Elections présidentielles à l'EHESS

Branle-bas de combat à l’EHESS: après le départ imprévu en juillet dernier de François Weil, président de l’Ecole depuis mars 2009, appelé aux fonctions de recteur de l’Académie de Paris dans la foulée de l’installation du pouvoir socialiste, l’historien François Hartog (né en 1946) assure l’intérim jusqu’au 24 novembre 2012, où l’assemblée des enseignants procèdera à l’élection de son successeur. Deux candidats sont en lice: Pierre-Antoine Fabre (né en 1957), historien moderniste, ancien membre du bureau sous la présidence de Danièle Hervieu-Léger, et Pierre-Cyrille Hautcoeur (né en 1964), économiste et historien, membre du bureau de la présidence sortante.

MàJ 26/11/2012: L’assemblée des enseignants a élu Pierre-Cyrille Hautcœur président de l’EHESS. Le nouveau bureau est composé de Giorgio Blundo, Juliette Cadiot (secrétaire), Cyril Lemieux, Marie-Vic Ozouf-Marignier (Direction des enseignements et de la vie étudiante).

18 réflexions au sujet de « Elections présidentielles à l'EHESS »

  1. Je reproduis ci-dessous le dernier courrier envoyé par Pierre-Cyrille Hautcoeur sur une liste de diffusion interne, qui comprend de nombreuses informations qui peuvent intéresser mes lecteurs. Le cas échéant, je reproduirai ici d’autres échanges représentatifs du débat électoral.

    « Chères collègues, chers collègues,

    Dans le second message que je vous ai adressé, j’affirmais que le caractère singulier de l’Ecole demeurait notre principal atout dans le système de concurrence généralisée qu’est devenu le paysage de l’enseignement supérieur européen et international. Nos façons de faire des sciences sociales et nos manières de les enseigner demeurent à cet égard nos biens les plus précieux et les plus attirants.

    Depuis une dizaine d’années, un grand nombre de réformes ont affecté l’université et la recherche. Même si certaines institutions récemment créées peuvent être appelées à disparaître, si des lois réaménageront sans doute certains dispositifs, et si l’empilement de structures nouvelles sera, je l’espère, simplifié, l’on ne doit pas s’attendre à une remise en cause de l’essentiel de ces réformes. Dans l’ensemble, l’Ecole est parvenue en tirer son parti, même si elles ont pu susciter de fortes oppositions en notre sein. Un bilan doit être tiré de leurs effets sur nos pratiques et notre organisation, de manière à en limiter les effets défavorables et à en élargir les bénéfices. Ce devra être fait en particulier au sein de la mission que je souhaite confier à François Hartog.

    Au seuil d’une nouvelle présidence et à la veille de la négociation d’un nouveau contrat quinquennal avec l’Etat, il nous faut collectivement définir les orientations stratégiques qui nous permettront d’affirmer notre singularité et notre conception des sciences sociales.

    Quatre questions stratégiques – liées entre elles – sont essentielles pour l’avenir de l’Ecole: l’immobilier, le partenariat avec le CNRS, l’insertion dans l’ensemble héSam / Paris Nouveaux Mondes, notre présence internationale.

    La question immobilière est vitale pour l’Ecole, car notre pauvreté et notre fragilité en la matière sont devenues au cours de cette dernière décennie un danger pour notre existence même. Nos locaux actuels du « France », résultats d’un grand volontarisme au début du mandat de François Weil, sont encore trop étroits et provisoires, puisque rien ne peut garantir leur prolongement au delà de 2016. Nos droits sur les autres sites ne sont guère plus solides – même si l’Etat se doit de nous loger. La dispersion de nos centres reste un obstacle aux fertilisations croisées entre eux qui devrait être une force de l’Ecole. Notre directeur général adjoint, Bernard Baraton, tente d’y remédier avec une grande énergie mais des moyens sans proportion avec nos besoins réels. Nous sommes toujours dans l’incapacité d’accueillir tant nos doctorants que nos invités pour un mois, nos post-doc, les bénéficiaires des programmes Marie Curie de l’union Européenne, sans parler des équipes formées autour des lauréats de l’European Research Council. Au cours des deux dernières années, des collègues étrangers qui avaient obtenu des financements considérables pour développer auprès de nous des programmes de recherches en sciences sociales on dû renoncer et choisir d’autres établissements pour y conduire leurs travaux.

    Le projet de campus Condorcet, lancé par Danièle Hervieu-Léger pour remédier à ces faiblesses, est en développement sous la direction de Jean-Claude Waquet. Grâce à la Région Île-de-France, à l’Etat et aux collectivités locales, les premiers bâtiments devraient être livrés en 2019, ce qui est tard par rapport au calendrier annoncé, mais peu surprenant pour qui connaît les délais habituels de ces grands travaux. Malheureusement, les financements déjà décidés ne permettent de couvrir qu’une première tranche de construction. Du fait de la priorité donnée à la construction de l’espace documentaire et aux bâtiments d’usage collectif, seule une fraction des équipes de l’Ecole (autour de 20%) pourraient emménager à l’horizon 2020. Dans cette situation, plusieurs points deviennent cruciaux: quand l’Etat sera-t-il en mesure de décider de la construction de la deuxième tranche ? Quand peut-on imaginer qu’elle soit livrée ? Pour l’Ecole, un long délai entre les livraisons des deux tranches représente un danger mortel. Et ce d’autant plus que, comme je l’avais indiqué dans mon précédent message, le CNRS pourrait retrouver la tentation de nous considérer moins comme une Ecole que comme un catalogue d’unités de recherches dont la dispersion ne poserait ni problème de principe ni difficulté intellectuelle. La mission première du prochain président sera donc de placer l’Etat devant ses responsabilités. A moins de réduire le délai, ou, mieux, d’obtenir un mouvement continu et progressif vers Condorcet, le projet lui-même risque de devenir illisible. S’il demeure attractif, nous devrons choisir quels services et quels centres devront rejoindre en premier Aubervilliers en fonction de nos priorités scientifiques et pédagogiques avant toute autre considération.

    Entretemps, l’Ecole devra veiller avec le plus grand soin à la façon dont seront logés ses autres services et centres durant la période intermédiaires (d’aujourd’hui à 2020 et au-delà). Ce combat sera certainement difficile étant donné la pression constante que nombre d’autres institutions d’enseignement supérieur et de recherche exercent sur l’Etat en vue d’améliorer leur situation immobilière à Paris. La puissance de notre recherche et l’attractivité de notre enseignement seront nos meilleurs arguments.

    Notre partenariat avec le CNRS doit nous aider, car il donne à l’Ecole une force que nos ressources propres ne nous permettraient pas d’aligner. Grâce au CNRS, l’Ecole dispose de ressources scientifiques, administratives et pédagogiques qui lui permettent de faire vivre des enseignements plus variés et des projets scientifiques de grande envergure. Sans doute la structuration en unités de recherche est-elle également source de rigidités et fait-elle parfois obstacle à l’émergence de croisements disciplinaires, thématiques ou régionaux imprévus. Néanmoins, le CNRS contribue puissamment au dynamisme scientifique de l’Ecole, que ce soit par le travail des chercheurs qui souvent sont à la pointe de l’exploration des interfaces ou des nouvelles méthodes, ou par l’ouverture aux aires culturelles qui permet la distanciation critique par rapport aux terrains européens. Dès lors que le CNRS ne remet pas en cause le projet intellectuel de l’Ecole – que celle-ci doit réaffirmer sans complexe – ce partenariat doit continuer et jouer un rôle important dans nos choix.

    A Paris, le Pres héSam constitue l’ensemble au sein duquel l’Ecole a déjà su trouver sa place, dans l’autonomie maintenue comme dans les collaborations à impulser. Le programme Idex-Paris Nouveaux Mondes apporte à héSam des moyens qui contribuent à mettre en mouvement les partenaires impliqués (ainsi, les doctorants de l’Ecole viennent d’obtenir sept contrats doctoraux supplémentaires). Il facilite des coopérations déjà envisagées, en fonction de leur efficacité pédagogique ou scientifique, aux échelles appropriées et par les équipes qui veulent travailler ensemble, et en aucune façon par des décisions prises d’en haut. Si Paris Nouveaux Mondes réussit à transformer favorablement les établissements d’héSam – y compris l’Ecole – ils adapteront facilement leurs organisations et réuniront volontiers leurs actions, en particulier autour du projet de campus Condorcet. Si ce n’est pas le cas, il faudra convaincre l’Etat qu’un regroupement imposé, s’il permettrait quelques économies budgétaires à court terme, détruirait un potentiel scientifique dont l’originalité est utile à l’ensemble du système universitaire français, et donc que l’autonomie maintenue de chaque établissement devra être utilisée en vue d’autres projets.

    Hors de Paris, nos centres de Lyon, Marseille et Toulouse participent à des partenariats régionaux sans renoncer aux spécificités de l’Ecole ni à ses circulations nationales et internationales. Il nous faudra les y aider.

    Parmi les partenariats de l’Ecole il en est enfin de très présents dans notre vie scientifique quotidienne, très importants mais peu institutionnalisés: ce sont les coopérations internationales. L’Ecole s’enorgueillit à juste titre de la circulation exceptionnelle de ses enseignants, de celle, croissante, de ses étudiants et doctorants. Elle accueille une proportion exceptionnelle d’étudiants, de doctorants et de collègues étrangers en visite. Surtout, grâce aux centres d’aires culturelles comme aux membres de tous les centres dont les recherches portent sur des sociétés autres que celle de la France et de l’Europe occidentale, nos travaux souffrent moins d’européo-centrisme que bien d’autres – même si un effort considérable doit être engagé dans ce domaine si nous voulons demeurer à la hauteur de nos ambitions internationales.

    Tels qu’ils se présentent aujourd’hui, nos liens internationaux sont surtout individuels et donc fragiles. Il nous faut sans doute penser à structurer davantage les relations internationales et à les renforcer avec les institutions qui pensent les sciences sociales non pas comme l’Ecole mais d’une manière compatible avec elle et susceptible d’éveiller une curiosité réciproque. Ces partenaires, qui doivent être en nombre suffisant pour couvrir les principales aires scientifiques comme culturelles, pourraient bénéficier du recrutement de directeurs d’études cumulants, d’invitations fléchées, et moyens supplémentaires pour les missions des étudiants, doctorants et collègues. C’est de cette manière que l’Ecole pourra vraiment être, à Paris et partout en France, une école des sciences sociales internationale et imaginative, qui attirera étudiants et chercheurs du monde entier.

    Pour mener de front ces chantiers, qui ne sont en aucune façon séparables du projet intellectuel de l’Ecole, le prochain président aura besoin de toute son énergie et surtout du soutien de toutes les instances et forces de l’Ecole. Si vous m’accordez votre confiance le 24 novembre, je m’engagerai avec enthousiasme dans cette tâche exigeante.

    Pierre-Cyrille Hautcœur »

  2. Je reproduis ci-dessous un courrier de Klaus Hamberger, anthropologue, sur la liste des débats électoraux.

    « Chères et chers collègues,

    La lecture des programmes des candidats à la présidence soulève un certain nombre de questions concernant un sujet encore peu évoqué jusqu’à présent, à savoir la transformation institutionnelle de l’EHESS dans les années à venir. Je profite de ce forum pour les poser publiquement, espérant ainsi contribuer à une discussion qui me semble décisive.

    La présidence précédente a présenté, avec le projet Paris Novi Mundi Université (PNMU), un programme très avancé visant un changement radical du modèle de l’École. Si ce projet n’a finalement pas été retenu comme Initiative d’excellence, le programme qu’il représente reste toujours d’actualité – d’autant plus que les pressions auxquelles il a répondu n’ont perdu rien de leur force. Partout en Europe, le paysage de l’enseignement supérieur est en rapide transformation vers des grandes unités gérées sur le modèle d’entreprises. Le projet PNMU avait comme objectif d’inscrire l’École dans ce processus, faute de quoi elle risquerait, selon ses auteurs, de disparaitre dans l’insignifiance. Or, si l’on peut douter que la seule manière de réagir à un environnement transformé consiste à s’y aligner, il est certainement vrai qu’une posture conservatrice, refusant le projet PNMU sans proposer un projet alternatif, serait suicidaire pour l’École. Dans peu de temps, la question de notre orientation programmatique se posera à nouveau. La future présidence aura la tâche de préparer l’École à cette échéance, et de piloter l’élaboration d’un projet d’avenir issu de l’École elle-même, au lieu de lui être imposé de l’extérieur.

