En janvier 2010, Pete Brook commente longuement sur Prison Photography les images de la mort de Fabienne Cherisma, jeune haïtienne tuée par une balle perdue peu après le séisme, alors que la police tente de disperser des pillards. Au cours de son enquête, il s’entretient avec le reporter Nathan Weber, auteur d’un montage multimédia sur l’événement, qui a également réalisé une vue en contrechamp montrant sept photographes en train de shooter la scène (ci-dessus, à droite).
Passée alors inaperçue, cette prise de vue ressurgit aujourd’hui et suscite la controverse, après l’attribution du prix suédois de la photo de news au photoreporter Paul Hansen, pour l’une des images de ce drame (ci-dessus, à gauche).
Rien d’étonnant. Les images montrant les coulisses du spectacle s’attardent plus fréquemment sur les défilés de mode ou les rendez-vous politiques que sur la part la plus sinistre de l’actualité. La brochette d’appareils pointés sur un cadavre est une image rare, qui réveille les interrogations sur l’éthique du reportage – un débat aussi vieux que la presse, qui a connu de nombreux rebonds sur le terrain du photojournalisme (cf. Susan Sontag, Devant la douleur des autres, Christian Bourgois, 2003).
N’en déplaise aux adeptes de la « morale du travelling« , chère à Godard ou Rivette, il n’y a pas de bonne façon d’enregistrer la mort de Fabienne Cherisma. Si nous ne supportons pas ce contrechamp et ce qu’il révèle de la fabrique de l’info, ce n’est pas pour des raisons éthiques, mais esthétiques.
Tout comme l’image du cinéma, celle du reportage est bel et bien une fiction. Comme un regard caméra ou un micro qui traîne dans le champ, le dévoilement de la machine casse l’illusion du rapport immédiat à l’événement qu’entretient toute la mise en scène de l’information. Si la condition constitutive de la fiction est la dissimulation du dispositif, alors la photographie de reportage, en effaçant soigneusement ses traces, relève elle aussi de cette convention.
36 réflexions au sujet de « Cachez ce contrechamp »
Merci pour ces remarques et ce montage « éthiques »… au sens weberien du terme, qui rend visible l’ethos du photojournalisme… 😉 en ce qu’il montre conjointement, dans l’image, la vue (à gauche) et le signe (à droite), l’illusion et la vérité, l’énoncé et l’énonciateur, la production et les conditions de cette production… c’est dans la mise en place de cette dialectique des points de vue que s’établit une position qu’on peut dire éthique, non pas morale (c’est de l’idéologie appliquée), mais consciente de ses propres illusions, des ses désirs et de ses subterfuges… Le champ/contre champ est l’expression même de cette contradiction féconde et permanente qui empêche de tomber dans la croyance idéologique… MAis il faut croire que la photographie documentaire (et tout le domaine documentaire idéologique) est l’objet d’un attachement idolâtrique très puissant… c’est qu’on vit avec un monde qui nous est raconté chaque jour par les médias audiovisuels et qu’on est incapables de se le représenter sans leur aide…
« Comme un regard caméra ou un micro qui traîne dans le champ, le dévoilement de la machine casse l’illusion du rapport immédiat à l’événement qu’entretient toute la mise en scène de l’information. »
Si c’était le cas, notre réaction serait identique devant les photographes japonais de Marc Riboud, ceux qui suivent Sarkozy faisant le clown sur son cheval et le contrechamp qui a inspiré ton article.
Tu ne crois pas que plutôt que le dévoilement de la machine, ce que nous ne pouvons supporter dans ces images, c’est notre propre dévoilement. Cette photo nous oblige à assumer le fait que nous sommes des voyeurs lorsque nous regardons ces photos.
@Olivier: Tu as raison, bien sûr, mais encore une fois, ces deux images, avers et revers, on ne les voit que par exception. Le reste du temps, il n’y en a qu’une – au point que même certains chercheurs, qui devraient pourtant être aguerris, croient voir une « vérité » (Gbagbo dans Le Monde) alors qu’ils n’ont pas le contrechamp. Pourtant, la question qu’il faut toujours commencer par se poser, c’est: pourquoi est-ce qu’il y a une image? (et dans le cas de Gbagbo, comme le note Hasselmann chez toi en commentaire, la réponse change pas mal de choses 😉
@Thierry: La règle qu’énonce Olivier ci-dessus est symétrique. Tu ne peux pas être choqué par la 2e série d’images parce qu’il manque les points de comparaison: j’ai fait l’erreur de publier les contrechamps sans leurs champs, donc ces photos redeviennent à leur tour de simples vues. Pourtant, on peut encore se souvenir que les images de Sarkozy sur son cheval avaient d’abord été diffusées sans leur contrechamp, par exemple par l’Express: l’image du candidat en cow-boy était donc bien une fiction.
Cela dit, je suis d’accord avec l’idée que le dévoilement du dispositif est bien aussi celui de notre propre voyeurisme. Ou du moins de celui qui aime regarder ces images. Personnellement, je n’aime ni la photo de Hansen ni celle de Weber. Je dois me forcer pour les regarder, à titre professionnel, et j’ai du mal à comprendre que de telles images puissent être sélectionnées pour des prix. Bref, je ferais un bien mauvais journaliste… 😉
Dans le vif du sujet, comme d’hab 😉
Bonjour,
Je vous trouve un peu rapide dans vos conclusions.
Pas de bonne façon de photographier la mort ?… ce n’est pas le problème, ici. Les nuées de photographes shootant un sujet font malaise quelque soit ce sujet, même pour une star bien vivante et super jolie.
Bien sûr que si, c’est pour des raisons éthiques que cela nous gène, désolé.
C’est la preuve que cela forme fiction ? Non, pas du tout. Ou alors, si peut être éventuellement pour un des 1 million de milliards de définitions universitaires du mot « fiction ».
Ça casse l’illusion du rapport immédiat à l’évènement ? Non, pas du tout non plus.
En effet, le photographe photographiant ses confrères est un grand classique de la mise en scène de l’information : la photo de sarkosy sur son cheval poursuivit du tracteur de journalistes a été publiée partout que je sache. Et les photographes de mode jouent souvent sur cette idée, dans tous les plus grands journaux : aucune dissimulation du dispositif.
Si la photographie de reportage « efface soigneusement ses traces » (d’où sortez-vous ça ? ), c’est dans le contexte d’une réflexion sur son métier, sur la photo, d’une pratique économique, d’un exercice de son pouvoir.
De mon opinion la « dissimulation du dispositif » – je pense que le terme « traitement de l’information » serait plus adapté – vient entièrement de l’industrie des médias et de ses clients. Le traitement de l’information a des rapports extrêmement divers avec son dispositif, il n’est nullement réduit à une dissimulation. Des fois le dispositif est mis en valeur au contraire, même pour le traitement de l’actualité (voir tous les « directs », voir le tsunami avec les comparaisons avant/après de google par exemple, ou même les révolutions arabes dans lesquelles on nous prétend qu’internet aurait eu un rôle fondamental).
