Enseigner face à Facebook

Perspective dont la généralisation est encore lointaine dans le contexte de l’enseignement universitaire français, la disponibilité du wifi dans les salles de classe n’en apparaît pas moins comme un horizon inéluctable. Autant le dire honnêtement: du point de vue du professeur, cette ressource bienvenue fait peur. Quel enseignement, aussi virtuose soit-il, pourra résister à la concurrence de la lecture des mails, du chat sur Facebook ou de la consultation de gags vidéos à l’abri de l’écran du portable? Régler le problème par la prohibition d’une liste de sites n’est guère satisfaisant, car YouTube ou les médias sociaux constituent bel et bien des sources susceptibles d’être utilisées en cours, ou peuvent devenir des objets d’étude.

Le Lhivic est le premier labo de l’EHESS qui dispose du wifi dans ses locaux et l’INHA annonce pour la rentrée prochaine la disponibilité de cet accès dans ses salles de cours. C’est donc avec curiosité que j’ai observé les cas, encore peu nombreux, où je me suis retrouvé en situation de faire face à une classe dans ces conditions (mettons de côté les expériences de type atelier, où le petit nombre des participants et la permanence de l’interaction dissuade un usage parasite de la connexion).

Une distinction peut être effectuée entre cours de premier cycle et séminaires de recherche. Pour les étudiants les plus âgés, la prise de notes directement sur le portable reste un exercice encore minoritaire, alors que les plus jeunes adoptent cette pratique de façon plus courante.

Or, le problème est bien celui de la densité du recours aux portables. Face à une forêt d’écrans dressés, le professeur est incapable de deviner si l’étudiant se livre à la prise de notes ou à une occupation ludique, et la multiplication des ordinateurs protège les auditeurs les moins attentifs. Nous nous sommes habitués à traiter par le mépris les sonneries intempestives de mobiles qu’il est désormais impossible de bannir complètement de l’exercice d’un cours. Mais il est nettement plus déstabilisant de voir plusieurs étudiants s’esclaffer simultanément, le nez sur l’écran, trahissant un chat en cours ou le partage d’une vidéo. J’ai expérimenté à l’académie du journalisme et des médias de Neuchâtel cette situation plutôt pénible qui dessine les contours de l’enseignement de demain – et donne immédiatement envie de ne plus faire que des cours optionnels.

Mais je me suis aussi retrouvé dans la situation de bénéficier d’une connexion en position d’auditeur. Et je dois avouer que dans le cas d’exposés languissants, la consultation des mails ou de mon compte Facebook a été un dérivatif bienvenu, évitant les manifestations d’ennui ou la conversation à voix basse avec le voisin, et permettant de conserver l’apparence de la concentration.

Bilan mitigé, donc, où l’accès libre au net en apparaît comme une source potentielle de perturbations sérieuses. A moins de disposer de son propre média social (possibilité qu’offre désormais Culture Visuelle), la perspective d’un filtrage, quoique regrettable, semble difficile à éviter, au moins en premier cycle. Une autre solution pourrait consister à décréter la fin de l’obligation de présence, remplacée par la valorisation du bénéfice de la participation au cours.

23 réflexions au sujet de « Enseigner face à Facebook »

  1. Je travaille depuis des années en animation avec un vidéoprojecteur et un ordinateur portable, prise de notes en direct, comptes-rendus en temps réel, chacun repart avec sa clef USB chargée.

    Depuis quelques années, j’ai découvert ces collègues qui font semblant de participer à nos réunions en tapant leurs e-mails, c’est une caricature, sursautant quand on leur adresse la parole, souriant bêtement devant leurs messages comme s’ils étaient « présents » à la réunion.

    Bref, je suis sûre que cela pollue autant que les SMS sur le portable en salle de classe. Cela ressemble à quelqu’un qui lirait son journal ignorant les autres. L’attitude individualiste par excellence.

