Dans ses réflexions toujours vivifiantes sur les pratiques numériques, Xavier de La Porte épingle l’idéologie de la déconnexion, à partir d’un clip caricatural (« Look up« ), qui se désole des ravages causés par les outils connectés. Nous avons tous subi l’ado scotché à son smartphone à l’heure du repas, ou tardé à décoller le nez de l’écran lorsqu’on nous appelle pour sortir. Ces micro-frustrations alimentent une sympathie spontanée pour le message déconnexionniste, auquel une image de champ de blé donne l’évidence d’un slogan publicitaire: lève les yeux, éteint ton téléphone, regarde autour de toi, parle avec ceux qui t’entourent (voir également le clip « Put Your Phone Down« ).
Le problème, c’est que la « vraie vie » déconnexionniste ressemble comme deux gouttes d’eau à une pub pour camembert industriel, c’est à dire au cliché marketing de la vie rurale selon le rite mormon. Dans le rêve déconnexionniste, personne n’est jamais coincé dans le métro aux heures de pointe, ni humilié par son chef de service, ni infantilisé par le représentant d’un service administratif, ni harcelé par de gros lourds, etc… Tout n’est que luxe, calme et jeux d’enfants – deux jeunes gens, évidemment beaux et hétérosexuels, qui échangent un regard finiront mariés et propriétaires d’une maison en banlieue (et non pas divorcés et surendettés).
La bonne question est bien sûr de savoir si la communication électronique s’oppose de manière étanche à l’interaction vivante. Et la bonne réponse est que si les outils connectés occupent une place si importante dans nos vies, ce n’est pas seulement parce qu’ils nous font échapper le temps d’un jeu vidéo à un monde cruel et injuste, mais parce qu’ils nous ont permis d’étendre et de multiplier nos relations avec nos proches. L’insertion d’une nouvelle pratique dans les usages existants est affaire d’apprentissage et d’ajustement des règles, de politesse et non de technologie.
On n’omettra pas de noter que dans la vie réelle, les conduites d’isolement par l’intermédiaire du smartphone correspondent le plus souvent à des stratégies parfaitement volontaires, dans des situations où l’on cherche précisément à éviter le contact. Dresser un rempart entre soi et la foule dans un métro bondé peut se faire aussi bien avec un roman qu’avec un mobile. Le fringant Gary Turk, qui regrette qu’une jeune fille ne lève pas les yeux sur lui, oublie la contrainte imposée aux femmes par les comportements sexistes. Les parents qui voient leur ado dégainer son portable en leur présence devraient se demander si ce geste n’est pas aussi un message qui s’adresse à eux…
Dans son billet, Xavier de La Porte souligne la contradiction qui existe entre l’accueil chaleureux fait aux messages déconnexionnistes (« Look Up » a recueilli 30 millions de vues en 15 jours) et la réalité des pratiques contemporaines – le comble de l’absurdité consistant à relayer sur un réseau social un contenu qui en condamne l’usage. «Pourquoi les gens approuvent-ils ce propos qui ne correspond pas à leur expérience?» (un problème proche du paradoxe: « Pourquoi les pauvres votent à droite« ).
Le journaliste propose une réponse à caractère psychologique: «En approuvant ce discours et en le faisant circuler, les internautes montrent qu’ils sont capables d’autocritique, de réflexivité, ils disent qu’ils ne sont pas dupes (…). Mais à qui s’adressent-ils? (…) Sans doute prioritairement à eux-mêmes.»
Je voudrais compléter cette analyse par une approche culturaliste. En étudiant la pratique de la photo amateur, on se rend compte que les gens en ont une perception déformée. Ils sont souvent incapables de décrire leurs usages iconographiques, pourtant bien réels, comme s’il leur manquait un cadre dans lequel inscrire l’utilité de leurs actes. L’analyse des formes culturelles, qui ont fait l’objet d’un processus de sélection et de valorisation que Bourdieu dénomme « distinction », montre que ces cadres sont forgés par une production de discours, comme par exemple la critique littéraire ou musicale. Une activité valorisée l’est le plus souvent par l’intermédiaire d’un récit qui est précisément l’instrument de sa distinction.