    Dans ce contexte, il me semble essentiel que les candidats se prononcent clairement sur le modèle qu’ils envisagent pour l’École, et qu’ils expliquent si et comment ce modèle se distingue de celui élaboré par la présidence précédente.

    Quelle autonomie? Le projet PNMU a envisagé la création d’un grand organisme au sein duquel l’EHESS n’aurait préservé qu’une autonomie très limitée. Ainsi, la stratégie de recrutement, la politique des contacts internationaux et la valorisation des résultats de la recherche auraient été transférées aux instances supérieures du nouvel organisme. En même temps, le projet visait à renforcer le poids des partenaires externes, notamment des entreprises, afin de faciliter à la fois le financement et la valorisation de ses activités. Ce projet s’inscrit dans une logique selon laquelle l’enseignement supérieur aurait pour mission de produire à grande échelle un output rapidement utilisable par la société. Cette conception n’a jusqu’à présent pas été celle de l’EHESS. Cependant, comme l’a souligné François Weil à plusieurs reprises, le choix de s’opposer à cette logique risque de priver l’École de ses moyens et, à moyen terme, de ses étudiants. Comment le nouveau président se positionnera face à ce dilemme ? Cherchera-t-il, dans la voie du projet PNMU, à adapter l’École au modèle dominant ? Et au cas contraire, quelle stratégie envisage-t-il pour lui permettre de survivre en tant que porteur d’un modèle alternatif?

    Quelle gouvernance? Le projet PNMU a prévu un modèle managérial pour le nouvel organisme dont l’École ferait partie : toutes les compétences de décision – de la définition des stratégies scientifiques jusqu’à l’allocation des ressources financières – seraient transférées à un conseil d’administration au sein duquel les représentants élus des enseignants, employés et étudiants resteraient minoritaires. A côté du président, élu par le conseil d’administration, un vice-président exécutif se chargerait d’implémenter les décisions du conseil à l’intérieur. Ce modèle de gouvernance, monocratique et hiérarchique, représente une rupture avec le modèle actuel de l’École qui attribue, en théorie au moins, le pouvoir législatif à l’Assemblée des enseignants, conçue comme un organe de démocratie directe. Dans les faits, les limites de ce modèle sont manifestes : il ne donne pas de voix aux non-enseignants ni aux étudiants, il entraine une permanente sous-représentation des femmes dans les organes de l’École, et il accorde un champ d’action considérable aux réseaux de pouvoir informels. Quelle est la réponse du nouveau président à cette alternative? Consiste-t-elle à abandonner le modèle démocratique comme inadéquat (sinon hypocrite), ou au contraire, de le renforcer, pour rendre son efficacité à une Assemblée élargie?

    Quelle place aux étudiants? Les deux candidats ont souligné à juste titre que l’enseignement doit être au cœur de tout projet pour l’avenir de l’École. Sa survie dépend crucialement de son attractivité aux étudiants, et ceci encore plus si elle choisit de rester indépendante des super-universités émergentes. Cette attractivité sera non seulement fonction du nombre des allocations doctorales, mais aussi de l’intégration des étudiants dans les activités et les instances de l’École, ainsi que d’un programme d’enseignement qui se distingue autant par sa qualité que par sa méthode. Quelle est la réponse des candidats à ce défi? Comment entendent-ils appliquer le principe « enseigner la recherche par la recherche » à toutes les échelles, alors que les études en master restent soumises à une logique d’accumulation de crédits? Si « l’appui aux étudiants doit être central dans nos esprits » (Hautcoeur), est-ce que cela implique de soumettre nos enseignements à leur évaluation ? Et si « les doctorants doivent être pour nous comme des jeunes collègues » (Fabre), est-ce que cela implique qu’ils pourront envoyer des représentants à l’Assemblée et donner leur avis aux candidatures des enseignants?

    Ces questions s’adressent bien entendu non seulement aux deux candidats à la présidence, mais à tous les membres de l’École. Il me semble indispensable qu’un débat soit engagé sur les choix fondamentaux que l’École doit faire dans les prochaines années : la stratégie – d’intégration ou d’autonomie – face aux grands organismes ; le modèle de gouvernance – managérial ou démocratique; le rapport aux étudiants – en tant que clients ou en tant que collègues. L’échec du projet PNMU, qui a été élaboré sans débat préalable, constitue aussi une chance. Le succès d’un nouveau projet pour l’EHESS dépendra de la qualité du débat collectif dont il doit être le résultat.

    Bien amicalement

    Klaus Hamberger »

  3. Je reproduis ci-dessous un courrier de Pierre-Cyrille Hautcoeur, sur la liste des débats électoraux.

    « Chères collègues, chers collègues,

    Dans ce troisième texte d’orientation générale, je voudrais vous présenter ma vision scientifique de l’École, qui sous-tend la candidature que je soumets à vos suffrages. Par là j’entends expliciter quels sont les domaines de recherche et d’enseignement qui me semblent devoir mériter toute notre attention. Bien entendu, le choix que je présente, à partir de la richesse scientifique de l’École, ne signifie en rien l’exclusion d’autres tendances, d’autres thèmes, d’autres propositions qui peuvent faire valoir leur propre urgence, dans la recomposition permanente de notre École. Cette vision a ainsi vocation à être enrichie des apports des instances de l’École et de chacun d’entre vous.

    La sixième section de l’École pratique des hautes études (section « sciences économiques et sociales ») fut créée en 1947 dans un contexte historique où les meilleurs savants considéraient comme indispensable de penser profondément la société pour la rénover. La sixième section est devenue l’EHESS quand ce rôle fut reconnu aux sciences sociales – en particulier grâce à des membres éminents de l’École – même par ceux qui y étaient traditionnellement hostiles. Depuis sa création, une des particularités scientifiques majeures de l’École est d’envisager les sciences sociales non comme un ensemble de disciplines mais comme un engagement intellectuel dans la compréhension du monde comme monde social.

    Logiquement, cette approche prend les sciences sociales globalement et dans leur plus grande extension. Sans prétendre embrasser tous les champs du savoir, le projet de l’École s’est construit sur le dépassement des « sciences » et des « lettres ». Jusqu’à aujourd’hui, les sciences sociales tentent de construire une « troisième culture » sur cet entre-deux à la fois inconfortable et nécessaire: inconfortable parce que la coupure culturelle qu’il s’agissait de dépasser s’est aggravée dans l’enseignement supérieur; nécessaire parce que les sciences sociales tirent une part de leur dynamisme de leur capacité de dialoguer avec les sciences de la vie ou les sciences de la terre comme avec les « lettres ».

    Aujourd’hui, le noyau de cette troisième culture est constitué des trois disciplines dont le régime épistémologique commun fait l’identité des sciences sociales et de l’École. C’est ce cœur porteur d’une puissance de compréhension et de description des sociétés humaines sans équivalent, mais également de pouvoirs explicatifs, prédictifs et critiques sans comparaison que l’École doit d’abord veiller à maintenir vibrant. Elle doit veiller à démontrer en acte son intérêt à le développer, et à le faire dialoguer avec d’autres disciplines qui s’en distinguent non seulement par leurs méthodes, mais aussi par leur écart épistémologique par rapport aux disciplines « centrales ». Cette confrontation de l’histoire, de l’anthropologie et de la sociologie, à la fois entre elles et avec des disciplines qui s’écartent de leur épistémologie a fait la force de l’École, et doit continuer de la faire sous peine du risque d’un repli identitaire. Elle ne pose pas de problème dès lors que ces écarts épistémologiques sont reconnus et travaillés. Au contraire, elle est la seule manière de faire progresser une interdisciplinarité véritable. Elle est aussi la seule manière de maintenir ouverte la définition des sciences sociales. Car, si pour des raisons historiques certaines disciplines forment aujourd’hui et ici le centre des sciences sociales, celles-ci ne s’y limitent pas, qu’il s’agisse des traditions ou des méthodes, et la question de savoir où passent les frontières disciplinaires ou épistémologiques entre les sciences sociales et les autres sciences est elle-même une question ouverte à l’intérieur des sciences sociales.

    Dans l’histoire de l’École, les sciences économiques comme les sciences de l’antiquité ou la géographie ont été au rendez-vous de ce débat, hier comme aujourd’hui ; le droit ou l’archéologie y sont aussi. Au-delà de l’ensemble mouvant mais animé d’intentions communes que forment les sciences sociales, leur dialogue avec les sciences expérimentales et avec les lettres et les arts est aussi vital pour la démarche scientifique de notre École, et doit trouver les moyens d’un renouvellement. A la différence des États-Unis comme des instances européennes d’évaluation où les sciences sociales sont coupées des humanités, l’École maintient que les sciences humaines et sociales forment un ensemble. Elle juge depuis son origine essentiel de savoir analyser l’antiquité grecque ou chinoise à partir de questions issues des sciences sociales contemporaines, et, en retour, de faire réfléchir ces dernières sur des sociétés éloignées dans l’espace ou le temps mais dont les modes d’organisation ou les pratiques sociales nous renvoient en miroir nos propres étrangetés. Le dialogue avec les sciences physico-mathématiques, les sciences de la nature ou les sciences de la vie est sans doute plus difficile à mener, mais l’École peut s’appuyer sur plusieurs succès pour l’approfondir dans les temps qui viennent.

    L’approche globale que sous-tend aussi bien la profondeur historique que l’extension géographique de la recherche menée à l’École est au service d’un autre point fondamental : une ambition critique et généralisante qui trouve sa traduction dans la construction de théories du social. Aujourd’hui ces théories, qui s’organisent au sein de disciplines, sont inégalement unifiées selon les cas. Certaines disciplines ambitionnent l’unification des théories « locales » en un ensemble intégré, tandis que d’autres acceptent qu’elles se côtoient. Dans certains cas, des théories concurrentes coexistent durablement, tandis que dans d’autres elles se succèdent selon des processus de substitution et/ou de réfutation. Certaines théories sont formalisées selon diverses modalités pouvant atteindre dans certains cas une grande sophistication mathématique; d’autres visent la compréhension plus que la causalité univoque. Cette diversité des formes de la réflexion théorique est une richesse dont il nous importe de pleinement prendre conscience. Il importe que l’École en facilite la circulation et la fertilisation réciproque, et qu’elle se donne les moyens de cette ambition théorique large que permet l’approche globale des sciences sociales qui y sont pratiquées.

    La confrontation des théories aux terrains se réalise selon des méthodes également variées. L’importance de l’histoire et des aires culturelles à l’École traduit le souci de soumettre les modèles à l’épreuve d’une pluralité de terrains (intersections de lieux et de temps), comme d’enrichir des modèles eux-mêmes susceptibles d’être entachés d’ethnocentrisme ou d’anachronisme. L’histoire s’appuie donc logiquement sur une grande variété de méthodes développées dans d’autres sciences sociales pour se confronter aux théories. C’est ce qui lui a donné une place si structurante dans l’École.

    Le modèle de l’École est-il menacé ? Deux constats nous alertent. D’une part, l’architecture de l’enseignement supérieur et les mécanismes d’évaluations qui l’accompagnent demeurent très attachés à des marqueurs disciplinaires. La rhétorique de l’interdisciplinarité est devenue, en France, un slogan de convenance. D’autre part, et en sens contraire, hors de France la pratique quotidienne du croisement disciplinaire autour d’objets ou de thèmes communs tend à se banaliser, réduisant par là-même le contraste que l’École semblait pouvoir offrir. Dans le même temps, la diffusion de postures hypercritiques peut décourager l’ambition de concevoir des sciences sociales qui se donnent des projets globaux et s’inscrivent dans un projet cumulatif. Les alternatives à cette ambition empêchée sont l’érudition posée comme sa propre finalité, ou l’expertise entendue comme application immédiate d’un savoir-faire.

    L’avenir de l’École passe par une capacité d’innovation qui lui a valu son autonomie et ses libertés exceptionnelles. Ce renouvellement dépend de nous-mêmes, de notre capacité à créer des liens originaux entre nous et avec l’extérieur, d’attirer les « passeurs » qui poursuivront cet exercice tout en étant reconnus dans leur spécialité par leurs pairs. Les chercheurs en sciences sociales disposent, pour analyser la société actuelle tant à l’échelle française qu’internationale, de méthodes et de données qui se sont enrichies à la mesure même de la complexité des phénomènes étudiés : c’est par là qu’ils se distinguent d’essayistes médiatisés. Je ne prendrai ci-dessous que quelques exemples de questions qui ouvrent des fronts de recherche majeurs sur lesquels l’École doit être présente.