Bref pour résumer je crois que vous confondez ici le niveau individuel du journaliste avec l’industrie des médias, et l’objet photo tout seul avec toute la chaîne d’observateurs / manipulateur par lequel il est diffusé. Le niveau photographe/photo n’est pas le bon niveau.
Que pensez-vous de ces contres-points, de ces recherches renvoyées au chercheur ? 🙂
Ne faut il pas que les journalistes montrent tout ce qui est in-montrable, voir même arrivent a se corrompre pour que nous puissions avoir les images. j entends par la que la petite fille célèbre courant sur la route toute nue suite a l explosion de la bombe atomique au japon est elle décente…?
je ne crois pas ! sa nudité, sa douleur, toute l impudeur du photographe est la !
mais cela semble avec le recul un intérêt réel et même historique.
le photo reporter est un témoin de son époque, il DOIT ramener de limage pour témoigner. c est parfois un sale boulot…
Je suis plutôt intrigué par ce lot de photographe qui est présent, env 8 ou 9, sur ce chiffre combien on eu au moins une sensation de gène face a elle…?
l horreur serait là, et de n avoir seulement qu une difficulté de cadrage !
sur le site http://prisonphotography.wordpress.com/2010/01/27/fabienne-cherisma/
l article relate qu entre les differentes photos le corps a bougé. q qun a déplacer son corps…? les pillages ou pour le cadrage…
cela fait peur je trouve.
@Paskal: Vous pensez la situation médiatique comme si nous, lecteurs, avions directement accès à l’événement grâce au truchement du photographe, présent sur place, qui ne fait qu’enregistrer la scène. Mais comme le montre l’exemple ci-dessus, cette vision idéalisée nous cache la « fabrique » de l’information, qui comporte de nombreux intermédiaires, des choix illustratifs et éditoriaux, et l’influence d’interprétations diverses.
Nous ne voyons jamais tout d’un événement: dans le cas de Haiti, il y a des photographies bien plus terribles que celle de Fabienne Cherisma, qu’aucun lecteur n’a jamais vu. Les images auxquelles nous avons accès sont celles qui ont été sélectionnées par les éditeurs, en fonction de critères de lisibilité et d’acceptabilité. Pour qu’un journal accepte de publier l’image d’un cadavre, ce qui est toujours un choix difficile, celle-ci doit satisfaire à des critères esthétiques bien particuliers. On voit bien ci-dessus (3e série) comment les photographes intègrent ces critères, en essayant de faire une « belle image » à partir de cette scène.
Concernant la célèbre photo de la petite vietnamienne par Nick Ut en 1972, qui a fait l’objet de nombreuses études, nous connaissons plusieurs contrechamps qui donnent plus de détails sur les circonstances de l’évenement, et montrent notamment la présence de plusieurs photographes (voir notamment l’illustration de l’article de Gerhard Paul). Là encore, on voit bien que la photo sélectionnée l’a été pour ses caractères esthétiques et sa puissance allégorique. Ses premières publications sont recadrées pour éviter de souligner la présence des soldats.
@André Gunthert
bien sur la vision est toujours parcellaire, voir même arrangée et/ou idéalisée, tenter de faire une « belle photo » peut en etre un exemple.
Malgré tout cela, car l image est tjrs plus ou moins mensonge, nous le savons forcement, il en reste une trame qui est cette photo. meme avec ce qu elle peut avoir de « surfait », encore que…
L image, je le crois aussi, nécessite toujours un décryptage et de la prudence.
Ceci dit sa substance propre est qd meme la.
dans notre exemple, pendant le pillage son corps n est meme pas remarqué, sa vie n a plus d importance, face a l instinct de survie des uns les autres restent au sol.
jusqu’au moment ou finalement q qun réagisse !
ce que vous soulignez sur la notion d esthétique de ce genre de photo
peut même être un sujet a discussion…
ou comment intégrer l esthétisme dans l atrocité.
vaste débat…
en tout cas bonne continuation a vous.
: )
@Hervé A. «Pas de bonne façon de photographier la mort?… ce n’est pas le problème, ici. Les nuées de photographes shootant un sujet font malaise quelque soit ce sujet, même pour une star bien vivante et super jolie.»
Reprenons. Dans « contrechamp », il y a contre. Au cinéma, c’est la vue opposée au plan précédent. Comme le note Olivier, il faut donc deux images pour construire un champ/contrechamp. Or, il n’y a aucun contrechamp dans les images, en effet traditionnelles, des photographes shootant les défilés de mode ou la montée des marches à Cannes. Vous confondez – ou faites mine de confondre – l’imagerie de la célébrité ou du glamour (dont l’attroupement de photographes est un signe classique), avec le contrechamp, qui montre ici tout autre chose: l’envers de la prise de vue, ce qu’on ne devrait pas apercevoir, comme une perche qui traîne dans le champ de la caméra, et que j’appelle le dispositif.
Vous me demandez ce que je pense de ce « contrepoint ». Si vous éprouvez vraiment un malaise devant une photo de paparazzi shootant un podium ou la montée des marches, un malaise semblable à celui que suscite le contrechamp de Fabienne Cherisma, je pense que vous devriez consulter un psychanalyste. Pour ma part, je persiste à croire qu’ici, le problème c’est la mort, et la façon de la photographier.
@André Le contrechamps ne nous dit rien de la façon dont ces photographes photographient la mort. Tout ce qu’il nous dit, et ce n’est déjà pas si mal, c’est que le dispositif est le même pour la montée des marches à Cannes et pour Fabienne Cherisma.
Et ce rapprochement nous semble d’autant plus insupportable, que nous regardons avec la même fascination les images des paillettes de Cannes et les images de la mort. Je suppose que ces photographes (qui sont souvent les mêmes) diraient qu’ils accordent la même importance, le même soin, la même réflexion, aux photos de stars et aux victimes des catastrophes et des conflits.
Je commente ici les réponses publiées par Télérama du photographe Frédéric Sautereau au débat suscité par le contrechamp de Nathan Weber.
Sautereau dit qu’il est «très agacé par ce débat», parce que «les photographes ont été très attaqués sur le fait qu’ils aient photographiés les morts en Haïti». Il pense que «Les photographes présents ont fait leur travail», qu’il n’y a aucun voyeurisme de leur part, et se lance ensuite dans une comptabilité douteuse des morts japonais pour expliquer qu’il est tout à fait normal qu’on ait vu plus de morts haïtiens…
Ces positions classiques ont déjà été maintes fois discutées, notamment par Susan Sontag dans l’ouvrage cité ci-dessus. Le seul point intéressant est l’information selon laquelle «la dotation des prix fait aujourd’hui partie de l’économie des photographes, comme la presse, les ONG, le corporate, les expositions». Selon Sautereau: «Depuis un certain nombre d’années, les prix représentent une part non négligeable de mes revenus annuels ce qui me permet de continuer à travailler de manière indépendante. Donc que ce photographe ait gagné un prix avec cette photo ne me gêne pas».