    Pourtant, cela évite d’un autre côté, les réunions fleuves stériles, où on ne doit effectivement être présent qu’un court moment. Dans ce cas, cela permet de ne pas se coincer dans la réunion, tout en pouvant intervenir sur les temps utiles. Cela permet le multi-tâches. Et c’est tellement la manière dont nos métiers évoluent. Penser par micro-séquences à une chose, à une autre, noter machinalement le point qu’il faudra reprendre, nos métiers intellectuels sont devenus de la haute voltige ; plus de temps pour les formules de politesse, aller à l’essentiel, enchaîner les essentiels, construire des interconnexions à toute vitesse.

    On pourrait défendre l’idée que tout dépend du type de situations de communication ; pourtant, je suis sûre que les étudiants apprennent là, à gérer les nouvelles contraintes du monde du travail : soi, comme centre de tri, multi-tâches et multi-fonctions. Il y a dix ans, je gérais en parallèle une vingtaine de missions professionnelles. Aujourd’hui, j’en gère une centaine, avec des aides en ligne, des programmes extranet qui me soulagent d’une partie du travail, des outils de gestion de projet informatisés, bref, ce n’est plus le même travail, je fonctionne aux micro-décisions toute la journée.

    Quel homme ou femme cela fabrique-t-il, en veut-on, n’est-ce pas une aporie de l’humain, que de laisser cela se faire est une autre question ?

    Car une fois qu’on a acquis cette toute-puissance de tout faire en même temps, l’étape suivante est l’implosion, non ? Ou alors peut-être va-t-on se greffer des drives externes pour en faire davantage ?

    Cela me rappelle ces supercalculateurs, qui mettent en parallèle des millions d’ordinateurs, pour développer leur puissance.

    http://anthropia.blogg.org

  2. Et l’instauration d’un backchannel twitter ? Je sais bien que ce n’est pas si simple, cf. l’article de Yann Leroux
    « Faut-il bannir Twitter des salles de conférence »
    http://www.psyetgeek.com/faut-il-bannir-twitter-des-salles-de-confrence
    Mais dans certaines situations, cela peut aussi constituer une démarche d’enseignement ou de travail collaboratif, ne serait-ce que pour construire à plusieurs un compte-rendu d’une intervention.
    cf. aussi http://en.wikipedia.org/wiki/Backchannel

  3. Et si on passait de « face » à « avec » ? Plutôt que de regarder le phénomène de loin, et si le cours devenait plus interactif ? comme le propose Howard Reinghold par exemple : http://www.internetactu.net/2009/05/26/sommes-nous-multitaches-12-comment-apprendre-a-maitriser-notre-attention/ et quelques autres : http://mashable.com/2010/03/01/twitter-classroom/

    Ces ordinateurs ouverts sont une chance : non pas pour faire autre chose, mais pour mobiliser les élèves…

  4. Avant ils regardaient discrètement par la fenêtre ou dessinaient sur leur feuille ou…, maintenant ils sont scotché à leur Windows… ou à leur pomme.
    A noter que comme le note André, ces attitudes n’indiquent pas leur degré ou non d’implication dans le cours ou la tâche. Personnellement, je dessinais souvent durant mes cours pour justement rester connecté au cours et ne pas divaguer…

    J’aime bien l’idée que le multitâche contamine l’ensemble du processus de l’apprentissage comme j’aime bien l’idée du dévoilement que l’emploi des ordinateurs en cours apporte aux réalités des cours ex-cathédra, frontaux, magistro-centré.

    Enfin, de manière très symptomatique, la réalité dévoilé donne des idées de résoudre le problème par des formes de coercition. A méditer… surtout devant la force des flux.

  5. Voilà qui signe (enfin ?) le glas de la transmission horizontale des savoirs…et remet en cause toute érudition vu que n’importe quel étudiant peut remettre en question en temps réel et de façon argumentée tel ou tel détail factuel du cours.

    La question est donc aussi « Enseigner face à Wikipedia « ?

  6. J’aperçois un léger malentendu dans plusieurs commentaires ci-dessus. C’est moi qui ait installé le wifi au Lhivic, et parmi les multiples fonctions de Culture Visuelle, le développement d’un média social autonome constitue une réponse proactive et tout à fait délibérée à cette situation nouvelle qu’il me paraît justement intéressant d’anticiper.