    Un premier ensemble de questions concerne les transformations politiques à l’échelle mondiale ou régionale. Le monde de demain sera-t-il multipolaire, hiérarchisé, en proie à la « guerre des civilisations » ? Les États-nations demeureront-ils les acteurs principaux et quels autres acteurs leur contesteront-ils la prééminence ? Le contrôle des territoires restera-t-il la clef de celui des populations ? Ces questions, dont dépend rien moins que la paix et la guerre, imposent de convoquer les sciences politiques, l’économie, la géographie, l’histoire, l’anthropologie et, surtout, l’étude des sociétés du monde dans leur diversité, à partir de leur expérience spécifique, des traces de leur passé, des langues et des langages qui informent les processus sociaux et nous informent sur eux. Par la richesse de ces centres d’aires culturelles, l’École peut, quand elle les met en relations entre eux et avec les centres plus thématiques ou disciplinaires, éviter les pièges de l’ethnocentrisme européen ou atlantique et construire une capacité unique de compréhension du monde contemporain.

    Proches à certains égards de ces questions sont celles liées au développement durable. Dominées par les modélisations des sciences de la terre, elles ne font encore qu’une trop faible place aux sciences sociales, alors même que les enjeux ne peuvent être lus qu’au regard de leurs effets sur les sociétés. Ce paradoxe traduit la difficulté de communication méthodologique et même épistémologique entre les sciences sociales et les sciences de la terre, difficulté que seuls de rares pionniers commencent à surmonter. Quelques économistes de l’École en font partie, et devraient servir de pont entre des communautés spontanément éloignées. Les mathématiciens peuvent aussi y contribuer. Historiens de l’environnement comme sociologues et anthropologues du risque ont entamé un dialogue qui doit être amplifié.

    Les sciences de la vie présentent aujourd’hui à nos sociétés une multitude de propositions plus étonnantes les unes que les autres. Des extensions perceptives ou cognitives aux traitements chimiques des maladies psychiques, ces propositions soumettent nos sociétés à des questionnements non seulement éthiques mais aussi économiques, politiques et sociaux de grande importance. Il est important que nos disciplines s’en saisissent. En redéfinissant la santé comme phénomène d’abord social, elles peuvent répondre aux inquiétudes que suscitent ces innovations et aider à en orienter au mieux le cours. En les resituant dans une perspective historique et anthropologique comme dans leurs déterminants sociaux, elles aident nos sociétés à les comprendre et les maîtriser.

    Les sciences cognitives alliées à la philosophie de l’esprit redessinent la cartographie des processus créateurs et de l’expérience esthétique. En retour, les recherches dans le champ des arts et de l’esthétique imposent une complexification des modèles descriptifs de la philosophie de l’esprit et des sciences cognitives, notamment en ce qui concerne les questions de l’intentionnalité, du rôle des cadres pragmatiques des représentations et de leur fonctionnement référentiel, mais aussi des dynamiques perceptives et plus généralement attentionnelles.

    En même temps, la psychologie expérimentale et les sciences cognitives mettent à l’épreuve le sujet hyper-rationnel de la théorie économique et pourraient déboucher sur un renouvellement profond de celle-ci. Si le lien est fait avec la psychologie sociale, ce mouvement affectera la sociologie et l’anthropologie. L’École possède en son sein toutes les forces nécessaires à ces transformations. Des coopérations sont déjà bien avancées dans certains domaines, plus balbutiantes dans d’autres, et doivent être renforcées dans tous les cas.

    Les forces économiques jouent un rôle considérable dans le monde actuel, mais la capacité de la profession des économistes à les maîtriser seule est remise en cause plus puissamment que jamais depuis la crise commencée en 2008. Cette remise en cause externe renforce les effets des processus de fermentation internes qui contestaient la pertinence de nombre de modèles, certains de leurs fondements conceptuels, mais aussi leurs présupposés cognitifs, anthropologiques, sociaux ou historiques. Tant pour les politiques économiques sectorielles que pour les trajectoires de développement à long terme, de nouvelles approches émergent: aux croisements de l’économie, de l’histoire, de la sociologie et de la science politique, elles tentent de ré-encastrer les comportements économiques dans les structures sociales et les institutions et redonnent toute sa place à l’historicité. L’École est bien sûr idéalement placée pour associer les compétences disciplinaires dans ce domaine et favoriser l’imagination face à des phénomènes que ni les décideurs, ni les experts ne paraissent aptes à analyser.

    Il ne s’agit là que de quelques exemples à peine esquissés. Il va de soi qu’ils n’épuisent pas les fronts pionniers sur lesquels l’École doit porter ses forces et ses efforts. Ils suggèrent comment ses ressources lui permettent aujourd’hui, tout comme hier, de prendre toute sa part au renouvellement des sciences sociales.

    De manière transversale enfin, un certain nombre de méthodes ouvertes par les mutations rapides des technologies de l’information devraient être développées et mises à disposition plus largement de l’ensemble de l’École. Les systèmes d’information géographiques facilitent aujourd’hui les travaux de nombreuses disciplines au point de permettre des sauts qualitatifs. Les technologies de collecte massive et d’analyse de données font de même, articulées ou non avec ceux-ci. Les bases de données iconographiques ou artistiques imposent par leur taille de nouveaux outils d’analyse et de nouvelles formes d’argumentation. Plus largement, les humanités numériques ouvrent un vaste domaine d’expérimentation dans l’écriture et donc dans la recherche en sciences sociales. Si E. Le Roy Ladurie s’est trompé en affirmant, en 1968, que l’historien de demain serait programmeur (ou ne serait pas), il avait sans doute raison d’imaginer que l’ordinateur provoquerait de profondes transformations de nos disciplines. Que l’histoire ou la sociologie quantitatives, où l’École fut pionnière, doivent renaître sous de nouvelles formes plus puissantes ne fait donc pas de doute, même si nous avons aussi appris qu’articuler approches quantitatives et qualitatives est nécessaire pour éviter les coupures qui les séparent sur les campus américains et réduisent la capacité de conviction des unes comme des autres. C’est donc à la fois son patrimoine d’expérience épistémologique ou méthodologique critique et les derniers développements technologiques que l’École doit rendre accessibles aux étudiants comme aux enseignants chercheurs et aux ingénieurs.

    L’École ne pourra donc être fidèle à elle-même qu’en relevant les défis du temps présent, en forgeant les nouveaux outils conceptuels et méthodologiques qui leur sont adaptés, en croisant les disciplines et leurs outils. Si elle devait y renoncer ou si elle rétrécissait le champ de ses ambitions, elle perdrait sa raison d’être et serait facilement assimilée à un ensemble de laboratoires ou de départements disciplinaires. C’est pour relever au mieux ce défi que je présente ma candidature à vos suffrages. »

  4. Je reproduis ci-dessous un courrier de Pierre-Antoine Fabre, sur la liste des débats électoraux.

    « Chères et chers collègues et amis,

    Comme je m’y étais engagé le 18 octobre dernier, je condense dans les
    lignes qui suivent les principaux temps de nos échanges lors du débat qui
    nous a réunis au 105 bd Raspail. Ce débat devrait être disponible dès
    aujourd’hui sur la page Elections2012 du site de l’EHESS. Je reviens
    également sur deux questions importantes que nous n’avons pas pu
    développer suffisamment ce jour-là : la coopération des services
    administratifs et des enseignants-chercheurs ; la carrière des maîtres de
    conférences.

    Paris Nouveaux Mondes Université

    J’ai été justement interpellé, peu avant le 18 octobre, sur le projet
    Paris Nouveaux Mondes Université (PNMU). Je ne l’avais pas inscrit dans ma
    proposition d’ordre du jour parce que cette convention et surtout les
    annexes qui la complètent sont en cours d’élaboration et ne pouvaient pas
    faire l’objet d’un débat public. Il ne m’était guère possible de faire
    état dans le détail de ces documents. J’ai cependant tenu à faire la mise
    au point suivante.
    1. J’ai distingué les Laboratoires d’Excellence (LabEx) de PNMU. Pour ce
    qui concerne ces LabEx, le bilan reste à faire. Comme j’ai eu l’occasion
    concrète de le constater dans ces dernières semaines au sujet de la
    seconde vague d’appels à projets du LabEx HaStec, « Histoire et
    anthropologie des savoirs, des techniques et des croyances » (au Bureau de
    Direction duquel j’appartiens), une évolution est en cours : des projets
    plus originaux se dessinent, qui – et c’est la difficulté – viennent
    s’introduire dans le programme des UMR dont le soutien est sollicité, et
    nous sommes de ce point de vue devant des difficultés à venir.
    Inversement, ces projets originaux justifient davantage ces nouvelles
    formations. Restons prudents, mais nous devrons bientôt juger, et nous
    devrons le faire en mobilisant l’expérience concrète de tous ceux d’entre
    nous qui, d’une manière ou d’une autre, ont été impliqués dans la
    gestation ou les premiers pas de ces LabEx.
    2. Le Projet PNMU se définit en revanche d’entrée de jeu comme un projet
    d’intégration de ces LabEx, et le centre de gravité institutionnel se
    trouve profondément déplacé. L’entreprise est tout autre. J’ai cité le 18
    octobre la phrase finale de la convention attributive d’aide (pour la
    période 2013-2019): « le contrat quinquennal prendra en compte et
    poursuivra les objectifs définis par la présente convention » (je
    souligne).
    Il ne m’appartenait pas de m’avancer plus avant. Jean-Frédéric Schaub,
    directement impliqué dans ce processus, s’est autorisé dans une
    intervention récente d’une information à laquelle nous n’avons pas accès.
    Mais je n’ai pas caché un certain sentiment de sidération à la lecture de
    ces documents, que je n’ai connus que par une nécessaire indiscrétion.
    Sidération de la très forte ambition d’intégration des établissements
    contenue dans ce projet : un collège des écoles doctorales, l’engagement à
    recruter dans l’une des institutions concernées le titulaire d’une bourse
    post-doctorale de financement PNMU (comment s’interroger sereinement
    ensuite sur nos modes de recrutement, auxquels je vais revenir ?), etc.
    Sidération aussi de l’écart entre cette ambition et la question que l’on
    ne peut que se poser paragraphe après paragraphe: mais où tout cela
    aura-t-il son lieu ? Ces enseignements mutualisés ? Ces programmes ? Ces
    post-doctorats ? Cette question est sans réponse.

    Urgences immobilières et avenir immobilier de l’Ecole

    Le cas PNMU est à mon sens une détermination supplémentaire de
    l’engagement en faveur du Campus Condorcet : d’une part parce que le
    calendrier est tout autre (les 18 millions d’euros annuels, rentes sur le
    fonds de dotation de 450 millions, courent sur 27 ans pour la construction
    et la maintenance de l’ensemble, puis resteront disponibles pour d’autres
    usages) ; mais aussi parce que le rapport y est rigoureusement inverse
    entre le degré d’intégration institutionnelle et le degré de déploiement
    territorial. D’un côté, une intégration maximale pour un déploiement
    territorial minimal ; de l’autre, une intégration minimale pour un
    déploiement territorial maximal. D’un côté, une Ecole aspirée, rapidement
    ; de l’autre, un Ecole abritée, pour longtemps. Entre les deux, mon choix
    est décidément fait.

