Photoshop, école de l'image

Photoshop a vingt ans. Peut-être plus que les appareils photonumériques, c’est ce logiciel qui a incarné la rupture majeure engagée par la révolution de l’image digitale. Pour la première fois, la photographie perdait visiblement son statut de garant de l’authenticité de la représentation.

Dès le début des années 1990, les plus avisés s’alarment de ce bouleversement. The Reconfigured Eye (William J. Mitchell, 1992) est le premier ouvrage à signifier l’entrée dans l’ère « post-photographique » – et une ode aux outils de manipulation du visuel.

Plutôt que de pleurer le mythe perdu, il faut se réjouir que Photoshop ait permis à la photographie de réintégrer le régime général de l’image – celui qui, comme au cinéma, permet de circuler du document à la fiction, mettant fin à la dangereuse illusion de l’objectivité photographique.

Conçu par Thomas Knoll dès 1987, d’abord appelé ImagePro, la version 1.0 du logiciel sera diffusée par Adobe en 1990, destinée aux ordinateurs Macintosh, pour une retouche en noir et blanc (cf. Tom Hornby, « How Adobe’s Photoshop was born« , 05/06/2007). Cette application qui vulgarise des technologies de pointe alors utilisées dans les studios cinématographiques va devenir, avec X-Press, l’outil de référence des débuts de l’édition électronique et de la PAO (publication assistée par ordinateur).

Pour une partie du grand public, guidé par des journalistes myopes, la retouche d’images résume à elle seule tous les maux d’une société du spectacle, de l’illusion et de la séduction. Mais les usages publics de l’illustration requièrent bel et bien une image plastique, manipulable et adaptable, dont la lecture est tout entière construite par le travail éditorial. Est-ce la faute de Photoshop si la dégradation de nos rapports sociaux ne nous laisse comme seul espoir pour nous faire aimer que le fantasme de la beauté parfaite?

La meilleure arme contre la société du spectacle n’est pas de croire aveuglément en ses icônes, mais au contraire de préserver la distance de l’esprit critique. Dans la déconstruction des pouvoirs de l’image, depuis vingt ans, Photoshop est un professeur inlassable de la relativité et de la plasticité des représentations. Le meilleur allié d’une vision éclairée de notre monde d’images.

8 réflexions au sujet de « Photoshop, école de l'image »

  1. Merci de cette opportunité d’anniversaire pour cette belle expression synthétique de la réhabilitation toujours nécessaire du contre-pouvoir du spectateur devant le pouvoir du créateur d’images ! L’image n’est pas la réalité, elle n’acquiert du sens que par nos retouches, nos échanges de mots et notre liberté de parole.

  2. Tout à fait. Juste un détail historique: Mitchell prend acte en 1992 d’une « révolution » déjà largement décrite avant lui. Voir Fred Ritchin, In our own image: the coming revolition in photography (1988 ou même 1986, je ne suis pas sîr) et, dès 1983-84, les articles décisifs dans The Whole Earth Review et autres magazines branchés sur « The End of Photography as Evidence of Anything’.

  3. Et étrangement, on en revient de plus en plus, charmé sans doute par les attraits nouveaux des logiciels de 3d…
    Question : quand ces logiciels pourront également émuler le grain de la peau (le cap à franchir à mon sens, et qui pourrait être l’axe autour duquel articuler une conférence…), perdra-t-on encore son temps (et son argent, ce qui se discute encore, vu les tarifs actuels des prestations 3d) à envoyer un modèle sous les tropiques ?
    L’avenir économique de la photographie dite professionnelle tient donc, en partie et selon moi, de la solution à cette équation (dont la résolution ne viendra cependant pas immédiatement : le temps pour la 3d d’arriver à maturité, et donc d’offrir des prestations à un tarif « banalisé » et de mesurer les effets d’une autre inconnue, la convergence des productions photo/cinéma (toujours selon moi))

    Happy Birthday sinon…

  4. photoshop a donc précédé les appareils photonumériques de presque dix années.
    D’où venait donc les photos numériques à retoucher ? (scan de photos argentiques…?)
    Merci
    Reitrac Ph.

  5. @Fal7i: Gimp est plus politiquement correct que Photoshop. Mais c’est ce dernier qui est devenu un nom commun.

    @François: Je pense que le livre de Mitchell, qui a laissé des traces profondes, est le plus emblématique de « l’ère Photoshop ». Concernant Ritchin, c’est plutôt son « After Photography » (2008) que je retiendrai comme sa contribution épochale.

    @Julien: Very interesting indeed…

    @reitrac: Très bonne question. C’est en effet d’abord aux photographies scannées que s’applique l’usage des logiciels de retouche dans l’édition.

  6. Photoshop semble vraiment être un symptôme de la rupture avec le « naturel » de l’image photographique..
    Est-ce que la langue prendra acte de cela, et nous arrêterons d’appeler des images « photographies » ou « dessins », et commencerons de les appeler selon le logiciel avec lequel elles ont été traitées?

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