Oublier Photoshop? Le World Press Photo fait avancer le débat

Photo Paul Hansen: version publiée sur le site du WPP (en haut); version publiée par le Dagens Nyheter du 21/11/2012 (en bas).

Dans la vie de tous les jours, notre rapport le plus courant à l’image d’information est celui de la transparence. Dans la presse, à la télévision, l’image est utilisée pour véhiculer des contenus qui nous importent plus que les conditions de sa réalisation, supposées relever de la simple médiation technique. Alors que l’appréciation individuelle de l’œuvre cinématographique forme un accompagnement naturel de cet art, au point d’influer sur sa réception par le biais du bouche à oreille, l’occasion n’est pas fréquemment donnée de discuter d’une photographie. Lorsqu’un débat émerge, il est souvent accaparé par des experts, seuls à maîtriser les données techniques qui permettent une lecture élaborée. Il faut des conditions d’appropriabilité particulières pour permettre une conversation plus large (comme celle qui accueille la publication du portrait présidentiel).

Quoique beaucoup moins relayé que les prix de cinéma, le concours annuel du World Press Photo fournit l’occasion d’une délibération élargie sur le photojournalisme et éveille l’attention sur les caractéristiques formelles des images. En application de la sociologie des controverses, cette provocation au débat produit un marqueur régulier de l’état du champ.

La discussion qui a accueilli le premier prix 2013, attribué à Paul Hansen, du Dagens Nyheter, s’est avérée fort instructive. Après la première vague des comptes rendus factuels (voir mon relevé), une polémique se développe. Comme la majorité des controverses récentes à propos de photographie, celle-ci se focalise sur la question de la retouche, à partir de deux articles publiés par Le Monde et Télérama. Le premier soulignait que “le contraste prononcé et l’éclairage travaillé de cette image n’ont pas manqué de relancer le débat sur la question de la retouche des images par le logiciel Photoshop dans le photojournalisme”. Plus polémique, le second estimait que « son auteur a vraiment eu la main lourde dans ses retouches sur Photoshop. En saturant ses couleurs, il cherche à sortir son cliché de l’instantané, à le rendre comparable à une peinture. »

Comme le font remarquer de nombreux commentaires, la mention du célèbre logiciel de retouche comme les éléments descriptifs de la photo paraissent inappropriés. Le traitement de l’image de Paul Hansen relève plus vraisemblablement d’un logiciel de postproduction photographique (Lightroom ou Aperture) et d’une correction globale d’ambiance, non d’une retouche ponctuelle. La version de sa photographie proposée au concours se caractérise par une désaturation des couleurs et un assombrissement plutôt que par une saturation ou une augmentation de contraste.

Qu’on l’apprécie ou qu’on la critique, la version de l’image diffusée par le World Press Photo a apparemment suscité un certain sentiment d’irréalité. C’est cette impression qui explique le recours au vocabulaire de la retouche, utilisé négativement pour disqualifier l’image.

La polémique se manifeste de manière vive à travers les réactions de photographes, recueillies par Arrêt sur images (Sarah Caron, Jean-François Leroy, Yan Morvan, Patrick Baz, Sébastien Calvet, article à consultation réservée) et Atlantico (Alain Mingam). Significativement intitulé: « World Press Photo: quand Photoshop remporte le prix », l’article d’Arrêt sur images commence par reprendre les propos de Claire Guillot dans le Monde et de Luc Desbenoit dans Telerama, avant de se livrer à un véritable réquisitoire. Sarah Caron: « Je ne comprends pas le choix du World Press de primer une photo pour laquelle l’esthétique l’emporte sur le sens ». Jean-François Leroy: « Elle est typique d’un usage abusif de Photoshop ». Yan Morvan « J’ai cru que c’était une affiche de propagande pour un film ». De son côté, Alain Mingam n’est pas moins sévère: « On ne peut pas tolérer la manipulation. (…) Photoshop est parfois le recours des moins bons, qui masquent non seulement la vérité mais aussi leur manque de rigueur professionnelle sinon de compétence. »

La mention répétée de Photoshop par tous ces experts apporte la démonstration de leur connaissance approximative de la retouche numérique (Yan Morvan assure ne jamais retoucher ses images), car la postproduction de la photo primée ne relève pas, à l’évidence, de cette technique. Le terme « Photoshop » est bien sûr employé ici de manière générique comme synonyme de manipulation et de tricherie. Mais cette question de vocabulaire est significative. Lorsque Le Nouvel Observateur rebondit à son tour sur la controverse, mais en interrogeant cette fois un photographe plus jeune, Corentin Fohlen, on change à la fois de terminologie et de perspective: « Il n’existe pas de vérité brute en photographie. En numérique comme en argentique, une photo brute est inexploitable, elle nécessite d’être traitée. Or, pour chaque image, des centaines d’interprétations sont possibles. »

On aurait tort de croire que, parce que la traduction médiatique du débat fait pencher la balance du côté de ceux qui se revendiquent eux-mêmes de la « vieille école » (Patrick Baz), c’est cette position qui exprime la « vérité » du champ photographique (ou que, comme le pense Sébastien Calvet, le WPP n’est plus légitime puisqu’il cède à « une déformation de l’esprit du prix d’origine vers une course à celui qui aura la photo la plus esthétique de la misère humaine »).

