Le duel Alain Finkielkraut/Michel Serres (« Répliques » du 8 décembre) a suscité des réactions de sympathie dans mon cercle d’amis. Résistant à la paranoïa décliniste de l’animateur de France Culture, le vieux philosophe s’est tenu ferme au schéma des Anciens et des Modernes. Obligeant son hôte à endosser le costume du “grand-papa ronchon”, Serres n’a pas hésité à lui balancer in fine une bombe à fragmentation: tout le raffinement intellectuel de la nation la plus cultivée du monde n’a pas empêché l’Allemagne de sombrer dans la barbarie nazie…
Au delà d’un échange qui doit toute sa saveur au respect imposé de force au plus jeune par les titres du plus ancien, on peut préciser la réponse à la question initiale posée par Finkielkraut, en substance: pourquoi les jeunes n’aiment-ils plus les livres (mais les jeux vidéos et internet)?
Qu’est-ce qui donne envie d’un produit culturel? La qualité de l’œuvre n’est qu’un facteur secondaire. Comme on le voit très bien à partir des pratiques en ligne, le moteur principal du désir culturel est d’ordre social. C’est d’abord l’envie des autres (de ceux que nous aimons ou respectons) qui attire notre attention sur une œuvre. La consommation d’un produit culturel relève fondamentalement d’un partage d’expérience, qui comporte une forte composante d’identification. Pour être pleinement justifié, cet investissement attentionnel doit pouvoir ensuite faire l’objet d’une remise en commun par le biais de manifestations appropriatives (conversation, jugement, citation, réemploi, etc.). A la différence de la satisfaction des besoins élémentaires, la consommation culturelle n’a de sens que par sa socialisation.
Qu’en est-il du livre? Après le déclin des formes théâtrales, noyées par le divertissement petit-bourgeois, la métamorphose du feuilleton en œuvre d’art délivre le roman de sa mauvaise réputation et impose la littérature comme le produit culturel phare d’une époque, entre le dernier tiers du XIXe siècle et les années 1960, appuyé sur la rencontre de trois acteurs puissants: l’industrie du livre, la critique journalistique et l’école de la Troisième République.
Nul hasard à ce que l’ancien prof de français se souvienne avec nostalgie de l’autorité que lui conférait l’enseignement de la matière par excellence: les destinées de l’école et de la littérature doivent leur croisement à une convergence d’intérêts qui a fait un temps leur fortune, portée par l’appropriabilité économique et sociale du codex, vecteur rêvé d’une culture nationaliste unitaire et d’un idéal de promotion par le mérite.
La perte d’influence de la forme livre dans l’espace culturel n’est pas due, comme le pense le radiosophe, à la substitution technique de l’écran au codex ou de l’image au texte. Elle est causée principalement par l’affaiblissement de la prescription du livre, symptôme de son déclin économique au profit d’autres formes culturelles, mais aussi par la perte d’autorité des instances liées à la culture distinguée. Devenue le prescripteur quasi exclusif de la ressource littéraire, l’école est passée du statut d’allié à celui de pire ennemi de l’édition, l’entraînant avec elle dans le discrédit qui affecte les instruments ruinés de l’Etat-providence.
Si l’on comprend que la culture n’est pas un stock de connaissances inertes, mais une forme sociale qui repose sur l’appropriation, et que le plus important de ses critères est le jugement des pairs, on comprend aussi qu’il est difficile de tricher avec les dynamiques culturelles – d’imposer un contenu non désiré ou non partageable, ou de revendiquer une autorité non reconnue. Il est très difficile de rendre désirable une forme culturelle qui ne bénéficie pas du partage avec les pairs – et il est à peu près impossible de forcer le partage, dans un contexte où l’attention est déjà occupée par de nombreux autres objets désirables et partagés.
Dépourvu de l’attractivité que confère une large reconnaissance par les pairs, le livre pâtit de surcroît de son identification au monde éducatif. Les jeunes ont bien compris que la recommandation scolaire privilégie le livre parce qu’il est aussi un exercice, quand la consommation d’un film ou d’un jeu vidéo est au contraire écartée parce qu’elle relève du divertissement. Si l’école a du mal à faire aimer la littérature, c’est parce qu’elle est elle-même perçue comme un espace de contraintes plutôt que d’épanouissement.
Un prof qui regrette l’affaissement de son autorité tout en continuant à imposer le miroir d’une société disparue n’a pas compris grand chose à l’histoire de la culture depuis un demi-siècle. Dans cette évolution, le numérique n’est que la cerise sur le gâteau, qui a confirmé aux jeunes l’autonomie de pratiques de plus en plus impénétrables pour les maîtres. C’est parce que l’école a refusé depuis longtemps de s’adapter à la culture des nouveaux médias (à commencer par le disque et la télévision dès les années 1960) qu’elle a perdu progressivement le prestige et l’autorité qui fondent l’efficacité d’une prescription. Dans cette histoire, avant de devenir la victime du désintérêt des élèves, le livre est d’abord celle de l’inconséquence des maîtres.
30 réflexions au sujet de « Pourquoi les jeunes n'aiment plus les livres. La culture expliquée à Finkielkraut »
Si la première partie de votre raisonnement me semble sans faille (la consommation de biens culturels étant le produit d’un dispositif social de prescription/légitimation), la conclusion à laquelle vous aboutissez me laisse dubitatif. Taper sur «l’école» passéiste et dogmatique n’a non seulement rien de très nouveau (ni élégant ou courageux, c’est d’ailleurs la pierre angulaire de bon nombre de discours populistes), c’est surtout d’une pertinence discutable. Vous ignorez ce faisant tous les pédagogues qui, précisément depuis les années 1960, ont expérimenté et promu des modes d’enseignement accordant une large part aux médias de masse et à tout ce qui pouvait réduire la dichotomie socio-culturelle entre enseignants et « apprenants ». Au-delà de ces initiatives, que vous pouvez considérer comme expérimentales et marginales, les instructions officielles de ces dernières décennies n’ont cesse de préconiser toutes sortes d’ouvertures vers « la modernité », les « nouvelles technologies », le « multimédia », l' »interactivité » ou autres buzzwords à la mode suivant les époques, au point que les salles de classe devraient se transformer en un improbable défilé d’alibis modernistes au détriment de tout enseignement digne de ce nom. (Et bien souvent sans les moyens ni les compétences nécessaires, mais ce n’est même pas le fond du problème.)
