Pourquoi la photo de Ben Laden est due

Laissons gémir ceux qui fustigent d’avance le voyeurisme occidental. Qui a envie de voir la tronche explosée de Ben Laden? Cette image-là appartient aux corpus spécialisés, imagerie médicale ou images de guerre, qui provoquent un haut le cœur chez n’importe qui d’autre que ceux qui en usent par fonction. Pas la peine d’ergoter: cette image-là, personne ne veut vraiment l’apercevoir. Nous préférons tous une vision plus apaisée d’un monde dont nous n’aimons pas qu’on nous pointe les noirceurs.

Oui mais voilà, depuis lundi, où l’on apprenait la nouvelle de la mort du terroriste, habilement camouflée dans les brumes de la stylisation infographique (ci-dessus), nous avons vu d’autres images. Celles, nettoyées de toute présence humaine, de l’immeuble dévasté. Et surtout celle, si belle, théâtrale, des chefs de guerre pris sur le vif, au cœur de l’action. Cette vision qu’on a aperçu cent fois – allo la Lune, ici Houston –, de l’attention angoissée des commandants face au spectacle d’une action dangereuse est habituellement une image qui en appelle une autre: une image qui n’existe que sous la forme d’un contrechamp et qui désigne comme un miroir le point focal de l’événement (ci-dessous).

Cette image-là change tout, parce qu’elle apporte la preuve de quelque chose qu’on n’avait pas forcément envie de savoir, mais dont on ne pourra plus désormais se départir. Ils ont vu. L’image existe.

A partir de là, qu’on le veuille ou non, l’image est due. Faute de quoi, on se retrouve dans le schéma de la censure la plus classique, où ceux qui ont vu décident pour le bien de ceux qui ne verront pas. Un tel paternalisme est intenable. Nous préfèrerions qu’on nous épargne la vision du cadavre, mais la démocratie n’est pas un théâtre de marionnettes pour enfants sages. A partir du moment où l’image existe, il n’y a pas d’autre solution que de la montrer.

D’un point de vue politique, différer sa diffusion a été une grave erreur. Plus l’attente s’allonge, plus les rédactions piaffent, plus la pression monte. Au lieu de noyer la vision affreuse d’un corps défiguré dans la liesse de la nouvelle de l’exécution, on est en train de faire de cette photo refusée un événement d’image autonome. Même absente, elle contredit le scénario d’un raid impeccable. Même absente, elle est au centre des conversations et alimente déjà l’imaginaire. Il est inévitable qu’elle soit publiée. Le plus tôt sera le mieux.

Lire la suite: « Qui a peur de l’image de Ben Laden?« 

25 réflexions au sujet de « Pourquoi la photo de Ben Laden est due »

  1. Je suppose qu’il y a une légère dissonance entre l’image publique proprette d’Obama et le cliché d’un cadavre ensanglanté, et que ça explique une hésitation que d’autres n’auraient pas eue… ?
    Curieuse l’infographie/jeu vidéo, avec un mur crénelé de château fort : il ne me semble pas que la propriété ressemble exactement à ça.

  2. Oui et à mon avis il ne peuvent faire l’économie d’une diffusion de peur de voir se développer les théories conspirationnistes ou les thèses dans lesquelles Bin Laden se cacherait dans une grotte avec Tupac. J’avais lu aussi qu’ils avaient opté pour cette stratégie d’intervention au profit d’une attaque explosive parce que les preuves (et les images) de la mort seraient incertaines. Et puis c’est un grand classique la photo du chef de guerre mort.

  3.  » Il est inévitable qu’elle soit publiée. Le plus tôt sera le mieux. »
    A l’exception remarquable d’Abou Grahib, j’ai quand même l’impression que d’une manière générale non seulement ne sont publiées que les photos que les autorités souhaitent voir publiées, mais qu’en plus c’est à la demande d’un public qui demande, même sur Culture Visuelle, qu’on ne lui présente que des photos, douces, apaisées qui réconfortent et apaisent. C’est un peu comme les gens qui regardent TF1, mais prétendent ne regarder qu’Arte. Les magasines et les sites trash fonctionnent très bien, mais lorsqu’une photo ne montre pas le monde tel qu’on souhaiterait le voir, c’est une levée de bouclier dans le courrier des lecteurs. De ce point de vue, l’infographie, c’est parfait!
    « Même absente, elle contredit le scénario d’un raid impeccable. Même absente, elle est au centre des conversations et alimente déjà l’imaginaire. » Il y aura toujours le soupçon qu’il y a des images « pires » ou des images qui prouveraient que ce n’est pas Ben Laden qui a été tué etc. Ben Laden était déjà un mythe alors que l’on ignorait s’il était mort ou vivant. Cet épisode n’est qu’une étape supplémentaire dans la construction de sa légende. La seule chose certaine, c’est que si cette image est publiée, elle finira sur un T-Shirt.