Retouche ou postproduction, caricature ou interprétation: derrière le choix des mots se lit l’antagonisme de deux générations de photographes, de deux esthétiques opposées du photojournalisme. Deuxième prix WPP en 2011, Corentin Fohlen n’hésite pas à intervenir sur l’ambiance de ses images, et voit lui aussi ses photos critiquées pour leur aspect « publicitaire ». Dans cette joute où l’on entend surtout les voix des Anciens, c’est pourtant aux Modernes que le WPP a décidé de donner la première place.

Ayant procédé à une recherche de l’occurrence éditoriale initiale de la photo de Paul Hansen, j’ai mis en ligne sur Flickr la comparaison des deux versions (voir ci-dessus), qui a été souvent commentée comme l’opposition d’un « original », plus coloré, avec une photographie retouchée, plus éteinte. Même en l’absence du fichier RAW, on peut déduire du seul examen visuel que les deux images ont fait l’une et l’autre l’objet de corrections d’ambiance dans des sens opposés. Mis en ligne par Hamideddine Bouali sur son blog, plusieurs autres prises de vue du même enterrement, réalisées par d’autres photographes, permettent de mieux se rendre compte de l’ambiance lumineuse ce jour-là (voir ci-dessous), et semblent confirmer la rectification de la version la plus ancienne.

Paul Hansen (Dagens Nyheter)/Mohammed Salem (Reuters), enterrement à Gaza, 20/11/2012.

L’aspect le plus frappant de la discussion, de la part de deux qui critiquent la photo de Hansen, est le recours à l’argument de la retouche comme outil de disqualification esthétique, dans le contexte d’une revendication de la virginité photographique. Refusant d’admettre que l’image d’information puisse être construite, Jean-Francois Leroy, Yan Morvan, Patrick Baz ou Alain Mingam renvoient systématiquement les valeurs expressives de l’image à la peinture ou au cinéma. La retouche est utilisée comme un critère pseudo-technique qui permet de justifier et d’imposer une esthétique implicite.

Cette naturalisation de l’esthétique, camouflée derrière l’argument de la retouche, cache un appauvrissement du débat critique, dont les enjeux ne sont plus maîtrisés par les acteurs. L’interprétation grandiloquente d’une scène issue du réel, mais transformée par la photographie (Hansen a également levé son appareil à bout de bras pour produire une vue perspective en plongée) est pleinement assumée par son auteur, et a été tout aussi clairement choisie par le jury. Le photographe n’a pas cherché à faire une image réaliste, mais au contraire à manifester sa volonté d’esthétisation. Le jury ne s’est pas trompé en primant une photo dont il n’avait pas aperçu le caractère artificiel, mais a retenu cette image en raison de cette signature. Autrement dit, il n’y a pas d’un côté une conception fidèle à l’héritage photographique, de l’autre sa trahison au profit du spectacle. Il y a plus simplement deux goûts qui s’affrontent, l’un qui a été longtemps dominant (et qui n’est pas le moins hypocrite, car il dissimule que la photographie a toujours été une interprétation), l’autre qui revendique le choix de l’expressivité et de la subjectivité, y compris dans la place-forte du photojournalisme, ce qui correspond bel et bien à l’évolution des sensibilités.

De ce débat productif, on peut tirer plusieurs leçons. La première est qu’il est grand temps que les journalistes mettent à jour leur carnet d’adresse, s’ils veulent rendre compte de ces évolutions. Remplacer Leroy ou Caujolle par Wilfrid Esteve ou Karim Ben Khelifa les aidera à parler de la photographie qui se fait plutôt que d’un souvenir qui s’efface. La deuxième est qu’il faut désormais bannir les termes « retouche » et « Photoshop » du débat photographique. Sauf-conduits d’un jugement esthétique qui se cache derrière son petit doigt, ces termes renvoient aux premiers pas de l’image numérique, et deviennent franchement ridicules à l’ère des filtres et d’Instagram. Il est temps d’admettre l’expressivité de la photo, de même qu’il est urgent de réapprendre à débattre vraiment d’esthétique, et non pas seulement de pseudo-interdits techniques: réapprendre à identifier intentions, motifs, styles et genres, comme nous l’a appris l’histoire de l’art – à laquelle la photographie n’a jamais cessé d’appartenir.

