Place de la Toile, la meilleure émission consacrée aux cultures numériques, se penche ce soir sur les dernières évolutions de la photographie. Sous la direction toujours éclairante de Xavier de La Porte, Laurence Allard, Jean-Christophe Béchet (Réponses Photo) et moi-même critiquons la notion d’amateur, interrogeons la détermination technique et envisageons les nouveaux usages de l’image comme un langage. Sans oublier Thibault Henneton, qui m’épingle pour la banderille finale. Ce soir de 18h10 à 19h sur France Culture, avec commentaires en live-tweet pour décrypter crocs-en-jambe et effets de manche (réalisation: Vanessa Nadjar, stagiaire: Alexandre Jubelin): « La photo à l’ère du numérique« .
Précédentes interventions à Place de la Toile:
- André Gunthert, autobiographie numérique, 22/05/2011.
- Si la photo (numérique) est bonne…, 11/07/2008.
- La néthique, 16/11/2007.
14 réflexions au sujet de « Place de la Toile fait le point sur la photo numérique »
Je profite de ce billet pour compléter ma réponse à la question terminale de Thibault Henneton: « Cette médiatisation à tout crins par l’image, à aucun moment vous ne l’avez critiqué. Etre ‘touriste du quotidien’, est-ce que ça ne veut pas dire aussi qu’on est étranger à sa vie? »
(J’avais caractérisé par l’expression « touriste du quotidien » l’extension d’archivage, permise par la nouvelle disponibilité de la fonction photographique, à tous les moments de la vie quotidienne.)
Le point important à saisir ici est que la prise de vue touristique est une pratique d’appropriation culturelle (voir mon billet: « La photographie, monument de l’expérience privée » ).
C’est uniquement parce que la photographie n’est pas identifiée comme pratique culturelle qu’on peut s’étonner du mystère qui fait rephotographier un monument mille fois enregistré . Pourtant, personne ne s’étonne lorsqu’un professeur recommande à un élève de lire Le Rouge et le Noir ou Un Sac de billes. Chacun comprend que la lecture de ces romans est une opération de partage et d’apprentissage d’un patrimoine commun, dont le nombre d’itérations ne fait que confirmer la valeur. Largement encodée par une série de grilles préalables, l’opération touristique relève exactement du même principe. Photographier la Tour Eiffel, pour quelqu’un qui ne l’a jamais vue, signifie à la fois s’approprier un monument de la culture mondiale et prouver sa participation individuelle à cet espace commun.
Etre « touriste du quotidien », ce n’est pas être « étranger à sa vie », c’est au contraire bénéficier de nouveaux moyens pour se l’approprier.
Je relisais récemment le bel article de Gombrich, « L’image visuelle » (1972), où l’on peut lire ceci: « En quittant la maison, nous passons devant des panneaux d’affichage bordant la route qui s’efforcent d’attirer le regard et jouent sur notre envie de fumer, de boire et de manger. Sur notre lieu de travail, il est plus que probable que nous aurons affaire, d’une façon ou d’une autre, à de l’information en images (…). A l’heure de la détente, le soir, nous nous asseyons devant le poste de télévision – cette nouvelle fenêtre ouverte sur le monde – et nous regardons surgir puis s’évanouir des scènes joyeuses et terrifiantes » (L’Ecologie des images, p. 323).
En 1972, la totalité du paysage visuel décrit par Gombrich – pub, médias, télé – est manufacturé. Or, la production personnelle n’est pas assimilable à la production médiatique. Produire ses propres représentations, c’est mieux contrôler son quotidien. Faire d’autres images du monde, les siennes, les partager et les commenter sur les réseaux sociaux, ce n’est pas se rendre étranger au monde, c’est au contraire contribuer à se le réapproprier.
