Google profite de la méthode Hollande

Il n’ y aura pas de Lex Google. Telle est la principale conclusion à tirer de l’accord à l’amiable signé entré le moteur de recherche et l’Etat français, qui permet à chacune des parties de s’en tirer à bon compte. Pour la modeste somme de 60 millions d’euros (alors que les aides à la presse dépassent largement le milliard d’euros), Google achète la paix avec les éditeurs et le gouvernement du pays des fromages, et évite le danger d’expérimentations fiscales susceptibles de faire boule de neige.

Le gouvernement, dont les munitions légales étaient de petit calibre, peut bomber le torse et se targuer d’avoir fait plier le géant de Moutain View, tout en affichant son soutien aux industries de l’info. La montagne accouchant d’une souris semble bien la signature de la méthode Hollande.

Dommage que ce bakchich jette aux oubliettes le rapport Colin et Collin, qui explorait la piste de la monétisation de la collecte des données – une voie largement impraticable, dont le gouvernement est probablement soulagé de ne pas avoir à tester la robustesse, mais qui contenait un aveu de poids.

Dans leur diagnostic frappé au coin du bon sens de la réalité des pratiques fiscales des grandes entreprises, les inspecteurs des finances suggéraient en effet qu’un léger hiatus intellectuel avait présidé aux destinées de la mondialisation. Ayant tout fait pour fluidifier les échanges à l’échelle planétaire, ses acteurs ont simplement oublié un détail: la territorialisation de la fiscalité. C’est avec beaucoup d’ingénuité que nos experts décrivent ce léger défaut, qui explique pourquoi les pauvres sont les seuls à payer l’impôt, quand les riches et les grandes entreprises bénéficient des outils parfaitement légaux de l’optimisation fiscale, autre nom d’une évasion organisée par l’aveuglement complice des administrations.

Faute d’une harmonisation fiscale équivalente a celle qui prévaut en matière économique, conviennent en substance Colin et Collin, il n’y a pas d’autre moyen pour l’Etat de tirer ressource des profits réalisés que le bricolage. Puisque le seul paramètre territorialisable d’une entreprise en ligne sont ses usagers, taxons donc le travail des internautes, fut-il gratuit. L’accord passé avec Google permet de jeter un voile pudique sur cet expédient hasardeux. Mais il ne fera pas oublier que dans les conditions actuelles de la mondialisation et le refus de toute entrave à la libre concurrence, l’Etat vient d’avouer qu’il est désormais incapable d’exercer ses prérogatives les plus élémentaires.

5 réflexions au sujet de « Google profite de la méthode Hollande »

  1. L’éléphant et la souris traversent un pont de bois.
    Arrivée sur l’autre rive, la souris dit à l’éléphant :
    « On l’a bien fait trembler, le pont, hein ? »

  2. Bonjour André,

    Je ne crois pas que l’on puisse dire que Colin et Collin proposaient de taxer le travail des internautes. C’est un raccourci inexact, limite malveillant. Le pb n’est pas seulement la territorialité, toutes les multinationales sont dans ce cas, mais surtout la particularité documentaire de la production. On peut penser que les propositions sont peu réalistes, pas encore assez fouillées ou même dangereuses en justifiant la marchandisation des données personnelles, mais elles ont au moins la vertu de mettre le doigt sur de vraies questions.

    Mais d’accord sur le reste de ton propos.

  3. @JM Salaun: Raccourci si tu veux, je ne pense pas l’idée moins dangereuse formulée sous l’angle de la collecte. Le problème, c’est bien que la nature documentaire des activités en ligne rendait possible l’extension à l’ensemble du web des effets de ce canon à écraser les mouches. On ne le saura jamais, puisque ces propositions ne seront pas suivies d’effet (dans l’immédiat en tout cas), et que la publication du rapport a plutôt soulevé l’embarras que l’enthousiasme. Je maintiens que la territorialité apparaît comme le levier essentiel d’une réflexion qui, je suis d’accord avec toi, met le doigt sur la vraie question, c’est à dire sur ses limites, et manifeste au grand jour son impuissance. Face à la fluidité essentielle du réseau, la fiscalité apparaît comme un outil du moyen-âge, une pince monseigneur pour attraper de l’eau. C’est l’assez belle démonstration du rapport C&C, dont ses auteurs semblent pour une fois relativement conscients. On a envie de répliquer à ces doctes experts qu’il aurait été malin d’internationaliser aussi la collecte des ressources, au moment où l’on a ouvert les vannes de la mondialisation – et qu’il n’est pas trop tard pour entreprendre une révolution fiscale plus que jamais indispensable.

  4. « Ayant tout fait pour fluidifier les échanges à l’échelle planétaire, ses acteurs ont simplement oublié un détail: la territorialisation de la fiscalité. C’est avec beaucoup d’ingénuité que nos experts décrivent ce léger défaut, qui explique pourquoi les pauvres sont les seuls à payer l’impôt, quand les riches et les grandes entreprises bénéficient des outils parfaitement légaux de l’optimisation fiscale, autre nom d’une évasion organisée par l’aveuglement complice des administrations. »

    Et son illustration : http://bit.ly/WPS4Af

    En toute immoralité légale !

  5. Aux dernières nouvelles (source: @si http://www.arretsurimages.net/vite-dit.php#15115 ) la Fédération française des agences de presse, qui comprend l’AFP, menace d’intenter une action en justice contre l’accord: « Pour les agences de presse, l’accord signé le 1er février entre Google et les éditeurs de presse IPG sous le patronage des plus hautes autorités de l’Etat, est un écran de fumée qui ne règle en rien la question du partage de valeur sur le web. »

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