Sarkozy en pirogue, une image innocente?

Le service politique du Monde a créé récemment un blog destiné au commentaire des images de la campagne présidentielle: La bataille des images. Le billet du 25 janvier est consacré au choix du quotidien d’illustrer l’article intitulé « Nicolas Sarkozy évoque l’hypothèse de sa défaite » par une photographie de l’équipe gouvernementale en pirogue, prise le 21 janvier lors de son séjour en Guyane (photo: Jody Amiet/Abacapress, voir ci-dessous).

Signalant que Libération a fait un choix d’image semblable,  Clara Georges note que cette illustration a suscité «un certain enthousiasme» au sein de la rédaction, et me fait intervenir, sous la forme de propos recueillis: «C’est une parfaite image de défaite. Il y a, dans le choix de cette photo, une dimension humoristique assez rare dans ce type de traitement, en particulier en période de campagne. Pour moi, cela traduit le choc qu’a été l’information selon laquelle Sarkozy prenait en compte sa propre défaite. Cette image évoque à la fois le contexte – avec le naufrage du Costa-Concordia – et tout un jeu de connotations avec des expressions liées au bateau : ‘ramer’, ‘tomber à l’eau’, ‘couler’, etc.»

Le billet se clôt sur les propos de Mathieu Polak, chargé des pages politique au service photo du Monde, qui semblent répondre à mon commentaire: «La meilleure photo est celle qui allie esthétique et info, et qui fonctionne dans la page, dit-il. De ces points de vue, celle-ci était la plus pertinente. Il y en avait d’autres dans la même série, mais Sarkozy était grimaçant. La caractéristique de fond des photos politiques, ajoute-t-il, est qu’elles sont surinterprétées. Nous, on a l’habitude de voir ce type d’images : chaque élu qui se rend en Guyane, à un moment donné, monte dans une barque sur le Maroni. Au moment de choisir cette photo, les interprétations possibles n’entrent pas en ligne de compte.»

Conclusion? Encore une image surinterprétée par un chercheur en mal d’exposition médiatique. Sur l’Atelier des icônes, où sont souvent examinés les choix iconographiques de la presse, on peut lire maintes protestations, comme par exemple le commentaire de Sylvain Bourmeau, rédacteur en chef adjoint de Libération, à propos de la Une de l’investiture de François Hollande. L’idée selon laquelle on peut « faire parler » une image reste à l’évidence un point de résistance pour les journalistes, prompts à ouvrir le parapluie de l’objectivité pour se protéger des dérives de l’interprétation.

Les conditions de l’interprétation

J’ai longuement discuté ici même de la question de l’ambiguïté des images. Voici une formule qui résume bien ma position: «Contrairement au message linguistique, élaboré afin de réduire l’ambiguïté de la communication, l’image ne relève pas d’un système de codes normalisés qu’il suffirait d’appliquer pour en déduire le sens. Comme celle d’une situation naturelle, sa signification est toute entière construite par l’exercice de lecture, en fonction des informations de contexte disponibles et des relations entre eux des divers éléments interprétables» (« Comment lisons-nous les photographies« , 24/02/2010).

Cette ambiguïté de l’image lui confère une faculté d’appropriabilité remarquable. En dehors d’une signification stable, c’est à chacun de produire l’exercice qui permettra l’interprétation du message visuel. Admettre cette caractéristique devrait conduire les professionnels de l’image à plus de modestie: ils ne sont jamais les propriétaires de la signification de l’image, et doivent admettre de partager avec l’ensemble de leurs lecteurs le travail d’une compréhension qui n’a de valeur, dans le cas d’une image publique, que par sa dimension collective.

Faut-il déduire de cette caractéristique le renoncement à tout exercice interprétatif objectif ou à toute forme de généralité du message visuel? Si tel était le cas, la publicité serait un domaine tellement aléatoire que ses auteurs auraient depuis longtemps abandonné la ressource iconographique. Une image peut faire l’objet d’interprétations diverses, en fonction de son contexte d’énonciation et des compétences de ceux qui l’observent, mais il y a bien une objectivité relative d’une proposition de lecture, élaborée par ses producteurs en fonction de leur compréhension des diverses données du problème.

Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer à Clara Georges, je ne me livre pas sur les images de presse à une analyse sémiotique, au sens où je considérerais que chaque image comprend des signes objectifs qu’il suffirait de « décrypter ». Ce qui m’intéresse est d’analyser la proposition de lecture en contexte, qui est toujours une construction de récit par les acteurs médiatiques – un exercice qui relève de la narratologie (et qui peut comporter des éléments sémiotiques, mais toujours rapportés à un contexte d’énonciation, c’est à dire non à une image, mais à l’usage d’une image).

Dialectique du clin d’oeil

Le cas de la photo de la pirogue nous fournit un exemple intéressant d’éléments objectifs identifiables, qui viennent contredire la protestation d’innocence esthétique de Mathieu Polak. En premier lieu, comme l’explique Clara Georges, c’est bien la réaction collective observée au sein de la rédaction du Monde qui attire son attention. En second lieu, le constat d’un choix d’image très proche, dans un contexte similaire, par Libération (voir ci-dessous, photo: Philippe Wojazer/AFP), confirme l’existence d’un jeu de connotations suffisamment explicite pour être perçu de manière consensuelle.

C’est à partir de ces observations (et peut-être de sa propre réaction face à cette image, ce que le billet ne dit pas, neutralité de l’énonciateur oblige… 😉 que Clara Georges me contacte pour solliciter mon commentaire. C’est elle qui me fournit les différents éléments d’information, dont je ne disposais pas, et qui suscite donc un exercice interprétatif pour les besoins de son blog. Lors de notre conversation téléphonique, je lui dis que ce qui m’importe, c’est ce que ce choix d’image traduit des intentions de son éditeur, plutôt que les éléments d’analyse sémiotique isolés. La journaliste me répond qu’elle a déjà interviewé le responsable photo, qui a fait état de motivations esthétiques et non politiques. Plutôt qu’une réponse à mon intervention, cette explication en est donc un préalable.

La justification de Mathieu Polak est parfaitement compréhensible. Dans le contexte éditorial qui est celui de Monde, journal de référence sérieux et respectable, il n’est pas possible, en dehors des espaces spécifiquement dédiés à la caricature, comme le dessin de Une de Plantu, de revendiquer un traitement humoristique, voire spécieux, d’une information politique de première importance. Si l’ambiguïté de l’image permet en permanence aux éditeurs de convoquer mine de rien des connotations implicites qui orientent la lecture, elle les autorise aussi à jouer le jeu du non-dit, et à se dédouaner par la subjectivité de l’interprétation – très vite qualifiée de « surinterprétation », autrement dit de compréhension erronée. Comme la plaisanterie ou l’allusion, l’image permet de dire sans le dire, ou de dire en prétendant ne pas l’avoir dit – un mécanisme typique de l’implicite, remarquablement analysé par la linguiste Catherine Kerbrat-Orecchioni.

La photo de Sarkozy en pirogue correspond-elle à un choix iconographique innocent ou à une intention délibérée de « charger la barque »? La formulation même de cette question, qui remet en cause le sacro-saint principe de la neutralité et de l’objectivité journalistique, suggère la difficulté d’y répondre en toute transparence pour un acteur médiatique en fonction. Pour autant que j’ai pu le constater, ce type de dénégation est un caractère communément répandu parmi les éditeurs photo. Le « professionnalisme » permet de contredire facilement toute analyse un peu dérangeante, en renvoyant l’observateur dans les cordes de son incompétence en matière iconographique et/ou médiatique. (Cette attitude forme par ailleurs un sérieux obstacle à la suggestion que me répète Sylvain Bourmeau à chaque occasion de suivre les méthodes classiques de l’enquête sociologique. Merci du conseil, mais une connaissance un peu plus approfondie du domaine visuel montre que cette approche est largement inadaptée).