    Mais cette anticipation doit également tenir compte de la diversité des situations réelles. Si l’usage des portables et du wifi est parfaitement adapté au travail d’atelier en petits groupes (que nous pratiquons assidument au Lhivic depuis le début de l’année) ou au séminaire de recherche, il serait naïf de considérer qu’on peut transposer cet exercice sans adaptation à des classes plus nombreuses, voire à un amphi. J’enseigne en général dans les conditions très privilégiées du troisième cycle et du séminaire de recherche, auquel tous les présents choisissent librement de participer. La situation que j’évoque ci-dessus provient du fait que je me trouvais pour la première fois devant une classe de trente élèves, tous équipés d’ordinateurs, dans le cadre d’une formation obligatoire – ce qui, je m’en suis aperçu, change sensiblement la donne.

    Lyonel, je pense que tu as tort de banaliser l’usage du wifi en le ramenant au traditionnelles réactions d’ennui que peut susciter un cours. Je crois au contraire que cette situation est complètement nouvelle. Pour une part, disposer du wifi en cours, c’est un peu comme donner le choix entre jouer à un jeu vidéo et faire ses devoirs en espérant que le choix porte systématiquement sur la deuxième option. Les jeunes n’ont jamais été confrontés à un choix aussi déséquilibré dans le contexte de l’enseignement, et il faudrait être un saint pour ne pas céder à la tentation. Je me suis moi-même décrit ci-dessus dans les deux positions, pour bien faire comprendre que la vertu ne suffit pas, et que la moindre baisse d’attention risque désormais de provoquer le switch.

    Mais il y a un deuxième aspect – que je n’ai peut-être pas suffisamment pointé dans mon billet — qui est l’invisibilité de ce changement d’activité: taper sur son clavier abrité derrière son écran ne dit rien sur la page sur laquelle on se trouve… C’est probablement ce caractère qui est le plus gênant. Contrairement à ce que croient souvent les élèves, un prof distingue assez nettement ce qui se passe dans sa classe. On voit parfaitement quelqu’un qui décroche, ainsi que les diverses manifestations de l’ennui. Cette information n’est pas pertubante, puisqu’elle est perçue – et en général utilisée par le prof pour tenter de retrouver l’attention des élèves (c’est pour cette même raison d’une adaptation permanente du cours aux réactions de l’auditoire que je ne crois pas au bénéfice d’une généralisation du télé-enseignement, à l’exception de l’amphi).

    Par le caractère dissimulé de l’échappatoire, le wifi empêche toute correction de ce type. Au fond, ce qui a suscité ma réaction, c’est le fait de m’apercevoir subitement que des étudiants que je croyais attentifs étaient en réalité occupés à tout autre chose. Une activité qui n’a rien à voir avec un baillement ou un regard qui se perd dans le vide. Ce serait plutôt comme lire une bande dessinée ou regarder un film – aucun prof n’aurait toléré autrefois une attitude aussi désinvolte pendant un cours.

    Je ne crois pas que mes cours soient parmi les plus ennuyeux, et mon usage des ressources numériques comme de l’interaction avec la classe me semble également plutôt au-dessus de la moyenne. Mais il me paraît impossible d’éviter que quelqu’un qui n’a pas d’intérêt pour le cours et qui n’est là que par obligation (ce qui est plus souvent le cas en premier cycle) ne profite de la disponibilité de l’outil numérique pour s’évader. Je pense aussi que, quels que soient nos efforts pédagogiques, il y aura toujours une différence entre un cours et un jeu vidéo – et qu’il n’est pas souhaitable qu’un cours ressemble à un jeu vidéo. Pourtant, le wifi donne à chaque instant à nos auditeurs la possibilité de choisir entre la participation au cours et l’évasion vers le jeu, d’une manière totalement indétectable. Cette situation me paraît bel et bien nouvelle, et c’est pourquoi je pense qu’un relevé d’expérience comme celui que je fournis devrait susciter une réflexion plus approfondie.

  7. Un cas tout à fait intéressant de comment la culture de l’écran associée surtout aux jeunes (Jouet,J & Pasquier,D. 1999) bouleverse la communication prof-élève dans un environnement physique. L’écran enlève de la scène de l’enseignement le feedback pour le prof, élément primordial du ‘contexte’ d’échange prof-élève! C’est drôle comment la décontextualisation dans le numérique se reproduit et se manifeste par le numérique dans le monde matériel hybride du wi-fi!!

