cas du livre.
b) Le magazine, un objet périodique
Il est aussi important de faire une différence entre les couvertures de magazines et celles des livres. Un magazine est de nature fluctuante, périodique. Si la couverture d’un magazine peut remplir éditorialement (annonce du contenu, synthèse, teaser) et commercialement (se démarquer et attirer le client) les mêmes fonctions qu’une couverture de livre, sa destination la condamne à un oubli rapide, sauf cas historiques exceptionnels. Outre sa fonction primaire, le livre est un objet qui a une existence propre, au-delà de son contenu. Il se conserve, s’exhibe et se transmet. Il a une fonction sociale forte, voire une signification détournée de son utilité première : mettre en évidence les couvertures d’une collection complète de la Pléiade, c’est affirmer un certain degré de culture et de connaissance… même si ce n’est ni une preuve de lecture, et encore moins une preuve de compréhension !
2.2 Les nouveaux défis du livre dématérialisé
a.) Le livre digital
L’importance des couvertures dans « l’e-book business » est encore plus importante que dans l’industrie papier. Aujourd’hui, un internaute veut comprendre et saisir le plus vite possible les informations dont il est abreuvé. Les couvertures d’e-books doivent encore attirer plus d’information que les couvertures imprimées.
Et d’une part, la couverture permet aussi d’assurer une relation à l’image, qui rappellera la nostalgie du livre ancien, d’autre part elle suscitera toujours une part d’évasion, avant même que d’entrer dans le livre.
Jusqu’à présent, les e-books avaient les mêmes couvertures que les livres classiques, mais devant les exigences spécifiques à la recherche sur écran et face aux attentes des consommateurs en ligne, les couvertures d’e-book ont très rapidement évolué pour trouver un langage spécifique et donner plus de personnalité au livre dématérialisé. Les nouvelles technologies jouent aussi sur les couvertures vivantes et interactives et la possibilité au lecteur de créer soi-même sa propre couverture
Contrairement à la couverture classique, les couvertures de livres numériques laissent moins d’espace aux détails. Elles doivent rappeler les contenus papiers (pour celles qui en sont issues), tout en s’affranchissant des contraintes de ces dernières pour être lisibles sous forme digitale. Le rapport du lecteur-acheteur à ces couvertures se fait maintenant par l’intermédiaire unique de l’écran. C’est à ces affichages-là et ces modes de consultation qu’il faut penser quand on conçoit des couvertures pour les livres électroniques, ce qui est important aussi à savoir c’est que à partir de 150 pixels sur 200, beaucoup de couvertures sont illisibles… et la plupart du temps on arrive pas à lire le nom de l’auteur.
La gratuité de la plupart des e-books change aussi notre rapport avec eux. Lorsqu’Amazone propose gratuitement de télécharger des œuvres complètes d’Edgar Allan Poe dans le cadre d’une opération de marketing vissant à familiariser ses clients aux livres dématérialisés, ce sont certes des milliers de lecteurs supplémentaires qui vont découvrir Poe, mais ce sont aussi des milliers de consommateurs qui vont développer un réflexe de consommation gratuite, dont les conséquences économiques, à terme, risquent d’être désastreuses.
b) Le livre imprimé, vendu en ligne
Une problématique complexe vient se superposer à celles inhérentes aux livres dématérialisés et aux livres imprimés vendus en librairie : quid des livres imprimés, vendus sur internet ? Ces ouvrages vont devoir répondre à une double obligations : être physiquement visibles dans les points de vente réels et donc obéir aux règles visuelles et marketing d’attraction du client. Mais ils devront aussi se conformer aux exigences de la vente en ligne et donc aux règles du langage visuel dématérialisé, rendu d’autant plus complexe par la multiplication des plateformes et des terminaux, à la surface de visualisation allant de quelques pouces pour un Smartphone aux 27 pouces de certains moniteurs bureautique. Ce grand écart repose tout entier sur la couverture du livre, car elle est le plus petit – et unique – dénominateur commun entre une librairie et un site web.
c.) Les terminaux de lecture
Avec l’arrivée du livre électronique, et dans une moindre mesure de la tablette digitale, s’est perdue une des fonctions essentielle de la couverture d’un livre imprimé : sa viralité visuelle. Lorsque l’on lit un livre classique, on expose la couverture de l’ouvrage aux regards des autres, qui d’un seul coup d’œil peuvent identifier la publication, et réagir (ou non) à ces stimuli visuels. C’est le «syndrome du métro», où de parfaits inconnus interagissent socialement entre eux, brisant le tabou de la distance minimal nécessaire pour échanger à propos d’un ouvrage. Avec les livres électroniques, impossible de déchiffrer la couverture, et donc de savoir ce que l’autre lit. «Avec Kindl, impossible de juger un livre par sa couverture!» (In E-Book Era, You can’t even judge a cover, Motoko Rich, 30 mars 2010, New York Times).