Le choix de la pirogue vérifié

Si l’on ne peut compter sur la réponse du professionnel, comment démontrer la réalité de l’orientation d’un choix visuel? L’observation d’une convergence de l’interprétation, attestée ici par la répétition de l’association de la pirogue avec le off ou par la réaction de la rédaction, fournit un aliment solide à l’enquête. On peut la compléter par une reconstitution des conditions de l’exercice éditorial, qui permet de prendre la mesure de la marge des choix initiaux. Dans l’exemple qui nous intéresse, il s’agit d’illustrer l’information de l’évocation par le chef de l’Etat de sa possible défaite, évocation effectuée lors d’un « off » le soir du 21 janvier, «sous le carbet de la magnifique demeure du préfet de Guyane» (Grégoire Biseau, Libération).

Il n’existe vraisemblablement aucune image du moment où Sarkozy énonce ces propos, puisqu’il s’agit d’un off. Le choix d’une autre image du séjour n’est pas forcément illogique, mais elle n’est nullement exclusive (d’autres organes proposent d’autres options), et on notera que même dans ce cas, la photo retenue fonctionne comme un substitut, forcément décontextualisé: aucune image, fut-elle datée du même jour, ne correspond au moment où le chef de l’Etat tient les propos commentés dans l’article.

Une vérification sur le site de l’AFP ou sur celui de l’Elysée rappelle qu’un voyage protocolaire est constitué d’un catalogue d’événements qui fournissent une iconographie abondante (voir ci-dessus une sélection de vignettes du 21 janvier proposées par l’AFP). Rien n’imposait a priori de retenir l’image de la pirogue, figure traditionnelle des déplacements officiels en Guyane, utilisée à deux reprises plus tôt dans la journée.

Mais un facteur crucial s’impose à l’éditeur: celui de la cohérence de la photo avec la teneur de l’article, et tout particulièrement de son titre, auquel l’image a pour fonction de fournir un support et un écho visuel. On peut le vérifier expérimentalement en se livrant à un exercice de substitution: mettre n’importe quelle image du séjour ne fait pas l’affaire.

Sur les fausses maquettes ci-dessous, j’ai remplacé l’illustration originale par quatre images d’autres moments de la journée du 21 janvier, à partir de l’iconographie mise en ligne sur le site de l’Elysée – corpus qui a la caractéristique de présenter favorablement le chef de l’Etat (photos: P. Segrette, © Présidence de la république, cliquer pour agrandir). En complément des autres éléments d’analyse, cette méthode permet de rouvrir la boîte noire de l’opération de sélection visuelle, étape cruciale dont la dynamique se fige et disparaît dès lors qu’elle est examinée par l’aval, à partir de la composition publiée.

Ces photos « colorent » à chaque fois différemment la lecture de l’article, témoignant du rôle de l’image dans l’appréhension de l’information, mais certaines propositions comprennent des contradictions sémantiques évidentes. Les images de la rangée supérieure contredisent par exemple l’information «Devant des proches», présente dans la titraille. De façon plus subtile, l’image d’un Sarkozy souriant introduit une forme d’incertitude sur la compréhension de «l’hypothèse de la défaite», et ouvre la porte à des formes de brouillage ou à une interprétation ironique.

Le choix de l’image de la pirogue correspond donc bien à une option illustrative délibérée, et non à un « remplissage » visuel où l’on aurait pioché indifféremment dans l’iconographie du voyage guyanais. Un choix visuel assez large était à la disposition des éditeurs, cet épisode ayant été largement documenté par plusieurs photographes du pool Reuters/AFP (voir ci-dessus le choix proposé par l’AFP). L’option de Libération, qui retient la photo de Philippe Wojazer, distribuée par l’AFP – et donc également disponible pour Le Monde –, montre que l’argument évoqué par Mathieu Polak selon lequel «Sarkozy était grimaçant» ne tient pas.