Bonjour André,
pour poursuivre cette sympathique discussion, voici un petit article de blog où je développe plus avant l’hypothèse de la photo mobile comme médium de l’intériorité en complément des usages d’appropriation culturelle que tu décris bien avec la métaphore du « touriste du quotidien ». Merci encore à Xavier de la Porte, Thibault Henneton et Alexandre Jubelin de nous avoir convié à cette émission et donné l’occasion d’un débat photo mobile à l’appui car oui cela sentait bien le pamplemousse 🙂
Bonne lecture à tous de « Qu’est ce qu’une photo à l’ère du numérique et du téléphone mobile ? » sur http://www.mobactu.fr/?p=831
@laurence allard: Merci pour ce billet, belle synthèse de tes travaux. J’aime beaucoup l’idée de revisiter le « curieux » de Pomian (mais c’est de façon plus générale tout l’espace documentaire du web qui favorise notre curiosité). Je suis moins convaincu par l’accent mis sur la notion d’interiorité, dans la mesure où elle s’articule avec une visibilité nouvelle de nos productions personnelles, et où la représentation de soi relève quoiqu’il en soit de notre gestion de l’espace public. Il y a sans aucun doute différents niveaux de conversation, mais ce qui me paraît frappant aujourd’hui, c’est plutôt la possibilité de jouer d’une très vaste gamme de situations de communication, de la plus ouverte à la plus fermée.
Il me paraît très difficile de caractériser l’ensemble des usages « privés » de l’image par un seul motif. Je vois trois volets principaux: documentaire, conversationnel et « monumental » (représentation de soi). Mais il faut aussi ajouter qu’il existe un important volet d’usage « passif », sur un mode d’enquête, d’images dont on n’est pas soi-même producteur. Il faut également tenir compte de la porosité des différents domaines visuels (images d’enregistrement de provenances diverses, sources graphiques). Enfin, comme je l’ai dit pendant l’émission, l’invitation à renforcer l’articulation d’énoncés avec l’image (principalement dans le mode conversationnel) me semble une évolution considérable.
Inconditionnel de FranceCulture, j’ai été assez effondré par cette émission.. Entendre que le photographe est considéré comme « artiste » depuis 20 ans fait sourire, et entendre le récurent et ridicule poncif de « professionnel » dans une émission supposément sérieuse (tip : en photo l’étiquette « professionnel » pour faire chic on dit « pro » est juste un moyen marketing de vendre du matériel cher, le professionnel, c’est à dire celui qui vit de » n’existe que de façon marginale) entendre s’étonner de voir la photo introduite dans un outil de communication… etc etc…une catastrophe.
Il serait par ailleurs intéressant de consacrer une émission (ou un article de ce blog ) aux vertus magiques du terme « professionnel » dans le milieu photographique qui est a ma connaissance, (exception faite de la musique peut-être pour les mêmes raisons) le seul domaine ou ce terme a des vertus quasi magiques alors qu’elles décrivent une réalité purement fantasmatique et que ce référent « professionnel » un tiers-homme, un tiers-dieu, un tiers-artiste n’existe pas dans le monde réel.
@Luc: Tu fais surtout allusion aux interventions de Béchet, qui était un peu en décalage. Sur mon blog, tu peux lire: « Ne parlons plus des amateurs »… http://culturevisuelle.org/icones/2801
Bonjour André
J’ai fait court parce que je ne voulais pas m’étaler, mais tes interventions (notamment sur l’aspect discursif de la photo) étaient les seules intéressantes.
Pour le reste c’était une compilation de poncifs éculés vraiment navrante…voire de pures contre vérités stupéfiantes comme le couplet surréaliste sur le fétichisme du matériel en baisse depuis le numérique alors que (ça a été mon métier dans ma jeunesse) le matériel utilisé n’était d’aucune importance à l’époque du film. Le fétichisme du bit et du pixel est survenu précisément avec le numérique, ce fétichisme n’ayant d’ailleurs pas grand rapport avec l’usage lui-même, mais c’est une autre histoire assez banale, les dingues de l’objet étant rarement, quelque soit le secteur concerné, de grands pratiquants.
Il est hallucinant que FranceCul qui sait faire des choses vraiment bien et les fait en général, se vautre à ce point sur un sujet relativement simple comme celui des évolutions sociales/sociétales/etc.. de l’usage de la photo.