À votre « c’est la faute à l’école » (en substance), il me semble pouvoir opposer (sans plus d’arguments que vous) un « c’est la faute de l’industrie » ; il suffit par exemple de voir l’évolution de la presse illustrée pour enfants à l’après-guerre, pour se rendre compte qu’avec l’arrivée d’une certaine culture de masse (le Journal de Mickey en est un exemple assez correct), les industriels cessent de faire le pari d’une alliance objective avec l’école et sa puissance de prescription (autrefois utilisée dans la presse illustrée « morale » ou « instructive ») pour au contraire miser sur une consommation-plaisir par opposition à la consommation-devoir. Cette démarche se traduira assez rapidement par une entreprise de ringardisation organisée de la culture savante, de discrédit de l’école et par ce qu’on pourrait décrire comme un « marketing de l’illégitimité » (les cultures populaires ont toujours fait l’objet de récupération par les élites, mais ici on _forge_ de toutes pièces une culture populaire par un processus de prescription industrielle/commerciale).
Que, comme toute forme de culture, les objets « illégitimes » ou « non-savants » de consommation culturelle doivent être réhabilités et admis y compris dans le saint-des-saints de la légitimation élististe/savante qu’est l’enseignement académique, je ne le conteste pas. Mais il me semble dangereux de le faire sans garder à l’esprit (critique) les contraintes de la production/diffusion de masse auxquelles sont soumis ces objets (contraintes qui les informent, voire parfois les suscitent entièrement). Ne pas passer par ce questionnement critique, reviendrait à valider (à légitimer) le dénigrement systématique de la culture savante par les acteurs industriels, et il me semble que c’est en partie ce que vous faites ici.
D’une façon plus générale, je crois que ce qui est à remettre profondément en cause est l’existence même de processus de légitimation, que ceux-ci soient académiques (au service de l’école, de la République, de la classe dominante traditionnelle) ou commerciaux (campagnes de marketing industriel, prescription médiatique par les laquais de la presse, récupération populiste/démagogue par une certaine classe dominante « inculte et fière de l’être »). Le fait même que les espaces de consommation culturelle (savants ou non) restent irréconciliablement fragmentés et distribuent chacun un certain type de produit, destiné à un cœur de cible spécifique, me semble malsain en soi. L’école y a sans nul doute contribué par le passé, mais elle me semble aujourd’hui le seul lieu où il soit possible d’y remédier.
Oui, c’est très très long tous les commentaires sur cette émission: de quoi déjà écrire un livre ce dimanche soir, quelle influence! En fait il y a une bonne analyse de Howard S. Becker sur le retard sur la société que prennent les écoles de toutes sortes dans son livre ‘Les Mondes de l’art’ si je me souviens bien. En tout cas je sors d’une expérience dure en fac où des philosophes et des lettreux me disent de lire Platon et je réponds Chantal Mouffe, on dit de lire Leroi-Gourhan et je réponds Markus Miessen. C’est sans fin et la nouvelle pédagogie n’est jamais advenue dans maintes universités françaises, que non, on nous tape toujours symboliquement avec des règles sur les doigts et on nous envoie au coin: j’y suis, je suis au coin et je lis CV en attendant de finir un recours, j’ai déjà gagné un premier round (récupération de deux UE et pas mal d’ECTS donc. Mardi je suis en cours à Paris avec une enseignante-chercheuse qui aussi un MA SPEAP http://blogs.sciences-po.fr/speap/presentation/ et on travaillera sur les quartiers sensibles. Ouf, ouf. Maintenant je dois: réécouter FKK et M. Serres et lire tous les commentaires sur Twitter, FB, CV, l’Urfist etc… oui, je vais le faire.
@villenave: « C’est la faute de l’industrie » – sans conteste, je ne dis pas autre chose! A condition de préciser que le Livre n’est pas moins une industrie que le disque, le cinéma ou la télévision (c’est bien en tant que produit de masse qu’il a été choisi par les « hussards noirs »), et que la logique de la transition n’est donc pas, comme le croit Finkie, le remplacement d’une technique (ancienne et donc légitime) par une autre (moderne et donc monstrueuse), mais bien le déplacement d’une économie du divertissement vers une autre, ce qui n’est pas la même chose (c’est en fonction d’une vision abusivement techno-centrée qu’on peut considérer le livre comme un support exclusivement vertueux, en dépit de toute rationalité et de toute observation concrète)…
Une fois qu’on a dit ça, on n’a toutefois caractérisé que la moitié du problème, et votre réaction montre à quel point on est aujourd’hui loin du compte. Pour aller vite, si l’école avait suivi le programme que vous évoquez, la conversation de Finkielkraut et de Serres n’aurait pas eu lieu… 😉 Je crois que ce que nous avons du mal à mesurer, c’est à quel point l’école de la Troisième République était en phase avec les technologies et les formes les plus modernes de la communication. Avec l’ADN du nationalisme, c’est un programme d’une efficacité redoutable qu’elle met en place (comme on pourra le vérifier en 1914…). L’école était alors le guide de la nation tout entière, son avant-garde, au diapason politique, technique et scientifique des savoirs les plus avancés.
Jusque dans les années 1960, l’école conserve un pouvoir de prescription capable de contrebalancer celui des industries culturelles. Cet atout considérable devient progressivement un handicap, dès lors que les maîtres ont cru leur autorité invincible, au lieu de comprendre qu’elle dépendait de leur capacité à interpréter le monde et à s’y adapter.
Faut-il vraiment tenter la comparaison avec l’école de la paupérisation de l’Etat, depuis que la révolution conservatrice a triomphé dans tout l’Occident? Nul professeur n’est responsable (bien au contraire) d’une ruine qui est d’abord celle du projet de l’Etat, qui a cessé depuis longtemps de placer dans l’éducation des masses le ressort de son action (je ne parle pas des rustines des politiciens du jour, tout aussi incapables que Finkielkraut de percevoir la logique d’une mécanique qu’ils contribuent à enrayer).
Il n’y a pas eu de « ringardisation organisée » de la culture savante: c’est elle-même qui s’est ringardisée en s’extrayant du monde moderne, par un aveuglement dont Finkielkraut nous donne malheureusement la recette, jusqu’à la caricature. Le marché a choisi de privilégier les médias électroniques. Mais c’est l’école qui a laissé s’effilocher son capital d’autorité. En matière culturelle, cette perte n’est pas moins lourde que la première cause, et l’une et l’autre sont bel et bien liées.