34 réflexions au sujet de « Oublier Photoshop? Le World Press Photo fait avancer le débat »

  1. Je pense aussi que Photoshop a bon dos, mais pour encore d’autres raisons. Ce qui m’a frappé d’emblée sur cette image, c’est la direction de la source d’éclairage des visages. C’est elle qui donne cette impression de «cinéma».

    Le soleil se situe à droite (cela est confirmé par la photo de Mohammed Salem qui a dû être prise peu avant ou peu après dans la même ruelle). Sur la photo de Paul Hansen, les visages sont éclairés bien plus fort par la gauche. Au cinéma ou en photographie publicitaire, on use et abuse de procédés divers (panneau/réflecteur blanc, lampe secondaire, flash déporté ou éclairant un mur blanc) pour «déboucher» ainsi les ombres des visages. Presque toujours, le procédé donne un petit côté irréel. Ici, il est tellement appuyé (la source de lumière «artificielle» est plus forte que la lumière naturelle) que cela saute aux yeux du spectateur. De là à dire que c’est la faute à Photoshop, il n’y a qu’un pas. Photoshop c’est le mal!

    Je n’ose pas imaginer qu’un assistant se soit trouvé à cet endroit pour donner le coup de main. Si le photographe est habile, il aura peut-être repéré une surface claire à gauche sur laquelle envoyer son flash tenu à bout de bras. Ou alors il a eu beaucoup de chance! Toujours est-il que le principal effet «de cinéma» de cette photo a été produit lors de la prise de vue. Photoshop est capable de bien des choses, mais il ne saurait changer la direction des sources d’éclairage. Il peut juste en augmenter ou en atténuer les effets. Les tenants de la vieille école, qui prétendent qu’on ne doit pas intervenir après la prise de vue, feraient mieux d’y regarder à deux fois avant de sortir leurs sempiternelles et indistinctes condamnations de la retouche.

  2. je troue que l’image du haut – sombre – est très significative de la terreur, du poids sur l’esprit humain, elle me semble mieux correspondre à l’évènement.
    Quant à utiliser les logiciels de retouche !
    une bonne idée que je pratique avec mesure avec DXoptic

  3. L’hypocrisie de la dissimulation est, à mon sens, tout à fait partagée par les deux goûts qui, semble-t-il, s’affrontent : le primé a été d’une certaine manière sommé de s’expliquer, malgré tout, sur les a priori de son style, mais tant et tant de photos sont trafiquées (subjectivement, objectivement, quelle est la différence ? la photo est un trafic…) sans le dire que, évidemment, la photo est une interprétation du réel (comme tous les arts) (il me semble) : il y a dans le livre de Michel Schneider sur Glenn Gould un aphorisme qui me semble parfaitement convenir pour la photo comme un art : dixit l’artiste « on ne pratique pas un art pour le divertissement mais pour sauver son âme ». (Reste à savoir si ces photos primées ressortent de l’art ou de l’industrie…) (et on retombera dans un débat vieux comme Daguerre)

  4. Merci!
    Merci d’élever un peu ce débat, qui, d’un point de vue journalistique, vole au ras des pâquerettes…

    Etant moi même photographe, (ou en passe de le devenir) je trouve normal de traiter un fichier numérique brut, au même titre qu’on traita le rendu d’une photo argentique en faisant jouer les temps de développement ou d’exposition à l’agrandisseur, en prenant la peine de masquer certaines parties de l’image, et tout simplement en choisissant au préalable la marque et le modèle de film et de papier pour avoir le rendu voulu.
    Lightroom n’est ni plus ni moins qu’une chambre noire améliorée, qui permet de choisir tous les paramètres cités précédemment et parfois d’aller plus loin (trop loin?)

    Toutefois, je serais d’accord sur le fait que dans le photojournalisme, il ne faut pas en abuser. Mais la vision de la réalité que donne une photo n’a JAMAIS été et ne sera JAMAIS la réalité effective au moment de la prise de vue. On peut s’en approcher, mais trop de paramètres entrent en jeu pour avoir un « réalisme parfait ».
    Tant qu’aucun personnage ou détail de l’image n’a été rajouté, modifié ou enlevé pour changer le sens de l’image, il n’y a, je pense, pas à débattre du « trop de photoshop dans le photojournalisme ». En revanche, quand un photographe, effectuera un « vrai » montage photographique et qu’il gagnera un prix aussi réputé que le world press, là il faudra se poser des questions.