Il n’y a donc pas grand chose qui gêne Sautereau, tant qu’il peut continuer à exercer son métier – dont acte. On aurait tort de penser que ce cynisme professionnel revendiqué est de règle. Au contraire, les pays anglo-saxons ont intégré les préoccupations déontologiques dans la pratique professionnelle, avec la rédaction de chartes et de codes, à la suite de la longue tradition de débats éthiques sur le photojournalisme que rappelle François Brunet. Même si l’on constate que ces prescriptions ne changent finalement pas grand chose aux pratiques, on peut tout de même remarquer qu’il y a une différence sensible dans la manière d’aborder le débat, qui se manifeste par une prise en compte des arguments ou des questions éthiques, et évite d’opposer aux interrogations légitimes du public la fin de non-recevoir du cynisme professionnel. S’il est exact que la question du voyeurisme peut être également partagée entre producteurs et consommateurs, il faut de même admettre que l’évaluation des pratiques éditoriales ne relève pas que du jugement des journalistes et concerne aussi les lecteurs.
Mais le point qui n’est jamais discuté est celui de la responsabilité des éditeurs. Là encore, en faisant parler un photoreporter, Télérama occulte le fait qu’il y a une grande différence entre les rushes des photographes et les images publiées, dont la violence est en général atténuée. La question de la représentation de la mort est une question d’éditeur plutôt que de photographe, autrement dit une question de conventions morales et esthétiques plutôt que d’enregistrement des faits. Ce qui est tout à fait frappant dans le cas des photos de Fabienne Cherisma, ce n’est pas l’enregistrement du réel, ce sont les tentatives pour faire de cette scène une image emblématique qui aille au-devant de la demande, avec des contreplongées qui isolent artificiellement la jeune fille, font ressortir de façon emphatique la perspective nuageuse, ou des plongées qui créent un effet graphique à partir de la traînée sanglante. Ce ne sont donc pas les questions du voyeurisme ni du témoignage qui sont ici centrales, mais plutôt celles d’une exploitation esthétique du drame et d’une stéréotypie éditoriale de son traitement, ce qui n’est pas du tout la même chose.
@Thierry: «Tout ce que (le contrechamp) nous dit (…) c’est que le dispositif est le même pour la montée des marches à Cannes et pour Fabienne Cherisma.»
Non, ce n’est pas le même dispositif. Tu fais la même erreur que Hervé A. Les photographes font partie de l’image traditionnelle de la montée des marches. Le contrechamp serait le(s) photographe(s) qui photographie les photographes.
La raison pour laquelle les photographes en action font partie de l’image traditionnelle des défilés de mode, de la montée des marches ou d’une conférence de presse, c’est parce que ces événements sont des spectacles spécialement conçus pour les médias. La mort est-elle un spectacle? C’est la question que pose le contrechamp de Fabienne Cherisma.
@André Gunther :
Bin oui j’éprouve un malaise en voyant une vedette shootée par x paparazis… et vous n’êtes pas le premier à me dire qu’il faut que je consulte… drôle d’argument quand même ?
Heureux d’apprendre que vous ayez trouvé quelque chose d’intéressant dans l’interview de Sautereau. Mais je m’étonne que l’on puisse en conclure à un cynisme revendiqué comme vous le faites.
Bref, je vous tiens au courant pour ma santé, comme c’est votre conseil.
« Ce qui est tout à fait frappant dans le cas des photos de Fabienne Cherisma, ce n’est pas l’enregistrement du réel, ce sont les tentatives pour faire de cette scène une image emblématique qui aille au-devant de la demande, avec des contreplongées qui isolent artificiellement la jeune fille, font ressortir de façon emphatique la perspective nuageuse, ou des plongées qui créent un effet graphique à partir de la traînée sanglante. »
Autant je te suis lorsque tu dis qu’il n’y a pas de bonne façon d’enregistrer la mort de Fabienne Cherisma, autant je ne te suis plus lorsque tu dis qu’il y en a une mauvaise. D’abord parce que s’il y en a une mauvaise c’est qu’il y en aurait des bonnes ou en tout cas des moins mauvaises, et ensuite parce que, que tu qualifies tes raisons d’éthiques ou de techniques alors qu’à mes yeux, c’est quand même toujours la morale du travelling.
Il n’y a pas de photo sans esthétisme. C’est l’essence même de la photo. Et si le sujet, c’est la mort et que le photographe est rémunéré pour son travail (financièrement ou symboliquement), il y a nécessairement exploitation esthétique de la mort.
En fait tu me fais penser à Christian Caujolle 🙂
« Le problème de l’esthétique dans le champ de l’information est à la fois assez complexe et peut se résumer assez simplement. L’esthétisme, ou l’esthétique pour l’esthétique est quelque chose qui détourne le lecteur de la notion même d’information et qui le met en situation de consommateur de belles images. Par contre ce qui est essentiel dans le champ de l’information c’est la tension ou la dialectique entre une éthique et une esthétique. » http://www.pascalconvert.fr/histoire/pieta_du_kosovo/entretien_Christian_Caujolle.html
Lorsque l’image est sélectionnée puis recadrée par l’éditeur, il y a intervention de conventions morales et esthétiques. Aborder ces conventions en faisant la différence entre la bonne et la mauvaise esthétique, me semble du point de vue de l’analyse aussi fondé et productif que de prétendre définir ce qui diffère l’érotisme de la pornographie, la bonne de la mauvaise publicité ou pour paraphraser Caujolle, l’esthétisme de l’esthétique, la dialectique esthétique/éthique.
Pour moi l’éthique se pose avant la photo. Comment a-t-elle été obtenue? Et après la photo. Qu’elles ont été pour les gens photographiés les conséquences de sa publication? Ce qui d’ailleurs ne distingue pas la photo du reste du journalisme.
@André « La mort est-elle un spectacle? C’est la question que pose le contrechamp de Fabienne Cherisma. »
La mort est un spectacle dès lors qu’elle fait l’actualité et c’est pour cela que le dispositif est le même avec Sarko à cheval, Cannes et Fabienne Cherisma.
@Thierry: Caujolle? Je suis en effet assez d’accord avec sa formulation. Je l’admets, ma querelle avec la « morale du travelling » était vaine et mal fondée, elle part d’un énervement superficiel à propos du texte de Rivette, mais nous parlons bien de la même chose: l’interaction d’un choix technique ou esthétique, disons d’un choix de représentation, avec la dimension morale. Cette mise au point faite, j’avoue que je ne comprends pas comment tu peux simultanément être d’accord avec la « morale du travelling » et absoudre la photographie de tout péché au nom du primat de l’esthétisme – mais j’ai peut-être mal compris.
