Getty admet la conversation

Pour publier mes travaux sans encombre, et parce qu’il n’existe pas d’exception de citation des images,  je suis devenu un expert du Code de la propriété intellectuelle. Peut-on attendre de tout usager du web un tel degré d’investissement dans les arcanes du droit? Alors que le gouvernement français a récemment désigné une mission pour ajouter une nouvelle exception de citation, destinée à codifier les œuvres dites « transformatives », à l’interminable liste qui délimite l’espace du partage autorisé, Getty Images, plus grosse banque d’images au monde, vient de répondre à cette question par la négative.

En autorisant l’usage gratuit d’une partie de ses collections (35 millions d’images sur 150) dans un contexte non-marchand, l’agence consent à cesser de considérer l’usager à l’instar d’un acteur professionnel prêt à faire face aux subtilités du Code, et admet la spécificité des usages citationnels de la conversation documentée, placés hors droit d’auteur. «Images are the communication medium of today and imagery has become the world’s most spoken language», observe le PDG Jonathan Klein.

S’il n’est pas certain que la solution technique proposée par Getty, sous la forme d’un lecteur exportable imité de YouTube, dans le but de collecter des données, constitue une réponse appropriée au constat que les usagers «n’ont typiquement aucune connaissance du droit d’auteur ou des licences», la prise en compte de la réalité des usages est une inversion du principe consistant à étendre la logique marchande  à l’ensemble des pratiques communicantes. Les impasses d’Hadopi avaient déjà suggéré qu’on atteignait les limites du traitement juridique, face à des comportements culturels devenus majoritaires (en pratique, la mobilisation de la machine judiciaire ne se justifie que lorsque le dommage se chiffre en milliers d’euros – un montant rarement atteint par les pratiques non-marchandes).

La conclusion de cet épisode est celle-là même que je proposais il y a quelques mois: le droit d’auteur, codification des usages marchands, ne peut pas servir à gérer la conversation, située hors marché. Plutôt que d’allonger le catalogue des exceptions de citation, il est temps d’abandonner une logique caduque.

7 réflexions au sujet de « Getty admet la conversation »

  1. En fait, en te lisant, on se rend compte que tu prônes une forme de légalisation des échanges non-marchands appliqués aux images, plutôt qu’un passage par les exceptions au droit d’auteur.

    C’est le cheminement que nous avons suivi finalement à la Quadrature, où d’abord il avait été proposé d’adapter l’exception de copie privée pour légaliser le partage. Mais finalement, nous avons plutôt choisi d’essayer de constituer la sphère des usages non-marchands en dehors de l’action du droit d’auteur, grâce à un mécanisme appelé l’épuisement des droits que l’on pourrait étendre au numérique https://www.laquadrature.net/fr/elements-pour-la-reforme-du-droit-dauteur-et-des-politiques-culturelles-liees#partagenonmarchand

    Ce que fait Getty reste ancré dans une base contractuelle, mais cela participe en effet de la reconnaissance de cette sphère des usages non-marchands.

    Et si on veut éviter les solutions techniques bancales, impliquant en plus l’exploitation des données personnelles, il vaut infiniment mieux que le partage soit consacré par la loi, plutôt qu’organisé par le biais de contrats.

    Je comprends mieux en te lisant les réticences que tu avais concernant une exception en faveur du mashup.

  2. N’oublions quand même pas que la solution proposée par la Quadrature du net semble plus que bancale et nécessiter une surveillance extrêmement fine des comportements pour prendre en compte l’effet longue traîne.

    Philippe Aigrain ne déclare pas qu’il n’y aurait pas d’atteintes à la vie privée : il soutient que les internautes n’auraient plus de « raisons de cacher ce qu’ils font » :

    « Cela dans une situation où ces internautes auraient toutes les raisons de cacher ce qu’ils font. Par contre il serait impossible d’acquérir une vision correcte des usages lorsque l’intérêt de chacun est que ces usages reconnus comme légitimes soient correctement mesurés. Il y a dans la cécité de cet argument un témoignage de la véritable autointoxication que se sont infligés certains industriels du contenu. »

    http://menbienscommuns.com/2014/02/17/la-quadrature-du-net-veut-elle-nous-placer-sous-surveillance/

    La contribution créative nécessiterait poserait également l’inconvénient de bloquer mécaniquement les ressources du secteur, tout en posant de grosses difficultés de répartition.