    Ici on voit très bien que le photographe a effectivement joué avec l’ambiance de l’image, mais cela ne fait qu’appuyer l’ambiance de la scène, sans la modifier.
    Et en aparté, je préfère celle qui à été publiée dans le journal suédois à celle qui a gagné le prix.

    Enfin pour répondre @Béat sur la lumière, c’est vrai que le soleil arrive de la droite, mais le mur de gauche n’est pas noir, il reflète donc une partie de la lumière et je pense que c’est cette lumière que l’on voit sur la gauche des visages. De plus le mur de droite cache la lumière du soleil et donc empêche la lumière d’arriver sur la droite des visages, ce qui donne l’impression, par effet de contraste, que le coté gauche des visages est bien plus éclairé. Mais je ne pense pas qu’il ait utiliser un flash, d’autant, que la lumière est pareil pour les gens placés au fond de la scène.

  5. Je ne peux pas m’empêcher de penser à Susan Sonntag lorsqu’une polémique iconographique survient. Dans « devant la douleur des autres » ou son essai sobrement intitulé « Sur la photographie », elle s’emploie d’abord à démontrer en quoi une photo n’est pas un succédané de la réalité. C’est à son « usager » de l’interpréter et de la faire parler.

    Au-delà de la question concernant l’usage de Photoshop, c’est notre rapport à l’esthétique qu’il nous faut questionner. L’esthétisme d’une image est-il un critère assez pertinent pour nous la rendre explicite ? Pour ma part, je pense que la dimension esthétique d’un cliché a plus à voir avec l’expression de sentiments (douleur, compassion, colère sont tellement présents dans les photos primées…) et ne permet pas souvent de bien comprendre, de bien saisir l’instant immortalisé.

    Pour Sonntag, le temps qui passe finit toujours par placer les images et les photographies au niveau de l’art. Elles perdent peu à peu leur lien avec la réalité. Le cliché primé me semble directement passer dans la case « art »… il est beau, féroce, les visages des endeuillés au premier plan reflètent différentes postures face à la mort … Mais il en ressort déjà complètement décontextualisé. Hélas.

  6. Quelques remarques liées à la technique

    Le contraste, la saturation, la luminosité, la température de couleur (qui fait que le résultat est jugé « chaud » ou « froid ») peuvent entre autres être choisis *avant* de prendre la photo. La complexité des tests nécessaires pour rendre compte des reflex numériques – les tests de DPReview par exemple – en témoignent (même si les résultats sont le plus souvent exprimés à l’aide de courbes parce que les images ne peuvent pas être transmises de manière fidèle ni par Internet ni par l’imprimerie quand il s’agit de revues imprimées.)

    Je n’ose pas affirmer que l’une et l’autre des deux versions de la photo du concours auraient pu être obtenues dès la prise de vue grace à ces réglages mais il est certain que des différences tout aussi significatives peuvent en résulter.

    On pourrait imaginer qu’une règle impose aux photographes de presse de n’utiliser que les « réglages d’usines » (compromis considérés comme donnant le plus souvent possible un résultat acceptable dans les situations les plus courantes) mais les constructeurs d’appareils photo en profiteraient pour multiplier les modèles …de manière à ce qu’il en existe un au goût de chacun, comme c’etait le cas pour les films couleur en argentique.)

    Un autre point lié à la technique est que dans l’état actuel d’Internet il n’y a pas de norme fixant le rendu des images sur écran. En conséquence seuls ceux qui ont vu les tirages papier des deux versions de la photo parlent réellement de la même chose!

    Finalement – même si ça ne concerne pas encore le « très haut de gamme » en principe réservé aux pros – un nombre de plus en plus grand de reflex permettent de « developper » les fichiers RAW et d’ajuster un grand nombre de paramètres de rendu en observant l’écran de l’appareil, ce qu’on pourrait exprimer en disant qu’on dispose déjà d’un post-traitement aussi puissant que ce qui n’était possible qu’avec un ordinateur et Photoshop ou équivalent il y a quelques années.

    Depuis que la photo existe le rendu obtenu à partir d’un sujet et d’un éclairage identique à énormément varié, y compris en ce qui concerne la couleur. Il serait intéressant de voir dans quelle mesure les photographes se sont efforcés à chaque époque de définir ce qui était acceptable et ce qui ne l’était pas en fonction des techniques qu’ils étaient contraints d’utiliser. Il serait plus amusant de se pencher sur les peintres dits hyper-réalistes dont beaucoup se sont plus me semble-t’il à imiter le rendu caractéristique des différents procédés photographiques ou au contraire à produire des images de sujets que la photo ne permet pas de rendre de manière satisfaisante (savoir faire des photos c’est encore très souvent savoir que « c’est pas la peine, ça rendra rien ».)