  8. Le Lhivic premier labo à l’EHESS à mettre wifi – avec quelle fierté je suis une parmi ceux qui en profitent.

    Le fait d’avoir la possibilité de surfer met les professeurs dans l’obligation de se sensibiliser et de voir que les cours magistraux ne sont pas si effectifs que ça. Il me semble que le TTT (teacher talking time) doive être de moins en moins court, donner plus la parole aux élèves, travailler en petits groupes, enfin tout ce qui puisse faire que les participants soient participants et non auditeurs. Au lieu des cours teacher-centered, les séances doivent être davantage student-centered (comme les séances atelier) Seulement ainsi les élèves seront vraiment présents.

    Que les jeunes veulent – ou bien aient le besoin d’être toujours en contact avec leurs FB friends, MSN, SMS, démontre une nécessité de contact affectif même pendant les cours. Le besoin des vidéos amène le coté plus ludique… Alors, comme Mimi Ito le demande: “Why is it that we assume that kids’ socializing and play is not connected to learning?”

    Ce n’est pas évident mais, je la cite: “My appeal to you is to look at the new media environments of today’s youth, as not a space of problems and concern, but a space of promise and potential. Independent schools are in a really unique position in being able to take advantage of this opportunity and changing our vision of learning and education.” (d’accord avec HG)

    […] “But I hope that I have managed to convince you that for those who are willing to experiment and to seize the opportunities that today’s digital and networked world has to offer, there is tremendous opportunity to expand the learning potential for a new generation of kids. The technology itself has no power to transform learning. It is up to us to take that technology and do something new with it, something that doesn’t just reproduce our tired old scripts that pits kids cultures in opposition with adult learning goals. These experiments and explorations won’t succeed, spread or scale without a dedicated network of educators, kids, and parents who are working together to build a new model for 21st century learning.”

    Cela dit, je suis d’accord avec AG, ils devient plus difficile d’être prof, surtout avec des grands groupes, qui, en plus parfois ne sont même pas toujours motivés.

    Cf. Mimi Ito, New Media and Its Superpowers: Learning, Post Pokemon, A talk for The National Association of Independent Schools, February 25, 2010, en ligne http://www.itofisher.com/mito/publications/new_media_and_i_1.html

  9. Il est assez amusant d’observer que le dispositif d’affichage dressé à la verticale, la fenêtre ouverte sur le monde numérique, constitue en même temps l’abri et le camouflage. A quand un petit moniteur de contrôle sur cette « face obscure de l’écran » pour les versions de portables destinés à l’éducation ?

  10. Pour ma part, cela fait plusieurs années, entant qu’enseignant dans le supérieur, que je vis cette expérience assez étrange de voir des étudiant(e)s pris(es) en défaut de chatter ensemble pendant un cours(Dieu merci, c’est rare !), en train de vérifier ce que j’ai pu dire en adressant sur le champ une requête à Google (et là, j’aime bien, je ne me sens pas mis en difficulté, je ne suis pas Google, juste un enseignant de socio), ou décrochant de mes cours parce que ce qu’ils avaient sur l’écran était sans doute plus « fun » que ce que je disais. Je suis heureux de m’apercevoir que je ne suis pas le seul à me poser des questions, et avancer l’idée d’une remise en cause d’un enseignement vertical n’a pas grand sens, à mon avis – un enseignement magistral est nécessairement vertical… La question, c’est vraiment comment faire ; l’avantage, c’est que mes étudiants sont assez transparents (on voit très vite leur jeu) et sensibles à mes arguments moraux sur l’impolitesse de ces attitudes et le peu d’intérêt de suivre un cours qu’ils ne suivent pas en fait. Car comme me l’expliquait un collègue psychologue cognitif, il semblerait que faire deux choses en même temps n’est guère réalisable pour le commun des mortels.
    Je lirai avec attention les commentaires pour voir quelles réactions des enseignants et des formateurs ont eu des là-dessus…

