L'événement éclairé par l'image (iconographie du second tour)

Une photographie de reportage peut-elle être utilisée comme illustration même sans décontextualisation de son sujet? La réponse est oui: démonstration en images (cliquer pour agrandir).

Prudente, la presse française avait laissé à la presse étrangère, lors du premier tour, l’iconographie des bras levés, synonyme de victoire (voir mon relevé de l’iconographie du premier tour). Elle peut désormais recourir sans crainte à cette figure.

Dans un crescendo subtil, la presse internationale gravit l’échelon suivant, attestant de l’existence d’une hiérarchie ascendante des figures. Ceux qui avaient utilisé le bras levé unique montent au levé double (El Pais). Ceux qui avaient déjà grillé les deux bras passent directement à la figure du couple souriant (Kleine Zeitung).

La combinaison couple + bras levés marque le point culminant du succès (également utilisé en France par Le Monde, journal du soir, en attendant la prochaine couverture de Paris-Match).

Mes deux préférées: La Une du Tageszeitung du premier tour et celle du Midi Libre du second tour. Ou comment expliquer par l’image la signification des données chiffrées. A 51,67%, tu lèves le bras en compagnie de ta femme (ce qui veux dire que tu as gagné); à 48,33%, tu prends ostensiblement la direction de la sortie (ce qui veux dire que tu as perdu).

Enfin, pour mémoire, un échantillon des Unes les plus orientées de la campagne.

Unes les plus pro-Sarkozy:

Unes les plus anti-Sarkozy:

Unes les plus pro-Hollande:

Unes les plus anti-Hollande:

14 réflexions au sujet de « L'événement éclairé par l'image (iconographie du second tour) »

  1. Sur la même thématique, j’ai relevé cette autre image du ci-devant, que je trouve particulièrement réussie : http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L482xH321/sarko_depart-a841c.jpg
    (utilisée sur Agoravox, probablement pompée autre part mais je n’ai pu retrouver où). Notez comme le mouvement vers la gauche est plus convaincant que celui vers la droite qui donne l’impression d’aller « de l’avant » (toute ressemblance avec une tendance politique existant ou ayant existé ne serait qu’une coïncidence fortuite et, en l’occurrence, assez déplorable).

  2. La couv de Libé « Le nom de la rose » me fait penser à la photo de Gilles Caron « Pierre Mendès France et Michel Rocard au stade Charlety en mai 68 ».
    Mendès france avait l’air surpris, là c’est autre chose, Hollande regarde franchement le photographe, il est conquérant, sur de lui.

  3. Bonjour, comment analysez-vous la présence de drapeaux de nombreux pays à la Bastille, le jour d’une élection nationale?

  4. Je n’étais par sur place. Autant que je puisse en juger à partir des images télévisées, il me semble qu’il s’agissait plus de drapeaux syndicaux ou de partis politiques que de drapeaux nationaux – autrement dit le matériel habituellement utilisé lors des manifestations et rassemblements populaires. L’usage exclusif des drapeaux français pendant cette campagne a été une spécificité de l’UMP et du Front national.

  5. Merci pour ce florilège de « unes » plutôt exhaustif.

    La plus définitive : Le « Fin » de Marianne, un brin cruel, sans appel.

    La plus sex-oriented : « Est-il si mou? » du Point, avec Madame, en arrière plan nuiteux, qui ne présente pas un faciès des plus comblés…

    Ma préférée : « Le nom de la rose », une vraie réussite éditoriale.

  6. à propos des drapeaux: je n’y étais pas, mais j’ai vu les images aussi, sur la 2 et la 1, très insistantes notamment sur deux drapeaux syriens au deuxième plan et des drapeaux irlandais et algériens près de la colonne. Ce qu’il faudrait peut-être commencer par analyser n’est pas la présence ou non des drapeaux X ou Y à la Bastille mais la présence des drapeaux X ou Y sur les images de télé. Vu les positions des caméras, tenues à l’épaule au milieu de la foule, la nuit, etc., les drapeaux étaient sur certains plans (en arrière-plan du journaliste commentant la scène) tout ce qu’on pouvait voir surnageant de la marée humaine. Peut-être n’y avait-il pas vraiment moyen de filmer autre chose d’intéressant, dans ces positions-là. En fait ce qui m’a frappé est qu’au total il n’y avait pas beaucoup de drapeaux.

  7. Je suis étonné de voir l’affirmation que l’image ou encore l’accumulation d’image puisse faire démonstration.

    Cela signifie-t-il qu’une succession d’image d’un même sujet suffise à démontre un point de vue? Est-ce la multiplicité qui fait démonstration comme une moyenne statistique?

    J’avoue ne pas comprendre bien ce qui sous tend cette affirmation.

    Romain Guedj

  8. @Romain Guedj: On peut effectuer une démonstration avec n’importe quel type de preuve. Je suis curieux de savoir quel est l’argument logique ou la propriété particulière de l’image qui l’en exclurait a priori?

    @François Brunet: il semble que nous soyons tombés dans le piège d' »éléments de langage » UMP, visant à souligner la présence de drapeaux « étrangers » à la Bastille, réflexe typique de cette nouvelle droite xénophobe, que je dénonce dans mon billet « Un parfum colonial« .