  7. Je ne comprend pas cette polémique, depuis toujours les photos de presse sont retravaillées au labo.
    Quand j’ai débuté, c’est même une des premières choses que j’ai apprise, en même temps que la prise de vue, l’un n’allait pas sans l’autre, surtout qu’en photo reportage on ne maîtrise pas grand chose lors de la prise de vue et il fallait souvent compenser, lors du traitement au labo, les défauts d’exposition ou de lumière pour pouvoir exploiter les images.
    Dans les exemples que vous montrez, il n’y a rien de choquant dans le traitement fait, de plus bien malin qui peut dire, a part le photographe, laquelle des deux interprétations est la plus fidèle a l’instant de la prise de vue.

  8. Aux yeux du non-spécialiste que je suis, la photo primée a une force, par son objet, par sa composition, par l’expression des visages, qui la distinguent comme une photo exceptionnelle. C’est encore plus clair si on la compare aux autres photos du même événement.
    Donner à penser qu’il y a tricherie (le terme Photoshop n’est pas seulement synonyme de retouche, il est souvent associé à l’idée de travestissement de la réalité, cf. les bourrelets du président) me paraît être un débat de clercs qui méprise l’essentiel.

  9. Du temps de l’argentique, les photographes externalisaient souvent le travail du labo en donnant leurs instructions pour le développement en fonction de leur sensibilité, c’est donc une personne extérieure avec sa propre sensibilité et qui n’avais pas vécu la scène, qui très souvent interprétait le négatif. Le photographe acceptait ou pas le rendu final jusqu’à obtenir à peu près le résultat qu’il voulait.
    Aujourd’hui, le format raw est l’équivalent du négatif (mais en positif), il demande lui aussi à être « développé » pour convenir au résultat voulu par le photographe. Le numérique à rendu plus accessible et aussi plus souple le travail du labo, donc, plus de photographes peuvent le faire eux même, avec leur sensibilité propre plutot que de passer par la sensibilité d’un labo exterieur, le résultat est donc un plus personnel.
    Dans les 2 cas on à bien à l’origine une image brute captée par une surface sensible puis interprétée par un être humain sensible (avec les outils de son époque).

    De là à dire que ce débat n’a pas lieu d’être, il n’y a qu’un pas. Mais c’est encore une histoire de sensibilité…

  10. @Edgar Pansu: « Glamourisation » est bien vu et bien nommé, c’est d’ailleurs raccord avec les filtres et Instagram. Ce qui est fascinant, c’est le constat du retour du joli, après les décennies de beauté formaliste du style documentaire… Tout le monde parle d’Hollywood, mais tout comme l’influence fondamentale du style documentaire était l’art abstrait, celle du style glamour me paraît devoir être cherchée plutôt du côté de la télé…

  11. «Oublier Photoshop? Le World Press Photo fait avancer le débat»

    Il y a débat, c'est sûr, mais je ne vois aucune avancée.
    Le débat sur la retouche est stérile d'entrée de jeu, il n'y a pas de photographie sans traitement, et c'est ainsi depuis l'origine de la photographie.
    Chaque photographe est libre d'hollywoodienniser ses photographies, et chaque lecteur se sent libre de qualifier ce type d'image. Mais que fait le WPP avec ce type d'image, juste un choix discutable, mais ceux qui pensent différemment sont libres de créer un prix de puriste, le VPP (Verity Press Price).

    De mon côté, j'ai simplement l'impression que la photo de presse est aujourd'hui sous tutelle des séries télés (qui sont très dominatrices et pleine d'innovations ces dernières années), ce sont elles qui donnent le LA.

    RLZ

  12. On peut penser que le WPP ne sert à rien, n’est qu’un concours de beauté, ou n’est pas typique. Mais le constat c’est que c’est une des rares occasions de s’emparer du sujet « photo », de regarder des images et d’en discuter… Ce qui ressort de la conversation récente, c’est la ringardisation de la référence à Photoshop, et par voie de conséquence l’affirmation plus nette du goût « glamour » – effet d’esthétisation manifeste par correction d’ambiances, comme les filtres, qui ne relève effectivement pas de la retouche ponctuelle. Il s’agit bien d’un style, il en a la généralité, l’étendue référentielle (Hollywood ou la télé) et la puissance signifiante. Qu’on soit pour ou contre, le WPP a donc correctement identifié cette évolution, ce qui est bien son rôle…

  13. C’est clairement dit, et il est effectivement intéressant de le préciser.
    Ce n’est pas le WPP qui tient la bannière,
    Il se contente de rapporter une tendance.
    RLZ

  14. Ce qui me gêne c’est bien cette référence voir cette révérence aux séries télé. Pourquoi le WPP devrait-il adopter les mêmes tics et trucs de l’étalonnage à la mode ? En quoi le fait que cette photo ressemble à une image de la série Braquo l’améliore t-elle ? Parce que aujourd’hui la référence c’est la fiction, pas la réalité.
    Le photojournalisme doit reprendre son indépendance par rapport aux diktats esthétiques et là ce n’est pas un problème d’outils, mais de créativité, qui est indiscutable dans le cas du premier prix, mais qui fait craindre un risque d’uniformité dans le choix du traitement.