  11. Ni professeur ni étudiant.
    Pardonnez ma dysorthographie. Mais le fond prime sur la forme.

    Les vidéos conf de TED son limité a 18 minutes, ce qui correspond a une moyenne d’attention efficace.
    Peut être que l’enseignement sans remettre en cause sa verticalité devrait intégrer une interaction cyclique toute les 20 minutes, avec ouvertures et fermeture de l’écran.
    une sorte de forum prof étudiant pourrais être instauré pour créer un listing de question ou de réponses tel les messages sur ce blog ou le twitt
    durant le cycle ordinateur ouvert donner un autre enseignement plus personnel, demandant investissement, et investigations, échange entres élèves et autres, une liberté d’attention ou non.

    Je trouve ca bien que l’étudiant est pris d’une certaines façon le pouvoir forçant du même coup le professeur a remettre en questions ses habitudes d’enseignement.
    Les personnes non motivé ou dont l’attention se relâche sont pour la plus part du temps le fruit pourris de l’enseignant lui-même du a ses méthodes ou sa narration. Mais rarement le professeur se remettait en question en préférant accuser l’élève inattentif sous prétexte qu’une majorité suivait.

    Parole d’une personne pour qui l’enseignement n’a jamais été adapté, mais qui aujourd’hui est onaniste cérébrale et insatiable grâce au net.

    Tombé la dessus juste avant de poster, amusant
    http://www.internetactu.net/2009/05/26/sommes-nous-multitaches-12-comment-apprendre-a-maitriser-notre-attention/

  12. @Laurent W.

    Laurent, je pense que cela dépend vraiment des publics et des niveaux. Je partage le questionnement d’AG, mais il faut bien voir que « l’université » est avant tout extrêmement hétérogène. Face à un public d’étudiants en 1ère année d’IUT, filière GEA, à l’EHESS ou en master à Dauphine: les pratiques (numériques) sont à la fois les « mêmes », mais les profils et les intérêts sont très divers…

  13. Ah, l’intéressant débat ! Il me rappelle un exercice de créativité, que vous connaissez sans doute, que j’ai aimé soumettre à mes étudiants. L’objectif est de réaliser un rectangle à l’aide de polygones qui sont successivement remis à la personne testée. Sa version la plus simple comprend trois phases. L’animateur confie d’abord deux petits rectangles au volontaire : la réponse est évidente. Puis, deux trapèzes rectangles sont confiés et assez vite on comprend qu’ils peuvent être assemblés autour de la figure précédente pour réaliser l’objectif, un rectangle plus grand. Vient un troisième temps où la figure confiée et un parallélogramme. En aucun cas il ne peut être « ajouté » au schéma précédent et atteindre l’objectif de la figuration d’un rectangle. L’assemblage précédent doit être complètement déconstruit, le parallélogramme posé au centre et les figures précédentes assemblés autour de lui pour obtenir un rectangle. L’arrivée des nouvelles technologies dans la sphère éducative, notamment, produit des effets tels qu’elle demande sans doute un effort de créativité – et une liberté d’agir – proches de celle de l’arrivée du parallélogramme dans ce jeu.
    Il me semble assez vain de s’acharner, en effet, à poursuivre un enseignement sur le mode exclusivement transmissif, comme le cours magistral, alors que des sources d’information riches, abondantes, mais aussi exigeantes en matière d’esprit critique, deviennent disponibles instantanément. Il faut avoir la force et la liberté de proposer des nouveaux modes d’appropriation du savoir, sans doute plus autonomes, mais aussi plus collaboratifs, reposant sur les technologies actuelles, et ouvertes sur les prochaines, mais cependant toujours encadrés et évalués. Les approches socio-constructivistes sont une alternative intéressante.