Au contraire, le choix plus exotique de l’agence Abaca indique que l’image a bien été retenue pour des caractères très précis. Un nouvel exercice de substitution, toujours à partir de l’iconographie du site de l’Elysée (ci-dessus, à droite), montre clairement les deux facteurs qui accentuent le caractère humoristique de l’illustration du Monde: une plongée un peu plus appuyée, donnant l’impression que la barque est plus enfoncée dans l’eau, et surtout un air renfrogné du président qui, dans le contexte de l’évocation de la défaite, est interprété comme faisant écho au titre (cliquer pour agrandir).

«Au moment de choisir cette photo, les interprétations possibles n’entrent pas en ligne de compte.» Pour une image qui suscite l’émoi au sein même de la rédaction du Monde, une telle affirmation revient à nier l’évidence. Le responsable photo a-t-il pu choisir ce visuel sans se rendre compte de sa dimension comique? Ce serait supposer qu’il ne connaît pas son métier. Le Sarkozy en pirogue du Monde est le résultat d’une série de choix et d’évitements soigneusement pesés, d’une remarquable puissance métaphorique.

L’angle retenu par Le Monde pour traiter du off guyanais dans son article du 25 janvier relève d’une stratégie éditoriale non moins élaborée. L’édition papier datée du samedi 28 janvier développe une autre vision du même événement, affichée en Une en prévision de l’intervention télévisée dimanche du chef de l’Etat: « Nicolas Sarkozy, ce qu’il regrette« .

Pour illustrer un article qui décrit ces remords comme une nouvelle stratégie de reconquête du pouvoir, c’est un portrait de profil sur fond noir qui a été choisi. Nouvelle séquence. Fini de rire. La Guyane est loin. Comment mieux démontrer que ce n’est pas l’iconographie politique que l’on surinterprète, mais bien le récit médiatique qui agence à sa guise les significations?

12 réflexions au sujet de « Sarkozy en pirogue, une image innocente? »

  1. Belle image et belle analyse.
    Le photographe a tiré en rafale, il avait peu ou pas conscience des expressions des visages. Ensuite, l’image a été recadrée, on a peu le temps de tourner son appareil entre deux vues très semblables ; donc, c’est bien un choix de la rédaction du Monde.
    Ce qui me semble le plus remarquable, démonstratif dans cette image, c’est le contraste entre l’expression sévère et soucieuse de Sarkozy comparé à l’insouciance généralisée de tous les autres passagers, contraste qui n’existe évidemment plus sur d’autres images.

  2. L’éditeur de la photo n’est ni un publicitaire (dont la décision s’inscrit dans des enquêtes de marché et des sondages qui vont mettre, au moins en partie, son idéologie à distance), ni un sociologue qui va, au moins en théorie, essayer d’établir une distance entre son idéologie et l’objet de son étude.
    La signification qu’il va accorder à l’image qu’il va sélectionner est « toute entière construite par l’exercice de lecture, en fonction des informations de contexte disponibles et des relations entre eux des divers éléments interprétables» et j’ajouterais des valeurs de son groupe social. C’est l’expression d’un « système des schèmes de perception, de pensée et d’appréciation commun à tout un groupe.” (Bourdieu – un art moyen)
    Lorsqu’il choisit la photo qu’il veut utiliser, il n’a ni plus, ni moins de distance vis à vis de ce qui est représenté qu’un de ses lecteurs. On peut même sans doute se demander si le fait de devoir choisir une image, contrairement au lecteur à qui elle est imposée, ne permet pas à cette sélection de refléter encore plus fortement « son système des schèmes de perception, de pensée et d’appréciation commun à tout un groupe.”
    La protestation d’innocence esthétique de Mathieu Polak s’inscrit dans les valeurs de son groupe social. Un journaliste est objectif, et une photo présente des faits. Et donc toute interprétation qui diffère de la sienne, est nécessairement une sur interprétation. Mais je ne pense pas qu’il soit pour autant dans la justification. Il est sincère. S’il ne l’était pas, c’est qu’il serait un communiquant ou un sociologue. S’il n’y a pas de choix « innocents » pour le sociologue, il n’y a que des choix « innocents » pour le journaliste parce qu’ils s’inscrivent très profondément dans son idéologie, et qu’il n’en est que très peu conscient.