@Luc: Tu es un spécialiste, très avancé par rapport aux technologies numériques, ce n’est pas étonnant qu’une telle émission ne t’apprenne rien. Tu n’es pas non plus très représentatif des approches plus traditionnelles de la photo, qui sont encore très courantes dans le monde pro…
Ce n’est pas moi qui ait dressé la liste des invités, mais j’ai cru comprendre que l’angle choisi était celui (que nous avons contesté) des « amateurs ». Par rapport à ce choix, on peut comprendre à la fois la présence de Béchet (cf. l’une des premières questions où on lui demande de témoigner de l’évolution de la photo amateur), et la gamme d’options restreintes de l’émission, les spécialistes du sujet ne courant pas les rues… Par ailleurs, il est vrai que la photo est peu traitée, et que ses porte-paroles sont souvent un peu hétéroclites (j’avais participé en juin à une émission analogue sur France-Inter, où nous avons eu un passage nettement plus surréaliste sur les objectifs, par un journaliste de Que Choisir. Un grand moment de solitude… 😉
@andré
C’est sans doute exact, il y a pourtant une infinité de choses qui sont spécifiques au numérique et dont je n’ai pas entendu parler.
La question de la pérennité (et au-delà de l’importance attachée à la pérennité) me parait une d’entre elles. Nous vivons à une époque ou tout (ou presque) permet de produire des images et ou il n’est pas exclu que nos petits enfants, au gré des flingages de disque et autres fausses manip accidentelles ne sachent pas à quoi nous
A l’inverse il y a dans des greniers des images datant d’un siècle a l’époque ou la photo était quelque chose de rare.
Je ne sais pas si c’est dommage, mais en tous cas c’est nouveau remarquable et intéressant et surtout étroitement lié au numérique (on pouvait certes perdre une pelloche mais bon, grosso modo les photos perduraient au moins un peu).
Autre point évoqué mais survolé et de façon peu intéressante : le rapport image fixe / image animée.
Il est passionnant ce rapport, parce que (théorie personnelle certes) l’impact du numérique, un des principaux impacts du numérique, qui nous amène a repenser notre environnement technique et de fait nos pratiques, c’est la fin de la séparation entre l’outil et la fonction.
Les caméras ne photographiaient pas parce que conceptuellement dans un contexte analogique une caméra était conçue et industriellement fabriquée pour filmer, elle ne pouvait pas photographier c’est aussi bête que ça. La même chose s’applique à un appareil photo.
Aujourd’hui les outils qui nous entourent singent leurs ancêtres à film.
On ne s’est pas demandé lors de l’émission pourquoi un appareil photo numérique ressemble autant à un appareil photo à film alors que techniquement rien ne l’y oblige et que le succès de la partie image des smartphones montre bien qu’en terme d’usage ce design séculaire séduit au fond assez peu en dehors des porteurs de signe.
Ils singent donc les outils de l’époque du film mais au fond ne sont plus que des interfaces capables de produire exactement les mêmes résultats (techniquement il n’y a pas de différence entre un appareil photo numérique compact et un caméscope, seule diffère sa présentation).
Une excellente illustration de cette disparition de la ségrégation fonction / outil en est la musique : une bonne partie des clips vidéos est réalisée..avec des appareils photo juste parce que c’est plus commode.
Une question qu’on peut donc se poser est : comment une génération pour laquelle la différence entre photo et vidéo est juste une fonction actionnée ou pas sur un téléphone va-t-elle vivre l’abysse que notre génération voit entre ces deux façons de s’exprimer (pardon, « ces deux pratiques culturelles »).
En ce sens, jugé avec recul, distinguer l’usage du smaretphone de celui des autres outils est étonnant ou du moins le fait qu’il nous vienne l’idée de le faire mérite qu’on s’y arrête un peu.
Est-ce que ce faisant nous manifestons la nostalgie d’une époque (toujours cette histoire fonction /outil) ou un téléphone.. téléphonait (point de vue plein de sens pour un quinquagénaire, point de vue probablement totalement surréaliste pour un jeune) ?
L’histoire du fameux vocable « professionnel » est elle aussi passionnante sur la timidité de notre rapport à la culture, parce que il se fait, que, sans que je sois certain qu’il y ait un lien direct entre les deux, les photographes professionnels (au sens fantasmatique) ont disparu à peu près au moment ou la photo numérique s’est vraiment développée.