J’adhère totalement à votre propos sur la responsabilité des maîtres et ce ne sont pas les injonctions des hautes instances sur la nécessité d’utiliser les TICE qui changent quelque chose puisque nous en sommes toujours, le plus souvent à ramer sur d’antiques machines en nombre très limité dans la majorité des établissements.
La modernité nous arrive avec 20 ans de retard, ignorée parfois par les maîtres.
« Qu’en est-il du livre? Après le déclin des formes théâtrales, noyées par le divertissement petit-bourgeois, la métamorphose du feuilleton en œuvre d’art délivre le roman de sa mauvaise réputation et impose la littérature comme le produit culturel phare d’une époque, entre le dernier tiers du XIXe siècle et les années 1960, appuyé sur la rencontre de trois acteurs puissants: l’industrie du livre, la critique journalistique et l’école de la Troisième République. »
Très bon résumé de 100 années de l’histoire culturelle au bout desquelles le roman « littéraire », et avec lui la littérarité, conçue comme religion de l’écriture, se sont retirés sur les terres arides de la culture savante et élitaire des petites maisons d’édition et des cercles initiés …
Je ne crois pas que ce soit « la forme livre » qui subisse une crise, il y en a partout, et plus que jamais dans les chambres des ados… la littérature « jeunesse » est florissante et les livres scientifiques de vulgarisation sont légion, et ça n’empêche pas notre radiosophe de pleurer comme une Madeleine proustienne…
Je crois que Finkielkraut pleure sur les ruines d’une culture littéraire bien particulière qui est celle, assez précisément, du Lagarde et Michard, religion du verbe travaillé, mystique de l’auteur puis de l’inter-texte, fétichisme de la formule et de la lettre… une religion qui s’ouvre avec Flaubert (mais revendique un fond plus ancien) et sa sanctification de la prose narrative par son sacrifice mis en scène dans sa correspondance et qui s’achève en 1960 comme tu le remarques… avec le Nouveau Roman qui renonce à l’histoire, au mythe, au seul profit de l’écriture… et réduit considérablement son audience.
Mais des histoires, des mythes édifiants, les jeunes en consomment comme jamais, simplement les romans n’en produisent presque plus, si ce n’est dans la littérature jeunesse et parfois dans des romans « pour adultes »… et ceux de l’école leur sont rendus opaques par le fait qu’ils viennent d’une époque où les paysages se fabriquaient avec des mots et où le temps durait plus longtemps… Il faut voir comment les jeunes peuvent aimer les intrigues des grands romans patrimoniaux du type Le Rouge et le noir, Madame Bovary, Germinal… sans pour cela en apprécier la lecture intégrale car ce sont surtout les descriptions qu’ils ne supportent plus… elles sont faites pour une réception qui n’a pas facilement accès aux paysages évoqués et qui dispose d’un temps de lecture beaucoup plus long, elles sont mêmes l’enjeu premier des romans réalistes qui ont établi le genre romanesque comme forme même du livre industriel … cette façon là d’être dans le roman ne trouve plus d’écho dans l’imaginaire de nombreux jeunes, la réception de ces romans est en pleine mutation et il est facile de constater que le « produit » ne correspond plus à la demande, cependant les élèves raffolent de récits … et les séries télé, les DVD, les films, les mangas, les romans graphiques, les jeux, vidéos ou de rôles, avec leurs héros, voire le Star system… et la vie en ligne sur les réseaux sociaux, produisent une nouvelle offre de récits qui font fonction de « miroir que l’on promène… » , de mythes de référence… et la qualité de ces récits n’a rien à envier aux intrigues romanesques du XIX ème siècle.
On a identifié le livre au roman parce que c’est certainement le genre qui a le mieux soutenu cette industrie, à deux étages, avec une littérature « littéraire » axée sur l’écriture et une littérature populaire axée sur le récit… Tant que les grands romans combinaient les deux, le livre dominait la scène culturelle, aujourd’hui, l’impasse dans laquelle la religion de l’Art et de l’écriture a entraîné le genre phare de l’industrie du livre, scelle le divorce entre l’idée de « livre » (entendu comme roman) et le public jeune qui se replie sur d’autres formes d’histoires, y compris lorsqu’elles sont racontées dans des livres mais qui ne sont pas les mêmes « livres » que ceux dont on parle à l’école.
La longue plainte de Finkielkraut n’est pas nouvelle, elle date de la mort du roman et de l’auteur, dans les années soixante et prend aujourd’hui Internet comme coupable, comme elle avait pris la télé dans les années 70 -80… Il serait d’ailleurs intéressant d’étudier de près le rôle des émissions de télé « littéraire » comme Apostrophe, qui ont incidemment fait ressortir la dimension industrielle et commerciale de l’Eglise littéraire, permettant la naissance à lui-même du radiosophe, et lui faisant perdre de son crédit en réduisant la littérature aux qualités télégéniques des auteurs… car c’est quand même un comble que celui qui vient pleurer sur les ruines de l’ancien monde, sur France Culture, soit justement un de ces nouveaux philosophes dont la qualité essentielle n’est pas la pensée mais l’éloquence médiacompatible…
La machine à produire des héros et des mythes s’est séparée de l’Eglise de la religion de l’Art qui lui a donné pendant 100 ans une autorité sublime… son côté religieux est désormais confidentiel ou presque, et son côté industriel a choisi d’autres supports plus aptes à correspondre à la réception actuelle des histoires édifiantes…
Finkielkraut ne fait que pleurer sur les ruines de l’Eglise littéraire que l’école incarne en théorie mais quitte progressivemet en pratique, au fil du renouvellement des générations d’enseignants qui partagent ou connaissent de plus en plus la culture de leurs élèves, et peuvent faire des liens entre les différentes cultures… mais pour quoi ?