    P.S. Moi ce que je vois surtout dans l’image du Monde, c’est que Nicholas et Nathalie se font la gueule. 🙂 Je suppose qu’ils s’étaient écartés autant que possible dans la pirogue pour ne pas faire la couverture d’un magazine people. Mais là, avec Nico qui a l’air de faire la gueule et les regards qui se fuient, on se croirait dans un sitcom.

  3. Ping : Heike Rost
  4. @JluK: Il est intéressant qu’il ne soit pas venu à l’esprit de la journaliste du Monde d’interroger le photographe, mais bien l’éditeur photo, responsable du choix éditorial. Dans ce cas (comme dans la plupart des occasions politiques officielles), le photographe occupe la position d’un producteur largement prolétarisé, pris en tenaille entre les projections des politiques et les contraintes du système médiatique (cf. le blog de Sébastien Calvet, qui décrit ce calvaire au quotidien)…

    @Thierry: Non, il y a une différence fondamentale entre l’éditeur photo et le lecteur: c’est lui qui a pour fonction de formuler la proposition de lecture, en anticipant les conditions de l’interprétation de celui à l’intention de qui l’image est choisie, en s’assurant notamment de sa lisibilité et de sa prosécogénie: c’est là précisément son métier et son savoir-faire. Un métier pas si différent du publicitaire, même si quelques outils diffèrent, car l’un et l’autre ont en commun d’être les producteurs d’un message adressé à un public identifié – ici une cible, là un lectorat, dans un contexte d’amplification médiatique contrôlé. Dans Mythologies, Roland Barthes montre bien l’unité profonde des industries culturelles, dont le journalisme est un pilier majeur.

    Lorsqu’on discute avec un éditeur photo en privé, on voit très vite l’orthodoxie se craqueler. Il ne faut pas confondre l' »innocence » qu’impose l’idéologie journalistique avec la naïveté. Ce métier est au contraire particulièrement retors, et suppose une dextérité sémantique qui n’a rien à envier aux métiers de la communication ou de la politique.

  5. Je trouve cette analyse vraiment passionnante, merci. Pour compléter, je trouve qu’il faut parfois aller glaner sur les sites des journaux régionaux, qui utilisent parfois des « illustrations » très différentes du fait d’un titrage souvent plus long ou moins accrocheur.

    L’Est Républicain propose un sondage après le off de Sarkozy qu’il illustre avec une photographie très évocatrice: un « au revoir » présidentiel (http://www.estrepublicain.fr/actualite/2012/01/25/nicolas-sarkozy-evoque-son-retrait-du-monde-politique-en-cas-de-defaite-a-la-presidentielle-selon-vous-il-s-agit-d-un-coup-de-pub-ou-d-un-coup-de-blues). SudOuest, dans la même idée nous propose un président sur le départ, décadré, en mouvement, comme quittant la scène (http://www.sudouest.fr/2012/01/24/en-cas-d-echec-j-arrete-la-politique-sarkozy-pense-t-il-a-la-defaite-614292-4772.php). Ouest France montre un président songeur, regardant au large (son avenir?), les cheveux au vent (http://www.ouest-france.fr/actu/actuDet_-Nicolas-Sarkozy-envisagerait-de-quitter-la-politique-en-cas-de-defaite_39382-2035596_actu.Htm?xtor=RSS-4&utm_source=RSS_MVI_ouest-france&utm_medium=RSS&utm_campaign=RSS). Mises bout à bout, ces images mettent vraiment en place un langage visuel, une sorte de « champ lexical » du doute et du départ futur qui participe et influence indirectement, à mes yeux, notre vision de l’élection à venir (elle influence même peut-être notre futur choix…).