Non, Sarko et Fabienne, ce n’est pas la même chose. Je maintiens que la mort n’est pas un spectacle comme les autres, notre rapport à la mort de nos semblables est au coeur de ce qui fonde et définit l’humanité. Il suffit de lire les tentatives de justification des photographes qui ont effectué cette prise de vue (il est juste de se servir de cette image pour révéler au monde le drame d’Haïti, pourvu que cette image serve à réveiller l’émotion du public et à relancer la campagne de dons, etc…). Même pour eux, faire cette image ne va pas de soi, et s’accompagne de formes de rationalisation qui sont autant de symptômes du malaise. Par ailleurs, encore une fois, c’est une attitude très française que de croire qu’en matière médiatique, le journaliste doit seul dicter les règles. Si j’ai un problème en tant que lecteur avec cette image, non seulement j’ai parfaitement le droit de l’exprimer, mais il serait sage que ceux qui veulent me vendre leur produit tiennent compte de mon avis.
« j’avoue que je ne comprends pas comment tu peux simultanément être d’accord avec la “morale du travelling” et absoudre la photographie de tout péché au nom du primat de l’esthétisme – mais j’ai peut-être mal compris. »
La morale du travelling me semble d’une grande naïveté (ou hypocrisie?), car définir le mal, c’est implicitement supposer le bien. Le plan fixe peut être tout aussi immoral que le travelling. Ce n’est ni le plan fixe, ni le travelling qui font sens, mais celui qui filme et qui monte.
Je n’absous pas la photographie de tout péché au nom de l’esthétisme, bien au contraire.C’est l’idée qu’il y aurait une bonne et une mauvaise façon de montrer la mort, un bon et un mauvais esthétisme que je conteste.
« Je maintiens que la mort n’est pas un spectacle comme les autres, notre rapport à la mort de nos semblables est au coeur de ce qui fonde et définit l’humanité. » Sur ce point nous sommes d’accord, même si je remplacerait l’humanité par notre société. Il n’y a qu’à voir comment la photo a évoluée dans ses représentations au cours de ces 150 dernières années. Mais plus que le comment, je pense que c’est le « qui » le plus pertinent en l’occurence. Pour caricaturer, Il y a des morts que l’on peut montrer (les cartes postales américaines de pendaison) puis qui deviennent taboues et d’autres qui sont taboues (Lady Diana)dès le départ. Et la société ne cesse de déplacer les interdits en la matière en fonction de son évolution. Maintenant si on remonte à avant la photographie, la mort était bien souvent un spectacle, ne serait-ce qu’au travers des expositions publiques. Mais je ne suis pas historien, et je ne sais pas si la mort était ou non alors au cœur de ce qui fondait et définissait l’humanité, ou un phénomène banal, naturel.
« Si j’ai un problème en tant que lecteur avec cette image, non seulement j’ai parfaitement le droit de l’exprimer, mais il serait sage que ceux qui veulent me vendre leur produit tiennent compte de mon avis. » 🙂
« Maintenant si on remonte à avant la photographie, la mort était bien souvent un spectacle, ne serait-ce qu’au travers des expositions publiques. »
euh « exécutions publiques » Lapsus significatif
Je trouve que ce qui choque, dans ces différents contrechamps, c’est presque uniquement le nombre (de photographes, de caméramans, de preneur de son, etc.).
Un seul, ou à la limite deux, ça ne choquerait pas. Mais en étant plusieurs, c’est comme si ça brisait une sorte d’intimité. Cela fait apparaitre ce nombre comme une sorte de meute de voyeurs.
Comme si, tacitement, il devait pouvoir y avoir une sorte de possibilité de lien interpersonnel, de proximité… bref, une sorte d’intimité entre le sujet et celui qui capture cet instant dans l’existence du sujet (photographe, caméraman, etc.). Ce qui n’est évidemment plus possible avec le nombre : ça devient une masse, une foule, etc. Il n’y a plus de possibilité de relation humaine, d’intimité, avec une foule.
Monsieur Gunthert.
Je ne remets pas en question le fait que vous réfléchissiez sur la photographie et que vous réagissiez sur mes propos sur le site de Télérama concernant cette photographie. Par contre, je ne fait jamais de jugement de valeur sur les personnes. On ne se connaît pas, Monsieur Gunthert, et vous ne connaissez sans doute pas mon travail et encore moins la manière dont je travaille. Donc avant de m’injurier, je vous propose de m’accompagner lors de mon prochain reportage à Gaza, en RDC ou sur un lieu de catastrophe naturel et après avoir passé deux semaines en ma compagnie, je vous permettrai de juger de mon cynisme et de la manière dont depuis plus de 15 ans je travaille sur le terrain. En attendant, je vous laisse à votre branlette intellectuelle. Bien à vous. Frédéric Sautereau.
@Frédéric Sautereau : Sans aller jusqu’à la morale du travelling ni même parler d’éthique, réfléchir à ses pratiques n’est pas donné à tout le monde.
@Frédéric Sautereau: «je ne fait jamais de jugement de valeur sur les personnes»/«je vous laisse à votre branlette intellectuelle.»
Je suppose que vous vous sentirez injurié également si j’observe que vous ne faites pas toujours preuve d’une grande cohérence intellectuelle? L’expression de cynisme professionnel que j’emploie n’est nullement une injure, mais la qualification objective de l’attitude que vous revendiquez dans votre interview. « Haiti, l’autre image qui dérange » est le titre choisi par Télérama – mais on constate en vous lisant que rien ne vous dérange, ni de photographier un cadavre, ni de voir cette image récompensée par un prix, dont vous nous expliquez ensuite qu’il constitue une ressource économique importante pour les professionnels. Bien sûr, si l’on pouvait établir que tous ces traits sont la manifestation d’un sens élevé des valeurs morales, je reconnaitrais volontiers mon erreur.
Vous me reprochez de juger sans connaître votre travail (on peut noter que le fait de ne pas connaître le mien ne vous empêche pas de prononcer un jugement dont je laisse mes lecteurs apprécier l’élégance). L’invocation du « terrain » est un réflexe classique chez les professionnels. Cependant, il n’est pas question ici de votre CV, mais d’une intervention publiée, en commentaire du débat que j’évoque ici même (deux jours avant Télérama). Donc, sauf à me laisser le choix entre le silence et l’admiration inconditionnelle du photojournalisme sous toutes ses formes, vous admettrez que je puisse être fondé à discuter ces propos.
