Michael Jackson’s This is it, documentaire de Kenny Ortega (2009).
Il est mort et il va mourir. Ce que Barthes avait vu dans la photo de Lewis Payne [1]Roland Barthes, La Chambre claire, Gallimard-Le Seuil, 1980, p. 149., nous le voyons ici s’étirer sur toute la durée d’un film, montage d’images tournées pendant les dernières répétitions d’un concert fin prêt, mais qui n’aura pas lieu.
Il est mort et il va mourir. Zombie revenu d’entre les morts, enfant-spectre lunaire, hideux et scintillant, MJ traverse la scène. On le dévore des yeux : il n’est qu’image, et cette image, bien qu’enfin offerte, manque et se dérobe, à jamais. Comme dans un ralenti déchaîné qui n’en finirait pas, nous le regardons avidement disparaître, sur le grand écran des élégies.
Apanage des stars, des anges et des kings, Jackson a deux corps : l’un tangible et mortel, l’autre éternel et virtuel. Le premier lui est compté : il doit l’économiser. Le second ne lui appartient pas : inhumain de virtuosité, il s’offre avec obscénité au regard de spectateurs eux-mêmes virtuels – tous ceux qui, fanatiques ou simples curieux, participeront un jour au Mystère.
This is it : nous sommes dans le Saint des Saints, la fabrique du spectaculaire. Voyeurs comblés, nous voyons trois fois le médium interdit : l’avant-première, l’envers du show, l’idole défunte. Le film est fait d’images qui ne nous étaient pas destinées. Travail, répétitions, réglages. Ceci n’est pas un spectacle, mais sa projection. On ne cherche pas à produire des effets, on calcule méthodiquement leur déferlement à venir. Chaque apparition, mouvement ou enchaînement est minutieusement ajusté au rendu recherché et à l’empreinte qu’il devra laisser dans les mémoires. Au passage, on observe ainsi l’extraordinaire prescience d’un artiste qui incorpore en permanence et en temps réel l’image qu’il émet. Au point qu’il est impossible de décoller la technique d’un quelconque “naturel”. Ce n’est pas pour déplaire à une médiologue, qui se méfie des états de nature et croit plus dans la vérité des artifices…
Machinations des corps, des décors et des rythmes : fractale, la scène déploie toutes ses facettes, toutes ses recettes. Mais la magie s’accroche et refuse de se dissiper. Montrant la construction, le dispositif renforce le vertige plus qu’il ne le désamorce. Comble de l’effet de présence, les spectateurs, au fond des salles obscures, applaudissent. Orphelins esseulés et regardeurs un peu pervers, ils ressentent à leur corps défendant cette irrésistible croyance qui donne corps à un public. D’autant plus forte qu’à la coupure scénique s’est ajoutée celle de la mort.
C’est ce qui est le plus troublant. On croyait assister soit à une déconstruction soit à une communion, et ce n’est ni l’un ni l’autre, ou les deux à la fois. On croyait qu’enjamber la rampe allait court-circuiter toute distance entre l’officiant et son aura. Et il n’en est rien. Non seulement l’efficacité persiste, mais l’exhibition des effets spéciaux en train de se faire creuse encore l’espacement scénique. La “bascule du devant au dedans” (Régis Debray) ne déplie pas les rideaux de l’imaginaire, mais en démultiplie les plis et replis.
L’enchevêtrement des vues du plateau avec des bouts de films et des images virtuelles produit à ce titre de passionnants trompe-l’œil. Michael se regardant courir sur des fonds verts avant incrustation, Michael poursuivi par Bogart ou reluquant Gilda ôtant son gant, Michael réglant la machinerie qui le fera surgir sur scène ou s’élever au-dessus d’une foule en transe – pour l’heure et pour toujours absente… À chaque duplication, l’homme-image au visage de synthèse stratifie un peu plus ce que l’on croyait superficiel. Aux esprits chagrins qui voudraient en faire l’emblème des affaissements symboliques (paillettes, fric et fait-divers), le film renvoie une image d’une grande complexité, ou plus exactement l’image comme complexité. L’hybridation entre toutes les techniques du voir, depuis le mime (on sait ce que la moonwalk doit à Marceau) jusqu’à la palette graphique, met en lumière toute une continuité des arts de la scène, comme un grand traité du spectacle qui ferait son show. Très loin de l’esthétique plate des plateaux de télévision, qui renvoie au téléspectateur une image de lui-même prétendument immédiate, les mises en scène emboîtées plongent ici dans une mémoire longue de l’iconodoulie, entre trucages et sortilèges.
L’enchantement cesse brutalement un peu avant la fin, quand le film et le héros succombent à la niaiserie du message écolo. La bête de scène redevient alors ce benêt de Bambi, aplati comme un bon sentiment, et tout le baroque du dispositif se dénoue en un vulgaire clip. On retiendra que, comme par hasard, c’est lorsque les mots reprennent le pas sur la danse que l’envoûtement se dissipe. Compliquées, abîmées, appareillées, les images et la musique étaient bien plus intelligentes et belles que ce discours monosémique…
Notes
↑1 | Roland Barthes, La Chambre claire, Gallimard-Le Seuil, 1980, p. 149. |
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6 réflexions au sujet de « Michael Jackson ou le traité du spectacle »
C’est vraiment curieux, parce que moi… je l’ai entendu chanter.