    Pour revenir à la pirogue, l’édito de La République des Pyrénées fait directement le rapport avec le Costa Concordia: http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2012/01/26/dans-le-costa-concordia-de-l-ump-on-prepare-les-chaloupes,224660.php. Mais uniquement dans le texte…

  6. @André Ok pour la différence entre le lecteur et l’éditeur, mais il y a une différence fondamentale, qui ne tient pas aux outils utilisés, dans le relation à l’image et à ses significations entre le publicitaire et le journaliste.

    Le publicitaire n’est pas victime de son « enthousiasme » pour reprendre le terme utilisé par Clara George, dans l’élaboration de l’image. Il travaille sur l’idéologie réelle ou supposée de sa cible, et la seule interprétation de l’image qui le soucie, c’est celle qu’il prête à sa cible. Lorsqu’il est victime de son enthousiasme, lorsqu’il perd sa distance à l’image et à son message réel ou supposé, ça donne Toscani qui a fini par faire sien le message et oublier que la provocation n’avait d’autre finalité que de vendre des pulls colorés. Ca c’est terminé par une catastrophe industrielle pour Beneton lorsqu’il a fait sa campagne sur la peine de mort pour le lancement de la marque aux US.

    Le publicitaire a sa propre mythologie, mais elle est d’un autre ordre que celle du journaliste. Il a un rapport purement fonctionnel aux significations de l’image qu’il a fabriqué, mais il a besoin de croire que même lorsqu’il a repris une idée aussi ancienne que Procter & Gamble, il été « créatif » pour justifier la facture et sans doute probablement également son existence. Les grosses agences ont des Acheteuses d’Art pour sélectionner le photographe qui va travailler sous le directives d’un Directeur Artistique pour vendre un paquet de lessive. 🙂

    Mais au final, si la campagne n’atteint pas sa cible, si elle n’a pas été interprétée comme elle l’aurait due, si la courbe des ventes ne progresse pas, tout le monde dira que la campagne a été mauvaise.

    Les journalistes sont dans un rapport beaucoup plus intimes avec l’image qu’ils vont retenir. Lorsqu’ils la sélectionnent pour sa lisibilité et sa prosécogénie, ils projettent l’idéologie propre à leur groupe social, tout comme le lecteur du journal lorsqu’il va la découvrir. Alors c’est vrai qu’ils ont une culture visuelle plus vaste, et que c’est un exercice qui leur est coutumier et qu’ils vont essayer d’anticiper les réactions de leur lecteur, mais au final dans ce qu’ils vont prêter à leur lecteur il y aura beaucoup d’eux-même. Il n’ont pas la même distance à l’image que le publicitaire.

    Leur mythologie, c’est que « la meilleure photo est celle qui allie esthétique et info, et qui fonctionne dans la page ». Cette info qui « fonctionne » dans la page, c’est ce qu’ils ont projeté sur l’ambiguïté de l’image afin d’enrichir le texte explicite qu’elle vient illustrer. Mais ce n’est jamais que l’expression d’un “système des schèmes de perception, de pensée et d’appréciation commun à tout un groupe”, leur groupe social.
    Et si au final l’image est interprétée différemment, c’est que les chercheurs en mal d’exposition médiatique l’ont surinterprétée ou que les lecteurs sont des cons et que le journal ne mérite pas leur talent. 🙂

  7. @Thierry: Je vois bien les différences que tu soulignes, mais au final, ce qui me frappe sont les similarités.

