Réitération de l'icône

Qu’est-ce qui justifie de parler de Marilyn aujourd’hui? Rien, sinon un chiffre, le nombre d’années qui nous sépare de sa mort.

Fêter le jubilé d’un suicide? La minceur de ce prétexte est proportionnellement inverse au travail éditorial et journalistique, parfois considérable, qui permet de (re)déployer les images de la star, heureusement conservée par le biais de la fossilisation photographique.

Du glamour, du sexe, quelques parts d’ombre, un zeste de mythologie critique – et une iconographie abondante: tous ces ingrédients (qu’on retrouvera ne varietur en 2019 pour l’anniversaire des 10 ans de la mort de Michael Jackson) composent un produit culturel de première qualité, qu’il serait dommage de ranger dans les archives en raison d’une simple absence biologique.

Comme le chat de Schrödinger, une star n’est ni vivante ni morte: aussi longtemps qu’elle suscite l’attention médiatique, elle existe comme fiction autonome, avec ses épisodes identifiés et sa narratologie typique (comme le prix de la célébrité, la vivacité du mythe malgré la disparition, ou le dévoilement de l’individu derrière l’icône)…

Le bon dosage de ces ingrédients peut entrer en conflit avec la perte de prosécogénie liée au vieillissement (voir ci-dessous), témoignant par là que l’existence journalistique a ses règles propres, et que la mort biologique n’est pas nécessairement un handicap d’un point de vue éditorial. Pour une star, mourir jeune est au contraire l’assurance de maintenir intact son capital médiatique, en figeant une image préservée.

Le rituel commémoratif constitue un magnifique exemple de création de valeur médiatique, appuyée sur la tautologie, le consensus et les mécanismes autoréalisateurs. Pour une valeur culturelle sûre, la prévision d’un jubilé entraîne obligatoirement la mise en route d’un ouvrage, la publication d’un témoignage ou la diffusion d’un documentaire, exploitations éditoriales annoncées à l’avance, qui fourniront la matière à de multiples événementialisations en boucle.

Cette dynamique itérative et chorale est l’un des principaux outils de création des référents culturels. En faisant le tri entre la circonstance vouée à l’oubli et celle dont la reprise périodique assure la mémorisation, la répétition des morceaux choisis de l’expérience commune dégage la trame des événements dignes de passer à l’histoire.

Principaux bénéficaires de cette événementialité autoproduite, les médias eux-mêmes n’oublient jamais de célébrer leur propre devenir-culturel, en s’appliquant les mêmes recettes. Le secret de la vie éternelle n’est-il pas d’être toujours d’actualité?

(Iconographie réunie grâce à la collection indexée des couvertures de Paris-Match sur Flickr par Patrick Peccatte.)

8 réflexions au sujet de « Réitération de l'icône »

  1. Lorsqu’on lit : « Pour une star, mourir jeune est au contraire l’assurance de maintenir intact son capital médiatique, en figeant une image préservée » un certain trouble affleure, parce que c’est relier, probablement, à un ectoplasme une valeur symbolique (et quoi qu’il en soit, c’est plus dur pour ceux qui restent). Pourtant, les « stars », ne sont-elles pas des objets qui ne peuvent pas passer dans le réel ? Lorsqu’on dit qu’une photo cache plus qu’elle ne montre, n’est-ce pas ce dont on parle, justement, ce (fameux ?) « capital médiatique » ? Il peut nous arriver d’entendre que les photos ne disposent pas de cette faculté de créer, chez ceux qui les regardent (tout comme les paysages) des réminiscences, des souvenirs, des ectoplasmes « subjectifs » mais pourtant ici, on les voit à l’oeuvre, ils existent bien, et la « star » n’a plus rien pour elle (elle a disparu corps et âme… ) : les étoiles mourraient aussi, donc, pourtant…

  2. La distinction précieuse effectuée par la psychiatrie entre illusion (interprétation fausse d’une sensation réellement perçue) et hallucination (« conviction intime d’une sensation actuellement perçue alors que nul objet extérieur propre à exciter cette sensation n’est à portée des sens », Esquirol) peut être appliquée au monde médiatique. Plutôt que sur la création d’un objet à partir de rien, celui-ci fonctionne sur un principe illusionniste, basé sur l’interprétation d’un matériau existant.

  3. Sans doute dois-tu te préserver de l’illusion comme de l’hallucination pour tenter de mener à bien cette/ta recherche, mais si tu ne tiens pas, d’une même main, et la réalité du principe et sa fantasmagorie, il manquera à l’explication et au sens probablement une composante importante de son existence (peut-être, en tout cas pour moi certainement, la plus importante), la poésie… Tiens bon.

  4. Très bon article.

    Plus que jamais le média a besoin de « carburant », de sang neuf (et mort) pour survivre, non plus forcément se réinventer mais perdurer. C’est un courant pourtant millénaire, depuis que l’homme a la faculté de reproduire plus ou moins fidélement ses pairs (que ce soit par l’écrit ou l’image). Les légendes et mythologie est justement à mon sens le premier acte de création d’un champ fantasmatique, où l’on érige en surhomme des héros pour leurs actes ou leur simple état (beauté, divinité, …). La star, très bien cernée par le pop art et Warhol, est le héros, le dieu moderne qu’on s’étonne à vénérer d’une façon ou d’une autre, et notre admiration est accompagnée de sacrifices (argent pour accèder à la star, que ce soit pour la voir -cinéma- ou posseder un peu d’elle -photos, relique, etc.)

  5. très intéressante et inépuisable thématique du vrai faux héros
    de ceux qui auraient pris la place des dieux….
    Plus difficile souvent pour les femmes que pour les hommes, hélas, de vieillir, de montrer les marques du temps sur le visage et le corps.
    Sauf pour quelq
    ues unes , Marlène et ses robes pailletées si serrées……….. à plus de 60 ans….

  6. Ce que tous ces personnages ont en commun, c’est qu’en vérité, nous ne voulons pas leur permettre d’être ou d’avoir été des êtres humains. Nous avons besoin d’icônes.

  7. Tout à fait d’accord avec vous mr gunthert, les médias n’ont plus rien à se mettre sous la dent ou la caisse « supérieure est vide »; l’anniversaire de la mort d’une star , pourquoi? … parce qu’elle était belle entre autre? On l’a su parce que les médias nous l’ont martelée à l’affiche. Mais la paysanne inconnue de ma campagne que j’ai croisé dans un bal l’était encore plus, mais vous ici, vous ne le saurez pas 🙂 Cette volonté d’idolâtrer constamment est pervers, car elle rabaisse le reste de la population.
    être ou ne pas être: Marilyn est passée à la télé , donc elle « est », moi j’écris incognito sur un clavier pourri , je ne « suis pas » (mais ne vaux-je vraiment rien?)

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