Mais les élèves eux, aiment toujours les histoires intéressantes, et qu’elles soient écrites par Flaubert ou par Marc Lévy, qu’elle soient en images ou non, sur un Ipad ou un codex… ce n’est pas très important… pour eux… La distinction a tout simplement disparu avec l’édifice illusoire de la religion de l’art, reste un ecclectisme général où chacun compose son menu…
Alors, il est très difficile de faire exister le littéraire à leurs yeux… un goût devenu rare et ineffable ou inaudible… Peut-être est-ce justement ce qu’il faudrait refonder… avec un amour plus grand des histoires… je suis sûr qu’une certaine narratologie, prenant pour objet des supports très variés, bien conçue pour faire ressortir les enjeux des récits, leurs parentés, leur généalogie… et sans trop jargonner, serait plus intéressante et utile pour les élèves qu’un enseignement basé uniquement sur l’analyse de l’écriture, la stylistique (des concours) et la rhétorique… Il faudrait pour ça séparer la langue (grammaire…) de la « littérature » (ou plutôt de l’étude des récits…) faire exploser les frontières du royaume des disciplines et sortir le littéraire d’un culte fossilisé… pour le ressuciter…
@André: Je rejoins votre propos sur la plupart des points, et notamment sur votre remarque très pertinente quant à la ruine de l’État (en terme de finances, d’autorité et même, ajouterais-je, de légitimité). Cependant je ne suis pas certain que l’école, eût-elle été d’une qualité et d’une ouverture d’esprit irréprochables (et dotée des moyens adéquats, cela va sans dire) aurait de toute façon pu faire le poids face à la démupltiplication du matraquage industriel « de divertissement » (qui plus est amplifié par des facteurs sociologiques tels que la montée du chômage, la désagrégation de certains cadres familiaux, paroissiaux, socio-éducatifs en tous genres, qui étaient autants de facteurs de lien social mais également des prescripteurs culturels).
Dans ce cadre, la transmission de savoirs légitimés et de patrimoines culturels dits « savants », me semble de toute façon sévèrement compromise — en tout cas dans les milieux où elle ne peut reposer que sur l’école. En tout cas cette problématique, qu’on la présente d’une façon ou d’une autre, est évidemment distincte de celle des supports (écrits, audiovisuels, dématérialisés ou non), qui n’est guère qu’un appeau à crypto-réactionnaires façon Finkie, ou à spéculateurs industriels comme le montre le tout nouveau marché du « ebook », qui en fait saliver plus d’un. (Le marché scolaire devenant une proie particulièrement juteuse à ce titre.)
Pour ce qui est de l’école je trouve qu’il serait utile d’envisager les choses de la manière suivante: il y a (1) beaucoup de choses qu’on apprend en dehors de l’école (manger, marcher, parler, téléphoner, prendre des photos, faire du vélo et conduire une voiture), (2) d’autres qu’on n’apprend qu’à l’école (lire au sens de déchiffrer des textes, écrire avec un stylo sur une feuille de papier, faire les quatre opérations et quelques autres calculs simples, des notions d’histoire et de géographie.) Il reste deux catégories plus floues: celles qu’on perfectionne à l’école (parler autrement qu’en langage familier, quelques règles relative à la nutrition) et (4) celles qu’on peut commencer à l’école mais qu’il faut approfondir en dehors d’elle si on veut qu’elles soient utiles (dessiner, pratiquer une langue étrangère.)
Les exemples donnés ci-dessus sont choisis plutôt au hasard mais ce qui compte c’est l’idée suivante: si on créait de nos jour l’école pour tous à partir de pas grand chose, comme ça a été le cas au XIXe siècle (en étant prêt à faire éventuellement des dépenses aussi inhabituelles que celles faites à cette époque) ce qu’on choisisse quoi enseigner (il faut se fixer des limites) et la manière de le faire (là aussi tout n’est pas possible) le choix ne serait-il pas très différent de celui qui a été fait du temps de Jules Fery?
Pour prendre un premier exemple le seul lieu où on se sert encore d’un stylo plutôt que d’un clavier pour écrire c’est dans les écoles, et utiliser un clavier et un ordinateur change pas mal de choses puisqu’il est fort utile de savoir trouver les touches du bout des doigts et de regarder ce qu’on écrit à l’écran où l’ordinateur est tout à fait capable de souligner en rouge les groupes de lettres qui n’existent pas (mais tout à fait incapable de choisir entre « aimé » et « aimer ».)
Mon second et dernier exemple portera sur l’apprentissage des langues étrangères: il vaudrait beaucoup mieux fixer comme but à l’école de n’apprendre que les premiers rudiments et d’y montrer comment Internet peut servir à apprendre le reste (en lisant des choses qu’on a envie de lire avec la possibilité de cliquer sur les mots inconnus mais aussi en participant à des discussions écrites ou orales, des jeux, en regardant des films, etc.) D’après les expériences que j’ai eu l’occasion de faire le risque de voir le bilinguisme français/anglais se répandre en serait fortement accru: il n’est pas sur que ce serait accepté par les générations précédentes et on retrouve le sujet du billet de A.G. en se demandant si l’école est prête à montrer aux enfants comment trouver sur Internet des choses à lire qui les intéressent tout en courant les risques que cette liberté de choix entraîne…
@Olivier: Tu as tout à fait raison: l’un des grands problèmes du roman est d’avoir perdu sa place de porteur de mythes, que l’on va désormais plutôt chercher au cinéma (cette évolution peut du reste s’analyser également sur un mode sociologique: le primat de la recherche formaliste tend à réserver les pratiques expressives aux catégories privilégiées, dont l’expérience n’est généralement pas représentative de la perception commune).
Ce déplacement de la ressource culturelle n’a pu être accompagné par l’école pour une raison simple: alors que la lecture d’un livre se justifie par la mobilisation de compétences jugées utiles (lexique, grammaire, style…), le visionnage d’un film, qui pourrait faire l’objet d’une approche formelle similaire (plans, montage, style…) est assimilée à un divertissement. Le roman est bien sûr aussi un divertissement, mais le primat de l’apprentissage de la langue lui confère le caractère d’un exercice. Pour considérer l’image de la même façon, il aurait fallu intégrer à la formation des maîtres tout l’effort critique de la cinéphilie, qui apparaît malheureusement bien trop tard pour être associé au canon.
Moi je ne ferai encore que recommander cet article pas piqué des vers sur ce qu’est un ‘bon’ ou un ‘mauvais’ lecteur en bibliothèque:
Pérez P., Soldini F. et Vitale Ph., « Non publics et légitimité des pratiques : l’exemple des bibliothèques publiques », in Ancel P. et Pessin A. (dir.), Les non publics. Les arts en réception, tome 2, Paris, L’Harmattan, 2004.
