Faut-il mourir pour accéder au dernier stade de la sanctification? Pour les deux cas que j’ai pu réellement observer, Diana et Mandela, cette condition paraît bel et bien impérative. Non seulement parce que la disparition d’un personnage aimé suscite une émotion légitime. Non seulement parce que cette émotion justifie un déploiement médiatique de grande ampleur, et donne l’occasion d’une remobilisation majeure. Mais aussi parce que seule la disparition de la personne réelle permet une appropriation achevée, et la transformation d’un personnage en effigie. Bardot ou Delon, vivants, donnent lieu à de tristes dérapages, qui sont pour toujours épargnés à Marilyn.
Confronté à la description médiatique des vies de stars dans les années 1950, Edgar Morin avait qualifié d' »Olympiens » ces semi-divinités, et perçu la mort brutale de James Dean ou de Marilyn Monroe comme la marque de la fin de cette époque enchantée. Mais la vie médiatique n’est pas la vie biologique. Star ou saint, la transformation d’un être vivant en forme culturelle fige un personnage. La mort n’est ici qu’une étape, nullement terminale, d’un processus qui permet au contraire la renaissance de l’idole sous sa forme médiatique. Pourquoi arrêter la biographie d’une icône à sa date de décès? Celle de Che Guevara ne commence véritablement qu’après 1967.
Pour Diana comme pour Mandela, le travail du mythe avait largement commencé de leur vivant. Mais la disparition apporte plusieurs atouts décisifs. En premier lieu, une clôture narrative, indispensable à l’achèvement de la mutation en produit culturel. Elle impose également la forme de l’hommage, état narratif idéal de la surhumanité de l’idole. La vie des saints, qui est d’abord un récit, ne peut vraiment commencer qu’après leur mort.
4 réflexions au sujet de « La vie des saints commence après leur mort »
Une émission sur Pétain vient tout juste de se terminer a la télé.
Supposons qu’il soit mort a 83 ans, en 1939 …
A quoi tient la gloire !
Votre plaisanterie suggère qu’il faudrait aussi se pencher sur le cas des monstres historiques: avant-hier, Néron; hier, Hitler ou Staline; plus récemment, Pinochet ou Mélenchon (cherchez l’intrus…), qui font aussi de bons produits médiatiques…
Un cas singulier mais non contradictoire : celui de Rimbaud. Sa sanctification commence avant sa mort (Verlaine, Les poètes maudits, 1884), mais parce qu’il avait disparu et que personne ne savait où il était ni ce qu’il faisait…
(L’avantage des morts ou des disparus, c’est qu’ils ne peuvent plus protester, ou contredire leur statue.)
@ JD: C’est effectivement un excellent exemple: Rimbaud adulte contredit deux fois la légende de l’enfant-poète. Sa disparition physique équivaut à un décès, et l’éloge de Verlaine, celui du poète disparu, tisse le passé du registre posthume avec un présent dénié…
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