J’ai eu la chance de participer à la commission de spécialistes chargée de la création de la première chaire française « Cultures Visuelles/Visual Studies » à l’université Lille 3. Créé dans le cadre de l’Institut de recherches historiques du Septentrion (Irhis), dirigé par Daniel Dubuisson, ce poste appartient au dispositif des chaires dites « mixtes », qui porte le label CNRS et offre au titulaire, pour une durée de cinq ans, une charge d’enseignement allégée (64h) et des moyens budgétaires pour mener à bien ses recherches.
Composée d’Olivier Bonfait (Aix-Marseille), Sophie Chauvin (Lille 3), Yann Coello (Lille 3), Michel Crubellier (Lille 3), Alain Deremetz (Lille 3), Martial Guedron (Strasbourg), Charlotte Guichard (CNRS), Laurent Grisoni (Lille 1), André Gunthert (EHESS), Anne Kerlan (CNRS), Sophie Raux (Lille 3), François Ruggiu (CNRS), Solange Vernois (Poitiers), sous la direction de Daniel Dubuisson, la commission a sélectionné 7 candidats sur 48 dossiers reçus. Au terme des auditions, c’est Gil Bartholeyns, docteur en histoire de l’EHESS et de l’université libre de Bruxelles, qui a été classé premier (2e: Denis Ribouillaud, 3e: Katia Schneller, 4e: Itay Sapir).
C’est avec un sérieux retard que la France rejoint le développement d’une spécialité largement implantée aux Etats-Unis. Selon les collègues de l’Irhis, la création et l’intitulé du poste ont suscité de profondes résistances locales. Pourtant, la commission était composée pour moitié d’historiens de l’art, dont relevait également la majorité des dossiers. Alors que les visual studies se sont historiquement plutôt installés du côté des départements de cinéma ou de littérature, il semble bien que la France présente la particularité d’inscrire cette nouvelle spécialité (tout comme, avant elle, l’histoire de la photographie) dans le contexte de l’histoire de l’art. Une histoire de l’art désormais clairement divisée en deux camps entre les anciens et les modernes.
Les délibérations et les auditions ont fourni l’occasion de faire le point sur la situation du domaine. Premier constat: malgré la présence de plusieurs très bonnes candidatures, notamment en histoire de l’art moderne ou contemporaine, aucun dossier ne correspondait complètement aux desiderata du poste. L’université française n’a pas encore produit de visualistes à part entière. Dans ces conditions, il était tout à fait logique que la chaire soit attribuée à un spécialiste d’histoire médiévale et de culture matérielle, formé dans le giron du Gahom, sous la direction de Jean-Claude Schmitt.
Pas un candidat n’a omis de citer les travaux de Tom Mitchell (Horst Bredekamp arrivant en 2e position, loin devant Hans Belting, Nicholas Mirzoeff et Georges Didi-Huberman). Son nom était encore à peu près inconnu en France il y a un an, au moment de la parution de la première traduction d’un ouvrage déjà ancien (Iconologie. Image, texte, idéologie, traduit de l’anglais par Maxime Boidy et Stéphane Roth, Paris, Les Prairies ordinaires, 2009). Pourtant, au delà de l’exercice obligé du name dropping, on aura noté bien des fragilités dans cette confrontation avec le domaine de la culture visuelle, le plus souvent ramenée à l’idée de l’importance du contexte.
Pour ma part, j’ai été frappé par la persistance du découpage en termes de médias, voire de techniques (quand la notion de culture visuelle impose au contraire une vision globale des échanges et des circulations au sein du paysage médiatique), mais aussi par les hésitations des candidats sur la notion d’image. Unanimes pour mentionner les questions de l’efficace ou de la performativité des images, ils n’ont que rarement évoqué ce qui fonde ces notions, soit le rapport au récit. Il reste encore bien du terrain à parcourir pour asseoir les fondamentaux d’un domaine que la plupart des candidats ne faisaient qu’entrevoir.
Dans ce contexte, le choix de Gil Bartholeyns est une véritable chance. La puissance de la réflexion de ce brillant chercheur a frappé la commission. Nul doute qu’il saura donner à cette chaire l’élan nécessaire. On se précipitera sur l’ouvrage récemment paru qu’il a co-dirigé avec Thomas Golsenne, La Performance des images. Au Lhivic, on se réjouit de poursuivre le dialogue déjà entamé avec ce jeune collègue, ainsi que des échanges à venir avec l’équipe de l’Irhis, dans le cadre du réseau thématique pluridisciplinaire Visual Studies.