@ GL oui, pour les LV, je trouve votre approche un peu simpliste. En Suisse, les LV sont traditionnellement beaucoup plus développées qu’en France. En reprenant des études à l’uni française, je suis sidérée du peu de soin donné à ces apprentissages. En Master arts, les options langues n’étant plus obligatoires, nous étions deux inscrits en langue de spécialité, le cours a fermé. Et dans notre parcours pas une biblio contenant un livre en langue étrangère, de quoi ne pas entretenir les acquis du lycée.
Dans une autre fac où je voulais un transfert, les biblio regorgent de bouquins en anglais sur les Cultural Studies par ex. Je me suis dit ‘super, je vais pouvoir avancer, ils sont sûrement très ouverts’. Mais j’ai déchanté, je ne sais pas ce qu’ils ont intégrés de l’Ecole de Birmingham ou de Stuart Hall, j’ai trouvé même risible: sur mon refus d’inscription il est marqué: les cours de gestion que vous avez pris n’ont en rien un rapport avec l’art….
Le seul problème est que grâce aux cours de gestion pris précédemment j’ai levé des fonds à partager sur un projet pour l’art et l’espace public en banlieue, et je ne développerai pas.
Donc ces livres de ‘Cultural Studies’ en anglais, je me demande comment ils sont lu, hors contexte. Comme j’ai pris des cours à l’Open Univessity sur les identités européennes, par ex. et pour compenser la perte des options en anglais, je me pose des questions sur tout cela bien sûr.
J’ai vu que mes profs étaient assez dérangés par mon attitude proactive. C’est un comble quand on nous répète à l’envi sur les sites de dpts concernés que Erasmus et l’ouverture au monde, etc etc etc (et jusqu’à la nausée), j’arrête là, je m’inscris à l’Open University en cours d’allemand car j’ai un éventuel projet en tête à Zürich et j’attends les résultats de recours dans l’Université française, oui, la gestion a un rapport avec les arts… déjà je peux comprendre comment on pose un label ISO sur un service de VAE: tout un programme, même si on perd les dossiers, on ne perd pas le label. … C’est à pleurer parfois. 🙂
@Aude de Bondy: en France l’apprentissage des langues c’est d’abord l’anglais et un peu l’allemand. L’idée qu’une majorité de jeunes français (ils suivent pratiquement tous des cours de langues) deviennent bilingues est insupportable pour les générations précèdentes. La forme actuelle de l’enseignement de l’anglais où seule une partie de l’élite est bilingue est beaucoup moins dérangeante.
C’est probablement un cas tout à fait extrême à cause du rôle fondamental de la langue mais par exemple le fait que les étudiants américains puisse s’inscrire depuis un demi-siècle à des cours de photographie et pas les français me semble découler du mépris des universitaires français pour l’image.
Le billet ci-dessus a eu l’honneur d’être commenté par Loys Bonod, professeur de français et célébrité médiatique pour avoir saboté volontairement Wikipedia.
On est un peu déçu de constater que la méthode tant vantée par le parangon du commentaire de texte se borne à un découpage en rondelles, assorti du pointage des néologismes (toujours un mauvais signe…) et de sarcasmes un peu plats. Bonod ne reconnaît évidemment pas son Lagarde et Michard dans mes « raccourcis » et appelle à la rescousse les certitudes rassurantes de l’histoire littéraire pour ridiculiser des propositions qu’il ne comprend pas (comment! appeler un Livre un « produit culturel », quelle honte! on se croirait à la FNAC…).
Il ne viendrait pas à l’esprit du professeur qu’un historien de la culture puisse employer une telle expression au terme d’une réflexion approfondie… Eh oui, le livre est un produit culturel! Voilà une affirmation qu’il est plus facile de railler que de contredire – et dont la négation même est l’illustration parfaite du principe de Distinction décrit par Bourdieu (pour valoriser un objet culturel, il faut commencer par prétendre l’extraire des contingences communes). Y réfléchir deux secondes risquerait de faire naître une interrogation sur la mythologie littéraire… L’ignorance, le conformisme et le préjugé restent donc les principaux instruments du commentaire de texte à la Bonod. Je le remercierais presque pour son concours édifiant à ma démonstration – n’était l’amertume que j’éprouve à l’idée de voir ces tristes méthodes inculquées à des lycéens…
@GL Sur quoi vous basez-vous pour affirmer « L’idée qu’une majorité de jeunes français (ils suivent pratiquement tous des cours de langues) deviennent bilingues est insupportable pour les générations précèdentes. » ?
J’ai au contraire le sentiment que la déploration de l’absence de maîtrise d’au moins une langue étrangère par les français de tous ages est une constante.
Bonjours à tous,
Merci pour cet article,
Je suis mille fois d’accord avec le livre produit culturel,
Par contre je ne taperais pas trop fort sur l’enseignement classique, les profs font ce qu’ils peuvent et ce n’est pas simple.
Pour le monde du livre, je suis persuadé que les problèmes ne viennent pas des jeunes qui … mais du monde du livre qui pendant quelques siècles nous a fait la bonne grâce d’accepter de nous vendre des livres (je suis Editeur pour ceux que cela trouble), recette qui a bien fonctionné, et qui ne fonctionne plus du tout et ce monde du livre ne comprend plus ce qui se passe, et bien sûr accuse l’environnement.
Le monde des photographes fonctionne de la même façon, si on ne s’intéresse plus à l’image photographique cela ne peut venir que d’un changement de société et non des photographes eux-mêmes.
Tous ces fabriquants de matière culturelle en sont au même stade que le sérial killer des romans policier, qui rejette ses tueries sur un dysfonctionnement de la société, sans imaginer un instant que c’est lui qui tient le couteau.
Les jeunes que je croise, aiment tout, tout ce qui les fait bouger, avec curiosité et gourmandise. Les produits culturels ont souvent su s’adapter, la musique, le cinema, même si l’adaptation coûte cher, les prix réels étant divisé par 10 ou 100, par contre le livre est quasiment au même prix depuis 60 ans et c’est bizarre les jeunes n’en n’achètent pas beaucoup.