  3. Le choix de Getty, a mon avis, n’est pas la reconnaissance du droit de citation, mais bien au contraire, c’est son remplacement par un échange de marchandises: publication gratuite en échange de publicité et des données sur l’utilisateur.

  4. Sur le paradis Getty, je me permets de citer ceci (qui va dans le sens de ce que dit Michele Smargiassi dans les réponses ci-dessus) :
    « Because GettyMart doesn’t really give a Spams-Ass about their images being used on blogs without pay. They care about BIG DATA. They care about the ability to mine the information from the embedded images. They care about revenue. They care about obliterating competition.
    When you get a “free” image from GettyMart, you are embedding it like a YouTube video, thus allowing GettyMart to play big brother and gather all sorts of information about the use of the photo. But that’s not all GettyMart can do by giving away images. It can then take the information from the millions of embedded images filling blogs worldwide and present the data to advertisers. Voila, targeted advertising and the blogs can do absolutely nothing about it. »
    Source: http://thebigphotoblog.com/2014/03/gettymart-and-their-35-million-free-images/

  5. @Calimaq: « il vaut infiniment mieux que le partage soit consacré par la loi, plutôt qu’organisé par le biais de contrats » : on est d’accord sur le principe, bon courage pour l’application… 😉

    L’intérêt du cas Getty est de poser clairement deux constats: 1) l’architecture de fine dentelle du droit d’auteur est impraticable par M. Tout-le-monde (relire à ce propos mon billet: « Le copyright expliqué aux enfants« ). 2) La protection juridique qu’il confère est théorique dans une économie où le coût unitaire des contenus est faible (après s’être doté d’un outil de repérage des usages pirates, Getty n’a poursuivi en justice que dans 7 cas). Ergo: l’approche répressive ne marche tout simplement pas, elle est submergée en pratique par la vague des usages.

    A partir de là, je ne pense pas que la démarche proactive de Getty rencontre un grand succès, ni que les gens qui copiaient hier par glisser-déposer recourent demain à l’embedding. Mais ce dispositif a d’autres qualités: il est fait pour rassurer les actionnaires avec un peu de data (autant dire de la poudre de perlimpinpin…) et permet un joli coup de pub. Si l’on considère la marge des options réelles de l’agence, l’affichage d’une politique volontariste vaut mieux que de se croiser les bras…

  6. « A partir de là, je ne pense pas que la démarche proactive de Getty rencontre un grand succès, ni que les gens qui copiaient hier par glisser-déposer recourent demain à l’embedding. »

    Je suis assez d’accord, d’autant que les incertitudes planent sur l’utilisation qui peut être faite de cet « espace Getty » que la banque d’images cherche à se ménager un peu partout. Je pense surtout à l’apparition potentielle de publicités (en plus ou à la place d’un logo Getty déjà prégnant). Cela me rappelle que Flickr a mis sur pieds un même principe de player exportable il y a quelques temps? Quel a pu être son succès?

  7. Flickr a apparemment mis à jour il y a quelques semaines son player.http://www.fredzone.org/export-photos-flickr-123

    Mais dans quelle mesure l’embedding est-il obligatoire pour les stats et la pub? Si des mots clefs sont associés aux fichiers et conservés par un copié, collé les internautes iront-ils faire le ménage?

    Les petits sites perso sont devenus un enjeu publicitaire. J’ai été contacté par une agence anglo-saxone spécialisée dans la commercialisation d’espace publicitaire sur des blogs perso. Leur idée c’est que l’impact d’une pub ciblée sur un grand nombre de petits sites spécialisés ne coûte pas plus cher et à une plus grande efficacité que sur un grand site de news généralistes.

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