  4. La publication de cette photo est imminente, l’info vient de tomber. Bien entendu, ça ne changera rien. Les amateurs de conspirations continueront de conspirationner, les autres oublieront vite.
    Remarque : devant Hillary Clinton, posée sur un ordinateur, une photo couleur a été mosaïquée, probablement par les services de retouche de la Maison Blanche. Cette photo en recouvre une autre, en noir et blanc, également mosaïquée. La première, à l’évidence, est une vue de Mars; la seconde, une vue de la Lune. Sur laquelle de ces deux planètes se cachait Ben Laden ?

  5. J’ai remarqué la même chose que Gédéon sur cette photo de la « situation room » de la maison blanche : un cliché posé sur le bureau devant Hillary Clinton a été maquillé. Un cliché de quoi ? De loin ça ressemble à une vue aérienne de la résidence où se trouvait Oussama Ben Laden.

    Si la photo du cadavre de Ben Laden finit par être publiée, le parallèle avec l’absence totale de photo de cadavres des attentats du 11 septembre devra immanquablement être fait. Comment peut-on décemment prétendre être une démocratie et cacher les images de ses morts mais afficher l’image de son ennemi mort ? Comment peut-on décemment prétendre être un état de droit et tuer son ennemi plutôt que le juger ? Les Etats Unis sont face à leurs contradictions …

  6. @Cowboydan: Il y a toujours eu une différence dans la façon de traiter « nos » morts (dans le respect et la protection du rituel) et ceux des « autres » – à plus forte raison s’ils sont nos ennemis (ce qui implique l’obligation d’un traitement dégradant). L’image n’est pas extérieure à ce processus, elle en est partie prenante. Les images du Che, de Saddam ou de Gbagbo ne sont pas des photos de reportage neutres et objectives, mais l’instrument qui atteste de la défaite de l’ennemi – une figure de style aussi grammaticalisée et nécessaire que l’image féminine au drapeau pour identifier une révolution réussie.

  7. Cette photo m’agace, car elle se veut spontanée, alors que les écrans éteints des ordinateurs supposent que l’on a au moins un minimum de mise en scène, et bien sûr la question suivante est « jusqu’ou? ».
    (et les deux personnes en arrière plan qui penchent le tête, pour être sur la photo?)
    Cette image a été sélectionnée et arrangée pour ne rien montrer d’autre que ce qui a été décidé (la plaque et les décorations du militaire en tenue de parade sont aussi pixellisées…).
    Et comme on nous annonce une photo du corps défiguré, ça ne convaincra personne de plus.
    Quant à l’argument de ne pas heurter le monde musulman (plus que Guantanamo?, Abu Grahib?, les images des civils victimes « collatérales »?…)…
    Nos gouvernants sont-ils capables de fonctionner autrement qu’en terme de « perception de la réalité ? »

  8. @Christophe D: Il y a 2 écrans éteints, mais celui sur lequel est en train de taper le Brigadier General Marshall B. “Brad” Webb est bel et bien allumé. Si l’on est à un moment clé d’une fusillade, qui a duré au total 40 mn, on conçoit que l’attention des participants soit concentrée sur le grand écran (pour info, on a le contrechamp ici: http://www.flickr.com/photos/whitehouse/5680161629/ ) – et accessoirement que les portables se soient mis en veille. Ça ne me semble pas suffisant pour conclure à une mise en scène (mais si c’en est une, je conseille à tous les participants de postuler à la MGM, car ils sont excellents… 😉

  9. On nous montre le « pseudo dispositif » de l’opération américaine, c’est quand même une approche efficace pour préparer le public au choc visuel!