    Pour ma part, j’ai trouvé que toute cette campagne était largement trop fournie en drapeaux, dont l’agitation systématique n’avait, semble-t-il, pour but que de masquer l’absence des propositions…

  9. Merci pour cette vue d’ensemble.
    Pendant cette campagne, les unes ont servi de tract (cf Le Figaro, Marianne, Libération).

    Le site de la presse quotidienne régionale permet de voir les unes du 7 mai
    Un support intéressant pour une analyse comparée sur les titres, les images, les cadrages… Par ex, une dizaine de photos du couple contre une trentaine de François Hollande seul ..
    http://unes.spqr.fr/?date=20120507
    (le format de l’adresse facilite la plongée dans les archives.
    Pour d’autres sites, l’instant écrase tout ce qui a précédé)

    Le très excellent Newseum donnait accès aux unes dans le monde, un moyen de mesurer l’écho de la politique française.
    (Newseum a archivé les unes de plus de 200 dates (historiques pour les USA).
    http://clioweb.canalblog.com/tag/7mai

    Daniel

  10. Dans votre réponse il y a deux choses.

    Il faut tout d’abord voir ce qui permet d’accorder le statut de preuve à une image et bien sûr ce que vous entendez par preuve (dans un contexte scientifique, législatif, publicitaire ou d’un billet sociologique)

    Ensuite il faut voir si mettre des images-preuves côté à côte sans poser:
    – une hypothèse,
    – décrire les conditions d’obtention des dites preuves puis voir si après analyse des contextes de production des images, celles-ci sont comparables
    – articuler un discours autour de ces images-preuves qui construirait une démonstration.

    Mais à mon sens les images ne sont que des « monstrations » et en aucun cas elles ne peuvent à elles seules être démonstration ou démontrer quelque chose. Ainsi un discours construit qui suit une méthodologie peut être évalué comme une démonstration mais des images seules…

    «voici la surface – et maintenant pense, ou plutôt pressens, déduit, ce qui peut se trouver au-delà, ce que peut être la réalité qui prend cette apparence. » Les photographies, incapables de rien expliquer par elle-même, sont toutes des invites à la déduction, à la spéculation, aux fantaisies de l’imagination. La photographie exige une certaine connaissance du monde pour que l’aspect que l’appareil a reproduit soit accepté. […] Néanmoins, la façon dont l’appareil photographique rend compte de la réalité dissimule toujours plus qu’elle ne révèle. […] Seul le mode du récit donne accès à la compréhension. Une connaissance du monde qui se fonde sur la photographie est en elle-même limitée, en ce sens que, tout en aiguillonnant la conscience, elle n’est en fin de compte ni une connaissance morale ni un savoir politique. » Susan Sontag, 1979

  11. @ Romain Guedj: Merci pour le rappel de ces évidences… Mais pourquoi faites-vous comme si les positions que vous exprimez étaient en contradiction avec les miennes? Vos interventions sur ce blog témoignent d’une fréquentation régulière. Je m’engage publiquement à manger mon chapeau en salade si vous dénichez dans mes écrits un seul cas où l’image serait considérée « à elle seule », sans prise en considération d’un contexte d’énonciation. Tout ce que dit Sontag est bel et bon. Mais il n’a pas pu vous échapper que ce qu’elle vise sont les limites d’une approche qui est le contraire de la mienne.

    Par ailleurs, vous avez dû lire ce billet un peu vite (ou alors ne regarder que son illustration… 😉 puisqu’il existe au moins un domaine où l’image peut légitimement servir de support de démonstration: c’est bien sûr en matière iconographique. Il s’avère que c’est – oh surprise! – le point de vue dans lequel je me situe. Pour rappel: la description de l’usage illustratif de la photographie dans la presse (usage qui contredit les fondamentaux de ce que Carlo Ginzburg dénomme le « paradigme indiciaire ») a fait l’objet d’abondantes observations sur Culture Visuelle. La première phrase de mon billet ci-dessus fait référence à une technique de mise en évidence de cet usage, par le repérage de divers décalages ou hiatus entre l’événementialité évoquée et le matériel iconographique utilisé. Une question légitime qui peut se poser à partir de ces constats, est: l’usage illustratif dépend-il toujours d’une décontextualisation, ou bien peut-il exister y compris dans le cas du recours à une iconographie contextuelle? Comme l’exemple de la pleureuse d’Ishinomaki, le choix guidé par la volonté allégorique des images de victoire de Hollande vérifie la validité de cette seconde option.

  12. Vous vous méprenez. Je n’en veux ni à votre chapeau, ni à vous. Ma question ne concerne que ce billet et ne s’adresse pas à votre oeuvre en général.
    Comme je n’ai pas vu de démonstration dans votre texte, j’ai interprété « démonstration en images » par démonstration par l’image. Cette interprétation fut renforcée car vous m’avez répondu par une question sur l’image-preuve à laquelle j’ai répondu simplement. Peut être que la méprise se situe, ici, de mon côté.

    Vous précisez par la suite que « l’image peut légitimement servir de support de démonstration ». Oui je suis davantage d’accord avec ceci plutôt qu’à l’idée de votre billet où c’est l’image qui fait démonstration.
    Finalement devrais-je comprendre l’usage de l’image dans ce billet comme une méta-illustration? Vous choisiriez des images qui illustreraient une affirmation qui souligne le statut illustratif de l’image dans la presse.

    Romain Guedj

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