Le débat moral à propos du photoreportage est un débat presque aussi vieux que le journalisme, et qui mérite mieux que le mépris et l’ignorance. Plutôt que de balayer, du haut de l’arrogance du « terrain » ou du réalisme économique, le fait que des lecteurs puissent être sincèrement choqués par une image, je pense quant à moi qu’il est utile et important de réfléchir sur ces questions, qui ne sont pas du tout faciles à résoudre. C’est ce type de discussion qu’on trouve sur le blog Prison Photography de Pete Brook, dont les interviews de photoreporters témoignent qu’il existe aussi dans cet univers des nuances, des questionnements éthiques et la notion de limites à ne pas franchir.
Télérama n’a pas eu la main aussi heureuse. Vous me donnez l’occasion de revenir sur votre incroyable calcul: «Au prorata de la population entre Haïti et le Japon, pour avoir un nombre de morts équivalent au Japon, cela aurait donné un bilan de trois millions de morts» (sic). Doit-on comprendre que trente mille morts japonais ne sont pas assez pour justifier qu’on les photographie? A ce compte-là, en effet, le 11 septembre ne méritait pas qu’on montre un cadavre. Avez-vous si peu lu la presse au cours des trente dernières années pour ne pas remarquer qu’il y a bel et bien deux poids, deux mesures dans la représentation des catastrophes, lorsqu’elles affectent les populations des pays développés ou celles du tiers monde? Vous n’êtes pas choqué par la manifestation médiatique du colonialisme ordinaire, en revanche, vous êtes « agacé » par ceux qui pointent le doigt sur cette différence de traitement…
A la réflexion, « cynisme » était un terme plutôt bienveillant pour qualifier votre interview. La fin de votre commentaire, avec le recours au cliché le plus constant de l’anti-intellectualisme, confirme que vous n’hésitez jamais à franchir le pas de la caricature. C’est une indication intéressante pour la relecture de votre oeuvre – mais pas forcément un service que vous rendez à l’image de votre profession.
Monsieur Gunthert,
Vous continuez habilement à caricaturer mes propos.
Je passe mon temps à m’interroger sur ma pratique photographique et contrairement à ce que vous croyez je connais et j’apprécie votre travail. Je n’ai jamais dit qu’il ne fallait pas se poser des questions sur la pratique du photojournalisme, je passe mon temps à le faire de manière individuel et même public.
Je peux comprendre que la photographie du contre champs choque le grand public même si comme je l’ai dit et j’assume le fait que j’aurais sans doute pu faire partie de ces photographes, mais lorsque je dis que je suis agacé par ce nouveau débat, c’est que j’ai, et aussi de nombreux photographes ayant travaillé sur Haïti, été insultés (comme vous l’avez à nouveau fait sur ce blog) sur la manière dont nous avons travaillé et montrer les morts à Haïti. Et lorsque je parle de « donneurs de leçons » sur Télérama, je faisais allusion à ces mails ultra-violents et non argumentés que j’ai pu recevoir. Et cela ne visait en rien votre article. Je continue aussi à assumer ma comparaison entre Haïti et le Japon. En arrivant en Haïti, des monceaux de cadavres jonchaient les rues, ce n’était pas le cas au Japon. Il y avait une telle accumulation de cadavres que c’était des tracto-pelles qui devaient venir les dégager et les entasser dans des camions bennes pour être déversé dans des immenses fosses communes. C’est ce que j’appelle la réalité du terrain, Monsieur Gunthert. Et la manière dont ces cadavres étaient traités sont aussi un signe de l’ampleur des pertes humaines. Encore une fois, tout ceci ne s’est pas passé au Japon, même si je ne minimise pas ce qui s’est passé là-bas. Et donc je redis que ne pas montrer de mort en Haïti aurait été pour moi journalistiquement malhonnête.
J’ai un grand respect pour les personnes que je photographie et j’ai toujours réfléchi et été très attentif sur la notion de distance avec mon sujet. Nombre de photos que je n’ai pas faite ou choisi de ne pas pas montrer.
Pour terminer, lorsque je parlais de « branlette intellectuelle », je faisais allusion à votre facilité de caricaturer les propos des personnes qui peuvent ne pas adhérer à vos thèses et du fait les insulter et les salir.
Je n’ai pas envie de réagir sur le reste de vos propos. Mais quelques lignes habilement extraites d’une courte interview et caricaturées ne vous permettent pas, encore une fois, de m’insulter.
Bien à vous.
Frederic Sautereau
@Frédéric Sautereau: OK, laissons de côté les « insultes » et leurs rebonds divers. Merci de relire votre interview, car sauf erreur de ma part, ce que vous exprimez ci-dessus, que je préfère et que je trouve nettement plus intéressant (par exemple: «Je peux comprendre que la photographie du contrechamp choque le grand public»), ne s’y trouve pas.
Le point qui me paraît important, c’est de s’accorder sur la légitimité d’un débat sur la représentation de la mort. Ce qui m’a probablement le plus dérangé dans l’interview de Télérama, c’est l’impression du refus obstiné de ce questionnement au nom du professionnalisme. Il faut admettre qu’on rencontre cette attitude chez certains directeurs de festivals perpignanais 😉 – ça a dû jouer dans ma lecture…
Oui, le cas d’Haiti, dans l’ampleur de la catastrophe comme dans les spécificités de sa représentation, reste un cas exemplaire. Je crois que ça vaut la peine de réfléchir de manière plus approfondie sur toutes les questions que ça ouvre. Nous savons bien que pendant les conflits, les morts ne sont pas représentés de la même manière selon qu’ils sont dans notre camp ou dans celui de l’ennemi. Nous savons aussi que la misère des pays pauvres peut faire l’objet – parfois avec les meilleures justifications morales – d’une exploitation irréfléchie, quand le drame des pays riches est toujours entouré d’infinies précautions. Au fond, que la question se pose et que des gens soient choqués par une image me paraît un signe de bonne santé et de vigilance médiatique. Cette réaction contredit le propos de Susan Sontag, qui disait craindre dans son livre la disparition de notre capacité à nous émouvoir. Tel n’est visiblement pas le cas – et c’est tant mieux!
@ André : cadavre anonyme abattu par erreur sous les objectifs de la « world press » ou beauté princière saisie de façon inattendue et imprévue par quelques paparazzi a l instant de son dernier souffle… A la lecture de ton texte et du début de la discussion me vient l idée que, les données du problème sinon la réponse a la question de « l’éthique » doivent être toutes entières contenues dans les clichés certainement réalisés mais non publiés de l accident mortel de Diana Spencer, princesse de Galles.
je le dis comme ca, sans plus. Mais on photographie plus facilement les morts et les cadavres quand ils sont a la fois (très) nombreux et plus ou moins putrefiés-demembrés-outragés que lorsqu ils sont unique et plus ou moins puissant _fut-ce symboliquement.
le traitement photographique du tremblement de terre-tsunami au Japon (pays riche, ami et puissant) me semble tout a fait synthétiser cette attitude (pas de cadvres ou si peu mais une icône, un corps a l’attitude princière mais en détresse valant pour les 20 000 morts tout autour). L’inverse exact, en somme, des/de l’image que tu commente aujourd’hui. l une étant le contrechamp de l autre.
