Acteur significatif de la photographie de la seconde moitié du XIXe siècle, Alphonse Terpereau (1839-1897) a eu une activité marquée par la commande publique. C’est cette part que déploie la thèse de Florent Miane, qui se présente d’emblée comme l’alliance d’un projet descriptif exceptionnel, inséré dans un cadre spéculatif ambitieux.
De ses recherches longues et patientes dans les multiples institutions publiques où sont conservées les bribes de l’œuvre de Terpereau, Miane a rapporté un matériau dont la richesse tient à la précision du détail. Dans la relation minutieuse de cette enquête, plutôt que de suivre le penchant traditionnel de la monographie pour la focalisation individuelle, l’auteur a le génie de conserver le paysage complexe et foisonnant. L’œuvre est restituée dans l’épaisseur contextuelle des dossiers qui la constituent, dont on peut suivre les cheminements autonomes, les logiques particulières: celle de la restauration d’une église, effectuée sous la direction de l’architecte Abadie, celle du percement d’une nouvelle voie à Bordeaux, projet de la direction des travaux publics, ou encore celle de la construction des facultés de médecine ou de sciences, dont il faut signifier l’ampleur politique et économique.
Cette approche d’une grande originalité fait la force de la thèse, qui fait ressortir comme jamais auparavant la densité documentaire de l’outil photographique, d’autant plus puissant qu’il est considéré comme un modeste auxiliaire. En conservant la structure des dossiers, enrichie d’une information contextuelle précise, l’une des belles démonstrations qu’apporte ce travail est de montrer combien le document photographique constitue la trace, moins du réel ou de la vérité des faits, que des déterminations imposées par les circonstances de la commande. Ce que la photographie constitue, dans chacun des contextes explorés, est très précisément la fiction attendue par le commanditaire.
Il faut regretter que cette démonstration passionnante se déploie selon les contours parfois tortueux dessinés par les options théoriques de la thèse, étayées par des lectures datées. Fallait-il reprendre le concept d’utopie ou de polyfocalité, schèmes trop généraux et peu appropriés dans le cadre d’un récit appuyé sur la matérialité concrète de l’exploration des contextes? A plusieurs moments, le recours à des notions abstraites ou l’assertion de postulats semblent plaqués sur l’étude rigoureuse du matériau, produisant d’étranges effets de sidération.
Si elle présente l’avantage de permettre de déployer le paysage de la photographie documentaire, la méthode employée dans la thèse a toutefois pour conséquence paradoxale d’effacer le personnage Terpereau du récit. Plus encore que la quasi absence d’information biographique, on regrettera celle de l’exposé du cadre général de l’activité du photographe, dans laquelle la commande publique ne représentait qu’un pan. Que celui-ci ait été le seul à résister à la disparition aurait pourtant pu faire partie de l’interrogation sur le destin d’une œuvre et son interprétation.
Lors de la soutenance, le candidat a répondu avec beaucoup de finesse et de pertinence aux questions et objections soulevées. Une présence chaleureuse et une claire compréhension des enjeux ont permis de faire de la discussion un échange éclairé et fructueux. Il ne fait aucun doute qu’on se trouve devant un chercheur aux qualités rares et prometteuses.
- Florent Miane, Images d’architecture et imaginaires photographiques. L’œuvre d’Alphonse Terpereau dans le Midi de la France, thèse de doctorat d’histoire de l’art, université Bordeaux 3, sous la direction de Dominique Jarassé, soutenue le 27 novembre 2009 (jury: Laurent Baridon, André Gunthert, Dominique Jarassé, Michel Poivert, Pierre-Lin Rénié).