    Sur le sujet du Campus, je me suis attaché dans ce débat à une question
    principale, qui le concerne directement : que fait-on après 2016 ? Sans
    être actuellement en position d’agir sur ce dossier, j’ai formulé deux
    orientations pour l’avenir immédiat :
    1. prolonger le bail du France au-delà de 2016 ;
    2. augmenter la part de l’Ecole dans la première phase Condorcet, à
    l’échéance de la rentrée 2018 (seule l’ouverture définitive de la
    Bibliothèque sera différée au début de 2019, en raison de la complexité de
    son aménagement. C’est un embarras important à prévoir, mais qui semble
    irréductible). Ce second objectif est une vraie bataille parce qu’il
    impose de reconsidérer la proposition « basse » formulée par François
    Weil, avec lequel je ne peux pas être en accord pour cet aspect de sa
    politique. J’ai eu l’occasion de le dire le 22 octobre dernier lors d’une
    réunion tardivement organisée par François Hartog sur le campus Condorcet.
    Pourquoi cette bataille est-elle cependant gagnable ?
    1. Parce que cela réduira d’autant le temps (et donc le coût) de
    l’installation intermédiaire, le coût des déménagements successifs entrant
    aussi en ligne de compte et pouvant finalement excéder le coût du
    maintien au France. Ainsi, plus le délai sera court pour le plus grand
    nombre d’unités possibles entre la fin du France et l’ouverture du Campus
    Condorcet, plus l’Etat économisera en locations.
    2. Parce que ce sont aussi des cohérences scientifiques qui sont en jeu :
    si la logique du regroupement des centres munis d’une bibliothèque autour
    du Grand Equipement Documentaire auquel elles contribueront est légitime,
    elle provoquera aussi des fractures, au CRH par exemple, que nous pouvons
    vouloir tout aussi légitimement réduire.
    C’est sur cette ligne que je me suis engagé le 18 octobre.
    J’ai également rappelé, pour une juste appréciation des choses, que la
    dite « première phase » correspondait pour l’EHESS, dans l’état actuel de
    sa définition, à 9200 m2, contre 6600 m2 au France et, pour mémoire,
    environ 7000 m2 au 54 bd Raspail avant la fermeture du bâtiment. Et j’ai
    enfin souligné le fait, à mes yeux très important, que l’acquisition
    actuelle du foncier, par un financement de la Région Ile de France,
    portait sur la totalité des surfaces du projet (environ 180000 m2), soit
    sa phase 1 et sa phase 2.

    J’ai conclu sur ce premier point : « Condorcet n’est pas pour moi un
    dogme. C’est un choix rationnel. Si une autre solution ouvrait autant de
    possibilités à l’ensemble des catégories de l’Ecole, et respectait le
    prestige qu’a confirmé notre institution en étant chef de file du plus
    important projet jamais lancé en France pour les SHS – j’y serai
    évidemment plus qu’attentif ».

    Sur ce premier chapitre, l’essentiel des questions a porté sur la
    fiabilité du projet Condorcet et sur l’articulation des deux phases. J’ai
    ramassé la substance de mes réponses dans le bref résumé ci-dessus.

    J’ajoute un dernier point, lié à l’actualité toute récente.
    François Weil, s’est employé, en tant que Recteur de Paris, à ouvrir une
    perspective de retour au 54, boulevard Raspail. Un document de l’EPAURIF
    (Etablissement Public d’Aménagement Universitaire de la Région Ile de
    France) a été diffusé au conseil d’administration de l’Ecole, le 19
    octobre dernier. Je ne peux faire une très grande place à cette
    perspective pour trois raisons : les travaux de rénovation du bâtiment,
    extrêmement lourds, doivent trouver un financement (dont nulle donnée
    n’apparaît dans ce document), que le Rectorat peut revendiquer, mais dont
    il ne dispose pas, et qui représente, comme je l’ai rappelé jeudi dernier,
    une somme équivalente à celle que mobilise l’acquisition du foncier pour
    le Campus Condorcet ; ces travaux de rénovation, s’ils sont conduits,
    amputeront une part notable de la surface ancienne, pour cause de mise aux
    normes ; enfin, le Recteur de Paris, en tant que Recteur, pourra-t-il
    favoriser deux seulement des institutions actuellement hébergées au
    France, l’Ecole et la Maison des sciences de l’homme ? Pourra-t-il laisser
    de côté l’EPHE ? La conclusion s’impose : le 54 bd Raspail, très rétréci
    pour nous par ces différents facteurs, peut devenir un jour – et j’y ai
    toujours été favorable – une vitrine intra-muros du Campus et de l’Ecole;
    il ne sera jamais une solution d’avenir pour notre institution, pour
    laquelle il a représenté une vraie surface de développement il y a … près
    de 40 ans. Mais, je le répète, je suis prêt à étudier, dans le
    prolongement de la mission confiée à François Hartog par François Weil en
    2009 (dont il serait intéressant d’avoir le bilan), les meilleurs usages
    futurs possibles du bâtiment historique de l’Ecole, s’il reste après
    rénovation un lieu académique.

    L’Ecole comme lieu de recherche : l’activité scientifique et le
    recrutement des enseignants-chercheurs

    Sur le premier point, j’ai à nouveau souligné – je ne peux y revenir
    longuement ici – que l’intensification de la vie scientifique de l’Ecole
    dans son unité, comme Ecole de sciences sociales, était pour nous un défi
    majeur. Elle nous justifie. Elle est la seule manière de mobiliser les
    ressources considérables de nos centres (j’utilise le terme « historique »
    de l’Ecole) pour des explorations et des expérimentations, à l’avant de
    nos pratiques d’aujourd’hui, que les logiques spécifiques de ces centres
    peuvent parfois aussi freiner. L’Ecole de demain doit être celle des
    unités de recherche et aussi celle des individus qui les composent et en
    traversent les limites dans leur parcours de toute l’Ecole. Les chantiers
    sont nombreux, chacune de mes conversations avec nos collègues en ouvre ou
    en fait apercevoir un nouveau, dans une définition de l’espace des
    sciences sociales dont nous sommes peut-être les seuls au monde à pouvoir
    réunir toutes les composantes. Et je voudrais insister ici sur le fait
    que, dans l’accomplissement de ce projet scientifique, les étudiants de
    l’Ecole sont un immense atout, parce qu’ils peuvent nous aider à franchir
    des barrières, à lever des préventions, en fonction des besoins de leurs
    propres travaux.

    Sur le second point, le recrutement des enseignants-chercheurs, la
    discussion s’est rapidement engagée après un rappel de mes propositions,
    d’autant plus qu’elle avait été préparée dans les jours précédents par
    d’importantes contributions de plusieurs collègues. Nous y reviendrons
    certainement. Je résume ici, dans des termes trop lapidaires, ma position
    :
    1. l’Assemblée des enseignants est l’instance fondamentale de nos
    délibérations et de nos décisions ;
    2. les dimensions de cette Assemblée, son renouvellement rapide, la très
    haute technicité d’un certain nombre de dossiers me font envisager
    favorablement un développement du travail de l’Assemblée et de ses
    émanations (le Conseil Scientifique et la commission électorale) sur un
    cycle d’une ou de deux années ;
    3. ce travail ne doit être en aucun cas une atteinte aux candidatures
    spontanément émergentes, mais il peut renforcer nos chances de faire à
    venir à nous, sur des chantiers d’avenir, des collègues, étrangers en
    particulier, que nous n’attirons pas toujours aisément ;
    4. la recherche, sur la base d’une réflexion scientifique approfondie,
    d’individus singuliers, aptes à renforcer un champ nouveau ou à renouveler
    un domaine central, est le meilleur moyen d’éviter des recrutements
    exclusivement réglés par des logiques disciplinaires. Je suis convaincu de
    cette nécessité, de la même manière que je suis convaincu de la
    complémentarité essentielle des cohérences de centres et des associations
    d’individus dans la vie scientifique de l’Ecole.
    Voilà ma position. Elle ouvre déjà un large éventail de possibilités, que
    je vous proposerai d’explorer sans tarder.

    Le développement de l’Ecole comme Ecole doctorale, du Master au
    Post-doctorat et le renforcement de sa dimension internationale

    Après un rappel des propositions formulées dans mes Réponses (consultables
    sur le Site Elections 2012), l’essentiel des questions sur ce second point
    a porté sur la faible visibilité de l’Ecole dans les classements
    internationaux et aux moyens d’y remédier. Les critères de ces classements
    – au-delà même du contesté classement de Shanghaï – manquant souvent par
    nature notre Ecole (comme Ecole doctorale de sciences sociales), j’ai
    soutenu l’idée que le plus important pour nous était que notre doctorat et
    le master de recherche qui y prépare soient toujours plus attractifs à
    l’échelle internationale : le Campus Condorcet sera une réponse, mais elle
    n’est pas la seule. L’invention d’un « parcours doctoral » original est
    aujourd’hui une exigence impérieuse, que j’ai donc réaffirmée dans ce
    débat, après mes déclarations antérieures, comme un grand chantier des
    cinq années à venir.
    J’ai également souligné, dans le même esprit, la nécessité d’équilibrer
    les échanges internationaux de l’Ecole au niveau de son doctorat. Une
    étape sera franchie quand nos doctorants français rechercheront une
    co-tutelle à Sao Paulo, à Santiago du Chili, à Delhi ou à Pékin, et non
    pas seulement l’inverse. Cela représente un coût et donc des choix
    importants, mais comme cela a été remarqué dans le débat, ces doctorants
    seront les meilleurs ambassadeurs de l’Ecole et attireront de nouveaux
    étudiants. Je m’attacherai, avec la Direction du développement de la
    Recherche et la Direction des enseignements et de la vie étudiante, à
    renforcer la part de la mobilité étudiante dans nos conventions, en
    recherchant des solutions de cofinancement, beaucoup trop rares
    aujourd’hui, avec les universités partenaires.

    J’en arrive maintenant aux deux derniers points auxquels je souhaitais
    revenir précisément.

    La coopération des services administratifs et des enseignants-chercheurs

    Ma réflexion – en cours – sur ce sujet naît du constat d’une difficulté,
    voire d’un malaise, pour les uns comme pour les autres. Cette situation,
    qui ne semble pas liée à la réorganisation des services conduite par
    Thierry Bergeonneau, s’est installée, malgré l’engagement très fort de
    tous, dont j’ai redécouvert l’intensité, après ces trois années passées au
    large des services centraux de l’Ecole. Elle est très probablement due au
    cumul d’un mouvement de personnel extrêmement rapide, qui est un fait (et
    un fait général dans l’Université), et à un accroissement considérable de
    charges nouvelles, pour les services centraux au premier chef, lié au
    passage aux compétences élargies. Précisons d’ailleurs que les chercheurs
    et enseignants-chercheurs sont eux-mêmes exposés à des charges nouvelles
    pour eux (directions de programmes, gestions de bourses, etc.), pour
    lesquelles ils sont très dépendants des services.
    Comment agir ?
    A ce stade, je propose trois orientations :
    1) la mise en œuvre d’une consultation sur l’évolution des secrétariats de
    centres : quelles missions aujourd’hui ? Les tâches se sont transformées,
    mais leur polyvalence doit demeurer. La coopération quotidienne de
    l’administration et de la recherche dans la diversité de ses aspects reste
    essentielle à ce premier niveau. Ces postes doivent être consolidés,
    malgré la complexité croissante de certains aspects (gestion de sites,
    accompagnement des programmes financés, etc.), qui pourraient faire venir
    la tentation d’une « taylorisation » de ces fonctions. Mais le tissu de
    l’Ecole en serait déchiré, et – c’est évidemment très important –
    l’insertion des doctorants dans les centres serait plus difficile sans ces
    relais immédiats.
    2) une meilleure diffusion des travaux du Comité Technique, qui, dans ces
    dernières années, a été le lieu d’un échange effectif entre les différents
    corps de l’Ecole, et a, dans le même mouvement, relancé une dynamique
    intersyndicale. C’est une première indication, dans une direction qui
    reste à approfondir.
    3) une consultation générale, toutes catégories confondues, qui
    permettrait de dresser un inventaire des besoins appelés par les
    évolutions récentes, en termes de définitions de postes, d’instruments de
    concertation, de gestion des ressources humaines, d’anticipation des
    prochaines étapes de la vie de l’Ecole (en particulier, pour ne prendre
    qu’un exemple, pour la préparation du Grand Equipement Documentaire
    Condorcet).

    Ces propositions sont le résultat d’une série de discussions encore en
    cours. Et je suis naturellement à l’écoute de tout ce qui pourrait venir
    les enrichir. Comme cela a été fréquemment rappelé ces derniers jours, le
    Président ne sera élu que par l’Assemblée. Il sera cependant le Président
    de toute l’Ecole, et je me place donc d’emblée dans cette perspective.