PS :
Contre exemple ; Katrina a la Nouvelle Orléans ?
Monsieur Gunthert,
Je vous encourage à écouter le sonore que j’avais déjà fait pour Télérama en Mai 2010, qui est disponible au même endroit ou je dis très clairement : « Je comprends parfaitement les réactions violentes que j’ai reçu à l’accueil des mes photographies sur Haïti », mais acceptez que l’accumulation de ces réactions trop souvent non argumentées (je ne parle encore une fois pas de votre article), puissent arriver à « agacer ». Mais je reconnais que mes propos étaient sans doute un peu courts…et ce n’est pourtant pas dans mes habitudes. Je n’ai jamais de certitude quand à ces questions et je regrette que vous l’ayez perçu comme celà, ce qui n’excuse en rien vos posts remarquablement injurieux à mon encontre.
Et oui, bien évidemment, je suis parfaitement d’accord qu’il faut débattre des pratiques du photojournalisme et des représentation de la mort et de tout ce qui touche à ce métier mais en tout cas pas sur post interposés.
Restons en là. Bien à vous.
Frédéric Sautereau
Faut-il montrer les morts? En démocratie, oui. Nous sommes actuellement en train de mener quatre ou cinq guerres simultanément avec des soldats français qui tuent et qui se font tuer au nom de la France, et donc en mon nom parce que nous sommes en démocratie. En l’absence d’images qui montrent les conséquences de ces interventions « Dieu que la guerre est jolie ». La photo ne nous dit pas qui sont les gentils qui sont les méchants, s’il y a de bons ou de mauvais morts, mais nous oblige à constater qu’il y a des morts et que c’est dérangeant. Les « dommages collatéraux » ne commencent à créer des difficultés aux politiques que lorsque cela cesse d’être une abstraction pour devenir des hommes, des femmes, et des enfants. Même les cadavres des soldats nous rappellent que les militaires ne sont somme toute que des civiles en uniformes. Et lorsqu’il s’agit d’une catastrophe naturelle qui frappe un pays sans moyens financiers et sans infrastructures, il n’y aura de mobilisation de la communauté internationale que
si l’image suscite l’émotion. On peut le regretter, mais notre propension à l’indignation devant les exactions ou à la solidarité avec les victimes est directement liée à notre émotion. La photographie des morts suscite l’émotion et relativise les discours, les justifications théoriques. C’est d’ailleurs sans doute pour cela que depuis la guerre du Vietnam, les démocraties essaient d’encadrer et de contrôler le travail des photographes et des vidéastes et que les autres pays les expulsent ou les éliminent physiquement.
Est-ce qu’il y aurait une « bonne » et une « mauvaise » façon de montrer la mort, parce que ce ne serait pas un spectacle comme les autres? Certaines photos seraient-elles plus « éthiques » que d’autres parce que leur esthétique serait moins travaillée ou travaillée différemment? J’ai beaucoup de mal avec les approches qui associent de façon mécanique l’éthique et l’esthétique comme dans la morale du travelling. Je ne suis pas un photo reporter, mais un photographe de commande. Il n’y a pas de photographie sans cadrage et donc sans mise en scène. L’esthétique n’est pour moi qu’un outil qui peut être mis au service de 2 causes diamétralement opposées. Et son interprétation va évoluer avec le temps et/ou les interlocuteurs.
Tant que le photographe est sincère, c’est à dire que sa mise en scène n’est pas une réponse à une cause pour laquelle il aurait été payé (propagande), ou qui lui aurait été imposée au nom d’une éthique, mais qu’elle est le reflet de sa culture au sens large, son esthétique est éthique à mes yeux. Et à la limite, si cette esthétique me dérange, tant mieux.
@ Gunthert et Sautereau
Parvenu au bout du fil de ce débat, la question qui pourrait être posée a Frédéric sautereau me semble être celle-ci.
A quel moment de sa propre lucidité -économique et/ou éthique- survient un tel positionnement « hors-champ » du photoreporter, donnant ainsi a voir la frénésie photographique de ses confrères ?
Réponse 1 ; quand l’image réalisée peut entrer dans la catégorie éditoriale nouvelle du hors-champ et de l’autoreferentialité comme possibilité de nouvelles illustrations visuelles d’un sujet dramatique. Le prix reçu pourrait valider cette « thèse ». -> consécration du nouveau genre par les professionnels de la profession
Réponse 2 ; quand le malaise professionnel et le positionnement moral obligent a prendre du recul et a se décaler au regard de l’événement . L’image annonçant ainsi une possible rupture dudit professionnel d’avec sa profession
R1 et R2 ne sont sûrement pas exhaustive de toute autre proposition
Synthèse :
Dans les années 90 début 2000, Gilles Saussier a quitté le photojournalisme après avoir reçu un « world press » pour ses photos de Timissoara. Son activité d’artiste débutera par une critique claire de ce milieu et de ses usages.
Des lors, le prix reçu par F. Sautereau n’indique-t-il pas que celui-ci (peut)continue(r) de travailler là ou Saussier a été contraint éthiquement de s’arrêter, mais aussi à l’endroit où ladite profession du photojournalisme (coté édition, à te suivre André) aurait littéralement intégré sa critique interne. Au point de récompenser la représentation de cette critique par ses propres membres.
@uthaghey « A quel moment de sa propre lucidité -économique et/ou éthique- survient un tel positionnement “hors-champ” du photoreporter, donnant ainsi a voir la frénésie photographique de ses confrères ? »
Pour la plupart dès sa première photo réalisée au milieu d’une frénésie photographique. Que ce soit à Cannes, dans la cour de l’Elysée ou à Haïti…
« consécration du nouveau genre par les professionnels de la profession »
Ce n’est pas un nouveau genre. La photo de photographes par des photographes est un genre très répandu.
« quand le malaise professionnel et le positionnement moral obligent a prendre du recul et a se décaler au regard de l’événement . »
Toute photo suppose que l’on prenne du recul et que l’on se décale au regard de l’évènement. Les photographes ne sont pas des bœufs. Ce n’est pas parce qu’ils n’arrivent pas à la même conclusion morale que vous qu’ils n’ont ni positionnement moral ni malaise professionnel.