En dépit de ce que toutes les études (ou les chiffres de vente) montrent sans discussion possible (à savoir en gros que en 2013 le photographe professionnel c’est le gars en bas de chez vous qui fait des photos de mariage et imprime des livres de vacances sur un minilab numérique) le fantôme de ce mythique « photographe professionnel » (un type qui parcours le monde en veste à poches, passant d’une guerre oubliée à un petit enfant mourant de faim) continue a hanter le monde de la photographie, ou plus exactement le monde du discours sur la photographie.
Il n’y a pas d’autre secteur (encore une fois le marché de l’instrument de musique vaguement mise à part) ou le vocable « pro » provoque une érection consumériste chez le candidat acheteur. Personne ne rêve de rouler en camion, pourtant le « chauffeur professionnel » roule en camion, personne ne rêve d’avoir une cuisine de restau dans son appart, pourtant le « cuisinier pro » travaille avec ça etc etc…
Le terme de « professionnel » est habilement travaillé par les marchands dans la photo, mais s’il a un tel écho, si ça marche aussi bien pour vendre du matériel surdimmensionné, c’est parce que ce milieu a une espèce de frustration romantique vis-à-vis de cette image mythique qui nourrit le discours commercial.
Et ce phénomène, ce « culte du professionnel » est en grande partie lié au numérique.
A l’époque du film la question de savoir avec quel matériel était faite une photo était assez anecdotique.
Aujourd’hui une émission sur France Culture sépare la photo faite avec un objectif, un capteur numérique et des processeurs installés dans un ordinateur de poche de la photo faite avec un objectif, un capteur numérique et des processeurs installés dans un boîtier ressemblant aux appareils à film.
A l’époque (pas si lointaine) du film roi, la diffusion de la photo passant essentiellement par les expos et les magazines, la distinction entre le professionnel (celui qui vit de.. a noter qu’il n’y a pas de connotation qualitative dans ce terme) et l’amateur (celui qui aime/pratique mais ne vit pas de) ne se posait pas tellement elle allait de soi.
Aujourd’hui le professionnel a disparu et dans le même temps la publication (qui était son pré carré) est partout (encore un phénomène directement lié au numérique), d’où sans doute cette emphase sur le « professionnel » qui permet à la caste qui commente/vend d’expliquer au bon peuple qu’il est sommé de rêver et consommer cher, mais de ne pas imaginer qu’il pourra faire bien parce qu’il n’est pas « professionnel »
Je pourrais continuer comme ça à l’infini, le couple numérique et image est passionnant parc qu’il agrège pas mal de comportements sociaux, consuméristes, culturels, industriels, communicants etc… et franchement le plateau réuni (toi excepté) était vraiment décevant (ce qui je l’avoue est un jugement de valeur éminemment personnel).
@Luc Je crois que tu sous estime énormément le mythe du « professionnel » au temps de l’argentique. Le modèle c’était le photographe de mode et non le photo-reporter. Bretecher avait réalisé une double page illustrant le slogan publicitaire d’une école privée de l’époque (« Devenez ce professionnel ») qui l’analysait très bien. (Impossible de la retrouver sur Internet)
L’argument était cependant sans doute moins utilisé à l’époque pour vendre du matériel. Il s’agissait plus de s’identifier à un mode de vie idéalisé (sea, sex and sun) que de réaliser des photos. J’ai connu plein de gens à l’époque qui rêvaient de devenir photographe mais qui ne prenaient pas de photos.
@Thierry
Excellente remarque, c’est pour cela que j’ai parlé d’une emphase surréaliste sur un photographe « mythique ».
Aujourd’hui cette référence au professionnel n’est pas ancrée dans le réel.
À l’époque du film bien sur que le photographe professionnel (de mode ou reporter ) faisait partie des professions a fort potentiel d’attraction, plutôt pour le personnage d’ailleurs (ce fameux sea sex and sun avec lequel je suis à 100 % d’accord) , que pour ce qui est de l’envie d’embrasser la profession. Mais avant tout à cette époque ce professionnel qui faisait rêver comme le faisaient les hôtesses de l’air, les chanteurs ou les pilotes de rallye existait vraiment.