Il faut ajouter qu’à côté des pratiques valorisées (la lecture, le concert, le théâtre, le cinéma d’auteur…), le processus de formation de représentations partagées fonctionne aussi avec des « distinctions négatives », autrement dit des discours de dévalorisation. Toutes les « phobies » – technophobie, téléphobie, photophobie… – sont caractérisées par l’existence de puissants récits négatifs, qui constituent autant de cadres culturels permettant de reconnaître et de délimiter des communautés. L’influence de ces infrastructures narratives est relativement indépendante des pratiques elles-mêmes.
Ce qu’il importe de relever ici, c’est que la posture deconnexionniste ne vise pas l’ensemble du paysage numérique, mais plus précisément son évolution la plus récente, celle des smartphones et des tablettes. La période d’émergence d’internet a fait l’objet d’une production discursive complexe, constituée à la fois par des revendications progressistes enthousiastes, associant généralement un accroissement de compétences avec une dimension égalitaire, et par des manifestations de résistance ou de refus, conformes à la tradition de la réception des révolutions technologiques. En revanche, il est frappant de constater que l’étape des pratiques connectées, autour de l’outil emblématique du smartphone, n’a fait l’objet d’aucun récit positif. Au contraire, cette évolution s’est accompagnée d’un ensemble de discours dépréciatifs, alimentés par une approche psychologique pointant le caractère addictif et égocentré de l’usage des réseaux sociaux, principalement par les jeunes générations (le caractère « fermé » de Facebook s’opposant paradigmatiquement à l' »ouverture » du web 2.0).
Encore renforcée par le changement de contexte post-snowden, favorisant une réception très négative des principaux acteurs du net comme pilleurs et exploiteurs de nos données privées (voir notamment: Eric Walter, Laurent Chemla, « Internet, les héros sont fatigués« ), cette grille de lecture correspond bel et bien à l’approche déconnexionniste, qui décrit les pratiques connectées comme une régression individuelle, en faisant paradoxalement l’impasse sur ce qui fait leur succès, à savoir leur dimension sociale. Le bon accueil fait à ce récit ne correspond donc pas à une rébellion face à la technologie, mais traduit au contraire le conformisme de la représentation technophobique, calée comme le discours conservateur sur la préservation de « valeurs » existentielles qui sentent bon le camembert.
18 réflexions au sujet de « La "vraie vie" sent bon le camembert »
J’avais trouvé plus drôle le clip J’ai oublié mon iPhone
J’adore le chantage fait ici : « laisse tomber ton iPhone deux minutes et tu remporteras la timbale » (et à la fin, tu meurs). La vision de ce qu’est une existence réussie est effectivement bien standardisée, car chez nous autres, homo artificialus (j’invente mon latin, hein), l’authenticité est un produit parmi d’autres.
Aujourd’hui, sans doute, des gens jouent à 2048 en tenant la main de leurs proches agonisants (ou de leur épouse pendant ses contractions, en tout cas), mais ça n’est pas extérieur à leur vie, ç’en est une partie. Et quand on parle à quelqu’un au téléphone, ou par SMS, ou par mail, ce n’est pas à un simple nom que l’on s’adresse mais bien à une personne (ex. : si on écrit tout le mal qu’on pense de lui à son employeur, un samedi soir par SMS, il est probable que ça aura une incidence dans la vie réelle dès le lundi matin).
Mais bon, le smartphone a effectivement changé une chose : on peut s’isoler en public, contrairement au PC du bureau, qui nous isole aussi, mais au bureau. La situation peut être dérangeante, mais peu à peu, des pratiques et un sens commun de ce qui est poli ou pas finit par se fixer…
Il faudrait retrouver ce qui se disait du walkman, en son temps.
Je me suis surpris récemment à faire semblant de consulter mon iPhone simplement pour me donner une contenance dans un magasin, alors que j’attendais quelqu’un. Une attitude qui suggère la complexité de notre comportement en public, bien loin des fantasmes d’authenticité.
moi je fais semblant de téléphoner pour prendre une photo de côté (à l’aveugle) : j’ai pensé, en lisant l’article, à ces personnes qui se voient offrir un smartphone lorsqu’elles sont engagées (c’est le cas de le dire) par une firme qui tient à les joindre (je vais dans le sens et des rumeurs et des deconnexionnistes je te fais remarquer, puisque les choses vont aussi dans ce sens) un peu comme les mouchards qui espionnent les camionneurs (leur nom a été adéquatement choisi) ou autres dispositifs qui tendent à rendre cette technologie créatrice de paranoÏa (géolocalisation etc…). Par ailleurs, il m’arrive aussi de croiser des gens qui décident( je ne mets pas spécialement de guillemets) de ne pas consulter leurs mails (ou smartphone professionnel donc) du vendredi midi au lundi matin (ils-elle en l’occurrence- répondent aux téléphones quand même) (le cas est empirique, mais avéré).
