Repris par Gilles Klein dans Arrêt sur images, le Times of India rapporte que l’actrice Aishwarya Rai Bachchan, avertie par ses fans que la couverture du numéro de janvier de Elle–India lui donnait un teint bien pâle, pourrait porter plainte contre le magazine. Alors que la rédaction dément avoir retouché la photographie, Arrêt sur images reproduit un autre portrait de la star de Bollywood, qui semble attester par comparaison d’un éclaircissement manifeste (voir ci-contre).
Ce dernier rebond du débat sur la représentation des populations non-caucasiennes présente l’intérêt de questionner la prétendue objectivité de l’opération photographique. Dans la période récente, l’hyperprésence visuelle de Barack Obama lors de la campagne électorale de 2008 avait rappelé le caractère largement conventionnel du choix de la teinte du visage du président des USA, désormais fixé sur un chocolat clair (voir ci-dessous).
Si l’on examine de plus près le cas d’Aishwarya, avec l’aide de Google Images, on a vite fait de constater que la gamme des couleurs de son visage varie évidemment au gré de la lumière, du maquillage et des options photographiques ou éditoriales. Mais un exercice similaire effectué sur les portraits de Cameron Diaz fournit un éventail de teintes très comparable. Un échantillon prélevé au niveau de la pommette permet de vérifier que la gamme des teintes varie dans les deux cas de façon homogène du marron au beige (voir ci-dessous).
Est-ce à dire que la photographie est incapable de reproduire la couleur typique d’un visage? En réalité, une telle information n’a pas toujours la même valeur et sera systématiquement interprétée en fonction du contexte. Dans le cas des variations observables chez Cameron Diaz, nous ne nous posons pas la question de l’objectivité de la restitution ni d’une éventuelle dérive raciale, quand bien même l’actrice présente un teint particulièrement bronzé. En revanche, lorsque la lecture de l’image comporte une dimension identitaire, la couleur de la peau prendra nécessairement valeur de signe. Ce qui est en cause est ici moins la photographie que nos préjugés raciaux.
4 réflexions au sujet de « Couleur chair »
Je me rappelle que mon prof de retouche photo, il y a mille et un an, disait toujours que l’œil humain n’analyse pas, il compare. Certains animaux analysent, par exemple les insectes pollinisateurs sont sensibles à une radiation ultra-violette ultra-précise et ne voient que la fleur qui les concerne. Nous, c’est plus compliqué, et plus intéressant (cf. cette illusion d’optique classique), l’interprétation par le cerveau joue un rôle énorme, qui dépend du contexte, y compris culturel.
On fait beaucoup de plat autour des questions de couleur de peau, mais si mlle Aishwarya Rai apparaît si blanche en couverture de Elle (quelle que soit la raison : retouche, maquillage, choix de la photo, lumière) ce n’est pas forcément par racisme (même si cette actrice est l’exemple le plus fort de l’occidentalisation des acteurs de bollywood depuis vingt ans : yeux clairs, sveltitude, jusques aux rôles…) mais sans doute aussi parce que la teinte de la peau est une marque de fécondité, de jeunesse et de féminité : quelle que soit leur couleur de épiderme, un frère et une sœur ayant les mêmes parents se distingueront par la teinte de leur peau : la fille sera plus pâle et le garçon plus sombre et plus rouge, en fonction du taux d’œstrogènes et de testostérone. C’est à vingt ans que le phénomène est le plus fort. Personne ne le voit vraiment (la science s’en est rendue compte il y a quelques décennies seulement), sauf les peintres (de Masaccio à Klimt en passant par Raphaël,…). C’est aussi à cause du taux d’œstrogènes qui fait gonfler les lèvres que des femmes recourent aux injections de collagène… Personne ne le voit mais tout le monde le ressent, sans doute.
Le rendu de la couleur de la peau prend une dimension publique lorsque la lecture de l’image comporte une dimension identitaire.
Mais c’est un sujet quasi obsessionnel chez un grand nombre de photographes portraitistes qui hier utilisait toujours le même film et aujourd’hui sont persuadés que telle ou telle marque d’appareil est incapable de reproduire la couleur de la peau.
On ne remet pas en question la couleur de la peau perçue dans l’expérience sensible. On va à la rigueur trouvé que quelqu’un a mauvaise mine ou est mal maquillé, mais on trouve toujours « naturel » sa couleur de peau. En photo, c’est l’inverse. Quelqu’un que j’avais trouvé bronzé lorsque j’ai réalisé son portrait, va me sembler avoir une trogne d’alcoolique lorsque je vais découvrir son portrait sur mon écran d’ordi. Parfois, pour que la couleur de la peau me semble « naturel », je vais la désaturer en post-production, créer une couleur qui n’aura rien à voir avec la réalité, mais qui me semblera plus « naturel ». Je suis incapable d’expliquer le phénomène. Heureusement, les photographes en sont plus victimes que les personnes photographiées. Et le maquillage de la peau, s’il est réalisé par un professionnel permet de le limiter considérablement.
@Jean-no, Thierry: merci pour ces remarques. La question du facteur de comparaison est en effet cruciale. Dans la plupart des cas, la vision d’un portrait s’effectue de manière isolée, et la couleur de la peau n’est pas questionnée en tant que telle. Un autre facteur à prendre en considération, dans le cas des célébrités souvent photographiées, est l’établissement progressif d’un stéréotype visuel (dont le cas Obama fournit un bon exemple). Le sentiment d’un écart peut alors se créer, pour le public, entre le stéréotype et une image qui sort de la série: c’est exactement ce qui s’est passé avec le cas Rimbaud. Ici, on peut noter que ce sont les fans qui ont fait remonter le sentiment d’un écart par rapport à l’image idéale de la star, comparant implicite de la couverture de Elle-India.
Que donnerait le même article sur Mickaël Djackson, le démiurge qui voulait faire disparaître sa négritude, vieux rêve afro-américain, de son vivant? Ok, je sors, bonne année et surtout la santé!
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