  14. Ah, l’atelier pédagogique, modèle indépassable! J’ai sur quelques intervenants ci-dessus l’avantage d’être confronté aux situations concrètes. Prenons le cas de mon stage de culture visuelle à Neuchâtel. Il s’avère que j’avais déjà effectué le même enseignement l’an dernier, dans des conditions identiques. Nous avions notamment pu réaliser des travaux en petits groupes, tout s’était fort bien passé (on peut en juger par mon compte rendu 2009 sur ARHV). La différence? Ils étaient 20. Cette année, avec un effectif augmenté de moitié, j’ai commencé la première matinée en tentant un exercice en groupes, qui ne s’est pas bien passé du tout. Ce serait évidemment génial de ne faire cours qu’à des classes de 15, tous ceux qui ont subi le cours en amphi applaudiront des deux mains. Mais j’ai beau n’être qu’un piètre économiste, il me semble que cette mesure supposerait le recrutement de pas mal de profs supplémentaires – ces odieux fonctionnaires auquel le gouvernement actuel fait une chasse sans merci.

    Le conseil de faire des cours de 18 minutes est lui aussi plein de bon sens pédagogique. Le chef d’établissement qui m’a invité à faire un stage de deux jours à Neuchâtel – soit 14 heures d’enseignement d’affilée – n’est probablement qu’un benêt qui n’a jamais regardé TED. Ou peut-être plus simplement quelqu’un qui n’a pas les moyens de m’offrir plusieurs dizaines d’allers-retours en TGV, et autant de nuits d’hôtel. Si la formule des stages intensifs s’étend aujourd’hui un peu partout, c’est évidemment pour des raisons d’économie et d’administration des emplois du temps. Bien sûr, le deuxième jour, les étudiants tiraient la langue – et moi aussi – et l’usage ludique du web s’est sensiblement accru. On me dira qu’il suffirait de remplacer le présentiel par l’e-learning. Dans le registre yaka, on ne pourrait pas aussi augmenter mon salaire, engager trois assistants et octroyer une demi-douzaine d’allocations à mes doctorants?

    Quand on connaît la pression réelle qui pèse sur les épaules des profs du supérieur, accablés chaque année de tâches administratives nouvelles, avec un secrétariat de plus en plus évanescent, on se dit que ce n’est peut-être pas en tablant sur la provocation qu’on va améliorer la relation pédagogique. Les profs sont une population qui a besoin d’être aidée pour assurer la transition numérique, pas de se sentir agressée par les nouveaux outils. A propos, de quand date mon dernier stage de formation aux TIC? Ah bon, l’EHESS ne m’en a jamais proposé? C’est donc moi qui me suis formé tout seul comme un grand à Word, Excel, Filemaker, Photoshop, X-Press, Acrobat, Powerpoint, iPhoto, iMovie, QuickTime, Expression Media, Aperture, Firefox, Blogger, Dotclear, WordPress, Flickr, YouTube, Issu, Twitter, Slideshare, et j’en passe? Ben oui, sur mon temps libre. On n’est pas dans Minority Report. Mais plus modestement dans le contexte des SHS à l’université française. Pour ceux qui voient ce que je veux dire.

  15. Pour information, dans le cursus de sociologie au sein d’une université de province comme celle de Nantes où j’exerce, les étudiants – la plupart d’origine modeste – viennent en cours sans ordinateur portable, sauf exception. D’ailleurs, tous ne disposent pas encore d’un ordinateur chez eux. Nous sommes donc loin des situations qui font l’objet du présent débat. J’ajoute que nos collègues sont très réticents à utiliser les ressources offertes par les TICE, ne serait-ce qu’à mettre des ressources pédagogiques en ligne. Mais il importe de développer ce type d’échanges et de discussion si nous ne voulons pas nous trouver pédagogiquement démunis le jour où le micro-ordinateur portable sera devenu, chez nous aussi, une composante ordinaire de l’équipement de nos étudiants.

  16. Je pense que les cours devraient être sous des formats mixtes, des formats en ligne, pour lecture, des formats in vivo pour questions/réponses, un suivi des élèves informatisé, permettant de savoir qui a consulté ou pas les formats en ligne, des relances pour leur dire de le faire, etc.

    Je pense que les outils actuels un prof/une classe ne sont plus adaptés aux besoins.

    Il faudrait gérer les cours comme des projets d’apprentissage, avec des check-liste ou quizz pour savoir où ils en sont, et des moments de réflexion en groupe.

    Bref, c’est tout le dispositif qu’il faut revoir.