Comme la langue selon Esope, le smartphone peut être la meilleure ou la pire des choses: l’ubiquité qui confère tant d’utilité à ses usages peut évidemment se retourner en un redoutable défaut, si l’on est impuissant à contrôler l’état de sa connexion. Mais les exemples que tu donnes montrent heureusement que les gens, qui ne sont pas idiots, apprennent rapidement à maîtriser cet aspect, car, ô surprise!, la technique est une dimension qui se gère (par exemple avec un commutateur marche/arrêt, une fonction avec laquelle nous sommes familiarisés depuis l’introduction de l’électricité dans les foyers, un bon siècle avant l’introduction en bourse de Facebook…).
Le smartphone est effectivement devenu le bouc émissaire (pas sûre si on peut employer ce mot pour une technologie?) de l’approche déconnexionniste. Ce qui me choque en regardant ce récital très scolaire de Turk, entre autres, c’est que le message s’adresse uniquement aux utilisateurs occidentaux, ce qui à mon avis, permet d’exclure une approche globale des pratiques des ‘smart technologies’ et du web. Ce que j’apprécie énormément dans ce billet ce sont ses commentaires, sur ADI et sur Mediapart. Les commentateurs raisonnent en fonction de leur propre pratique, leurs expériences éparses ce qui montre à la fois une volonté de comprendre leurs actes et de justifier leur utilité.
Il faudrait ajouter qu’Internet permet et favorise le retour à la terre, loin de l’exclure : on peut désormais travailler à distance, dans la verdure ou sur une montagne, en étant connecté au monde.
C’est avant Internet, que les peuples ont quitté les campagnes pour se concentrer en ville, s’abrutir dans les bureaux et le métro.
Déjà, dans le métro, ils regardaient leurs pieds sans lever les yeux.
Le grand air, la campagne, le sport, l’amour, la vraie vie, les vraies relations sociales, et Internet, ne sont pas incompatibles.
Chez les vieux.
Chez les jeunes, on se déconnecte avec les smartphones et les tablettes et on se reconnecte avec du Nescafé: http://lareclame.fr/71973+musique+nescafe
La pub est plus maligne parce qu’elle joue sur les mots pour séduire la cible qui n’est pas prête à revenir aux signaux de fumée.
Mais ce n’est probablement pas qu’elle est plus maligne, juste qu’elle n’a pas la même cible. 🙂
@Fatima Aziz: « Bouc émissaire » est à mon avis une bonne formule pour caractériser la technophobie en général, et sa dernière évolution en particulier…
@BR: Finement observé!
@Thierry Dehesdin: Du NESCAFE??? La pub n’est pas plus maline (mes enfants trouvent cette pub ridicule), elle a simplement pour fonction de prendre ses désirs pour la réalité.
La pub joue sur les désirs de la cible qu’elle essaie de toucher. Mais elle n’a pas d’autre désir que d’augmenter les parts de marché du produit qu’elle essaie de promouvoir en lui donnant une identité conforme à la logique sociale de sa cible.
On a la pub que l’on mérite…
Pour le récit positif, il suffit d’aller chez Bouygues http://lareclame.fr/64956+musique+bouygues+4g (ou n’importe quel opérateur de télécom)
Ne penses-tu pas que tu surestimes l’importance de l’approche déconnexionniste? D’ailleurs si elle peut encore créer de la distinction, n’est-ce pas la preuve qu’elle est minoritaire?
@Thierry Dehesdin: En toute honnêteté, je ne sais pas comment il faudrait vendre du café instantané. Mais lorsque je regarde cette pub, je me dis que l’agence ne le sait pas non plus… 😉
Surestimer, minoritaire… Par rapport à quoi? Ce que je note, c’est 1) qu’il y a une représentation déconnexionniste, 2) qu’il existe des pratiques connectées, mais pas de récit « connexionniste », c’est à dire pas de valorisation de ces pratiques. Ce qui m’intéresse en tant qu’historien de la culture, car seule l’association à des significations ou des « valeurs » ouvre à la légitimité culturelle. Facebook ou le smartphone se rapprochent visiblement de l’histoire des formes dotées seulement d’une représentation négative – quoique massivement consommées –, comme la télévision, ou, dans une moindre mesure, la photographie amateur.