Non seulement il existait vraiment mais on pouvait se sentir/avoir envie d’être proche de lui. Lorsque j’étais jeune, les éditions Mondiales publiaient une revue photo qui s’appelait justement Photo Reporter, ce qui aujourd’hui n’aurait pas de sens parce que personne ne rêve concrètement d’être photo reporter, ce professionnel est devenu un mythe dégagé de la réalité. Les agences meurent et « l’amateur averti » ne rêve pas de devenir professionnel mais de vendre ses photos à un Fotolia quelconque pour en tirer quelques kopecks.
Aujourd’hui ce professionnel fantasmé est en grande partie un mythe et il est intéressant de noter qu’il a été élevé au rang de mythe (dans les cercles avertis on dit « pro » avec un sourire entendu) précisément au moment ou d’un côté le numérique est monté en puissance et ou de l’autre pour diverses raisons (problème de qualité, concurrence avec les supports numériques dont l’impact avait été sous-évalué etc..) ce professionnel a en grande partie disparu entrainé par le tourbillon de l’effondrement économique des médias très illustrés.
L’exemple de l’école qui promet de « devenir ce professionnel » est un bon exemple, aujourd’hui il subsiste peu d’école de ce type (il y en a encore certes quelques unes), contrairement à d’autres métiers adjacents ou le professionnel existe encore comme le journalisme (il y aura bientôt plus d’écoles de journalisme que de journalistes en exercice à tel point que les courbes respectives de croissance des unes et de paupérisation des autres sont symétriquement inversées et qu’on peut à bon droit se demander si à terme le débouché naturel pour un journaliste ne sera pas un jour de travailler pour une école de journalisme).
Lorsque je dis que le professionnel a disparu, bien sur c’est excessif (quoique) il en reste quelques uns, cela dit entendre parler de référence (révérence?) à un « professionnel » dans une émission de 2013 sur la photo numérique est un rien surréaliste, et surtout réfère à la difficulté (générationnelle?) de se défaire des clé de lecture du monde précédent, analogique, pour aborder un domaine (le numérique) qui n’utilise pas les mêmes serrures.
C’est ce dernier point que je reproche à l’émission. Lorsque je dis que le plateau était décevant, cela ne remet pas en cause la qualité personnelle de tel ou tel, mais cette émission (encore une fois les interventions d’A. Gunthert mises à part) a surtout montré l’incapacité d’aborder un domaine régit désormais par une technologie numérique (les les usages associés) avec les codes qui prévalait dans sa version précédente analogique.
@ Luc: Remarques intéressantes, mais encore une fois tu concentres essentiellement le focus sur Béchet. Globalement, à en juger par les réactions, je pense que le message qui est passé n’était pas le sien, mais celui de la vision plus sociale défendue par Laurence et moi (tu ne peux pas me mettre « à part » de cette émission: c’est moi qui ai parlé le plus… 😉 Il s’avère que j’ai participé à bon nombre des émissions radio tournant autour de la photo numérique, et toutes choses égales par ailleurs, je crois que celle-ci était la meilleure, et de loin. Il faudrait pouvoir faire la comparaison avec celle de 2008 (malheureusement non diffusée), avec Caujolle et Zackmann, mais dans mon souvenir, on était à des années-lumière. Si tu en as une meilleure à signaler, n’hésite pas…
Le problème du décalage de l’image de la photo avec la réalité de la pratique n’est pas imputable à France Culture. Il est clair aujourd’hui que la crise de la photo pro porte avant tout sur ses usages publicitaires et illustratifs low cost, ce qui révèle paradoxalement la part importante de ces activités, pas très glamour et habituellement passées sous silence. On peut largement expliquer le privilège de la photo d’auteur et du photoreportage dans la représentation de la pratique professionnelle par l’activité régulière des deux principaux festivals de photographie: Arles et Perpignan. Pour de nombreux médias, le principal porte-parole de l’activité photo aujourd’hui reste Jean-François Leroy. Comparativement à ce point de repère, Place de la Toile a fait entendre une approche nettement différente.
Il y a des smartphonistes qui captent leur petit ami au réveil, peut-être pour se souvenir d’un matin heureux, ou bien juste comme on emporterait avec soi dans son métro un petit morceau lumière.