A+
@Thierry Dehesdin
On peut très bien déplorer avec beaucoup de sincérité qu’il n’y ait pas plus de Français qui puissent utiliser l’anglais dans les relations commerciales avec les pays étrangers, se lamenter à propos de la publication de la plupart des recherches dans des revues en langue anglaise, être réellement agacé par l’influence de la langue anglaise sur le français tel qu’on le parle et être scandalisé que des réunions d’entreprise où une majorité de Français sont présents se fassent en anglais…
Il y a un choix à faire et si ce choix est évident au niveau individuel (pour soi, pour ses enfants) il devient beaucoup plus problématique quand on envisage ses effets collectifs à long terme.
Les choix concernant les programmes scolaires et la pédagogie associée sont des paris plus où moins hasardeux, ceux qui ont été faits dans le passé nous ont façonnés, nous n’avons pas toujours le courage de les remettre en question et nous n’avons pas tous la même opinion sur ce que devrait être le futur… (Finkielkraut serait beaucoup plus sympathique s’il disait clairement qu’il souhaite que la lecture des classiques ait une place prépondérante au lieu de dénigrer ce qu’il connait mal tout en se comportant à la manière d’un combattant d’arrière-garde.)
@AG En art on a ce problème non du livre classique mais de l’objet fétiche commercialisable via le ‘White Cube’ et préféré des profs qui peuvent d’un coup d’oeil l’englober. Ils développent (avec application) une méfiance pour le projet contextuel, les flux, les réseaux, les relations… que l’on englobe pas d’un coup d’oeil mais qu’on développe petit à petit dans la recherche et l’expérience: j’ai donc reçu des évaluations presque drôles d’universitaires patentés.
Comme en littérature où on maîtrise mieux les thèmes classique du Lagarde et Michard, oui, j’ai quelques souvenirs d’un prof de français fou de voitures sportives à s’en faire éclater le foie par accident, qui devait nous sussurer les bases des topiques freudiennes ou autre, oui, Nerval, ah oui…. Je regardais par la fenêtre en pensant… « quoi, se faire éclater le foie, c’est trop bête… », et il hurlait contre moi qui rêvais un peu… je me souviens bien… et je me disais: « bon y a pas de morts pourquoi y hurle tant ? » (une histoire de topique sans doute)… etc. De quoi se dégoûter de la littérature pour ne pas ressembler à ces profs. Mais je m’y suis remise plus tard.
@GL oui mais j’ai fait des cours de photos gratuits ou presque dans les ateliers ouverts des écoles d’art en France qui doit bien avoir quelques vertus en politique culturelle peut-être encore.
En Suisse, il y a peu, il fallait se lever tôt pour trouver ce genre de truc. On trouvait bien quelques cours de nu académique à suer dans un silence morne… en France j’ai entendu souvent des directeurs se vanter de ces ateliers ouverts et du souci pour notre société. Par contre, en fac pas… nous serions ‘mieux’ que les écoles d’art … la nausée me vient: tous ces gens mieux qui prétendent être contre le capitalisme. Oui, la concurrence à outrance, le mieux, le plus, le fabuleux, l’obscur, le sublime et l’élitisme, etc. ça pas à voir avec ça…?
Surtout ne pas poser la question, des fois que je serais marxiste comme un prof me demandait car je disait qu’il y avait plus de minorités visibles en dehors que dans la fac… la faute à l’anglais et aux ‘Cultural Studies’ ma remarque, il voyait rouge déjà, m’enfin… ! Juste un peu de réalisme.
« cours de photos gratuits ou presque dans les ateliers ouverts des écoles d’art en France »
Avantage: ces ateliers n’ont pas à suivre un programme unique, le même partout 🙂
Inconvénients : peu d’étudiants ajoutent « un peu de photo » à leur cursus.
Quand ces étudiants ont ensuite besoin de la photo dans leurs activités ils se débrouillent (il me semble que c’est plus difficile pour la vidéo) et c’est peut-être, comme l’explique Michel Serre, surtout l’Université qui y perd! Sauf que les photographes professionnels souffrent beaucoup en ce moment et que c’est un peu parce que le coté non technique de leurs compétences n’est ni reconnu ni même perçu, en partie aussi parce qu’eux-mêmes manquent de recul (la connaissance de l’histoire de la photo leur aurait au minimum appris qu’il est habituel que des bouleversements techniques secouent cette profession!)
Je m’intéresse à la photo panoramique (y compris les photos sphériques obtenues par assemblage de photos prises dans toutes les directions.) En exagérant à peine on peut dire que ça ne concerne qu’une petite secte de photographes et que ça n’existe que sur et grâce à Internet (disons qu’à la FNAC personne n’est au courant.) Jusqu’ici je trouvais le fait d’arriver à exister en marge du reste de la photo plutôt sympa mais on finit par tourner assez fortement en rond (la technique tend à éliminer le reste.) En même temps ceux qui pourraient (peut-être) en tirer partie pour autre chose que la pub des hôtels 5 étoiles (« visites virtuelles ») ne sont pas au courant.
Bon, là encore, surprise: les chercheurs états-uniens s’y intéressent depuis longtemps, au mêmes titre qu’il le font pour d’autres questions techniques mal résolues concernant les images numériques.
merci pour ce billet
lire et relire souvent celui-ci – le diffuser – le perfuser – l’infuser
http://culturevisuelle.org/detresse/archives/1206
éditez-le version papier pour les non-lecteurs (d’écran)
Culture Visuelle me semble être le pari de la pollinisation (fertile)
contre celui la polémique (stérile)
force et vigueur
@GL mais non … ce sont des cours ouverts pour adultes naïfs, les amateurs, les intéressés, ou les pré-étudiants, quoi pour diffuser quelque chose d’autre de la culture de l’image que celle des cours du soir donnés dans les boîtes de pub et très chers par des obsédés de la technique et du rendu. Et qui offrent des voyages découvertes pour aller photographier ‘la Thaïlande à Noël à un prix imbattable ». Ah la la.
Merci pour ce texte.
AF a tout tenté pour contredire son invité. cf « Le brouhaha écoeurant des échanges formatés et stériles » entre adolescents qui s’enferment dans leur chambre et « se vautrent sur leur canapé »
Le livre, les jouets, les ados, l’école …
Ces catégories tranchées ne sont-elles pas des pièges tendus par des médias qui estiment leurs lecteurs/auditeurs incapables de faire des nuances ?
Chaque été, Le Monde trouve le moyen de cogner contre le numérique. Le Monde des livres s’est lamenté sur les ados. Le Monde 09.12.2012 a titré : « A Noël, les enfants délaissent les jouets. Dès 9 ans, ils se tournent vers la high-tech. Les professionnels s’inquiètent d’un recul des ventes ».