@ thierry , donc…
Ouh là, on voit que la cordialité a aussi ses limites de votre côté…
Toute insulte mise à part, donc et encore, vous me semblez trop fin dans vos propos pour ne pas avoir compris que le sens de ma question était ; que fait un photoreporter pour continuer a faire des images, pour vouloir-pouvoir encore être photographe quand il atteint les limites qui lui semblent acceptables comme les possibilités qui sont encore les siennes dans l’exercice de son métier ?
je citais l’exemple de Saussier pour son positionnement et sa réponse a ce type de question. Quoi qu’on puisse penser ensuite de son travail de son positionnement artistique, il a su trouver et assumer les réponses a sa critique
Il n’y a aucun positionnement moral dans ma question -qui n’est en rien une question personnelle : Je ne suis pas photoreporter. Peut-être ce votre cas ?
Quant a la question de l’autoreferentialité, de la représentation ou même de la mise en abyme du dispositif… Je suis d’accord avec vous. Mais là encore, il s’agissait d’interpréter (eh oui, on peut aussi…) le sens de ce prix décerné a Paul Hansenl, et non F Sautereau comme je l’ai cru par méprise tout a l’heure/ mea culpa sur ce point, donc….
Pour en revenir aux propos de Sauterreau, même relativisés ensuite, il reste que si la visée d’un prix (éventuel) détermine un style, un type d’images… C’est peut être la qu’il est temps de faire autre chose , c’est à dire « autrement » comme vous le comprenez sans doute bien, et comme vous comprenez bien aussi que Sautereau n’était pas visé a titre personnel
Voilà voilà…
@uthagey désolé si j’ai pu vous sembler agressif ou injurieux, tel n’était pas mon propos. J’étais tout au plus agacé. 🙂
Grâce à cette photo de Nathan Weber, vous découvrez le hors champ et semblez vous imaginer que les photo reporters le découvrent, tout comme vous, à cette occasion. J’étais un peu agacé, parce que les photographes vivent en permanence dans le hors-champ. C’est leur vie et ce sont les questions qu’ils se posent à chaque fois qu’ils partent sur un évènement médiatique ou un fait divers. Ensuite la réponse est différente selon chacun, et selon les moments. Et surtout, elle est complexe que ce soit d’un point de vue moral ou en termes de positionnement professionnel.
Je ne connais pas l’œuvre de Saussier. Mais le positionnement artistique peut soulever autant de problèmes éthiques que la couverture de Paris-Match. L’idée que ses photos puissent se retrouver à décorer le salon d’un riche collectionneur peut avoir de quoi vous terrifier si ce sont des images d’Haïti.
Ah non… Là, je ne suis pas d’accord du tout … Donc je ne dirai pas ici : « Tout à fait Thierry ! », à l’image d’un célèbre commentateur sportif…. J
(Avant toute autre chose, sachez toutefois que je ne « découvre » pas le hors-champ –qu’il soit photo-journalistique ou simplement photographique- Loin de là… Mais qu’importe le problème n’est pas celui-ci).
Quant au positionnement artistique, justement, il n’est pas équivalent au positionnement journalistique. Parce qu’il relève d’un autre champ, justement… Et que dans celui-ci, dans le champ de l’art, l’appel à la notion de vérité et surtout d’objectivité n’a pas du tout le même sens, ou en tout cas pas la même portée. L’art met en forme, l’art dissimule pour mieux montrer, l’art sélectionne et exagère… Et toute cela de manière assumée, parce que c’est là la force de l’art et son avantage. Aussi, on n’attend pas de l’artiste, même s’il aborde des sujets d’actualité, qu’il dise le vrai, ou tout au moins une vérité objective, même cadrée, envisagée, rapportée de son point de vue. On attend de l’œuvre d’art qu’elle soit « juste », qu’elle opère dans un rayon d’action où la « justesse » l’emportera sur l’objectivité descriptive pour dire, voir, mais aussi faire ressentir autrement, différemment.
Et, ce qui distingue particulièrement l’image d’art de l’image de presse (Paris-match, par exemple, et qu’il s’agisse de tel cliché célèbre ou d’une simple archive) tirée luxueusement à 3 exemplaires et encadrée puis achetée très chère avant d’être accrochée dans un intérieur plus ou moins branché, chic ou bourgeois c’est que, « justement », on cherche à projeter-calquer les propriétés et la spécificité de l’une sur l’autre. Et ce déplacement, justement, s’opère dans le contexte de la crise économique du photojournalisme, mais aussi sa crise « culturelle ». En gros, la nécessité d’étendre le marché de l’image de presse par la vente de vintage ou de tirage de collection, sur le modèle du marché de l’art.
Votre renvoi à Paris-Match est amusant à ce titre parce, justement e
Uthagey,
Je n’ai jamais déterminé un style, un sujet, une manière de travailler en fonction d’un prix éventuel ou quoi que ce soit d’autres, je ne vois pas ou vous avez pu interpréter cela dans mes propos…
Lorsque j’ai commencé à travailler (il y a environ 15 ans), la presse m’a dit : « il faut travailler en couleur, si vous voulez que l’on produise ou publie votre travail. » J’ai continué à travailler en Noir et Blanc (en dehors de rares commandes) car j’ai toujours considéré que l’utilisation du Noir et Blanc permettait une mise à distance plus importante entre mon sujet et les « lecteurs ». Et j’ai quand même la possibilité de publier mon travail. Lorsque que l’on m’a dit « pense à faire des verticales pour nous faciliter la mise en page », je n’en ai quasiment jamais faite car cela ne correspond pas à ma vision. Je continue à me rendre régulièrement dans des régions ou je sais parfaitement que j’aurais beaucoup de difficultés à intéresser des publications.
Vous parlez de style photographique…je n’ai pas choisis un style photographique en me demandant ce qui pourrait se publier ou gagner des prix, j’ai choisi une photographie frontale, proche des personnes que je photographie, (j’ai seulement un 35 mm), car c’est ce qui me correspond et répond le mieux à cette notion de distance qui est une obsession pour moi.
Lorsque je décide de travailler sur un sujet ou d’intervenir sur une actualité, j’ai toujours travaillé comme je l’entendais, sans jamais me soumettre à une quelconque préoccupation de ce qui pourrait « se vendre », je fais et je finance mon travail et ensuite je me demande comment et ou je vais pouvoir le montrer. Et je sais que c’est la manière de travailler d’une très grande majorité des photographes.
Pensez-vous réellement qu’aujourd’hui, je pourrais choisir tel ou tel sujet ou telle manière de travailler pour viser un prix ?, Et bien ce n’est pas le cas. Effectivement, le jour ou cela m’arrive, j’espère qu’il me restera suffisamment d’intelligence pour arrêter la photographie. J’ai d’ailleurs toujours dit que le jour ou je n’ai plus la possibilité de travailler, j’arrêterai.
Depuis le début de mon activité photographique, la presse n’a jamais été le producteur de mon travail (juste un des diffuseurs), j’ai donc batis mon économie de travail sur différentes sources. Comme je l’ai déjà dit à travers l’exposition, les ONG, le corporate,..et les dotations des bourses et prix lorsque je peux les obtenir. Remplir des dossiers de bourses et prix fait donc partie de mon activité, comme une des nombreuses sources possibles de financement. Mais finalement, être payer par un journal ou par la dotation d’un prix pour ensuite réaliser un travail, est-ce si différent ? (c’est une question).