  10. La «stylisation infographique»… parlons-en !

    Ces derniers temps, je trouve qu’il y a vraiment de graves abus qui laissent sincèrement penser que c’est dans un but malhonnête que c’est utilisé.

    Alors que je me rappelle de débats sur son utilisation, au début de son utilisation… Aujourd’hui, il semble ne plus y avoir de limite. Ça ressemble plus à 4chan qu’à du journalisme !

    Pour certains cas, il y a les images/vidéos originales qui témoignent de ce qui s’est passé. Mais non, c’est une «stylisation infographique» qui est diffusée ! Et, en plus de l’incompétence (involontaire) des personnes qui fabriquent ces images, j’ai remarqué que ça versait très souvent dans l’excès (soit en faisant paraître plus grave, ou soit en minimisant). C’est là où c’est malhonnête. C’est là où les personnes qui fabriquent et qui diffusent ces images peuvent être soupçonné de vouloir littéralement réécrire les faits/l’histoire.

  11. la photo n’empechera pas la suspiscion qui doit etre levée sur la prise de trophées ( encore qu' »ils » n’aient pas pu prendre le prépuce !) ; quand ils apparaitront sur le marché il sera trop tard pour s’indigner ! 40 mn d’intervention ? ça parait long ! donc droit de visioner le film des opérations !

  12. @ André,

    Je suis d’accord avec toi sur le fond et pense aussi que l’image doit être montrer, ne serait-ce que parce qu’on sait qu’elle existe et qu’elle constitue un passage essentiel dans l’histoire des tours qui se sont effondrées. L’attaque au Pakistan avait surtout une portée symbolique et le vide créé par l’absence de corps et d’image, que la photo de la station room vient manifester dans un hors champ qui relève du teasing de film d’horreur, devient inquiétant. Ajoutons qu’il est quand même difficile de croire que ce corps « recherché » pendant dix ans, l’objet de tous les désirs de vengeance, le symbole de la lutte acharnée et irrationnelle contre l’American Way of Life, ait été jeté à la mer aussi vite, comme un petit poisson… Mais il faut peut-être voir les choses sur un autre plan… et pour une fois, je ne suis pas d’accord avec toi quand tu dis :
    « D’un point de vue politique, différer sa diffusion a été une grave erreur. » (idée que tu reprends dans ton interview à Libé
    http://www.liberation.fr/monde/01012335402-ben-laden-personne-ne-veut-voir-l-image-du-corps-mais-c-est-une-question-de-democratie)

    Peut-être suis-je encore sous l’effet d’une poussée d’Obamalâtrie tardive, mais je trouve que son administration la joue fine dans cette histoire… (que les scénaristes ont mis dix ans à écrire!) Il lui fallait mettre un terme au temps post-11 septembre, asseoir la suprématie des USA sur ses ennemis héréditaires, et en même temps ne pas apparaître comme humiliants avec les opinions populaires des pays musulmans qui, sans être pro-Ben Laden, respectaient en lui le rebelle, l’antiaméricain. (à moins que cette situation soit une construction médiatique occidentale…)

