Remarquablement écrite, la thèse de Myriam Chermette prend à bras le corps la question de l’illustration photographique au moment de son installation dans la presse, au cours du premier vingtième siècle. Dicté par la disponibilité des archives du quotidien Le Journal, le choix du corpus est aussi celui d’un « mauvais exemple ». Plutôt que d’opter pour les hérauts du recours à la photographie, au premier rang desquels figure L’Excelsior de Pierre Lafitte, toujours mentionné dans les histoires de la presse, Myriam Chermette propose avec intelligence l’étude d’un cas moyen, dont on pourra observer le développement visuel, mais aussi les échecs, à travers les vicissitudes de la période. Ce choix situe d’emblée l’ambition de la thèse, qui est de produire un état des lieux global.
L’enquête témoigne d’un solide appétit. Sur la base d’un corpus très complet, le dépouillement exhaustif de l’archive établit un nouveau modèle d’histoire visuelle qui fera date. Il faut regretter à cet égard que des problèmes de disponibilité aient empêché la reproduction d’une part majeure de l’iconographie sous une forme autre que la copie de microfilms. Alors que la description déploie la détail d’une observation fine et complexe, le lecteur est souvent incapable de vérifier à partir de l’illustration de la thèse les conclusions de la recherche – ce qui est pour le moins paradoxal compte tenu du sujet. L’état de l’iconographie est un cri d’alarme lancé aux institutions patrimoniales, qui doivent de toute urgence s’adapter à la spécificité des études visuelles.
La majeure partie du développement décrit les usages d’une photographie modeste, cantonnée dans une fonction subalterne. S’inscrivant dans le sillage de la nouvelle historiographie spécialisée, Myriam Chermette confirme la continuité des usages iconographiques, que l’introduction de l’image d’enregistrement ne vient pas bouleverser. Outre l’observation précise de la mise en place du service photographique du journal, à partir de 1905, qui se consacre surtout aux portraits, on retiendra l’étude des pratiques de la retouche ou de la téléphotographie, sans oublier le chapitre consacré à « l’inertie photographique », qui marque la période de l’entre-deux-guerres, et se traduit par un appauvrissement et une standardisation de l’illustration. Soulignant l’influence de l’expérimentation effectuée sur le terrain du magazine, Myriam Chermette semble dénier toute capacité d’innovation formelle à l’espace du quotidien.
Si la thèse excelle dans la description, elle témoigne de moins d’aisance dans l’élaboration théorique. La reprise de la notion de « plaisir visuel », qui fournirait la base d’un contrat de lecture implicite entre la rédaction et le lecteur, est présentée sur un mode assertif plutôt que démonstratif. Les caractères du journalisme visuel sont souvent ramenés à un Zeitgeist qui interdit d’y repérer des ruptures ou des inventions. Mais surtout, la passionnante troisième partie (qui montre comment la tentative de contrer la concurrence de Paris-Soir par une politique iconographique plus agressive se solde par un échec) vient contredire le soubassement théorique de la séduction de l’image. Myriam Chermette apporte la preuve que la photographie ne fait pas forcément vendre: une démonstration à la fois très originale et parfaitement dans la ligne de son propos général sur la banalisation du visuel.
Si l’image des usages de la photo dans la presse se précise, elle n’est pas encore tout à fait nette. L’ampleur du travail documentaire pose la question d’un renouvellement des méthodes, qu’il faudra peut-être orienter vers l’analyse transversale de l’élaboration de micro-récits, dont la thèse contient plusieurs beaux exemples. La conclusion générale mérite enfin d’être particulièrement soulignée: « la stratégie éditoriale du quotidien apparaît donc comme la source principale de construction des usages de l’iconographie. »
- Myriam Chermette, « Donner à voir ». La photographie dans Le Journal: discours, pratiques, usages (1892-1944), thèse de doctorat d’histoire, sous la direction de Christian Delporte, université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, soutenue le 16 novembre 2009 (jury: Christian Delporte, André Gunthert, Dominique Kalifa, Pascal Ory, Elisabeth Parinet).