Le réchauffement à la recherche de ses icônes

Réalisé par l’agence Mother pour le compte du réseau Plane Stupid, un clip diffusé au cinéma et en ligne met en scène une pluie d’ours blancs sur une cité occidentale au passage d’un avion. Cette association incongrue est expliquée à la fin de la séquence: un vol européen émet en moyenne une quantité de 400 kg de gaz à effet de serre par passager, soit l’équivalent du poids d’un ours blanc.

Plusieurs éléments méritent ici discussion. Je laisse de côté le point accessoire de la manipulation des images qui, en plein débat sur la retouche photographique, n’émeut évidemment personne en vidéo. Plus intéressante est la volonté, ici particulièrement manifeste, de « faire image », dans le contexte du combat contre le réchauffement planétaire – une cause qui est encore à la recherche de ses icônes. L’image de la Terre vue de l’espace, qui a joué un rôle important dans l’installation de la notion de globalité planétaire, reste un support abstrait, trop symbolique et pas suffisamment charnel, de même que le graphique en crosse de hockey, autre succès incontestable de l’imagerie du global warming (voir ci-dessous).

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Extraits de "An Inconvenient Truth/Une vérité qui dérange" (Al Gore, 2006), photogrammes.

C’est pourquoi on a assisté à la constitution d’un troisième faisceau iconographique, plus récent, autour du réchauffement des zones arctiques, avec les images de la chute de pans de glaciers dans l’océan,ou celles de la souffrance des ours blancs, menacés par la hausse des températures (voir ci-dessous).

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Extraits de "An Inconvenient Truth/Une vérité qui dérange" (Al Gore, 2006), photogrammes.

C’est cette dernière référence, particulièrement forte sur le plan visuel, qu’exploite le clip de Plane Stupid. Ce qui frappe ici est la violence de la proposition narrative, comme si la faiblesse de l’énoncé « 400 kg de CO2 par passager » devait être rattrapée par une surenchère émotionnelle, selon un schéma familier du storytelling politico-médiatique de la période actuelle.

Comme dans les clips des campagnes institutionnelles contre le tabac ou la conduite dangereuse, la violence des images est ici légitimée par la justesse et la noblesse de la cause. Pourtant, cette fois, quelque chose ne fonctionne pas dans l’association acrobatique de deux univers si éloignés. Une connotation secondaire, l’évocation des chutes de corps du 11 septembre, vient parasiter le message d’une manière assez malheureuse. L’impression produite est forte, mais sa violence gratuite tombe à plat. La convocation de l’émotion se retourne contre les auteurs, dans un soupçon de manipulation partisane. Pas si facile de produire une image forte. Pour que celle-ci atteigne son but, il doit aussi s’agir d’une image juste, d’une proposition de récit cohérente, non d’un simple jeu métaphorique.

12 réflexions au sujet de « Le réchauffement à la recherche de ses icônes »

  1. Belle analyse… Le motif visuel des « virgules » du 11 09 en comparant des avions qui font pleuvoir des corps sur la grande ville… Nous sommes des terroristes, les ours sont nos victimes… La métaphore qui établit ici une analogie entre voyages excessifs et terrorisme contre la nature est tout simplement mauvaise et fonctionne très mal.
    En dehors de l’avion, l’analogie est pauvre, les effets du réchauffement sont très loin de la violence du choc montré ici, ils n’y trouvent pas la visibilité qui leur manque. Les auteurs n’ont d’ailleurs pas pu relier l’image de l’avion à celle des ours, il reste hors champ, et n’apparait que comme un son, on le sait plus qu’on ne le voit… Comment les relier ? Tout le problème est là. Il manque une histoire éclairante… or ce lien est invisible… et en ce domaine où les délires sont nombreux, une image surréaliste comme cette pluie d’ours polaires ne peut que se perdre dans le flot des peurs irrationnelles…

  2. Voir dans cette idée une analogie avec le 11 septembre me semble une interprétation bien excessive (et plus encore en évoquant des « corps pleuvant des avions »). A ce compte là, autant évoquer la crise de 1929 et ses spéculateurs se défenestrant des buildings new-yorkais. On est sans doute plus dans l’association d’idées, avec au départ une formule du style « tomber comme des mouches » (au fait, l’avion, on le voit où ?).
    On trouve une association du même ordre dans cette autre publicité militante, antérieure à celle qui est montrée ici : http://www.youtube.com/watch?v=gPrlYU_n14s&feature=player_embedded
    (accessoirement, voilà l’exemple d’un message explicite sur la sécurité routière, qui évite pourtant de recourir à la « violence des images ». Pourtant, mon petit doigt me dit qu’il ne sera jamais diffusé sur nos antennes))

  3. @Denys: Comme l’expliquait en son temps Catherine Kerbrat-Orecchioni, la caractéristique de l’implicite, c’est d’être indécidable. Le travail de la référence visuelle est laissé aux méandres de l’imaginaire, selon le stock mémoriel de chacun. Vouloir à toute force nous montrer la chute des plantigrades le long des buildings ne peut pas, au moins du point de vue de la culture visuelle américaine, avoir été fait sans arrières-pensées. Mais la variation dans la perception que ton commentaire exprime montre bien que le message n’a pas été suffisamment cadré.

    Quant à l’avion, comme le note Olivier B, il n’est pas présent à l’image – mais il est distinctement inscrit sur la bande-son.

    Le clip que tu cites mêle l’humour à une forme de violence différente, moins ouvertement graphique, plus sur la signification, mais dont la brutalité reste AMHA entière.

  4. Je dois avouer que, jusqu’à présent, les capacités limitées du lecteur Flash de mon Linux me privaient du son des videos YouTube. Mais ça va mieux, maintenant. (du coup, j’ai pu entendre le son du message des motards norvégiens et, même si les références culturelles m’échappent, c’est très fort, aussi).

  5. Denys, si tu es en 64 bits, installe la version beta d’adobe directement plutot que les version 32 bits avec emulateur 32 bits, ca resoud certains problèmes.

    Sinon, les ours qui tombent au milieu des grattes ciels, ça me fait surtout penser aux types de la finances qui se jettent par la fenêtre à NY, par temps de crise, donc la le rapport est fait. Par contre, entre le poids d’un ours et du co2, la relation n’est pas tout a fait directe, c’est la que ça manque de clareté je trouve.

  6. Il faut aussi se dire que si on est alertés de la sorte c’est pour agir , c’est pour interroger le capitalisme, le produvctivisme et enfin la croissance. Entropia est un groupe de penseurs qui réfléchissent aux conséquences écologiques de notre modèle et comment décoloniser les imaginaires.
    Donc j’invite tous ceux qui se posent à approfondir leur réflexion et ce qui est nouveau…. à s’obliger à agir.
    http://www.entropia-la-revue.org/

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