Le mariage pour tous, ratage du hollandisme

Une fois n’est pas coutume, recourons au Pagerank comme indicateur de la norme. Taper « famille » sur Google Images suggère que le modèle nucléaire est encore loin du déclin (voir ci-dessous). Même si la réalité des compositions familiales est désormais largement plus ouverte que le couple papa-maman nanti d’un, deux ou trois bambins, le modèle de notre imaginaire, scrupuleusement traduit par les illustrateurs de stockphoto, reste plus proche de la Belle au bois dormant que de la famille d’Elton John.

Le mariage pour tous est un progrès pour l’égalité et une évolution bienvenue de notre droit. Mais peut-on tout à fait ignorer que, dans le bilan d’un gouvernement dont les options économiques, sociales ou culturelles ne se distinguent qu’à grand peine du régime précédent, cette mesure sera l’une des rares à pouvoir être revendiquée comme « de gauche »?

Au moment où les arbitres médiatiques s’indignent de la radicalisation des antis, je m’interroge. J’aimerais croire que ce projet de loi n’a pas été agité délibérément comme un chiffon rouge pour exciter le camp adverse, à partir de la prévision que l’opposition des pour et des contre allait peu ou prou recouper l’antagonisme gauche/droite.

Mais je dois constater que les efforts de pédagogie sont restés des plus mesurés, et que le parti socialiste s’est bien vite calé sur sa posture habituelle de diabolisation, répondant aux interrogations comme aux excès par le même mépris, la condamnation morale de ceux qui sont sûrs d’être du côté de la vertu.

Même si je ne partage aucun des arguments des anti, obligés d’aller puiser dans des extrapolations hasardeuses les raisons de s’opposer à la proposition gouvernementale, il est un point qu’il me paraît ridicule de nier: que la question du mariage comporte une dimension symbolique et engage la représentation que l’on se fait de la famille.

Face au symbolique, rien ne sert de se retrancher derrière le droit. Même si nous ne partageons pas la même vision de la famille, celle des anti s’appuie effectivement sur la tradition. Raison de plus pour prendre le temps d’un débat sociétal, et pas seulement législatif, pour faire circuler plus largement les connaissances issues des sciences sociales, qui permettent de mettre en perspective nos convictions et de faire apparaître le caractère infondé des stéréotypes.

Au lieu de quoi, on a vu les hautes assemblées se transformer en café du commerce, et fleurir sur Twitter les hashtags #tagueulebarjot ou #tagueuleboutin. Plutôt que de rejoindre hardiment l’avant-garde des pays évolués, la France est apparue frileuse et repliée sur elle-même. Malgré le discours de Taubira, on ne se souviendra pas de cet épisode comme d’un grand débat de société, ni d’un modèle de débat démocratique, mais plutôt comme d’une vaste foire d’empoigne, où les coups volent bas. Accompagné par une montée des agressions homophobes, le vote de la loi laissera un goût amer. C’est ce qui arrive quand de hautes résolutions servent des fins de basse politique. N’est pas Machiavel qui veut.

9 réflexions au sujet de « Le mariage pour tous, ratage du hollandisme »

  1. Dans le même temps, l’ANI passe donc en vote bloqué au Sénat (avec l’abstention de l’UMP et des écologistes…). « C’est un moment de progrès » selon Michel Sapin.

  2. « Malgré le discours de Taubira, on ne se souviendra pas de cet épisode comme d’un grand débat de société, ni d’un modèle de débat démocratique, »

    Ce genre de prédictions politiques me laisse toujours songeuse : qui peut dire ce dont « on se souviendra » ?? et cette question de savoir de quoi on se souviendra, n’est-ce pas là une question machiavélique ?

  3. Si le caractère de réaction personnelle de ce billet n’est pas assez apparent, je peux effectivement préciser: « En ce qui me concerne, au jour d’aujourd’hui, j’ai l’impression que… » Ça va mieux comme ça?

  4. Un bon sujet à traiter en parallèle et complément de cette opinion : La négation du genre en photographie, iconographie et culture

  5. La symbolique ils en crèvent les socialos depuis 1982.
    Avant Cahuzac il y a eu le Carrefour du Developpement…

  6. « N’est pas Machiavel qui veut. »
    Ne sous estime pas Flanby. 😉
    C’est quand même pas évident alors que l’on bat des records d’impopularité de réussir à susciter un tel bordel chez ses principaux opposants politiques:

    « MARINE LE PEN APPELLE L’UMP À EXCLURE SES PARLEMENTAIRES PRO-MARIAGE HOMO »
    http://lelab.europe1.fr/t/marine-le-pen-appelle-l-ump-a-exclure-ses-parlementaires-pro-mariage-homo-8713
    « CHRISTINE BOUTIN FAVORABLE À DES CANDIDATS MANIF POUR TOUS AUX MUNICIPALES 2014 »
    http://lelab.europe1.fr/t/christine-boutin-pour-des-candidats-manif-pour-tous-aux-municipales-8709
    « Frigide Barjot annonce des candidats « Manif pour tous » aux municipales »
    http://www.franceinfo.fr/politique/frigide-barjot-annonce-des-candidats-manif-pour-tous-aux-municipales-960255-2013-04-21
    « Le mot d’ordre des chefs de l’UMP, c’est de réclamer un référendum. Est-ce que c’est aussi déraisonnable que cela ? »
    http://www.lepoint.fr/politique/parti-pris/sur-le-mariage-gay-l-ump-a-deux-trains-de-retard-22-04-2013-1657687_222.php
    « Peltier «Nous abrogerons la loi sur le mariage pour tous» »
    http://www.lefigaro.fr/politique/2013/04/17/01002-20130417ARTFIG00563-peltier-nous-abrogerons-la-loi-sur-le-mariage-pour-tous.php

    « Accompagné par une montée des agressions homophobes, le vote de la loi laissera un goût amer.  » Pour l’instant, c’est la droite qui tend l’échine pour se faire fouetter.
    Mariage gay: les jeunes UMP de Haute-Garonne accusés de dérapage homophobe sur leur site
    http://www.huffingtonpost.fr/2013/01/25/mariage-gay–les-jeunes-ump-haute-garonne-derapent-site_n_2551530.html#quiz_6059
    « Embarras à l’UMP après les propos homophobes d’un élu parisien » http://www.francetvinfo.fr/embarras-a-l-ump-apres-les-propos-homophobes-d-un-elu-parisien_149715.html
    « Homophobie : une députée UMP dérape » http://www.aufeminin.com/debats-de-societes/propos-homophobes-deputee-ump-brigitte-bareges-n74676.html
    « Dérapage homophobe: l’UMP retire son investiture à Vanneste sans prononcer son exclusion » http://www.lepoint.fr/politique/derapage-homophobe-l-ump-retire-son-investiture-a-vanneste-sans-prononcer-son-exclusion-22-02-2012-1433924_20.php

  7. Les responsables de la droite institutionnelle ont en effet été parfaitement inaudibles, mais cela n’a pas profité à l’exécutif. Alors que les sondages de satisfaction enregistrent un plancher historique pour le chef de l’Etat, on peut difficilement affirmer qu’il s’agit d’une victoire de la gauche. Et l’on ne peut pas non plus renvoyer dos à dos les deux camps: la responsabilité est du côté de ceux qui ont proposé la loi, et qui n’ont à l’évidence pas su gérer le débat. Au final, si l’on en juge par les réactions d’intellectuels comme Esther Benbassa, Hollande ressort de cette séquence plutôt affaibli que renforcé – ce qui est paradoxal pour une loi qui devait être un symbole de sa politique.

  8. Ne pas surestimer « Pépère » non plus ; je pense aussi tout à fait personnellement que si l’on considère le parti socialiste comme de gauche c’est qu’il est à peine à gauche de l’ump – à peine à gauche du FN – à peine à gauche des intégristes (croités, voilés, kippés). De gauche quelles valeurs ? Quel combat pour les moins nantis ? Quel hérault PS pour entonner l’air du SMIG gelé pour ne pas plomber la production, quel autre pour chanter que la rente augmente pour privilégier … euh … les privilégiés ? Pépère nous occupe : panem/pillule gratuite et circenses/mariage pour tous.

  9. Le constat affirmant que le PS mène une politique économique et sociale « gestionnaire » et essaie de conserver une identité uniquement à travers des « marqueurs » constitués de réformes « sociétales » me semble difficilement contestable (depuis Jospin et le PACS peut-être). Ceci dit la tradition d’engagement fort de la gauche sur ce type de lois n’est pas exclusive (Giscard et l’avortement) et ne peut pas non plus être systématiquement réduite à de l’opportunisme ou du calcul politique (Mitterand a aboli la peine de mort avant le « tournant de la rigueur »). On notera au passage que « la gauche » de l’époque Mitterand considérait encore que la politique culturelle devait être un élément fort de différenciation d’avec « la droite », considération qui me semble avoir été abandonnée par Jospin et Hollande.

    Quant à l’espoir « d’un débat sociétal (…) pour faire circuler plus largement les connaissances issues des sciences sociales, qui permettent de mettre en perspective nos convictions et de faire apparaître le caractère infondé des stéréotypes », les précédents concernant ce type de réformes (avortement, peine de mort, PACS) montrent des projets portés par des personnalités exceptionnelles (Simone Veil, Robert Badinter, Christiane Taubira) et dans le cas de l’avortement des affrontements et des résistances très fortes réduisant plus ou moins le « débat » à un échange d’insultes (alors que le gouvernement était de droite). Le PS n’a peut-être pas spécialement cherché à élever le débat mais je ne sais pas si ça aurait été possible… Le débat sur la peine de mort pourrait être un contre-exemple – il faudrait étudier la question.

    PS. En parlant « d’élever le débat », j’aurai quand même vraiment bien entendu ou lu ce qu’aurait pu dire Michel Foucault sur le sujet, le vide qu’il a laissé se fait toujours aussi cruellement sentir.

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