Cette privation pour le lecteur d’afficher ses goûts littéraires en public n’est pas si anecdotique que cela peut paraître de prime abord. Acheter, posséder et livre un livre, on l’a vu plus haut, est un acte important de communication sociale qui fait partie intégrante du processus marketing, social et intellectuel de l’achat d’un livre imprimé. Lorsque le livre électronique prive le lecteur de l’option d’un vecteur social de propagation, qui s’il n’est pas un attribut essentiel, n’en demeure pas moins un élément important, il supprime un avantage du livre en tant qu’objet culturel, et affaibli son rôle social. Et c’est pourquoi, petit à petit, les terminaux électroniques ont développé la une fonctionnalité d’identification des ouvrages lus dans l’environnement immédiat de leur lecteur, afin de pallier au manque d’interaction sociale, et de réinterpréter cette fonction primaire et basique de l’ouvrage imprimé, en la développant avec tout la puissance d’une technologie de réseau. C’est déjà ce qui se passait dans l’achat en ligne d’ouvrages, où les sites marchands de vête de livres ont développé des algorithmes puissant et précis de conseil automatique aux acheteurs, basés sur leurs précédents achats. Dans le cas des livres électroniques, il ne s’agit plus d’une suggestion d’achat par pertinence de critères personnels au lecteur mais plutôt par opportunité aléatoire de cheminement et de croisement de personnes, ouvrant ainsi une nouvelle voie au livre, en tant que support social écrit.
Le livre change. L’objet évolue, entrainant avec lui les problématiques de ses attributs. La couverture de livre, depuis les débuts de l’imprimerie, a vu sa nature changer et passer d’un rôle purement fonctionnel à une fonction culturelle plus subtile, sensorielle et sociale. Le livre électronique et les nouveaux défis qu’il soulève ne signifient pas la mort de la couverture. Il marque sa révolution et amorce un nouveau changement de nature. Qui sait si demain, la couverture des ouvrages que l’on lira sur nos terminaux électroniques ne s’affichera pas comme un avatar visible flottant comme une aura autour du lecteur, en remplissant une fonction sociale et intellectuelle, mais aussi esthétique et artistique ?
9 réflexions au sujet de « La couverture, un objet culturel »
La couverture, objet fétiche : http://blog.homo-numericus.net/article10884.html
« Le livre digital » ne veut rien dire, tous les livres se feuillettent avec les doigts, vous vouliez peut-être parler de livre numérique.
@Capello: « Digital » est un anglicisme désormais usuel en français, qui permet de disposer d’un synonyme de l’adjectif « numérique », et fournit quelques intéressantes possibilités de jeux de mots (voir notamment mon article: « L’empreinte digitale. Théorie et pratique de la photographie à l’ère numérique« , 2008). Dans cet usage, facilement identifiable par le contexte, la racine « digit- » ne renvoie pas au « digitus » latin, mais au « digit » anglais, qui signifie « chiffre » (par extension de l’usage des 10 doigts pour renvoyer aux valeurs numériques du système décimal). Un anglicisme ne constitue nullement une “faute” en tant que tel. Toutes les langues sont constituées d’emprunts les plus divers; les gallicismes forment une composante essentielle de l’anglais, et les anglicismes représentent l’apport lexical le plus important au français depuis près de deux siècles (boycott, charter, discount, football, jogging, manager, marketing, people, sport, tennis, tourisme, shopping, trafic, week-end, etc…)
Votre réponse est stupide, un anglicisme répandu par des incultes n’en est pas moins une faute, les mots ont un sens et la précision du langage permet d’échapper au galimatias ordinaire dans la presse.
Digital : « Qui est exprimé par un nombre, qui utilise un système d’informations, de mesures à caractère numérique. Système digital. (Quasi-)synon. binaire, numérique; (quasi-)anton. analogique. Le traitement des quantités, est effectué, dans un ordinateur digital, par un organe appelé l’unité arithmétique (JOLLEY, Trait. inform., 1968, p. 207).
Étymol. et Hist. 1961 (Lar. encyclop.). Adj. angl. digital notamment dans digital computer « ordinateur digital » (du subst. digit « doigt » mais aussi « chiffre, [primitivement « compté sur les doigts »] ») « ordinateur employant des nombres exprimés directement en chiffres dans un système décimal, binaire ou autre » d’apr. Webster’s. » [ATILF – le Trésor de la langue française informatisé].
Cet anglicisme n’a pas été répandu par des incultes, et il est attesté en français depuis longtemps. Ce digital me semble définitivement de bon aloi, M. Capello.
@ André et Patrick, merci d’avoir enrichi nos connaissances lexicales concernant l’étymologie de l’anglicisme « digital »…
@ Capello, la première chose qu’on apprend en se cultivant, c’est l’étendue de son ignorance… Un bon début, bravo !
et pour en rajouter une couche, je trouve que c’est un mot qui sonne si bien, je le trouve superbe, « digital », même très érotique 😉
Il y a des couvertures sensorielles et parfois prémonitoires: http://vanessa-schlouma.blogspot.com/2011/06/pippa-et-la-pippa.html
Les commentaires sont fermés.