  15. @MaGi: Un goût ne se justifie pas, il s’impose. Comment? Si l’on en croit l’historien d’art Francis Haskell, comme n’importe quel phénomène de mode, un goût se diffuse par imitation de certaines autorités (le choix du WPP manifeste évidemment une forme de légitimité du style « glamour », message qui sera forcément suivi par des effets d’imitation…). C’est une mécanique culturelle et sociale aussi difficile à enrayer qu’à infléchir. Il est convenu de penser qu’elle reflète un aspect significatif d’une époque.

    N’importe quel réalisme est toujours conventionnel. La photo noir et blanc, qui a longtemps représenté la référence « réaliste » de la presse d’information, n’a qu’un rapport lointain avec ce que l’oeil perçoit. Le récit de l’actualité, forme complexe, n’en a pas moins des caractéristiques stylistiques, qui ne sont que des conventions temporaires, susceptibles d’évoluer. L' »indépendance » à laquelle vous appelez n’est que le vœu du retour au style précédent, qui avait d’autres points de référence, comme l’image scientifique (pour l’instantané) ou l’art contemporain (pour la composition formelle)…

  16. Pour moi, au moins deux constatations à la lecture de ce « débat »:
    1 – L’ignorance généralisée de ce qu’est un logiciel de traitement d’image, qui est généralement corrélée avec l’utilisation du terme « photoshop » (marque déposée, logiciel vendu très cher, leader du « marché » (miroir aux alouettes?) et qui ne fait rien de plus que tout autre logiciel digne de ce nom)
    2 -Et (donc?) la persistance remarquable des débats sur une hypothétique éthique dans l’usage de ces logiciels. A quand un débat sur l’utilisation abusive ou non des adjectifs dans le reportage écrit?

  17. […]Plus mon expérience en photo numérique grandit, plus j’ai l’impression que la photo finale est systématiquement constituée de trois images: celles que vous imaginez, celle que vous photographiez et celle que vous développez. Plus vous maîtriserez les deux dernières, et plus vous rapprocherez de la première. […]

    […]Je pouvais passer des heures dans un labo de développement argentique. L’odeur des produits, le grésillement du minuteur et l’apparition progressive d’une image sous cette symbolique lumière rouge créaient une atmosphère particulière, et c’est une époque qui me manque. Je remarque que, dans l’esprit des gens, la technologie numérique porte atteinte à la crédibilité du photographe. Aujourd’hui, si vous passez des heures devant un moniteur à manipuler une tablette graphique Wacom, vous êtes soupçonné d’escroquerie artistique. Cela m’exaspère. L’informatique est-elle une commodité technologique, ou un nouvel outil d’expression de votre vision ?

    L’heure est venue de réhabiliter les technologies numériques. Elles ne définissent ni une vision, ni un art, elles en sont simplement l’outil. […]

    David duChemin, world & humanitarian photographer

  18. Ce qui me gêne le plus dans la généralisation de ces retouches, c’est l’avènement d’une esthétique uniformisée, qui semble soit demandée par les diffuseurs, soit anticipée par les photographes lorsqu’ils diffusent leurs images.

    L’exemple des photos prises le 11 septembre 2001 par James Nachtwey, telles qu’elles ont été publiées à l’époque, puis republiées 10 ans plus tard est très éclairant sur ce formatage esthétique, me semble t-il.

    https://plus.google.com/100073645661563176484/posts/NDsBhHKYnbk

  19. Ce qui me gêne le plus, c’est l’avènement de l’uniformisation, qu’elle soit anticipée par les auteurs d’articles (ah, les variations sur le thème du micro-trottoir!) ou par les photographes (par des moyens logiciels ou autres), ou les paysans (faire du sans goût, mais brillamment coloré) en vue de « satisfaire » leurs clients. Et les clients ne sont pas les consommateurs finaux, mais dans tous les domaines les responsables des achats.
    « Le débat sur le WPP et « photoshop » fait reculer le débat » serait peut-être un titre plus descriptif…

  20. @André Gunthert

    A propos du style « glamour »