    La carrière des maîtres de conférences

    C’est une question à laquelle je suis particulièrement sensible, puisque,
    pour ce qui me concerne, j’ai fait toute ma carrière à l’Ecole et que j’ai
    pu éprouver les difficultés de la candidature interne à une direction
    d’études : devoir, le temps d’une campagne, devenir pour ainsi dire
    étranger à sa propre maison, risquer un échec, au moins temporaire, plus
    douloureux dans un milieu familier, etc. Il ne doit donc pas y avoir de
    malentendu. Lorsque j’ai rappelé la possibilité en droit pour un maître
    de conférences de faire candidature sur des postes extérieurs, ce n’était
    pas le moins du monde une manière de me défaire de la question. Je l’ai
    fait pour deux raisons : la première, comme je l’ai indiqué jeudi, c’est
    qu’il n’est pas bon que nous présentions notre institution comme un lieu
    d’où l’on ne pourrait pas sortir ; vouloir y rester renforce son prestige
    ; déclarer y être condamné, non. Il y avait donc un enjeu politique dans
    ma déclaration. La seconde raison, c’est que plus nous excluons cette
    possibilité, plus elle deviendra encore plus aventureuse qu’elle ne l’est
    déjà. Il y a donc un équilibre à tenir, entre l’attrait que peut
    représenter, pour nous, une carrière complète à l’Ecole, et le souci qui
    doit être le nôtre que cela ne vaille pas position de rejet. Cet équilibre
    est précieux pour la vie de l’Ecole en général dans son environnement
    institutionnel actuel et à venir et j’en appelle au sens de la
    responsabilité de tous, dans cette période. Je souhaite que le sens de ma
    déclaration soit désormais parfaitement clair.

    Je ne sous-estime donc en rien l’inquiétude de nos collègues maîtres de
    conférences et je me suis attaché dans ces dernières semaines à dégager
    des ouvertures possibles.

    La première possibilité, offerte par les compétences élargies, est de
    privilégier les directions d’études sur les maîtrises de conférences dans
    les prochaines élections. Elle permettrait évidemment davantage de
    promotions. Je ne suis personnellement pas gagné à l’idée d’un assèchement
    du recrutement des maîtres de conférences, mais je suis tout-à-fait
    disposé à ouvrir le débat sur cette question. Il impliquerait à tout le
    moins une modification de notre conception des directions d’études, qui
    devraient s’ouvrir à de plus jeunes générations. C’est un débat complexe.
    Mais j’y suis prêt. L’autre solution, en revanche, consistant à
    privilégier les candidatures internes pour les concours de directeurs
    d’études en l’état, me semble toujours avoir été refusée par une large
    majorité de l’Assemblée.

    La seconde possibilité implique une réforme des statuts et, dans la mesure
    où elle touche aux concours de recrutement et au budget, cette réforme
    serait lourde. Mais elle n’est pas inenvisageable. Un décret du 30 janvier
    2012 a aligné la situation des maîtres de conférences de l’Ecole sur leurs
    collègues de l’Université pour ce qui concerne les avancements internes à
    leur grade (selon le décret du 6 juin 1984). Cette disposition accélèrera
    les parcours d’échelons. Une autre disposition de ce même décret de 1984
    sur les corps de l’enseignement supérieur, dans son article 46.3, pourrait
    être adaptée à notre situation : celle qui concerne la possibilité d’un
    concours séparé pour une partie des maîtres de conférences, sous réserve,
    soit de deux années de mobilité, soit de l’obtention d’une HDR. Resterait
    à savoir si cette disposition est budgétairement praticable pour une
    institution de notre dimension. Mais je suis, là aussi, prêt à étudier le
    dossier sous toutes ces faces. Une réforme des statuts, si l’adhésion de
    tous la porte et si la volonté de la présidence est forte, n’est pas
    inaccessible. Nous aurons avantage, dans cette bataille, à rechercher une
    alliance avec l’Ecole pratique des hautes études et l’Ecole des chartes
    dont les maîtres de conférences connaissent la même situation de droit.

    Il reste enfin une troisième possibilité, qui est, elle, immédiatement à
    notre main, et dont je m’engage à proposer la mise en œuvre dès les
    élections prochaines. Elle consisterait à suggérer un ordre de succession
    dans les promotions à venir, afin d’éviter aux principaux intéressé(e)s,
    ainsi qu’à notre communauté dans son ensemble, les tensions, voire les
    conflits que j’ai rappelés. Dans le passé, la présidence et le bureau,
    avec le soutien de l’Assemblée, se sont efforcés d’agir ainsi, mais
    souvent au coup par coup, en s’appuyant d’une année sur l’autre sur les «
    résultats » obtenus par les candidat(e)s. Nous pourrions envisager d’aller
    plus loin en ce sens. Il s’agirait, dès l’élection prochaine, de
    constituer au sein de l’Assemblée un groupe de travail qui étudierait avec
    précision et sur la base d’un ensemble de critères collectivement définis,
    quelles candidatures nous pouvons successivement encourager sur une
    période de plusieurs années, compte tenu des prévisions relativement
    favorables (entre 5 et 7 postes ouvrables pour les quatre prochaines
    années).
    Je le répète pour finir, j’ai vécu d’assez près cette situation pour avoir
    à cœur de tout faire pour l’épargner à mes collègues.

    Voilà ce que je peux, à ce stade de ma réflexion, proposer à notre Assemblée.

    Dans le cadre de ce même échange, l’une de nos collègues a justement fait
    observer que la promotion des maîtres de conférences était aussi une clé
    de la féminisation progressive du corps des enseignants-chercheurs de
    l’Ecole. Cela devra entrer dans les critères pour le calendrier dont je
    propose la mise en place. Au-delà, il est significatif que le rapport
    produit sous le mandat de Danièle Hervieu-Léger sur la situation des
    femmes dans l’Ecole n’ait pas connu ensuite de développement concret. Il y
    faut un volontarisme qui ne fait pas l’unanimité, pas plus dans l’Ecole
    que dans la République française en général. Mais si le diagnostic d’une
    sur-représentation masculine dans les différentes instances de l’Ecole, à
    tous les niveaux et dans tous ses secteurs, reste partagé, alors je
    considère pour ma part que nous devons retrouver le chemin de ce
    volontarisme.

    Nous aurons certainement l’occasion de revenir sur ces différents dossiers
    dans les prochains jours et semaines.

    Bien à tous,

    Pierre Antoine Fabre »

  5. Je reproduis ci-dessous un courrier de Yves Chevrier et Serge Gruzinski sur la liste des débats électoraux.

    « Chères collègues, chers collègues,

    Pierre-Cyrille Hautcoeur nous assure avec beaucoup de conviction que le
    chemin du Campus Condorcet passe par un Campus Raspail. Celui-ce serait
    non seulement le moyen de reloger la partie de l’Ecole hébergée au
    « France » à l’expiration du bail, en 2016. Il serait également la formule
    qui regrouperait l’Ecole dans son ensemble, en incluant les centres de
    recherche aujourd’hui dispersés que leur localisation « externe » éloigne
    trop du coeur de l’Ecole tout en faisant peser des menaces sur la solidité
    du lien qui les y rattache.

    Sans mettre en cause le caractère bi-site (Condorcet et intra muros)de la
    future Ecole, objet d’un large accord au sein de notre Assemblée, on ne
    peut s’empêcher d’être frappé par l’ampleur d’un tel projet. En demandant
    plus, nous obtiendrons plus : telle semble être la stratégie sous-jacente.
    Une grande ambition demande une grande politique, une grande politique
    exige de grands politiques. Certes ! Nous nous permettons cependant, au
    nom de la responsbilité et du pragmatisme, de poser quelques questions
    terre-à-terre.

    Est-il crédible que l’immeuble du 54 Bd Raspail, requalifié et remis aux
    normes (avec des dégagements plus importants) puisse accueillir des
    laboratoires qui ne pouvaient y trouver place auparavant, en même temps
    que ceux qui en ont déménagé? Plusieurs de nos collègues économistes, par
    exemple, rappellent ainsi qu’il était dans leur intention de s’installer
    au 54, mais qu’ils durent poser leurs pénates ailleurs, faute de place.

    Est-il crédible que l’Ecole puisse obtenir dans cet immeuble une surface
    plus importante – compte tenu des projets de la fondation MSH, et de la
    nécessité dans laquelle l’Etat se trouvera de loger d’autres occupants du
    « France »?

    Est-il vraisemblable qu’en période de disette budgétaire, l’Etat s’engage
    sur un projet coûteux faisant quasiment doublon (pour ce qui est de
    l’Ecole) avec celui du Campus Condorcet?

    Peut-on enfin tabler sur un rendez-vous en 2016, sachant les retards
    chroniques qui ralentissent les travaux de désamiantage, et le caractère
    expansionniste de leur coût? Il n’a échappé à personne que le chantier du
    54 n’est pas encore ouvert. Son financement est, semble-t-il, établi,
    grâce à la dotation ad hoc accordée par l’Etat (aux coûts d’il y a dix
    ans). Cette provision ne couvre pas le réaménagement de l’immeuble, dont
    le coût ne sera pas léger. Quel financement peut-on espérer pour un
    chantier supplémentaire de cette ampleur?

    Il est clair que ces questions font preuve d’une certaine naïveté
    au regard de la grande politique qui se fait fort d’y répondre – sans
    doute, car elles n’ont pas été évoquées par Pierre-Cyrille Hautcoeur dans
    sa présentation de jeudi dernier, alors qu’il a très justement indiqué que
    le Campus Condorcet, déjà sujet au « phasage », subirait de probables
    retards au niveau de sa réalisation. Nous aggravons notre cas à propos
    d’un autre sujet d’inquiétude.

    Il nous a été asssuré qu’en échouant à obtenir une Idex, l’Ecole avait
    gagné l’occasion de se préserver de restructurations périlleuses. C’est
    donc que le danger était bien grand ! Poussés par les vents légers du PRES
    HESAM, nous voguerions en douceur vers le havre accueillant de structures
    non pas même confédérales, mais « confédératives ». Peut-on demander
    toutefois en quoi la convention PNMU (Paris Nouveaux Mondes Université),
    en cours de négociation, diffère des dispositions institutionnelles
    aujourd’hui déclarées si menaçantes telles qu’elles étaient prévues dans
    le projet d’Idex ? L’Etablissement Public du Campus Condorcet, qui nous a
    été présenté comme une sorte de Léviathan, prêt notamment à dévorer nos
    bibliothèques de recherche, va-t-il si loin? Il serait utile de développer
    la comparaison en vue d’une clarification nécessaire.

    Très cordialement,

    Yves Chevrier et Serge Gruzinski »

  6. Je reproduis ci-dessous un courrier de Bruno Karsenti sur la liste des débats électoraux.

    « Chers collègues,

    Jean-Claude Schmitt trouve « incroyable » qu’un collègue s’obstine à situer en banlieue ce qui est au-delà du périphérique. L’incroyable, à mes yeux, c’est plutôt que l’on raisonne, ou fasse mine de raisonner, comme s’il ne s’était rien passé depuis quatre ans. La même impression ressort des interventions précédentes d’Yves Chevrier, tout comme du programme de Pierre-Antoine Fabre auquel elles apportent leur soutien.

    Plus exactement, ce qui est incroyable, c’est qu’on fasse comme s’il y avait encore aujourd’hui deux camps, anti et pro-Condorcet. Or ce sont les « pro » qui s’inventent ici des « anti ». En quatre ans, fort heureusement pour la vie, l’unité et la santé de l’école, tout a changé. Nous savons que nous voulons Condorcet, dès lors qu’il est pensé comme un vrai campus assorti de vrais moyens, adaptés à nos exigences. Mais ce qui a changé aussi, c’est que nous sommes parvenus à maîtriser le processus qui doit mener vers Condorcet. Cela, nous y sommes parvenus grâce à François Weil, qui a, en l’espace de quelques semaines de 2009, grâce à une politique intelligente ou intelligemment menée ( je ne sais si elle était grande ou petite, l’ironie des formules n’a rien à faire ici), retourné notre situation et rouvert nos perspectives. Car plutôt que lire dans l’avenir l’extension de Paris, il convient de se souvenir d’un passé pas plus vieux que quatre ans: la présidence d’alors, assistée de Pierre-Antoine Fabre et d’Yves Chevrier, membres du bureau, nous destinait successivement à la parcelle 521 située à Aubervilliers, puis à l’immeuble de la rue du Pré, porte de la Chapelle. Et encore n’était-on passé d’une solution à l’autre que par la résistance de l’assemblée à la présidence. La seconde solution était à peine plus enviable que la première, au regard, non de l’accessibilité, mais des conditions pour l’ensemble des personnels. Nous devons à François Weil de nous avoir trouvé le France – il est « incroyable » que cela ne soit pas dit et redit. Non pour le célébrer – encore que, sur ce point, son mérite est très grand – mais pour en tirer la conclusion qui s’impose: nous avons gagné de bonnes conditions de travail, et surtout nous nous sommes placés en une position nettement plus favorable pour envisager l’avenir, négocier avec nos tutelles, faire de la politique, c’est-à-dire anticiper et affronter les problèmes comme ils se présentent, à mesure qu’ils se présentent.