Dans le même ordre d’idées, on peut remarquer que ni Facebook ni le smartphone n’ont été des outils défendus par les geeks, premiers artisans du discours technophile, Facebook parce qu’ils contredisait les principes d' »ouverture » du web, le smartphone parce qu’il diluait l’outil informatique en une série de fonctionnalités fermées – deux défauts rédhibitoires (et dont le succès auprès du grand public renforçait la condamnation) pour les « barbus » de la révolution numérique… Personne n’est venu les remplacer: Facebook et smartphone ont sombré dès l’origine dans le discrédit, exactement comme la télévision, qui n’a trouvé aucun avocat, mais seulement des consommateurs…
Il existe une valorisation des pratiques connexionnistes : les publicités pour les téléphones portables. Celles d’Apple (Y a une app pour ça: http://www.youtube.com/watch?v=XoPZnz9vxwk) sont majoritairement des valorisations des pratiques connexionnistes, voire des contre-discours anti-connexionniste (http://www.youtube.com/watch?v=q5SN6PIoacM).
En revanche, certaines publicités pour téléphone portable vante la déconnexion, ce qui les rend assez… ambivalentes (http://www.youtube.com/watch?v=NC2GS8q-PeA).
La question est peut-être alors de savoir qui, quelle instance prend en charge ce discours : car si le discours publicitaire est bien là, il semble ne pas y avoir de discours public connexionniste… directement, car nombreux en revanche sont les discours indirects (ne serait-ce que les forums et blogs spécialisés qui disent en creux l’intérêt qu’on peut voir pour le smartphone et son environnement).
Enfin, il y a tout de même eu un premier engouement populaire pour Facebook avant ce discours de discrédit, qui n’est en somme qu’un discours d’accompagnement élitiste classique?
Non, la publicité ne créé aucune valeur, elle ne fait qu’inviter à consommer (« drink Coca-Cola »). La valorisation culturelle résulte de la production de significations par des autorités en principe indépendantes, typiquement représentées par la critique. « L’engouement populaire » est lui aussi distinct de la construction de la légitimité culturelle. Quoique très pratiquée, la télévision dispose d’un très faible degré de légitimité.
Je suis vraiment étonné d’une telle déclaration. La critique est aujourd’hui à la remorque des valeurs qui se sont créées hors de son avis. Et la publicité a participé de tout temps à la circulation des valeurs (peut-être pas à leur création, c’est vrai, quoiqu’on pourrait discuter de ce point). Ce qui met du Coca sur les tables de très nombreux convives, c’est modérément le goût, non? Et ne pas avoir de Coca sur la table est une valeur fort négative dans bien des chaumières, même celles de légitimistes médiatiques.
À mon sens, la légitimité de la critique s’effondrait lentement avant internet: c’est déjà la télévision qui en tenait les rênes, ce qui d’ailleurs avait pas mal énervé Bourdieu (son « Sur la télévision » n’est qu’une réaction épidermique au constat de cet état de fait, et les critiques – télé – n’avait pas manqué de le lui faire savoir), elle a implosé depuis.
Exemple : la légitimité cinématographique, dont les Cahiers et autres Positif ne sont absolument plus les dépositaires. La « résistance » de Godard à la venue à Cannes sonne comme un chant du cygne de la légitimité, salué à sa manière par Gilles Jacob par un « so long, Jean-Luc » (http://www.telerama.fr/festival-de-cannes/2014/jean-luc-godard-ne-viendra-pas-a-cannes,112504.php#xtor=EPR-126-newsletter_tra-20140519).
Autre exemple, rebattu, la légitimité journalistique, sans cesse ballotée, d’une part par les poussées populaires des blogs, d’autre part part la mutation profonde du modèle économique de la presse qui conjugait légitimité et maitrise des sources d’information et des canaux de diffusion. Les journaux français ne cessent d’étaler leurs conflits entre rédaction (légitimes) et actionnaires, et les conflits d’intérêt entre les deux – pas forcément à l’avantage des premiers, qui ont besoin de cette légitimité pour exister, tandis que les seconds se situent dans un autre système de valeurs.
Je dirais, de ce point de vue, que le web fait tranquillement prévaloir le « pragmatisme économique anglo-saxon », qui met à mal le modèle de la distinction « à la française ». La valeur se mesure en chiffre, et ce qui est légitime à l’aune de sa viabilité économique, me semble-t-il, aujourd’hui bien plus et bien plus ouvertement qu’hier.
