Constat d’usager en cette rentrée 2013: le web commence à rétrécir. Après les années bénies du tout gratuit, plusieurs vaisseaux amiraux de la presse française agitent le drapeau du repli vers l’abonnement. Sur les sites web de Libération ou du Monde, les entrées se multiplient qui n’ouvrent plus qu’à des extraits invitant à l’achat. Le sommaire devient une sorte de publicité déguisée pour un journal inaccessible.
Le contrecoup sur l’écologie du partage est immédiat. La recommandation d’un article incomplet ne paraît pas de bonne pratique. Il faut identifier les abonnés au Monde ou à Libé pour éviter de cliquer sur des liens payants non signalés. Les récriminations de lecteurs frustrés se multiplient dans les conversations.
L’illusion d’une libre circulation à travers les ressources médiatiques n’était que la conséquence d’un pari aventureux, à un moment où l’occupation du terrain était le principal objectif des rédactions. Même si le paywall n’a pas fait ses preuves, devant le constat de l’insuffisance des ressources publicitaires, le passage à l’accès protégé paraît difficilement évitable, non moins que la fragmentation et la spécialisation des outils de consultation favorisées par la lecture sur tablette.
Compte tenu du grégarisme médiatique, une actualité importante ne restant jamais longtemps exclusive, tant qu’il restera des pure player, cette restriction ne constitue pas un obstacle du point de vue de l’accès global à l’information. Elle amoindrit en revanche la vision critique que permettait une lecture comparative, qui restera l’une des plus importantes conquêtes du web des origines.
Entretemps, le paysage médiatique s’est profondément modifié. Plutôt que le journalisme citoyen annoncé par les gourous, nous avons assisté à l’invasion de la conversation. Le commentaire de l’actualité et du traitement médiatique est devenu une ressource qui égale la production de l’information, tandis que le signalement en ligne a reconfiguré la hiérarchie de l’info. Le pouvoir des médias, s’il reste important, s’est considérablement affaibli.
Cette recomposition atténue le choc de la fermeture. Dans le paysage documentaire infini du web, l’étoile des grands journaux a pâli. La détérioration de la pertinence de l’info géné, qui accompagne la perte de crédibilité des politiques, rend le sevrage presque indolore. Le Gorafi reste en accès libre.
9 réflexions au sujet de « On a rétréci le web »
(CL-Evernote ! 😉
Evernote ne marche que pour partager un article auquel on a accès! 😉
Sûr 🙂 mais ça reste un moyen d’ouvrir les articles pour les autres… 🙂
rétrécissement média à l’unisson d’autres rétrécissements plus « systémiques » : http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2010/12/le-web-un-point-cest-tout-.html
…et cela va-t-il changer les pratiques journalistiques ? Choix d’une image d’accroche, d’un titre alléchant, trois lignes d’introduction appétissantes… pour amener au clic payant.
A contrario, la lecture du reste de l’article va paraître un peu fade !
@ olivier ertzscheid: Je ne suis pas toujours capable de suivre tes démonstrations mathématiques. Il me semble que l’augmentation du volume des données en ligne impose nécessairement des reconfigurations de l’accès. Le problème des circulations contraintes est évidemment un souci – mais ses limitations ne sont pas du même ordre qu’un contenu simultanément affiché et refusé. C’est particulièrement par rapport aux pratiques du partage qui nous sont devenues familières que ces objets paradoxaux m’interpellent, car nous voyons bien à quel point le partage est dépendant de la gratuité des contenus…
@ b, en passant: Je ne retrouve plus la source, mais j’ai le souvenir récent d’un commentaire de lecteur sous un extrait d’article du Nouvel Obs, qui n’avait pas compris qu’il n’avait pas accès à la totalité du texte, et qui critiquait vertement un contenu qu’il jugeait décevant par rapport à un titre tonitruant… 😉
Est-ce que je peux ajouter des couleurs, des images, d’autres formes d’écritures, du code dans ce commentaire ? Est-ce que je peux utiliser une forme de pensée, non linéaire, sans avoir recours nécessairement à l’utilisation du format commentaire en chaîne qui ressemble vaguement à une conversation mais n’en est pas une ?
Autrement dit, est-ce que la pauvreté des langages qui servent à publier tout cela n’est pas déjà, en elle-même, restrictive parce qu’elle ne peut pas permettre autre chose : modifier l’accès à telle ou telle page et ajouter quelque chose ?
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