    Le problème qui se présente maintenant, Pierre-Cyrille Hautcoeur l’a parfaitement identifié et nommé: c’est celui de la fin du bail du France, alors que la première phase – pas la seconde, la première – de Condorcet sera loin d’être achevée (2019 au mieux, autant dire 2020 avec optimisme). La question est alors, que faut-il chercher à négocier? C’est une contre-vérité que de dire qu’on « demande plus pour avoir plus » (cf. Yves Chevrier et Serge Gruzinski dans leurs « questions ») en optant pour un campus Raspail. Au contraire, c’est le prix exorbitant du France qui incite à chercher une solution plus acceptable par l’Etat, considérant qu’il est très peu probable qu’on obtiendrait un prolongement du bail. Voilà exactement ce que dit Hautcoeur, voilà comment il motive son intention de négociation, en vue d’aborder correctement la première phase de Condorcet, pour ne pas parler de la seconde, dont personne ne peut s’aventurer à dire approximativement la date. Raspail comme palier pour Condorcet, c’est la politique envisagée, pour ceux qui veulent « rêver » selon la curieuse définition de Jean-Claude Schmitt: ceux qui considèrent la situation présente et les possibilités d’action qui s’y marquent, en fonction d’un but qu’ils ne perdent pas de vue, mais qui n’emporte pas cette vue dans les nuées de l’ idéologie, ce qui aurait pour effet de rendre complètement floue la temporalité, non pas seulement sur les trois années entre 2016 et 2019, mais sur les dix, voire les quinze prochaines années.

    Surprenant, et non plus incroyable, est en revanche le tour pris par nos débats. L’intérêt de la présentation de Pierre-Cyrille Hautcoeur est de remettre les choses dans le bon ordre: non pas partir de la question immobilière, mais la situer dans le prolongement d’une certaine conception de l’école. Partir du projet scientifique et pédagogique pour l’école, pour développer les options qui s’offrent à nous, dont la question immobilière fait partie, mais dont elle n’est qu’un aspect. Plus précisément encore, il adopte le bon point de départ: nous sommes une école de sciences sociales, avec un type d’encadrement et de formation tout à fait spécifique, où la recherche et la formation sont inséparables, ce qui peut se lire dans les deux sens, mais qui sans doute mérite surtout d’être lu dans le sens où nous visons un certain mode d’intégration des étudiants à nos séminaires et à nos centres. La discussion sur PNMU – et donc, non seulement de nos alliances, mais de la recherche de financements supplémentaires de contrats doctoraux, de post-docs, de déplacements et d’échanges internationaux d’étudiants, ce qui en est pour moi la justification princeps, comme celle de tous les mots en « ex » – s’inscrit dans ce cadre. Et c’est jusqu’à nos réflexions sur les recrutements, le problème des fléchages et des domaines ciblés, les risques que cela comporte, qui procèdent du même ordre de considération. Il s’agit, en somme, de se donner les moyens et de penser les conditions d’une formation qui accorde une place centrale à l’interdisciplinarité – un certain genre d’interdisciplinarité, sur laquelle peuvent s’entendre, ou en tout cas discuter, ceux qui, comme le disaient encore Hauteur, réfléchissent ensemble l’appartenance de leur spécialité à une compréhension du monde social, et donc à un socle épistémologique distinctif de ce que les sciences sociales représentent en tant que forme de savoir. Plusieurs contributions sur cette liste ont touché justement ces points, et les ont éclairés sous différents angles. Qu’elles ne soient pas étouffées par de faux débats qui nous ramènent quatre ans en arrière, à une période de l’histoire de notre institution dont nous sommes heureusement déjà loin.

    Bruno Karsenti »

  7. Je reproduis ci-dessous un courrier de Geneviève Massard-Guilbaud sur la liste des débats électoraux.

    « Chères et chers collègues,

    Je voudrais plaider dans le même sens que Pierre-Cyrille Hautcoeur lorsqu’il écrit, dans le dernier message qu’il nous a adressé, : “Nous sommes d’abord une École, et non pas une juxtaposition d’unités de recherche. Aussi la formation des étudiants et des doctorants demeure-t-elle notre première mission”, et faire à ce propos quelques remarques.

    Le prestige de notre Ecole, sa capacité à obtenir des moyens —qui nous sera bien utile dans les temps qui viennent— découle de la qualité des recherches qui s’y mènent, mais aussi de la qualité de la formation des étudiants qui en sortent. La qualité de nos recherches n’est mise en doute par personne, mais il me semble qu’il n’en va pas toujours de même pour la formation, en dépit de notre remarquable potentiel. Nos étudiants mériteraient d’occuper, dans nos préoccupations, une place plus centrale qu’elle ne l’est aujourd’hui. Je ne sous-estime pas les efforts qui ont été faits depuis quelques années dans ce sens. Ayant participé, pendant deux ans et à raison d’une réunion par mois, à la Commission des Masters, je sais combien certains collègues se sont investis et ont travaillé dur pour faire fonctionner ces masters. Membre, pendant deux ans également, de la Commission de la Scolarité, je sais aussi les efforts qui sont faits pour aider les étudiants masterants ou doctorants, et l’attention que leur porte la DEVE.

    Cependant, il me semble qu’il serait utile de renforcer encore cette attention et, dans la perspective du prochain quinquennal, de repenser le périmètre de certaines mentions de master, leur contenu, ou d’en créer de nouvelles, attractives et innovantes. Ainsi pourrions-nous réfléchir, par exemple, à proposer un plus grand nombre de mentions interdisciplinaires, ou renforcer encore l’interdisciplinarité de celles qui en bénéficient déjà —si c’est là la spécificité de notre Ecole, montrons-le. Il me semble qu’il conviendrait aussi de nous mobiliser pour créer des formations dans les domaines de recherche émergents sans attendre que d’autres l’aient fait avant nous.

    Je ne prendrai qu’un exemple, que je connais bien, celui de l’environnement. Le site du RUCHE, le réseau universitaire de chercheurs en histoire environnementale, essaie de recenser les formations spécialisées offertes en France dans ce domaine. Pour cette rentrée, il en affiche 9, dont une ou deux qui ne sont pas strictement historiques mais socio-anthropologiques ou d’histoire des sciences. Sur ces 9 formations, 8 se tiennent à l’EHESS ! La liste n’est peut-être pas tout à fait exhaustive, mais quel potentiel dans notre Ecole ! Pourtant, un étudiant qui voudrait se spécialiser dans ce domaine à l’EHESS n’y trouvera pas de master approprié. A l’heure où les sciences sociales revendiquent une compétence en matière environnementale et où même les “propriétaires” traditionnels de ce champ, les sciences naturelles, reconnaissent la légitimité de cette revendication, qu’attendons-nous pour former des étudiants habitués à l’interdisciplinarité en sciences sociales et par là-même suffisamment solides pour aller ensuite pratiquer l’interdisciplinarité plus lourde dont nous avons besoin, celle qui associe sciences sociales et sciences naturelles, que le CNRS s’emploie à développer de son côté ?

    Il me semble aussi que le taux d’encadrement très satisfaisant qui est le nôtre devrait bénéficier plus largement aux masters et que tous les enseignants devraient pouvoir, un jour où l’autre, contribuer à l’enseignement à ce niveau, y compris dans les formations actuellement dispensées par des vacataires ou des chargés de conférences (ce qui nous permettrait de mettre l’argent ailleurs, dans des aides aux étudiants par exemple) et dans les formations de méthodologie, dont les étudiants disent combien elles leurs sont utiles.

    Au niveau des doctorants, j’avais déjà eu l’occasion de dire, lors des débats que nous avions eu au moment de l’élection de notre précédent président, que je trouvais notre offre en séminaires à la fois pléthorique et peu lisible. Je n’ai pas changé d’avis. Ne serait-il pas temps de travailler à sa clarification et à son évolution ? Comment, aussi, aider mieux nos étudiants à faire face aux tâches complexes et multiples que l’on attend d’eux désormais : non seulement faire une thèse, en trois ans de préférence, mais aussi donner des communications dans des colloques nationaux ou internationaux, publier (aux “bons” endroits, évidemment, donc parfois en anglais, alors que nous ne leur offrons sauf exception aucune aide à la traduction), participer à des comités de lecture, faire des recensions, organiser des journées d’étude et j’en oublie). Comment en faire des acteurs de leur propre formation et faire de celle-ci quelque chose de plus collectif ? Devrions-nous, par exemple, instaurer des “comités de thèse” comme il en existe dans d’autres pays, où un groupe de personnes et non plus seulement la directrice ou le directeur, aide le doctorant à faire régulièrement le point sur l’avancée de son travail ? Certaines universités ont déjà mis en œuvre cette procédure, l’ENS aussi. Nous qui nous flattons de mieux encadrer les étudiants que d’autres, seront nous les derniers à y réfléchir ? Comment faire qu’ils aient une vraie place au cœur de nos UMR, et soient reconnus comme les jeunes collègues en formation qu’ils sont ?

    Je ne parlerai pas ici de la dimension internationale de la formation : permettre aux étudiants d’aller sur le terrain de leur choix, faciliter les échanges etc. D’autres avant moi ont évoqué cette dimension, je partage leur souci. Mais pour faire face à ces besoins, il nous faut trouver de l’argent et donc aller le chercher là où il est, dans les associations de type PRES ou autres Idex . Encore faut-il pour cela accepter de s’y investir réellement, travailler à en faire ce que nous souhaitons qu’elles soient et de les mettre à notre service et au service de nos étudiants au lieu d’y entrer à reculons et laisser d’autres que nous les modeler à leur guise. Il me semble qu’il n’y a aujourd’hui pas d’autre voie pour parvenir à conserver à l’Ecole sa capacité à former des chercheurs de haut niveau en sciences sociales. On ne peut pas vouloir garder à l’Ecole son rayonnement international (ou le redynamiser) sans accepter d’aller chercher l’argent pour cela là où il est.

    Le monde de l’enseignement supérieur a changé très vite ces dernières années, et pas toujours (c’est un euphémisme) dans le sens que nous aurions souhaité. Si nous voulons conserver les principes qui nous tiennent à cœur, il nous faut évoluer nous aussi, faire mieux encore, et être irréprochables dans la façon dont nous encadrons et soutenons nos étudiants.

    Bien cordialement

    Geneviève Massard-Guilbaud »

  8. Je reproduis ci-dessous un courrier de Daniel Milo sur la liste des débats électoraux.

    « Chers collègues

    Le débat présidentiel élude l’essentiel : Quel est le profil idéal d’un président? Il est frappant que la récente course à Élysée ait tourné autour de cette question, qui appartient pourtant aux sciences sociales, alors qu’en leur bastion les spécialistes en fassent l’économie. Le silence de Pierre-Antoine Fabre et Pierre-Cyrille Hautcoeur signifie-t-il qu’ils adhèrent à la pensée politique du candidat Jacques Chirac: «Un président doit ressembler au Français pour les rassembler» (campagne de 1995)? Feraient-ils leur le slogan du dernier élu en date: «Normal!» Leur louable humilité serait-elle une preuve de fidélité à la suspicion de l’école des Annales envers les Grands Hommes? Louable modestie, mais rappelons que ces héros déchus ne l’ont jamais réellement été, depuis les Rois thaumaturges jusqu’au Saint Louis de Le Goff et j’en passe. Fernand Braudel n’a pas cédé aux sirènes de la biographie d’un homme grand ou petit, c’est vrai, mais l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, institution à part, est là pour rappeler que même un historien est capable de peser sur l’histoire.