    […]
    Pour les jeunes enthousiastes, les reporters sincères et expérimentés et les journalistes endurcis, la pratique de la photographie de guerre est reconnue comme une entreprise noble et prestigieuse. C’est valorisant, de prendre des risques pour un idéal plus élevé. C’était déjà le cas du temps de Capa, le grand-père glamour des photographes de guerres. Et, en réalité, il n’y a rien de honteux dans la noblesse du glamour – je l’apprécie moi aussi. Mais, durant les années pendant lesquelles j’ai pu observer cette culture, le glamour est devenu comme une paire de lunettes noires capable de masquer certains aspects peu reluisants de cette pratique et d’empêcher leur discussion. Et tous ces photographes travaillent sans jamais s’arrêter, dans ce milieu dur et sans pitié : personne n’a réellement le temps de prendre du recul. […]

    Mélanie Light, réflexion sur le photojournalisme
    http://lejournaldelaphotographie.com/entries/melanie-light-reflexion-sur-le-photojournalisme?lang=fr&utm

  21. Un débat -la réception- sur la transparence (ce qui est désigné) et l’opacité (ce qui est montré) des images photographiques … Et de leurs modalités (multiples) d’incarnation …

  22. @Debbio, Grammairien: Euh, et l’esthétique naturaliste, elle n’est pas uniformisée? Il y a d’autres éléments stylistiques que le filtrage (terme à préférer à retouche): la pseudo-madone de Bentalha ne recourt pas à la modification d’ambiance, mais elle est tout aussi compassionnelle et esthétisante. Ce n’est pas d’hier que le goût du WPP est uniformisé, on l’aperçoit mieux quand on ne se focalise pas sur la « retouche »…

  23. Il existe un autre domaine que le photojournalisme où la photographie est censée « dire le vrai » : la photographie scientifique. A ce titre, il est intéressant de voir ce que les éditeurs de journaux considèrent comme acceptable ou non dans la « retouche ».

    Par exemple pour la revue Nature :
    « – Images gathered at different times or from different locations should not be combined into a single image, unless it is stated that the resultant image is a product of time-averaged data or a time-lapse sequence. If juxtaposing images is essential, the borders should be clearly demarcated in the figure and described in the legend.
    – The use of touch-up tools, such as cloning and healing tools in Photoshop, or any feature that deliberately obscures manipulations, is to be avoided.
    – Processing (such as changing brightness and contrast) is appropriate only when it is applied equally across the entire image and is applied equally to controls. Contrast should not be adjusted so that data disappear. Excessive manipulations, such as processing to emphasize one region in the image at the expense of others (for example, through the use of a biased choice of threshold settings), is inappropriate, as is emphasizing experimental data relative to the control. »
    http://www.nature.com/authors/policies/image.html

  24. @pablo: Ces spécifications sont très proches de celles adoptées par le WPP, et distinguent classiquement retouche proprement dite (« cloning and healing tools ») et correction générale d’ambiance (« changing brightness and contrast…when applied equally across the entire image »). Ce type de rectification, qui est apparemment celle que l’on peut observer dans l’image de Hansen, est tolérée aussi bien au WPP qu’à Nature – ce qui prouve encore une fois que le véritable enjeu du débat n’est pas du côté des moyens employés (similaires à ceux que l’on peut utiliser en argentique), mais bien dans l’appréciation esthétique de l’image elle-même.

  25.  » @Debbio, Grammairien: Euh, et l’esthétique naturaliste, elle n’est pas uniformisée?  »

    Mais, cher André, où as-tu lu que je défendais  » l’esthétique naturaliste  » ??? et si tu pouvais m’ en trouver une définition, il n’y a pas qu’à moi que ce serait utile !
    Je risque une prévision: dans 3 ans, le marketing iconographique de la Presse n’achètera plus que des images Holga, puisque le moindre marketeux trouvera tellement trop ses images holgaïsées avec son crachophone. Et le monde iconotique dissertera doctement sur l’éthique du Holga…

  26. J’imagine un instant cette photo « puissante » travaillée en N&b au labo numérique avec Lightroom, Aperture voir même photoshop … Quel débat aurions nous eu…? on aurait peut être parlé des drames qui se jouent chaque jour qui passe. Les jeunes photographes, font les images qu’ils rapportent en prenant des risques énormes, Elles nous montrent de toute façon des moments de vie ou la mort est présente. Ça fait mal!!!
    Rémi Ochlik, Olivier Voisin sont mort pour l’image.

    Chimie d’antan, numérique d’aujourd’hui … une photo brute est inexploitable si elle ne pas par un « labo »
    D76 ou Lightroom c’est du pareil au même. Pas tout à fait tout de même ; il y faut le noir total pour l’un et pour l’autre on est en plein jour grande différence.