    L’insistance avec laquelle les autorités américaines ont précisé avoir respecté les rites funéraires musulmans (ce qui est faux mais témoigne d’un souci des croyances religieuses, fût-il maladroit), la manière dont ils tardent à livrer l’image de son cadavre défiguré en pâture aux médias du monde par souci affiché de ne pas choquer et de ne pas provoquer ses fidèles (on sait qu’ils se moquent bien de choquer mais le discours « responsable » témoigne en leur faveur et rompt un peu avec l’image du pays arrogant et vengeur qu’étaient devenus les USA dans l’opinion mondiale sous Bush) montrent au contraire (à mon avis) une gestion subtile de l’après opération, mais bien plus vis à vis et à destination des opinions des pays susceptibles d’éprouver de la compassion pour Ben Laden que vis à vis de l’opinion occidentale qui se satisfera toujours de la photographie en tant que preuve quand elle arrivera.
    (ce point est d’ailleurs passionnant, parce que l’on voit peut-être que l’image photographique, si elle ne prouve rien dans ce qu’elle montre, prouve tout de même quelque chose de par son existence même… Elle crée l’événement et l’attente nous indique ici que l’événement est justement son apparition, pas ce qu’elle montre.)
    Montrer l’image dans le feu de l’action, juste après la prise, cela aurait été perçu comme l’exhibition d’un trophée répondant au désir de vengeance populaire, comme on brandissait la tête des guillotinés… Mais ce décallage, l’attente qu’il crée, les réserves affichées, même s’ils font naître et attisent les fantasmes conspirationnistes, montrent aussi (peut-être n’est-ce qu’une illusion) un certain recul rationnel vis à vis du dispositif… Comme tu le soulignais à propos d’Alien, qui exposait son dispositif de monstration tout en jouant de l’effet d’attente (scène du chat qui met en abyme ce qui est attendu du spectateur), cette image où tout se passe dans le contrechamp, nous donne une idée de l’effet produit par les images de l’attaque et crée une attente chez le spectateur qui sait ainsi que quelque chose se montre, tout en exposant le dispositif de monstration comme une machine à produire le monstre.
    En cachant ainsi l’image « chaude », le monstre, on lui donne un corps, une existence autonome qui d’une certaine manière, la dénaturalise… Ce n’est pas la preuve qui est attendue, c’est la chose de Ben Laden mort… Montrer le cadavre de Ben Laden est devenu un acte dont le sens est « pensé » en amont sous le regard du monde entier… Et ce ne sera plus pour la Maison Blanche, simplement exhiber le trophée, mais donner un « document » et répondre à une attente avec recul… Elle reste la grande ordonnatrice et déplace l’image terrorisante du terroriste terrorisé du terrain de la terreur sur celui de la raison… c’est un moyen que je trouve assez subtil de dévitaliser le symbole qu’était Ben Laden, on le fait disparaître d’un côté, et on le montre « scientifiquement » plus tard, de l’autre…
    Bon ça peut ne pas marcher… il ne faut pas attendre trop longtemps, et apparemment Obama refuse de la montrer aujourd’hui, ce qui est peut-être une erreur… En tout cas les effets de la monstration seront très intéressants.

  13. Je n’ai personnellement aucun doute sur le fait que cette image finira par être rendue publique. Tôt ou tard.

  14. Des images, ce n’est pas ce qui doit manquer, dans cette histoire là (storytellisée ou pas).

    A commencer par les images filmées, d’en haut, d’en bas, d’un peu partout et peut-être même au bout du fusil (non, je n’ai pas dit dans la balle…).

    Alors, commencer déjà par montrer la réalité de l’assaut : la réaction des assaillis ; la combativité des cibles… tout ça ferait déjà un bon monceau de preuves. Non ?

    Bon, une preuve n’est pas un symbole (pas tout de suite). N’empêche que tout ça donnerai « corps » à la description de l’assaut et désamorcerait peut-être aussi les réactions trop négatives à l’imagec-clé de la séquence.

    Assez d’accord par ailleurs avec l’interprétation d’Olivier Beuvelet, quant à la mise en scène de l’apparition de l’image attendue et du (faux)respect des rites funéraires (bien que là, je crois qu’on nous en annonce la vidéo).

  15. @Olivier: Le fait que nous trouvions enfin un terrain de désaccord prouve que cette image est exceptionnelle… 😉

    Si la formule finalement retenue par Obama, après réflexion et plusieurs annonces contradictoires, était un coup finement joué, le débat devrait s’éteindre de lui-même. On verra ce qu’il en est dans les jours qui viennent, mais on a plutôt l’impression que la discussion devient incontrôlable. Il me paraît vraiment difficile de croire qu’à partir de demain matin, tout le monde va accepter de glisser cette question sous le tapis, parce qu’Obama en a ainsi décidé.

    Tous les arguments en faveur de la censure font comme si l’image n’existait pas. Mais on peut le constater: on n’a jamais autant parlé d’une photo que personne n’a vu. J’avoue ne pas comprendre comment on peut prétendre respecter les opinions populaires des pays musulmans, tout en n’ayant pas choisi de prendre Ben Laden vivant (ce qui aurait évité de se demander sous quel angle photographier son cadavre).