La thèse de la Distinction implique qu’il existe des pratiques de légitimité variable. Elle suggère également que le processus de valorisation réplique fondamentalement la division de la société en classes. En résumé, ce qui est légitime sont les pratiques des classes supérieures, ce qui ne l’est pas sont celles des classes inférieures. Il y a des variantes, des exceptions et des constructions de légitimités alternatives, mais ce modèle reste puissant, ne serait-ce que parce qu’il dispose de l’appui de la plupart des institutions, à commencer par l’école. Cependant, comme le montre l’exemple traité ci-dessus, des pratiques populaires peuvent à l’évidence se diffuser en l’absence d’une légitimité établie, ce qui me paraît du plus grand intérêt. Il faut alors faire intervenir d’autres paramètres. Facebook et le smartphone sont des exemples de pratiques dont la diffusion s’explique par l’utilité plutôt que par la construction symbolique.
Que le processus de valorisation réplique fondamentalement la division de la société en classe, je suis d’accord. Que la thèse de la Distinction implique qu’il existe des pratiques de légitimité variable également. Mais cette variabilité est propre aux différentes classes sociales qui produisent chacune leur Distinction. Et c’est son étude qui permet d’étudier le rapport que chacune d’entre elles entretient avec sa condition.
Lorsque tu faits tienne l’idée que des pratiques seraient légitimes et que d’autres seraient illégitimes, que ce soit pour les dénoncer ou les endosser, tu deviens un sujet d’étude pour la théorie de la distinction.:-) Tu possèdes un capital culturel conséquent et tu prends tes distances avec une partie de tes pairs.
Pour ce qui est de la diffusion de Facebook, je ne connais pas d’étude sur le sujet sous cet angle, mais en ce qui concerne Facebook (il faudrait inviter Fatima Aziz à cette discussion) son utilité c’est me semble-t-il de construire du lien social, donc un réseau, dont on sera exclu ou inclus sur des bases symboliques. Avoir des amis sur Facebook est en soi une construction symbolique. Facebook qu’il s’agisse du lien social de la mise en ligne de son image ou de ses images me semble n’être que du symbolique.
Et un smartphone qui ne serait que le reflet de l’utilité plutôt que de la construction symbolique, ça me semble être du même ordre que de penser que l’on achète une voiture pour sa fonction utilitaire. L’objet en lui-même peut-être choisi pour son prix (et ce que ce prix renvoie aux autres) et/ou pour son esthétisme (et ce que cet esthétisme renvoie aux autres). Il peut-être personnalisé par son étui, des stickers, l’endroit où on le porte. Son usage peut n’être que celui d’un téléphone, d’un téléphone plus mail, d’un téléphone plus réseaux sociaux, répondre prioritairement à un « besoin » photographique etc. Autant de façons de l’utiliser qui au nom de sa supposée utilité renvoient à une construction symbolique.
Je pense également que la pub ne crée aucune valeur, mais elle est un miroir de celles de la cible qu’elle cherche à atteindre. Une caisse de résonance.
Je partais initialement comme toi d’un a priori relativiste, selon lequel chaque groupe élabore ses propres repères culturels, et par conséquent ses propres critères de légitimité. Mais cette vision optimiste de la construction socio-culturelle ne tient malheureusement pas compte de l’absence d’égalité des groupes entre eux, ni des effets bien réels de la domination de certains sur d’autres, dont le paysage politique (espace de pouvoir par excellence) nous donne par exemple l’illustration.
Tout comme « certains sont plus égaux que d’autres » (Orwell), il y donc bien des pratiques plus légitimes que d’autres, et intériorisation par ceux qui ne se sentent pas légitimes (attitude caractéristique des classes défavorisées) de la situation d’infériorité qui leur est faite. Nous avons eu bien des discussions sur Culture Visuelle à ce propos, mais le meilleur exemple est sans doute celui des fans de blockbusters, qui assurent l’autonomie d’une pratique qu’ils aiment, mais qu’ils savent dévalorisée, par l’exclusion des censeurs et des autorités représentatives du monde distingué (moi en l’occurrence, cf. http://culturevisuelle.org/icones/1914 ). Il y a donc bien une échelle « objective » de la légitimité pour une société, que chacun doit apprendre à identifier, même s’il n’est pas d’accord avec elle.
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