Mais j’ai du me tromper.
C’est une des raisons pour lesquelles on applaudit, parce que cette voix est ce qui incarne Michael pour les fans (et de nombreux non fans) … et là, on l’a, on l’écoute, mieux qu’en concert, parce que le concert impose, comme à d’autres icônes pop « dansantes », du playback. Et pour une fois on l’entend, et le son est pour nous, rien que pour nous.
C’est dommage que dans cette analyse pourtant assez intéressante, on ne parle que de visuel. C’est à mon avis une des raisons qui font que bien souvent un non fan ne peut comprendre ce que ressent un fan en entendant la voix de l’artiste. Alors bien entendu on ne pourrait discourir autant sur cet aspect – quoique – mais il me semblait important de le souligner. Car au delà de son physique, bien au delà, c’est pour sa voix qu’on aime Michael.
Ton dernier paragraphe est lamentable, simplement parce que Michael a toujours fait ainsi, et qu’il n’est pas plus benêt que moi quand je vais acheter des légumes bio, et 1000 fois moins qu’un ministre ou un chef d’entreprise vendant du développement durable… le message écolo est « toujours » niais, c’est tellement facile, à croire que tu avais besoin de quelques phrases inutiles de plus pour ton article.
Les fans y auront reconnu ce petit rituel de concert qui voit les artistes se regrouper pour faire un genre d’esprit de groupe, ni plus ni moins, d’autres y verront de la niaiserie…
Je reconnais que ça n’est pas très explicite, mais j’intègre complètement cette dimension musicale dans la matière spectaculaire que j’essaye ici d’analyser. Pour ce qui est de la fin – de l’article et du film – je persiste et signe : du point de vue du spectacle, la complexité disparaît complètement…
« Car au delà de son physique, bien au delà, c’est pour sa voix qu’on aime Michael ». Intéressant. Est-ce parce qu’il était devenu un monstre – au sens littéral du terme -, qu’il vaut mieux l’écouter en fermant les yeux?
Tout ce beau verbiage masque mal cette vérité toute simple: cette musique c’est de la merde, c’est du toc, c’est du vide. Tout juste bonne a être alignée dans les rayons des supermarchés et achetée par des oreilles en bois. Mais puisque le spectacle vous dit que c’est un chef d’oeuvre alors vous l’acceptez comme tel. Pauvres spectateurs.
« …il vaut mieux l’écouter en fermant les yeux ». Pas d’accord ! Non seulement MJ est un danseur exceptionnel, mais le film montre justement comment il est impossible de dissocier sa voix de son corps. Il y a des plans fascinants où on a réellement l’impression que c’est la gestuelle qui commande la musique, comme s’il était à la fois le chef et l’orchestre.
« André Gunthert
13 novembre 2009 à 07:22
« Car au delà de son physique, bien au delà, c’est pour sa voix qu’on aime Michael ». Intéressant. Est-ce parce qu’il était devenu un monstre – au sens littéral du terme -, qu’il vaut mieux l’écouter en fermant les yeux?
»
Pourquoi ? parce que vous regardez mozart dans les yeux quand vous l’écoutez ? parce que toute personne qui découvre la musique regarde son auteur à la lumière de critères physiques normés ?
Pitoyable commentaire en vérité de quelqu’un qui n’a rien à dire…
Si je voyais la nécessité de préciser cela, c’est bien parce que bien souvent des gens comme vous se permettent de juger cet homme sur son physique alors que fondamentalement ils ne s’intéressent pas à lui, à ce qu’il fait … on ne peut reprocher à personne de ne pas aimer sa musique, ses spectacles, mais pourquoi alors ne pas décider qu’il était un monstre quand il était noir avec un gros nez ? Qui décide de ce qui est bien ?
Il échappe à vos critères physiques, alors c’est un monstre, basique, efficace.
Fox : un artiste, quel qu’il soit, parle à ceux qui l’écoutent, remplit un petit vide ou un grand, musique de merde ou musique géniale, sur ce sujet je n’ai aucune inquiétude, avoir de telles remarques n’est pas non plus la preuve d’une originalité extraordinaire… pauvre iconoclaste qui se débat dans un océan de médiocrité, mais qui a sûrement sa petite pile de chefs d’oeuvres bien rangés par catégories… une pile exempte de toute matière fécale bien entendu ! (d’ailleurs personne avant toi n’a parlé de chef d’oeuvre)
Merci pour ta réponse Louise, bon allez, j’ai un peu exagéré sur « lamentable » … mais bon, je trouve tout de même que c’était bel et bien passer à côté d’un genre de clin d’oeil, même si les paroles semblent lénifiantes, je pense que ça na pas du troubler grand monde 😉
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