    Quant à l’auto-formation, mais vous rêvez si vous pensez qu’on fait encore des formations en entreprise, j’ai toujours appris les logiciels, le jour où je devais les appliquer et les mettre en ligne. Et j’avoue que c’est la meilleure façon d’apprendre. Un peu comme dans le Moderniser sans exclure de Schwartz, on apprend par imprégnation, bain et feed-back.

    http://anthropia.blogg.org

  17. Bonjour,
    J’ai fait mon baccalauréat en histoire de l’art (équivalent de la licence française, je crois?) dans une université québécoise où l’accès wifi était disponible à la grandeur du campus. Nous étions une centaine d’étudiants dans les salles pour les cours obligatoires de la formation, tels qu’histoire de l’architecture, Renaissance et Baroque ou histoire de l’art québécois.
    Selon mon expérience, les étudiants et étudiantes utilisaient surtout Internet pour aller chercher des images qui complétaient les notes de cours et vérifiaient certaines informations en ligne avant de poser une question.
    Dans les cours où l’enseignant ne faisait que répéter de la matière archi-connue de la même façon qu’on la retrouve dans Universalis, le décrochage était important. Dans ces cours, jeux, courriels et autres distractions occupaient de nombreux écrans. Cette façon de faire soulève la question de l’utilité du professeur s’il est facilement remplaçable par un article d’encyclopédie.
    Dans les cours où l’enseignant exigeait des lectures obligatoires et présentait la matière afin d’amorcer une réflexion critique de sources variées, les ordinateurs avaient de la difficulté à suivre. Comment utiliser Google lorsque la matière qui nous est présentée ne s’y retrouve pas? Comment perdre 5 minutes à effectuer une recherche si le fil de discussion avance si rapidement qu’on prend du retard à procéder ainsi? Dans ce cas, mieux vaut mettre ses doigts au repos et ouvrir grand ses oreilles.
    Évidemment, cette façon de faire demande un investissement de la part de l’enseignant dans la diffusion de ses connaissances et une remise en question continuelle de son savoir. Selon mon expérience, seuls les professeurs pour qui l’enseignement n’est ni corvée, ni droit majestueux arrivaient à ce niveau de stimulation intellectuelle.

  18. Tant de chose importante et avec lesquelles je suis d’accord ont été dites précédemment je ne ferais qu’un commentaire sur mon expérience…Enseignant dans une matière ou l’écran et la connection sont depuis près de 10 ans présent nous avons expérimenté différents cas de figure. En ce moment nous sommes sur la régulation de l’attention, une sorte de « contrat » avec les étudiants ou le plan est clairement annoncé en début de cours. Je souligne mes temps de parole ce qui pourrais être assimilé à du cours magistral et les temps de recherches et/ou d’échange qui sont à la fois des respirations/assimilations.Il s’agit de rythmer la prise de parole tout en « valorisant  » le temps de présence. Les moments ou « nous sommes ensemble » sont rare et donc important, ils sont coupé des machines dans l’écoute seul. Faire un cours en binôme est aussi une expérience riche les professeurs en étant à l’écoute du cours et des élèves permettent dans une intervention à 2 voix d’assouplir le format. l’autre peut projeter , compléter , vérifier illustrer bref « manipuler » en lieu et place de l’étudiant. les supports sont à disposition en ligne ce qui permets de passer à une prise d’annotation plutôt qu’à une prise de note.
    Bref nos objectifs serait de conserver l’héritage de la nécessité à l’attention et à la réflexion profonde (résister aux sirène d’une modernité mal comprise) mais accompagner le formidable renouvellement de la façon d’interagir, de construire une pensée avec les autres aidé en cela par des outils de plus en plus performant.
    un multi- séquençage qui laisse libre à l’improvisation avec une charpente solide….

  19. Ping : Owni.fr
  20. Je me permets de signaler ce compte-rendu de recherche universitaire fait par le blog «Pédagogie universitaire – Enseigner et Apprendre en Enseignement Supérieur». Ce compte-rendu fait état de la recherche suivante: Bowman, L. L., Levine, L. E., Waite, B. M., & Gendron, M. (2010). Can students really multitask? An experimental study of instant messaging while reading. Computers & Education, 54(4), 927-931.
    Le titre du billet est Des étudiant-e-s « multi-tâches »?

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