Pour ses 5 ans, l’actualité a livré à Mediapart la démission d’un ministre et la mise en examen d’un ancien président, tous deux mis en cause dans les colonnes du dernier-né des grands journaux français. Seul pure player par abonnement, l’organe dirigé par Edwy Plenel, qui prône un journalisme vigoureux et volontiers critique, est un phénomène singulier du paysage médiatique. Parmi ses traits spécifiques, je n’ai pas encore observé qu’on ait fait un sort à son rapport à l’image.
A une époque qui se décrit souvent comme une « civilisation de l’image », quand tous ses concurrents ont profondément inscrit le visuel dans la structure même de l’organisation éditoriale, il est pour le moins surprenant de voir un média de la dernière génération faire ostensiblement le choix inverse. Dans une maquette à la dimension graphique travaillée, mais essentiellement inspirée par l’allusion à l’environnement papier, le spectacle n’est pas privilégié. Seul parmi les journaux numériques à comporter un format d’article qui n’impose pas systématiquement l’illustration, dépourvu du bandeau de Une caractéristique de l’univers en ligne, le jeune média a choisi de jouer la carte du texte et du document.
Même s’il arrive à Mediapart de céder au photojournalisme d’illustration, qui manipule l’image en vue d’orienter la lecture [1] Voir Olivier Beuvelet, « De quoi le facepalm de Cahuzac est-il l’indice?« , Parergon, 22/12/2012., une iconographie parcimonieuse évite la répétition trop appuyée de ce travers. Imposé par les choix budgétaires, l’abonnement à Reuters plutôt qu’à l’AFP est pour beaucoup dans l’identité visuelle du journal. L’absence du principal fournisseur de l’iconographie expressive « de qualité », dont l’influence s’étend sur l’ensemble du paysage médiatique, confère par défaut à Mediapart son originalité janséniste reconnaissable entre mille.
On ne trouvera qu’exceptionnellement dans les colonnes du journal l’allégorie compassionnelle si prisée par les photoreporters professionnels, pas plus que le diaporama sexy ou insolite, destiné à faire du clic et à renforcer les statistiques de fréquentation auprès de Médiametrie. Comme la diffusion des enregistrements qui ont déclenché les affaires Bettencourt ou Cahuzac, comme les reproductions d’originaux en pdf qui émaillent les articles d’investigation, l’iconographie qui fait la signature du journal, c’est le document.
L’image emblématique made in Mediapart n’est pas une œuvre signée par un professionnel, mais la photo de vacances de Jean-François Copé dans la piscine de Takieddine [2] Voir Olivier Beuvelet, « Dans la piscine de Takieddine« , Parergon, 26/09/2011.. Avec les portraits de petit format ou les notes photographiques des journalistes dépêchés sur place, les formes visuelles privilégiées par Mediapart portent le sceau d’une austérité autant économique que morale.
Dans une profession qui a fait sien le slogan forgé en 1978 par Jean Cau pour Paris-Match (« Le poids des mots, le choc des photos »), les options iconographiques de Mediapart s’inscrivent résolument à contre-courant. Ce qui, de la part du meilleur organe d’investigation de la presse française, ne laisse pas d’interroger. Le photojournalisme est-il nécessaire au journalisme de qualité? A l’opposé du dogme, la réponse que suggère l’exception Mediapart fait réfléchir aux contradictions de la narration visuelle.
Notes
↑1 | Voir Olivier Beuvelet, « De quoi le facepalm de Cahuzac est-il l’indice?« , Parergon, 22/12/2012. |
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↑2 | Voir Olivier Beuvelet, « Dans la piscine de Takieddine« , Parergon, 26/09/2011. |