    Ne soyons pas naïfs: le choix d’Obama vise plutôt à ne pas choquer l’opinion publique américaine. Mais encore une fois, ce choix arrive trop tard, dans des conditions de communication qui ressemblent plutôt à un cafouillage grandeur nature. Je préfère ne pas imaginer les effets produits par la fuite de telle ou telle image (qui est aussi un fichier numérique, et dont la CIA a visiblement un jeu complet), en l’absence de toute authentification, ou bien des fake qui vont circuler dès demain sans qu’on puisse savoir de quoi il retourne.

    On n’aura garde de l’oublier: la photo « atroce », celle qu’on refuse de publier, n’est pas la seule image du raid. D’après CNN, dans cette opération, enregistrée en vidéo, trois lots de photos au moins ont été produits, dont une série dans un hangar en Afghanistan, et une autre au moment de la cérémonie de l’immersion, comprenant notamment le corps dans son linceul. Il est incompréhensible qu’aucune de ces images, y compris celles qui paraissent tout à fait « montrables », n’aient pas été diffusées immédiatement. Pour une opération de cette ampleur et un personnage de cette importance, ce black-out visuel me paraît un cas sans précédent dans la période récente.

    Je crois que l’administration n’a pas pris la mesure de la spécificité du cas Ben Laden, fugitif qui avait échappé à toutes les recherches, sorte de nouveau Fantomas à l’apparence inconnue, donné pour mort déjà à plusieurs reprises. Fournir une image était une nécessité pour redonner redonner corps au fantôme. La gestion symbolique du problème a visiblement été omise au profit de son traitement militaire. Le soulagement de la disparition de l’ennemi public n° 1 et l’autorité d’Obama étaient supposées suffire à rassurer le peuple américain. Il n’en a pas été ainsi. Lundi matin, Obama apparaissait triomphant. Deux jours plus tard, sa situation paraît plutôt fragilisée que renforcée. Il faudra beaucoup de talent pour sortir indemne de ce guêpier.

  16. Bonsoir,

    la photo sous celle qui est pixellisée est assez nettement une vue (un peu oblique) de la maison qui a été assaillie. On devine le début du titre du cartouche : Abbottabad

    la ville de James Abbott
    http://en.wikipedia.org/wiki/James_Abbott_(Indian_Army_officer)

    Dommage, à un « t » près c’était la ville de l’abbé…

    En cherchant sur Google maps, on trouve facilement le lieu, identifié comme « Osama Bin Laden’s Hideout Compound ». Là aussi, il manque « SECRET hideout »…

    Et dans les photos qui sont liées à ce point, on en trouve une avec en premier plan la voiture Goggle street view…

  17. … et dans la même série de photos sur Google maps, quelques images plus loin, un montage où le « (secret) hideout » jouxte un Starbuck café.

    Qui nous renvoie plutôt au billet de P. Peccatte…

  18. Si l’image ne fuite pas, ce sera comme si elle n’avait jamais existé. On a besoin d’un support matériel pour constituer des reliques. Sans relique, l’émotion retombera avec le prochain mariage princier. Inversement sortir la photo, ce sera donner une seconde vie à Oussama que ce soit en en faisant un martyr à la façon du Ché ou en l’utilisant pour des T-Shirts patriotiques.
    « J’avoue ne pas comprendre comment on peut prétendre respecter les opinions populaires des pays musulmans, tout en n’ayant pas choisi de prendre Ben Laden vivant » Le timing pouvait difficilement être mieux choisi. Les opinions populaires des pays musulmans actuellement réclament surtout du pain et plus de liberté. Je ne vois pas par ailleurs comment sa capture aurait pu aider les américains à les respecter. Un procès aurait été un immense cirque médiatique. Une détention sans procès aurait été pire.
    « Fournir une image était une nécessité pour redonner redonner corps au fantôme. La gestion symbolique du problème a visiblement été omise au profit de son traitement militaire. »
    Je ne suis décidément pas d’accord. La gestion symbolique du problème a été de toute évidence improvisée en ce qui concerne la partie photo. Pour le reste, exécution puis disparition du corps et maintenant des photos (qui n’auraient de toutes les façons convaincus que ceux qui le sont déjà) me semble le meilleur moyen de se débarrasser de Ben Laden, de laisser son fantôme se dissiper, si les autorités américaines arrivent à empêcher toute publication des photos.