    Or l’exception EHESS n’est plus. Sa prétention à être un vivier d’avant-garde méthodologique et thématique est raillée en France et ailleurs, y compris par ses propres membres. J’ai proposé à l’Assemblée, il y a de cela dix-sept ans déjà, d’instaurer un quota d’ »énergumènes » à chaque élection, c’est-à-dire élire un chercheur par an qui risque des voies hétérodoxes, voire hérétiques, quitte à s’embourber dans l’impasse ; c’est ainsi que Braudel recrutait, ai-je argué alors. Mon appel n’a pas été entendu, et à force de normalité (et de normaliens), l’EHESS est devenue une Sorbonne bis. Nos collègues dont le nom et l’œuvre sont connus du grand public ne sont pas légions, une litote. Et qui, parmi nous, est mondialement reconnu comme incontournable dans sa discipline ? S’il y avait un Nobel en sciences sociales, l’École en aurait trusté les prix jusqu’il y a quinze ans. Et depuis ? Le désert.

    Notre vénérable, trop vénérable, institution va mal, ainsi n’avons-nous plus le luxe d’esquiver la question : Quel type de président pourrait la réinstaller sur un piédestal vacant depuis trop longtemps ? L’histoire de l’ex- VIe Section tient la réponse, elle est sans équivoque. Son âge d’or a coïncidé avec l’aura internationale de ses trois premiers présidents : Braudel, Le Goff, Furet. Il existe une corrélation forte entre la stature du président, l’innovation dans la recherche, le prestige de l’École auprès des initiés et des non-initiés, et le niveau des candidats qui frappent à sa porte.

    L’EHESS a besoin d’un président qui fait autorité et qui fait rêver, et elle en a besoin maintenant. Malheureusement, l’homme providentiel n’émergera pas de nos rangs. Mais cette pénurie n’est pas une fatalité. Le président idéal n’est pas encore des nôtres ? Importons-le. Pour ce faire, il nous faut:

    1. Remercier Pierre-Antoine Fabre et Pierre-Cyrille Hautcoeur pour leur vaillante campagne et les prier de retirer leur candidature.

    2. Prolonger l’intérim de François Hartog.

    3. Créer un « search committee » à l’américaine où siégeront des membres de l’EHESS, dont un émérite, et des sommités internationales, pas forcément issues des sciences sociales. La quête de cette commission ne pourra s’arrêter aux murs du France (Jack Lang?), ni aux frontières de l’Hexagone (Umberto Eco? Naomi Klein?). Que le meilleur gagne, et nous avec.

    4. S’inspirer de la recette braudélienne et accorder au nouveau Président le droit régalien d’élire un directeur d’études et un maître de conférences par an sans passer par l’Assemblée.

    Bien à vous

    Daniel S. Milo
    Maître de conférences »

  9. Je reproduis ci-dessous un courrier de Pierre-Antoine Fabre, sur la liste des débats électoraux.

    « Chères et chers collègues,

    A quelques jours maintenant de la réunion du 16 novembre, je souhaite
    contribuer à la préparation de cette dernière étape de nos campagnes par
    une brève synthèse de mes positions et propositions principales, dans les
    différents domaines que j’ai abordés depuis le 13 août, et que j’ai
    toujours voulu considérer ensemble, tant ils sont souvent étroitement
    liés. Je me suis longuement exprimé sur la vie administrative de l’Ecole
    (et le soin que nous devons apporter à ses recrutements dans une période
    de forte mobilité des personnels administratifs), sur la promotion des
    maîtres de conférences (propositions très utilement enrichies à mes yeux
    par une réflexion, développée par Liora Israël, sur leur fonction dans
    l’Ecole), et sur beaucoup d’autres sujets depuis trois mois. Je me
    concentre ici sur six points, entre ceux sur lesquels l’Ecole peut et doit
    avancer, six points sur lesquels Pierre-Cyrille Hautcoeur et moi-même
    n’avons pas affiché les mêmes orientations. Or le moment est venu, au-delà
    de tout ce qui nous rassemble, lui et moi, comme collègues d’une même
    institution, de clarifier les termes du choix que vous allez devoir faire.

    La recherche dans l’Ecole

    Je rappelle deux aspects principaux de mes propositions.
    1. Nous devons concrètement favoriser le développement dans l’Ecole de
    champs et d’objets de recherche neufs, qui ne peuvent par définition pas
    se réduire à la géographie des unités de recherche. Comme je l’ai proposé
    dès ma première déclaration, la présidence de l’Ecole et son équipe
    peuvent aider ce développement en ouvrant des lieux de travail partagé –
    que j’ai appelés des foyers thématiques – susceptibles de réunir sur des
    chantiers extrêmement concrets des compétences multiples, et d’en faire
    des lieux de production de savoirs, et non pas seulement de réflexions de
    savoirs constitués. La communauté étudiante de l’Ecole pourrait en être
    non seulement la première bénéficiaire mais la première inspiratrice, en
    reconfigurant par l’exigence de ses propres travaux une cartographie
    parfois aujourd’hui ossifiée.
    2. Dans cette perspective, l’ensemble de mes échanges de ces trois
    derniers mois a achevé de me convaincre que l’Ecole pouvait jouer une
    carte maîtresse en articulant le socle historique des sciences sociales –
    dont les sciences historiques – sur des secteurs pour lesquels les
    sciences sociales sont une découverte d’aujourd’hui et une exigence de
    demain, qu’il s’agisse de la cognition sociale, de l’économie
    comportementale, etc. L’Ecole est riche de ces deux époques, mais elles
    vivent leur vie trop séparément. Comment déployer la proposition récente
    d’Emmanuel Dupoux pour une coopération des sciences cognitives et des
    sciences historiques ? C’est un chantier parmi d’autres. C’est l’un de ces
    chantiers qui peuvent nous placer ou nous replacer demain à la pointe du
    mouvement des sciences sociales. C’est une chance que nous devons saisir
    et je pense qu’il y faut une volonté.

    L’avenir des Editions de l’Ecole

    Mes engagements, passés et présents, sur le terrain des Editions de
    l’Ecole me convainquent de leur faire une place particulière dans ce
    nouveau message. Le développement important qu’elles ont connu dans ces
    dernières années les place dans une position privilégiée pour trois
    grandes missions qui, à mon sens, l’attendent dans l’avenir. La première
    sera d’assurer un leadership qui ne saurait guère lui être contesté à
    l’échelle de l’ensemble des publications d’ouvrages et de revues que
    réunira le futur Campus Condorcet. Je crois cependant que ce leadership
    peut et doit être impulsé dès aujourd’hui. La seconde, qui est elle aussi
    immédiatement devant nous, sera de faire des Editions de l’Ecole le lieu
    d’incubation d’une véritable avancée dans le domaine de l’édition
    électronique scientifique, que notre communauté attend, prépare déjà, mais
    à laquelle il manque un porteur aussi largement reconnu que nos Editions.
    La troisième mission sera de favoriser la diffusion, en France et en
    Europe, des sciences sociales telles qu’elles se développent aujourd’hui
    loin de leur berceau occidental : je pense en particulier au monde
    asiatique. Nous avons, sur ces trois fronts, une responsabilité
    considérable, dont je n’hésiterai pas à faire une priorité scientifique de
    la prochaine présidence.

    Les modes de recrutement

    Pour ce qui concerne le recrutement des maîtres de conférences et des
    directeurs d’études, j’ai formulé des propositions qui conjuguent deux
    exigences : la première est celle de donner tout son poids à la
    souveraineté de l’Assemblée des enseignants, véritable garantie de
    l’ouverture des recherches que nous accueillons à l’ensemble de notre
    communauté ; la seconde est celle de mobiliser les « corps intermédiaires
    », en l’occurrence notre conseil scientifique, pour préparer les travaux
    de cette Assemblée, du point de vue de l’orientation de notre politique
    scientifique et de la « publicité » des candidatures qui apparaîtraient
    les plus propices à faire vivre ces orientations. Je suis convaincu que
    les instances ordinaires de l’Ecole peuvent jouer un rôle décisif, dans le
    cadre de nos statuts actuels, pour que le choix de nos futurs collègues
    soit partagé par tous, au-delà des seules assemblées directement
    électorales. J’y travaillerai en tout cas de toutes mes forces, avec mon
    équipe, car le président de l’Ecole ne doit ni se défaire de cette
    responsabilité, ni la porter seule.
    Dans de nombreux centres, les passages en retraite concerneront dans les
    prochaines années aussi bien les enseignants-chercheurs de l’Ecole que
    leurs collègues du CNRS. Une concertation doit être recherchée, certes au
    plus haut niveau de la coopération entre l’Ecole et le CNRS mais aussi au
    plus près de la vie des centres : d’où ma proposition d’associer aux
    travaux de la présidence un représentant permanent du CNRS, qui sera aussi
    un interlocuteur précieux pour ceux d’entre nos collègues que la direction
    de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS sollicite pour
    telle ou telle charge ou mission.

    L’Ecole doctorale et le Master de l’Ecole

    Je ne reviendrai ici que sur deux points, au-delà de la priorité qu’est
    l’augmentation de nos allocations doctorales. Pour revenir cependant très
    brièvement sur ce sujet, cette augmentation passe par un effort propre de
    notre institution ; mais elle implique aussi, complémentairement, une
    lutte acharnée pour la mutualisation des ressources dans le cadre des
    co-accréditations doctorales avec d’autres établissements et universités.
    C’est un enjeu important des prochaines années, à Paris comme dans nos
    pôles régionaux. J’ai fait le constat, à Toulouse comme à Marseille, de la
    nécessité que nos capacités de formation soient effectivement prises en
    compte dans l’attribution des allocations. C’est dans cet esprit que j’ai
    proposé, dès le début de l’année 2013, une concertation des pôles
    régionaux, avec un objectif : renforcer la coopération de ces pôles, Paris
    inclus, pour faire valoir l’apport spécifique de chacun d’entre eux à
    l’échelle des régions.
    Dès le mois d’août aussi, je vous ai proposé de relever l’un des défis
    majeurs de l’Ecole dans les années à venir : l’invention d’un parcours
    doctoral original, qui devra nous porter au niveau des exigences
    internationales sur ce terrain tout en y affirmant une singularité : celle
    d’assurer aux doctorants, grâce aux centres de recherche en particulier,
    une initiation aux pratiques du métier de la recherche. Ne nous
    dissimulons pas la charge de ce défi : notre offre aujourd’hui ne
    correspond que très partiellement à ce qu’elle devrait être si nous
    voulons susciter pour l’Ecole des partenariats internationaux au niveau
    doctoral. Je propose de constituer dès mon élection un groupe de travail
    attaché à la Direction des Enseignements et de la Vie Etudiante, dont la
    mission sera de construire ce parcours doctoral, en définissant les choix
    de l’Ecole dans toute une série de domaines qui ne doivent pas
    progressivement s’imposer à nous, pour ce qui concerne les comités de
    suivis doctoraux, par exemple, qui méritent un débat.
    J’ai été par ailleurs frappé, dans ces derniers mois, par le souci de
    nombre de nos collègues concernant le Master de l’Ecole. Il n’est pas sûr
    que la dernière Présidence ait attaché une attention suffisante à ce
    dossier dans le cadre de la préparation du prochain contrat. J’insisterai
    sur un seul point : prenons-nous la mesure de l’autonomie relative du
    Master par rapport au Doctorat ? Certes, le Master Recherche est le plus
    souvent conçu comme une première étape en vue du doctorat. Mais, dans un
    contexte de crise durable des recrutements universitaires, il est aussi,
    et il sera de plus en plus le terme d’un parcours académique, préalable à
    d’autres orientations. Or nous pouvons envisager cette évolution comme une
    donnée positive pour l’Ecole, parce qu’elle peut justement, en fonction
    des multiples formes de son ouverture sur le monde social, porter et
    préparer ces orientations. Il serait présomptueux de ma part d’esquisser
    des perspectives concrètes sans faire appel à l’expérience acquise des
    directions de Master. Mais je suggère un changement de perspective, au
    seuil d’une époque où, par ailleurs, la question de l’insertion
    professionnelle de nos étudiants cessera d’être seulement une vive
    préoccupation de beaucoup d’entre nous, pour devenir une exigence de
    l’établissement tout entier.