Depuis une génération, l’Ecole a beaucoup évolué, la vision de Michel Serres en témoigne. Elle vient de subir un quinquennat particulièrement ravageur, où de fausses solutions ont engendré beaucoup d’autres problèmes. Et les conceptions du métier sont devenues très antagonistes, entre apôtres d’Ivan Illich (la société sans école) et nostalgiques d’une école fermée sur le monde.
Il y aurait aussi à écrire sur l’edutainment : pour un journaliste, toute pédagogique devrait être « ludique » … sans doute comme toute émission de la TNT ??
« Pourquoi ne nous lisons plus (de livres) comme avant » .
Où peut-on lire ce type de lamentation ? Pas dans un livre de 350 pages, mais dans des articles de deux pages publiées par un magazine (Philosophie). Impossible d’éviter la mention de Nicholas Carr et de la stupidité soi-disant engendrée par Internet.
L’évolution de l’attention ? Ne tient-elle pas davantage du format imposé par les publicitaires ? Dans un JT, un reportage de 90 secondes est déjà considéré comme long !!! Alors un cours de 50 minutes …
Un dernier mot : les discours déclinistes ont proliféré à la veille de la présidentielle de 2007. Ils servaient à préparer la casse qui a suivi. Il en reste encore des traces (cf Répliques du 10.11.2012 – Villages de France).
@Daniel L: Merci pour ces références et éléments de réflexion complémentaires! Le caractère réjouissant de cet échange tenait au fait que pour une fois, on voyait un membre de l’establishment médiatico-littéraire tenir tête à l’imprécateur désolant de France Culture en défendant des positions progressistes… Mais même si sa culture scientifique et technique a permis à Serres de mieux comprendre les outils numériques, son approche n’en reste pas moins superficielle et ses arguments sommaires. En réalité, se réjouir de ce match est un signe inquiétant sur l’état général du débat français, dont on se rend bien compte qu’il reste structuré par une technophobie lancinante, et qu’il ne comporte à peu près aucun interlocuteur de qualité à la notoriété suffisante pour le mener efficacement (Stiegler, dont la compréhension est un peu plus développée que celle de Serres, est encore loin du compte par rapport aux principaux acteurs américains ou aux spécialistes français comme Dominique Cardon, et sa notoriété n’est déjà pas assez forte…).
A l’époque où les idées ne se propageaient rapidement que par les livres elles restaient plus facilement sous le contrôle de ceux qui s’en préoccupaient et dont le rôle était pour une bonne part de veiller au maintient des traditions.
En suite il y a eu les journaux, puis la radio, puis le cinéma, puis la télé, puis Internet.
La nostalgie de Finkielkraut pour cette époque me semble évidente. Ça ne me suffit pas pour conclure que les inquiétudes qu’il exprime sont sans fondement mais tout se passe comme si il s’en trouvait empêché d’observer les choses avec assez la sérénité nécessaire. Les deux conceptions de l’enseignement qui s’opposent dans l’émission ne sont nouvelles ni l’une ni l’autre…
@ G L: Le découpage que vous proposez reste techno-centré (livre, journaux, radio, cinéma, télé, internet). C’est aussi le point de vue de nos deux débatteurs, l’un pour le regretter, l’autre pour s’en féliciter. Je ne partage pas cette façon de voir. Le « livre », ça ne veut rien dire, c’est une catégorie factice.
Aujourd’hui, les livres que l’on conseille de lire aux enfants à l’école sont issus d’un micro-canon composé de romans, de nouvelles ou de récits à caractère autobiographique de la période de la seconde guerre mondiale. Si on en croit Loys Bonod, il s’agirait là d’un état stable des humanités depuis l’Antiquité. Rien n’est plus faux. Au début du XIXe siècle, les romans sont un genre destiné aux femmes oisives et font l’objet d’une réprobation morale, qui fait le fil rouge d’un roman comme Madame Bovary (1857). Les hommes lisent les auteurs latins, les historiens ou les savants. La perception du roman comme œuvre d’art est le résultat d’un processus critique complexe qui s’intensifie à la fin du XIXe siècle, au moment de la conception des programmes de l’école de la IIIe République (lire notamment: Jean-Yves Mollier, La lecture et ses publics à l’époque contemporaine, PUF, 2001; Anne-Marie Thiesse, Le Roman du quotidien, Seuil, 2000; Françoise Mayeur, Histoire de l’enseignement et de l’éducation 3, Perrin, 1981).
Les innovations technologiques ne doivent être considérés que comme des points de repères. Ce qui compte vraiment en matière culturelle, ce sont les usages. Les usages de la forme imprimée (Madame Bovary est publiée en feuilleton, ce n’est pas vraiment un « livre ») sont beaucoup plus divers que l’image figée qu’en donne Finkielkraut ou Serres, pour l’opposer de manière mécaniste aux usages numériques. Mais on lit aussi les romans sur écran ou sur tablettes, après les avoir lu au format livre de poche depuis les années 1960, ce qui était une sacrée révolution de la lecture. Lire François Bon permettra d’avoir une vision moins caricaturale de ces processus complexes, à chaque fois pris dans les mutations de l’économie et de la culture…
Du côté des enseignants, l’ouverture sur l’histoire culturelle et les avancées intellectuelles passe aussi beaucoup par ce type d’émissions et la visibilité (bien souvent essentiellement médiatique) de certaines idées et raisonnements. Et l’audience de certains « intellectuels » (A. F.) ou « enseignants » qui s’autoproclament représentants de professions (telle que Mara Goyet pour les enseignants du secondaire), là encore pour alimenter une posture essentiellement médiatique, contribue à alimenter cet immobilisme intellectuel.
Les autorités intellectuelles en place qui s’offusquent du changement de paradigme culturel restent les stars de la réflexion sur notre monde culturel. Et celles que l’on entend le plus, y compris dans le monde enseignant.