Il y a des photographes qui cherchent la belle image, ou l’expression forte. Qui font des expos, qui sont dans les clubs, qui échangent sur les forums, qui jouent du boîtier comme on joue de la musique, à des niveaux divers. Certains rêvent des « pros » dont vous parliez mais pas tous, loin de là. Ils consacrent du temps à LEURS images, parcequ’elles sont une part de LEUR identité.
Il y a des gens qui essaient de tirer profit de la photo mais ne s’intéressent finalement à l’image que d’assez loin et qui me font de la peine.
Il y a des gens qui consacrent du temps et de l’énergie aux images qu’ils élaborent ou attrapent pour – et avec – les autres. Il y belle lurette qu’ils ne vont plus en Jag’ chopper leur jet; non, le plus souvent on les trouve dans leur studio, au détour d’un coin de chemin, ou bien mêlés à une noce où personne ne les connaît. Leur métier a changé parce que l’on ne vend plus des images comme il y a vingt ans. Leur métier a changé parce que leurs clients n’ont plus le même rapport aux images qu’il y a vingt ans. Leurs outils aussi ont changé. Mais ce qui est au coeur de leur pratique n’est pas l’appareil photo; c’est l’échange, le moment, le partage. Une lumière, un instant, la petite part d’humanité qu’on arrive parfois à communiquer.
Ce qui me semble intéressant c’est que le numérique en soi a très peu modifié la pratique de la photo
– on élabore (ou pas!) une scène, on l’éclaire (ou pas!), on vise, on cadre, on règle s’il y a lieu et on déclenche – mais uniquement son usage, j’entend par là ce qu’on en fait après;
la partager, la commenter, la diffuser parfois jusqu’à l’outrance. Et cet immense brouhaha pixellaire fait évoluer les regards; il y a vingt ans la photo était formellement très figée. Il y avait des règles, des obligations auxquelles mieux valait ne pas déroger.
AUjourd’hui les millions d’images faites par des « non-photogrpahes » ont proposé des façon de voir différentes, à la fois dans un mouvement de « eh mais finalement comme ça c’est bien aussi », et dans une pression sur les « faiseurs d’images » qui les a poussé faire évoluer leur travail.
Pour ce qui est des boulversements des pratiques professionnelles, n’en faisons pas trop; depuis l’invention de la photo, les « pros » se plaignent des « amateurs qui leurs taillent des croupières » à chaque évolution technologique (les plaques, le film, l’Instamatic…). Puis la furie populaire retombe en s’appercevant que, non, ce n’est pas l’appareil qui fait la photo; il ne fait que l’enregistrer.
Plus ou moins fidèlement, mais toujours bêtement; (essayez donc ceci : pour être Ecrivain, achetez un Mont Blanc!!!).
Ah, au fait, un dernier petit truc à propos de la crise du métier et notamment des photothèques. J’ai croisé il y a quelques temps sur un site de photos à 0.000000001€ une statistique sur les boitiers utilisés par les contributeurs. Elle fait apparaître que la plupart des images soumises sont prises avec du matériel de haute volée; celui d’un passionné, à minima. Quand on sait que certains studios innondent les micro-stocks de leur production, et que 25% des photos de ces agences assurent 85% de leurs ventes, on peut aisément soupçonner que l’amateur qui mange le pain des pros en vendant ses images sur ces plate-formes est tout autant fantasmatique que le pro évoqué ci-dessus avec sa Jag et son jet… Je pense que le marketing ( des Fotolia et consorts ) est passé dans le coin!
Sur l’image du photographe, le mot professionnel, etc…, je pense sincèrement que la définition de professionnel ne veut pas dire grand chose. Je pratique la photo pour le compte des autres (faire des images fait partie de mon métier), parfois je rencontre des « amateurs » qui arrondissent leurs fins de mois en marchant sur mes plates-bandes. Je grogne un peu à cause de la TVA et tout le reste, mais ça ce n’est rien. Le pire à mon sens c’est quand le photographe (déclaré ou pas!) fait du mauvais travail, parce qu’il croyait lui-même que 2000 images en 20 méga-pixels sont une garantie de qualité, ou parce qu’il méprise son sujet (j’en vois parfois autour des mariages). Celui-là tue la photographie en décevant son public.
Pour un point plus développé sur ce sujet, voir notamment: “La faute aux amateurs“, 19/03/2013.
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