    Les professions du journalisme, de l’édition ou de la communication ne forment pas des ensembles homogènes aux frontières étanches. Les pigistes et les indépendants circulent facilement d’un univers à l’autre. La définition même de ces métiers est loin d’être unanime. Yann Barthès (« Le Petit Journal »), qui a suscité récemment l’interrogation publique du président de la Commission de la carte de presse, pense qu’il est journaliste et non humoriste. Il y a visiblement des inflexions – et, là aussi, des interprétations… 😉

    L’exemple que j’examine ci-dessus ne peut pas non plus être étendu à l’ensemble de la presse, mais représente la réponse spécifique d’un journal se désignant comme « de référence ». Un correspondant m’informe que la direction photo des Inrocks a également retenu la pirogue pour illustrer l’évocation de la défaite, mais n’a aucun mal à admettre que c’est « parce que Sarko est ridicule » et « à cause de la symbolique de la barque »…

  8. Au risque de vous surprendre, j’ai vu cette photo non comme un clin d’œil ironique… mais comme une n-ième façon de « servir la soupe » à Nicolas Sarkozy.

    Il me semble que le regard n’est pas attiré au premier chef par le fait que « tiens, c’est une pirogue », et tout le jeu d’association d’idées qui s’ensuit (lequel me semble au demeurant parfaitement valable et digne de l’interprétation que vous en proposez)… mais avant tout par le _protagoniste_ lui-même, vêtu de noir alors que les couleurs qui l’encadrent sont plutôt vives ou claires (même le costume de M. Guéant semble plus clair que celui de M. Sarkozy).

    Or ledit protagoniste semble soucieux, sombre, isolé et absorbé dans ses pensées : pas de toute, l’heure est grave. (Impression d’ailleurs renforcée par le cadrage en plongée, vous l’avez noté.) Les fausses unes que vous proposez, affichant le ricanement habituel de M. Sarkozy, sont à ce titre révélatrices : elles donnent lieu à une lecture au second degré du titre, à savoir « M. Sarkozy évoque sa défaite — par pure coquetterie, vous pouvez voir ci-dessous qu’il n’y croit pas un instant ». Ici, au contraire, la photo _surjoue_ le texte, le confirme et le valide.

    Ce qui amène la question : **faut-il** le valider ? Faut il entrer dans le jeu des pseudo-confidences et des larmes de crocodile, pour n’importe quel politicien mais particulièrement dans ce cas précis ? Faut-il, une fois de plus, enjoindre au lecteur d’accorder du crédit à d’n-ièmes atermoiements en faux-off, ballons d’essai et autres postures diverses, comme l’intéressé nous y a habitués depuis une quinzaine d’années ? Il me semble qu’en choisissant de montrer M. Sarkozy en « héros tragique », la presse écrite s’empresse de prendre servilement ses propos pour argent comptant, et fait montre d’un manque de distance critique peu heureux (quoique guère surprenant).

    Cela sera-t-il suffisant pour éveiller la compassion de citoyens qui ont déjà été contraints d’assister à une avalanche insondable d’énormités (Sarkozy en missionnaire paternaliste à Dakar, Sarkozy en dévôt au Vatican, Sarkozy en Résistant cocardier aux Glières, Sarkozy en star glamour avec sa nouvelle épouse, Sarkozy en apôtre de la « Morale » un peu partout, j’en passe) ? Difficile à dire. Mais il me semble qu’auprès d’une large part du public, l’instinct grégaire et servile d’une grande partie du champ journalistique ne peut guère contribuer à la survie à long terme des médias légitimés dits « traditionnels ».

  9. @vvillenave: La question du « off » est un thème largement discuté par les journalistes eux-mêmes, qui soulignent depuis longtemps les risques de manipulation qu’il comporte. Toutefois, dans ce cas précis, il semble bien que la décision du Monde de briser le off dès le 24/01, en mettant en exergue l’info particulière de l’évocation de la défaite, a créé de sérieuses secousses à droite:
    «Quelques heures après la publication, mardi 24 janvier dans le Monde, des confidences du chef de l’Etat évoquant son éventuelle défaite, les parlementaires de la majorité ont été confrontés à des centaines de militants s’inquiétant d’un abandon possible de Nicolas Sarkozy avant la bataille.»
    http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/01/28/qui-croit-encore-en-sarkozy_1635885_823448.html#ens_id=1588921

  10. Ping : Owni

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