D’autant qu’en principe, le temps de travail face aux élèves des enseignants du secondaire est pensé pour leur laisser le temps de continuer de se nourrir et de se renouveler (et ce, toutes disciplines confondues, pas seulement pour la culture mais aussi en sciences, sport etc.). Or, cette part du travail est systématiquement malmenée et méprisée quand elle n’est pas carrément empêchée (révision à la hausse du temps de présence dans les établissements par les différents ministères, railleries médiatiques sur le temps de travail apparemment mince des enseignants, difficulté à l’accès à la formation continue ou autre mode de formation (universitaire par ex.) etc.). Tous les enseignants revendiquent pourtant ce besoin de pouvoir poursuivre leur propre éducation pour pouvoir continuer de transmettre sans répétition stérile et s’ouvrir à d’autres chemins que les grandes autoroutes de l’information.
Il y a tout cela dans le décalage – le gouffre ou la béance – entre les jeunes et l’école.
Je rejoins, par ailleurs, O. Beuvelet quand il pointe l’état des salles informatiques des établissements.
@André Gunthert
Deux exemples qui sont l’un et l’autre des cas très particuliers mais qui me semblent illustrer – jusqu’à la caricature peut-être – les « chocs technologiques » auxquels les enseignants peuvent être exposés.
– TP « Internet » à l’université à la fin du siècle précédent. Première séance: le prof explique comment écrire une url, quels en sont les composantes, etc. Une ou deux séances plus tard, sur la moitié des écrans au moins il y avait des « femmes à poil ». Je suis inconsolable de ne pas avoir pensé à faire une photo mais je peux vous assurer que vue du fond de la salle la scène est inoubliable! Ce cours était bien sur le contraire d’un échec puisqu’à l’époque les étudiants ne pouvaient accéder à Internet qu’à partir du campus et ceci seulement à l’aide d’un matériel beaucoup plus coûteux que maintenant.
– Formation d’adultes à l’AFPA. Domaine: systèmes informatiques, réseaux, serveurs, il y a un an ou deux. Là aussi chaque étudiant a (forcément, vu le sujet) un ordinateur relié à Internet devant lui. Les étudiants sont pour une bonne part d’entre eux des autodidactes sans diplômes. Sur chaque sujet abordé en cours il y a quelques uns d’entre eux qui « en connaissent beaucoup plus que le prof » (situation habituelle lors de formation d’adultes) et ont tendance à réagir fortement aux raccourcis approximatifs et aux inévitables erreurs du prof. C’est d’autant plus difficile à vivre pour le prof que des étudiants sont habitués (ou apprennent vite) à trouver toute information disponible sur les sujets abordés. Si le prof pose une question il faut quelques secondes pour la répercuter sur un forum où d’autres « collègues » vont très rapidement fournir des réponses. Seuls les profs qui acceptent une telle situation peuvent faire face. Tout le monde profite du savoir accessible, dans ce cas très particulier il n’est d’ailleurs souvent disponible nulle part ailleurs qu’en ligne (ce qui suffirait à expliquer que les envahissants rayons « informatique » des librairies sont en train de se réduire à un tout petit nombre d’étagères.) Pour ceux des profs qui s’accrochent au cour magistral dans un tel contexte la situation est invivable.
A part ça des images, des témoignages directs, des statistiques, des données expérimentales, des outils de calcul ou de simulation, des bibliothèques et des bases de connaissances deviennent disponibles: est-ce négligeable?
pour faire un peu plus simple et court: (donc ainsi éviter une lecture fleuve)
le livre « x » de « untel » faisant 800 pages , (avec le boulot ou l’université), prendrait peut-être de 3 jours à une semaine de lecture.
Alors que le film tiré du livre dure 1h30. A choisir, on prendra le film.
Vérifiez de même (ex. sur Youtube) pour les documentaires vidéos ou commentés qui seront plus visionnés et préférés que lus au format papier, numérisé ou même en vidéo déroulante.
ainsi, derrière ça on y voit le paramètre « temps »
Si le critère de durée de consommation était prépondérant, les séries télévisées ou les jeux vidéos (MMO, MMORPG, FPS…) n’auraient aucun succès. C’est donc un peu plus compliqué que ça! 😉
J’ai moi aussi entendu l’émission de France Culture et je partage votre délectation. Je souhaiterais apporter ma contribution sur un point que vous soulevez :
« Le découpage que vous proposez reste techno-centré (livre, journaux, radio, cinéma, télé, internet). […] Ce qui compte vraiment en matière culturelle, ce sont les usages »
J’adhère totalement à vos propos. Cependant, les usages changent avec l’évolution des supports.
« Les usages de la forme imprimée (Madame Bovary est publiée en feuilleton, ce n’est pas vraiment un “livre”) sont beaucoup plus divers »
Dans un billet passé, je partais justement des feuilletons du XIXe pour les comparer avec un blog, le « Dictionnaire [du diable] des bibliothèques » { http://dictionnairedudiabledesbibliotheques.wordpress.com/ }, qui paraissait lui aussi sous forme de feuilleton.
« le dictionnaire du diable paraît sous forme de feuilleton dans un blog dédié. Il est vrai que les feuilletons ne datent pas du Web ; pensons à Alexandre Dumas et à Eugène Sue […]. Mais le fait qu’il paraisse dans un blog permet les commentaires immédiats des lecteurs, tant sur le fond (« J’aimerais bien une définition de l’ABES »…), que sur la forme : mais il est où, le tweet? Y-a-t-il un RSS quelque part? Cela va bien plus loin que le courrier des lecteurs des revues papier : non seulement les lecteurs réagissent et les auteurs répondent, mais les lecteurs réagissent les uns avec les autres. Ainsi, c’est un lecteur qui a mis au point le flux RSS… qu’il a mis en ligne sur un autre blog, dans un commentaire, alors qu’il a lui-même son propre blog, le tout étant relié par hypertexte.
Alors que je l’avais intégré à mon Netvibes, j’ai remarqué un petit défaut dans le RSS. J’’y suis donc allé de mon propre commentaire, auquel les auteurs du dico, puis celui du flux ont réagi. Le flux RSS est maintenant opérationnel à 100%. De plus, il sera possible à partir d’avril, de contribuer en proposant nos propres définitions, et on peut d’ors-et-déjà commenter l’une ou l’autre définition (passer par les archives).
En résumé, depuis le début de sa publication, le dictionnaire évolue tant sur la forme que sur le fond, grâce à l’interaction avec les lecteurs et entre lecteurs. Il s’agit véritablement de « nouveaux usages », que le papier ne permet pas. »
{ http://www.infodocbib.net/2011/02/qui-aime-bien-chatie-bien/ }
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