  19. Passionnant débat sur la fabrique de l’Histoire.

    Mais si, une bonne fois pour toutes, on cessait de considérer les images, quelles qu’elles soient, comme des preuves irréfutables d’un fait avéré. Pas plus que ne le sont les Chroniques médiévales de Jean Froissard.

    Et en quoi la transparence absolue prônée par Wikileaks est-elle l’acmé de la démocratie ?

    Enfin, s’il est vrai que cette photographie, pour l’instant virtuelle, a bien des chances de finir sur un T-shirt, elle pourrait tout aussi bien devenir un Saint Suaire sur lequel les historiens, policiers scientifiques, politiciens, chercheurs et religieux s’écharperont des siècles durant pour définir si le tireur qui a foudroyé Ben Laden était gaucher ou droitier. Alimentant ainsi un florissant et délétère commerce de reliques dans lequel seuls les fanatismes trouvent leur compte.

    Hitler a bien fini en cendres dans le jardin de son bunker sans que l’Histoire soit orpheline de l’image de ses dernières éructations.

    Et les Italiens qui ont pu cracher sur les cadavres exhibés du Duce et de Clara Petacci ont-ils pu, mieux que les Allemands, exorciser leurs démons ?

  20. « A partir du moment où l’image existe, il n’y a pas d’autre solution que de la montrer. »

    Si on généralise cet argument de l’article, et étant donné la facilité actuelle à produire et diffuser des images, cela signifierait que rien ne peut ni ne doit être caché.

    Au contraire, à mon avis, notre contexte technologique rend le choix de montrer ou de regarder telle ou telle image plus qu’indispensable pour rester humain (raisonnable, libre et responsable).

    Dans le cas passionnant de cette photo de Ben Laden mort et défiguré, nous acceptons tous, je pense, l’intensité de l’impact politique d’une diffusion, sans discuter de son développement précis. Que les photos soient prises et existent sont une chose, les montrer c’est un autre acte, à la nature et aux conséquences différentes. A partir de là, comment soutenir la fatalité de la formule que j’ai rapportée ?

    Par analogie, on pourrait reprendre les arguments qui discutent : « toute vérité est-elle bonne à dire ? », en intégrant la dimension plus émotionnelle, corporelle, de l’image.

  21. @Hughes Lefebvre: Le débat sur cette image n’est pas un débat général sur la nature du choix éditorial (oui, je vous le confirme, depuis qu’il existe des journaux illustrés, des éditeurs sélectionnent des images et décident pour nous ce que nous pouvoir voir – ou pas), ni sur la philosophie de l’image comme preuve. C’est un débat de nature politique sur le contrôle de l’action des dirigeants dans une démocratie. Nous ne sommes pas dans le cas d’une république bananière où les dirigeants décident souverainement sans avoir de comptes à rendre, mais aux Etats-Unis, où la tradition démocratique est encadrée par la liberté de la presse et les pouvoirs des corps intermédiaires.

    Rappelons que dans le cas des images d’Abou Ghraib, dont la publication avait suscité un débat semblable sur l’opportunité de la publication, alors qu’on était sous l’ère Bush, il y a eu un débat public, on a laissé la presse faire son travail, on a demandé leur avis aux parlementaires, qui après les avoir examinés, ont décidé qu’il n’était pas souhaitable de publier la totalité du corpus. Une partie a été publiée, certains médias ont décidé de flouter les images. Bref, il a eu des options, des décisions techniques, ce n’étaient pas des images simples à montrer et ça a fait débat, mais ce n’est pas le président qui a décidé tout seul dans son coin si ces images devaient être publiées ou pas.

  22. Dans le cas d’Abou Ghraib, les premières photos avaient été mises sur le web par ceux qui les avaient prises en dehors de tout contrôle de G.W. Bush. Le débat public a été possible parce que le président n’avait plus la possibilité de décider tout seul dans son coin si ces images devaient être publiées ou pas.

  23. N’empêche que après beaucoups de mots sur une image invisible (Ben Laden mort), on a une image-sans-paroles mondialement diffusée (Obama à Ground Zéro). On dira ce qu’on voudra, mais ça me semble plutôt cohérent..

    Sauf que, peut-être, les mots d’Obama auraient été trop attendus, alors que le symbole de son recueillement silencieux mis en scène est tout de même un geste fort commenté…

    Plutôt fort le gars, de ce coté-là… Je trouve.

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