L’exemple de cette photographie primée (dont je ne suis pas l’auteur) à aussi une particularité, c’est qu’une seule photographie a été primée. Dans la grande majorité des prix, ce sont des séries photographiques (une histoire) qui sont primées.
Pour finir, il est aussi flatteur, bien entendu, de recevoir des prix, mais croyez bien que ce n’est pas la motivation première des photographes que je connais.
Bien à vous.
Frédéric Sautereau
{pas simple de commenter via un Blackberry / 2}
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Votre renvoi à Paris-Match est amusant à ce titre parce, justement et encore une fois, ce magazine ne partage plus rien et depuis longtemps avec le mythe de l’objectivité du journalisme et de sa quête de vérité (photo-et-journalissme tout court). Pour ce qui est du moment présent, et alors que le fond de la discussion est donc l’éthique du photojournalisme et les limites de ce que l’on s’autorise à publier (à un moment donné, puisque tout est toujours susceptible d’évoluer), il me semble que Paris-Match est vraiment le plus mauvais exemple à citer.
La lecture du billet d’AG et les premiers commentaires m’ont ainsi tout de suite ramené à l’accident mortel de Diana Spencer en ’98. La presse n’en est certainement pas encore à déclencher des guerres avec la seule visée de pour pouvoir produire de belles images dans ses pages, mais le drame du Pont d’Ièna a dé-montré que les journaux du type Paris-match pouvaient être à l’origine d’un tel drame. Sans paparazzi « œuvrant » au nom de la liberté de la presse à ses trousses, la princesse de Galles serait probablement encore en pleine forme et continuerait à faire régulièrement la Une de P.M ; Gala ; VSD et consort : au rythme de ses divorces ou de ses enfantements.
Or, c’est bien dans ce drame-là que la conjonction entre la représentation de la mort par les photojournalistes ; l’éthique journalistique et la critique de la profession aurait pu et dû fournir un formidable exemple « de terrain » pour refonder la notion même d’éthique dans le photojournalisme.
On sait bien que des photographies des corps sanglants présents dans la Mercédès princière ont été réalisées. On sait aussi qu’elles n’ont pas été publiées. À titre personnel, je ne crois rien du respect dû à la famille des victimes, surtout si cette famille est princière. La raison de cette non-publication (même s’il aurait pu s’agir seulement du corps endolori de Diana sans que l’image montre l’étendue de ses plaies, ou sans même parler ici de son v
On entre dans le gras de la discussion 🙂 et le choix de Match n’est pas un hasard. Je l’ai choisi pour sa dimension symbolique, mais je ne l’opposerai pas au Nouvel Obs, au Figaro Magazine ou au Parisien. C’est un des supports de l’image de presse et la problématique est identique pour tous ces supports.
« En gros, la nécessité d’étendre le marché de l’image de presse par la vente de vintage ou de tirage de collection, sur le modèle du marché de l’art. » Encore une fois, je ne suis pas historien. Mais il me semble que le marché de l’art s’intéresse depuis longtemps aux photographies des photo-reporters et que si la crise a sans doute parfois changé les stratégies des agences qui l’ont intégrées aujourd’hui à leur stratégies économiques, la reconnaissance du travail des photo reporters par ce marché est beaucoup plus ancienne. Je suppose que c’est parce que ce qui fait la valeur symbolique d’une oeuvre sur le marché de l’art, c’est aussi son importance dans l’histoire de l’art. Avec la photo de presse, on a une sorte de réassurance pour l’investisseur artistique. L’image s’inscrit dans l’histoire des hommes. Mais je ne connais pas grand chose au marché de l’art et ce n’est qu’une hypothèse.
« Quant au positionnement artistique, justement, il n’est pas équivalent au positionnement journalistique. Parce qu’il relève d’un autre champ, justement… Et que dans celui-ci, dans le champ de l’art, l’appel à la notion de vérité et surtout d’objectivité n’a pas du tout le même sens, ou en tout cas pas la même portée. L’art met en forme, l’art dissimule pour mieux montrer, l’art sélectionne et exagère… »
Je veux bien qu’il relève d’un autre champ. Mais en tout cas, la photo (bonne ou mauvaise) met en forme, dissimule pour mieux montrer, sélectionne et exagère. C’est la nature même de la représentation photographique. Ce n’est qu’une fois que l’on a posé tout cela comme un à priori, que l’on peut commencer à s’interroger sur la vérité et l’objectivité.
La mort de Diana est effectivement assez exemplaire par toutes les réactions qu’elle a suscitées. Comme pour toute mort absurde, on a cherché un responsable. Lorsqu’il s’agit d’une personne non médiatisée, les proches sont les seuls à se confronter à cette recherche douloureuse de donner un sens à ce qui bien souvent n’en a pas. Dans le cas d’une icone médiatique, le psychodrame a été collectif. Et l’idée que c’était le mélange vitesse excessive, alcool et tranquillisants qui tue chaque année des milliers de français qui avait tué Diana, n’était pas recevable pour une icone.
En ce qui concerne les images qui n’ont pas été montrées, c’est un exemple de ce que vous avez appelé: « les limites de ce que l’on s’autorise à publier (à un moment donné, puisque tout est toujours susceptible d’évoluer) ». A l’époque, il y a eu un déchaînement médiatique sur le thème (abordé d’ailleurs essentiellement par des journalistes): Montrer le cadavre de Diana c’est scandaleux, les photo-reporters feraient mieux d’aller faire leur travail et d’aller photographier les femmes algériennes que l’on a égorgé. » On peut en faire différentes interprétations:
Montrer l’agonie d’une paysanne algérienne, c’est bien. Montrer l’agonie d’une princesse c’est mal.
Montrer l’agonie d’un individu auquel je ne peux pas m’identifier en raison de la distance géographique et de l’origine de sa mort, c’est bien. Montrer l’agonie de quelqu’un auquel je peux m’identifier de par la proximité géographique et l’origine de sa mort, c’est mal. (La seuil de tolérance du public aux images de la mort est nettement moins élevé sur photos de faits divers et de catastrophes en France qu’à l’étranger.)
Les photographes appartiennent à la société qui se pose ces questions, et ils se trouvent régulièrement confrontés à ces questions à titre personnel. (certains d’entre eux n’ont pas pu ou pas voulu utiliser leur appareil.) Leurs réponses sont forcément plus complexes que ces certitudes caricaturales qui nous avaient été assénées à l’époque.
Oui….
La mort de Diana Spencer, princesses de Galles et épouse du prince Charles n’était qu’un banal accident de la circulation dû a l’alcool.
….
Y a pas photo…
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