  27. Pourquoi Paul Hansen et son journal ont-il décidé de publier cette image à plusieurs reprises, mais avec des interprétations différentes ? L’image publiée par le Dagens Nyheter avait-elle moins de chance de gagner le prix ? Laquelle des deux images est la plus insoutenable ? Pourquoi Paul Hansen n’a pas assumé pleinement ce qui semble être sa première option ?

    Que manquait-il à la photographie publiée le 21/11/12 par le Dagens Nyheter pour que soit appliqué par la suite sur le fichier brut un paramètre prédéfini de chez Matt’s à partir d’un logiciel de développement RAW ? Cet effet et ses variantes ont été popularisés par le film 300 péplum américano-britannique (http://bit.ly/ZBvUoJ) qui fut un très grand succès commercial en 2006. Que veut nous faire passer comme message et/ou émotion Paul Hansen en utilisant cet effet cinéma ? Quelles sont ses réelles intentions ? Prend-il les hommes et les enfants de sa photographie pour des figurants ? Et si l’intention première de Paul Hansen était simplement de gagner un prix afin de consolider une activité professionnelle à travers une réputation renforcée ?

    Quelle place y a-t’il dans ce débat pour le terrible malheur vécu par ces familles qui ont perdu leurs enfants ? À ce propos, je vous invite à écouter le témoignage sans concession du photographe de guerre Don McCullin (série CONTACTS éditées par Arte vidéo) à propos de ce rapport ambigü argent/information/démarche/prix/reconnaissance/art/presse autour des images montrant le malheur des Hommes. Il n’y a pas d’antagonisme de deux générations de photographes mais une société du spectacle déshumanisée qui souhaite proposer une seule question : qui va gagner ? Pour le WWP 2013, c’est Paul Hansen.

  28. « Pourquoi Paul Hansen et son journal ont-il décidé de publier cette image à plusieurs reprises, mais avec des interprétations différentes ? L’image publiée par le Dagens Nyheter avait-elle moins de chance de gagner le prix ? »
    Je ne peux bien entendu pas répondre à cette question. Mais au temps du noir et blanc le premier tirage, celui qui était fait dans l’urgence, pour la première reproduction de l’image dans le temps de l’actualité (généralement d’ailleurs celui qui est le plus valorisé par le marché de l’art) était rarement celui que son auteur préférait.
    Par ailleurs, avec un négatif comme avec une photo numérique, l’image est virtuelle. Chaque tirage est nécessairement une interprétation. L’original, c’est l’objet papier.

  29. @René N : En attente de réponses qui ne peuvent venir que du photographe ou de la rédaction, on est effectivement dans la spéculation. Il y a toutefois quelques indications assez nettes. Paul Hansen n’est ni un pigiste, ni un photographe d’agence, mais un salarié du Dagens Nyheter. L’existence d’un agrandissement de très grand format de la version publiée initialement ( http://www.flickr.com/photos/gunthert/8486318182/ ) montre que celle-ci n’est pas un choix fait à la sauvette, mais une interprétation parfaitement assumée par l’auteur, qui pose à ses côtés. On a donc de fortes raisons de penser que les options de rendu de la publication initiale sont bien ceux du photographe. Le fait qu’il ait choisi de soumettre une autre version au WPP ( voir http://www.hebdo.ch/world-press-photo-2012-le-su%C3%A9dois-paul-hansen-laur%C3%A9 ) relève évidemment de sa liberté d’auteur, et montre que la différence des contextes influe sur l’interprétation d’une photographie d’information.

    Vous pensez à 300 en voyant cette photo, mais pour Alain Korkos, le spécialiste d’Arrêt sur images, elle lui évoque la peinture du Caravage. D’autres y voient une allusion aux films de zombies… En l’absence d’une déclaration formelle de l’auteur sur ses intentions, les rapprochements proposés avec telle ou telle référence n’ont par définition aucun caractère objectif et ne dépendent que de la culture visuelle de celui qui juge l’image.

    Le rapport à l’événement de la photographie d’information et son exploitation par les industries culturelles est un sujet dont il a été largement débattu (voir notamment Susan Sontag, Devant la douleur des autres, 2003). L’appréciation du rôle de la photo dans ce contexte dépend essentiellement du jugement qu’on porte sur la presse… De manière générale, on peut montrer que la valorisation de l’image par le système des concours entraîne un phénomène de décontextualisation, qui remplace son rôle d’information par une fonction plus symbolique d’icône, c’est-à-dire de stéréotype visuel.

  30. Allez, deux pilules pour dormir.

    « Dans un monde de tromperie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire ». (Georges Orwell)

    « Toutes les photos sont exactes ; aucune n’est vraie ». (Richard Avedon)

    Bonne nuit 🙂

  31. Ping : Fotocrazia

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