    Les échéances immobilières

    Tâchons d’être bref sur un sujet déjà beaucoup abordé. Où en sommes-nous ?
    Trois points :
    1. La perspective d’un campus Raspail, après examen attentif du dossier,
    paraît trop incertaine. Le service de l’Epaurif s’est engagé sur ce
    chantier avec un sérieux et une probité que je dois ici saluer. Mais de
    l’aveu même des protagonistes de cette entreprise, que j’ai tenu à
    rencontrer personnellement, le financement des travaux (environ 60
    millions d’euros au minimum, qui ne sont financés qu’à hauteur de 30
    millions d’euros, dotation d’Etat pour le désamiantage versée à la FMSH il
    y a près d’une décennie) est un grand point d’interrogation, et l’échéance
    de ces travaux, en régime de maîtrise d’ouvrage propre, ne viendrait
    coïncider avec 2016 que dans le scénario le plus optimiste. De plus, la
    FMSH conçoit pour le bâtiment réhabilité d’importants projets, et ne
    saurait accorder à l’Ecole que des espaces très limités, pour un temps
    très bref. Sur les concessions de Paris 6, le flou le plus grand règne, je
    dois le constater. Et pour cause : si Paris 6 a besoin de surfaces,
    pourquoi les céder ? S’il n’en a pas besoin, pourquoi ne pas les vendre,
    puisque les compétences élargies lui en ouvrent désormais la possibilité ?
    Et que dire de la Bibliothèque de la FMSH, dont la destination sur le
    Campus Condorcet m’a été à nouveau confirmée par notre collègue Michel
    Wieviorka ? Un nouveau dépôt, ajouté au premier (effectif dès le
    déménagement au France), dans l’attente de 2018, et un redéploiement
    rétréci boulevard Raspail ?
    2. L’appel du Partenariat Public Privé pour le Campus Condorcet a été
    lancé le 2 novembre dernier et, les entreprises engagées ayant beaucoup
    trop à perdre à ne pas tenir leurs délais, la livraison des premiers
    bâtiments à l’automne 2018 est devenue une échéance très concrète. Il
    n’est plus raisonnable, il est même devenu irresponsable d’entretenir la
    confusion sur ces délais.
    De plus, information capitale transmise lors du dernier Bureau de
    direction du Campus Condorcet, le mardi 30 octobre dernier, le Ministère a
    décidé d’augmenter les surfaces de recherche de cette première phase. Ce
    qui nous donne : 9000 m2 dont 7000 utiles (bâtiment prévu pour l’EHESS),
    auquel il faut donc ajouter désormais, dès la première phase, 5000m2 dont
    3500 utiles (susceptibles d’être occupés par l’EHESS au vu de ses besoins)
    : 10500 m2 utiles, contre 6600 actuellement occupés par l’Ecole au France.
    Qui parlera encore de 20% de l’Ecole dans cette première phase ? Soyons
    clairs : cette surface représente beaucoup plus que le France et que le 54
    bd Raspail avant notre déménagement. Elle peut permettre, dès 2018, le
    regroupement sur le Campus Condorcet des unités de l’Ecole dispersées
    depuis tant d’années sur de multiples sites parisiens.
    3. Comment, dans ces conditions, le Ministère qui vient de faire cette
    proposition d’extension des surfaces sur le Campus Condorcet dès 2018 ne
    sera-t-il pas raisonnablement conduit à préférer envisager le prolongement
    du bail du France pendant deux ans plutôt que deux déménagements et, dans
    l’intervalle, des installations temporaires pour lesquelles le Ministère
    ne propose aujourd’hui aucun financement ? Deux déménagements dont le coût
    n’est pas seulement financier, et loin de là, nous en savons quelque chose
    et je saurai le faire savoir. Oui, certes, tout cela n’ira pas sans
    bataille, comme l’a déjà été, depuis trois mois, la recherche d’une
    augmentation des surfaces de recherche en 2018. Bataille gagnée ! Nous en
    gagnerons d’autres. Et notre force ne sera jamais, dans ces batailles, de
    rechercher des solutions de repli. Elle sera toujours d’être le fer de
    lance de l’avenir des sciences humaines et sociales en France, et
    d’obtenir les moyens de cette responsabilité.

    Les partenariats

    Ma position sur le sujet de nos partenariats a été déformée dans plusieurs
    contributions récentes, et je dois ici rétablir une vérité d’évidence. On
    a voulu faire de moi un adversaire des alliances nouées au sein du PRES
    HESAM, au seul profit du Campus Condorcet. C’est un tableau doublement
    absurde.
    Comment pourrai-je, moi qui me suis employé depuis deux ans à la création
    puis à la direction du Labex HaStec, dénoncer des coopérations dont j’ai
    eu maintes fois l’occasion de dire tous les apports, sans pour autant en
    méconnaître les sérieuses difficultés, notamment pour ce qui concerne
    l’autonomie scientifique des UMR ? Comment pourrais-je, de plus, vouloir
    rejeter des partenariats qui seront au cœur de la dynamique scientifique
    du futur Campus ?
    En revanche, j’ai cru de mon devoir de mettre sur la table, dans la
    convention en négociation Paris Nouveaux Mondes Université, succédané de
    l’IdEx manqué, des aspects nouveaux, par rapport à l’état actuel du PRES
    et de ses LabEx, qui me semblaient pour le moins préoccupants. Que ces
    aspects n’aient pas été discutés dans l’Ecole, nous en savons les raisons
    légitimes, les premières de discrétion dans la préparation de l’IdEx, les
    secondes de rapidité dans celle de PNMU. Mais j’ai dit, et je maintiens,
    que le passage du PRES dans PNMU, voire de PNMU dans un nouvel IdEx n’est
    pas irrésistible, que nous avons un droit et un devoir d’inventaire.
    C’est, me semble-t-il, la moindre des choses. On ne peut pas déclarer tout
    à la fois que l’échec du projet d’IdEx est une chance (un échec étant par
    ailleurs rarement une chance pour une institution) et que le PRES et PNMU
    sont quasiment même chose, PNMU étant, par ailleurs, quasiment même chose
    que l’ IdEx. C’est à n’y plus rien comprendre ! Non, tout cela n’est pas
    du pareil au même et je demande pour l’Ecole le choix de conjuguer ce
    qu’ont été les indéniables bénéfices, du point de vue du maillage
    scientifique, de certains au moins des LaBex engagés, et les garanties
    d’indépendance institutionnelles qu’offre le futur Campus Condorcet et que
    n’offre pas l’encore révisable PNMU. Nous ne sommes pas pieds et poings
    liés par une convention dont on définit encore à ce jour les applications,
    auxquelles il appartiendra au prochain Président de veiller de très près.
    On reconnaîtra difficilement dans cet exposé de ma position les
    simplifications qui en ont été faites, et que je regrette : ces sujets
    sont suffisamment difficiles pour nous tous pour qu’on ne les embrume pas
    d’ effets polémiques.

    La gouvernance

    Comme je l’ai dit dès le 13 août, il est à mes yeux essentiel, en
    particulier par rapport à ce qui précède que le président incarne
    pleinement l’institution et la communauté scientifique qui l’habite. Toute
    diarchie, quel que soit le talent de ses acteurs, est mortelle pour ce
    principe. L’affirmation d’une présidence forte implique tout aussi
    essentiellement, dans le contexte actuel, extrêmement complexe, de la
    délibération et de la décision, une équipe très fortement légitime : d’où
    l’expression anticipée de la composition de l’équipe présidentielle.
    Je complète aujourd’hui la composition de cette équipe en vous annonçant
    que Filippo Ronconi a accepté la lourde charge du secrétariat du Bureau,
    ce dont je le remercie vivement. Il aura pour mission, à mes côtés, de
    donner une nouvelle impulsion à la coopération de l’administration, de la
    recherche et de la formation dans la vie de l’Ecole, au-delà des rudes
    coups que notre communauté a dû subir avec le passage aux compétences
    élargies. Ces derniers mois m’ont dit l’urgence et l’ampleur de cette
    tâche.
    Un autre débat s’est amplifié depuis plusieurs semaines : celui de
    l’élection du président de l’Ecole par la seule Assemblée des
    enseignants-chercheurs. J’ai sur ce sujet une seule conviction : c’est que
    l’enjeu d’une révision de nos statuts à cet égard porterait des
    conséquences dont je suis loin d’être sûr qu’elles seraient approuvées par
    tous. Je fais donc une proposition, qui est aussi un engagement que je
    prends : celui de demander au Comité technique de l’Ecole, représentatif
    de toutes ses composantes, de jouer pleinement son rôle d’organe
    consultatif en organisant, assisté des expertises nécessaires, une
    simulation méthodique des différents scénarios possibles, de leurs
    avantages, de leurs inconvénients, et de mettre en discussion les
    résultats de son enquête.

    A l’évidence, ressort de l’ensemble de ces propositions une conception
    volontariste de la présidence de l’Ecole : sur le front de notre avenir
    immobilier, pour conquérir l’espace de notre développement dans les
    prochaines décennies ; sur le front – inséparable du premier – de notre
    avenir scientifique ; sur tous les terrains, comme celui de la parité, où
    nous ne pouvons pas nous reposer sur les seules dynamiques spontanées de
    l’Ecole. Je ne serai pas le président de l’accompagnement d’une main
    invisible qui a su parfois nous égarer.

    Je souhaite pour finir remercier ici toutes celles et tous ceux qui, dans
    le long parcours que j’ai effectué depuis le mois d’août, m’ont apporté
    leur engagement, leur soutien et, plus encore, m’ont donné par leurs
    objections et leurs critiques les moyens d’aller au plus juste, pour
    préparer au mieux les échéances qui nous attendent.

    A très bientôt,
    chaleureusement à tous,

    Pierre Antoine Fabre »

  10. Je reproduis ci-dessous un courrier de Esteban Buch, Emanuele Coccia, Morgane Labbé, Cyril Lemieux & Larissa Zakharova, sur la liste des débats électoraux.

    « Rien ne l’aura disloqué. Mieux: son rayonnement comme sa cohésion se seront accrus. Les problèmes immobiliers qui la menaçaient un temps, auront été résolus: désormais, son site principal se trouvera sur la commune d’Aubervilliers, au cœur du campus Condorcet, un site intelligemment pensé, desservi par le métro, ouvert sur les quartiers environnants, empli d’arbres, de pelouses fleuries, de logements étudiants, de bibliothèques high tech, de salles de cours bien équipées, de bureaux spacieux conçus pour la recherche et pour l’administration, d’un réseau perfectionné de câbles optiques, de restaurants et de cafeterias, de terrains de sport, de commerces, de musées, d’une salle de spectacle, de librairies, d’un cinéma et bien entendu, de plusieurs pubs. Sans doute l’installation en ces lieux sera-t-elle encore récente: cela fera quelques années à peine que le campus Raspail aura été quitté, l’Ecole conservant dans Paris intra muros une antenne. D’inévitables problèmes techniques demeureront. Mais l’essentiel sera acquis.

    A cette époque, on viendra à l’Ecole des quatre coins du monde. On y sera attiré par la réputation et le prestige des enseignements qui y seront donnés et plus encore, par la conception qui y prévaudra, de ce que sont les sciences sociales et de la façon dont il convient d’en transmettre les savoirs. Une conception à la fois exigeante et intrigante, défendue certes en quelques autres lieux à travers le monde, mais peut-être pas avec la même cohérence, ni avec la même réussite qu’ici – raison pour laquelle l’EHESS fera figure de point de ralliement. Cette conception, quelle sera-t-elle? Elle tiendra au fait que prenant résolument le contre-pied de ce que seront alors les définitions standards de l’excellence scientifique (performances bibliométriques, scores dans les science citation index, capacité à répondre à la demande sociale, hyperspécialisation…), l’EHESS aura réussi à faire du goût du risque intellectuel, du temps long de la recherche et de la maîtrise d’une culture générale et transversale en sciences sociales, le socle de ses propres évaluations. Des experts bruxellois viendront régulièrement s’informer sur cet endroit, un peu étrange et inquiétant à leurs yeux, où ils sauront qu’est continûment expérimentée une approche alternative et – force leur sera de l’admettre – particulièrement fructueuse, de la recherche en sciences sociales: ils y trouveront matière à comprendre pourquoi les politiques de normalisation de la recherche qu’ils auront imposées à marche forcée partout dans l’Union, auront conduit, d’une façon qu’ils n’avaient pas vraiment prévu, à un appauvrissement des résultats de la recherche et à un tarissement progressif des vocations.

    Sa réputation mondiale, l’EHESS la devra d’abord au fait d’avoir su se convaincre elle-même que la défense des sciences sociales – en tant que techniques pour se distancier du sens commun et en tant que pratique d’enquête – est un combat à mener au plan international. C’est dans cette perspective qu’elle aura ouvert de nombreuses antennes à l’étranger, domiciliées dans des universités partenaires en échange d’un hébergement réciproque, antennes de taille diverse qui lui offriront, à travers la planète, un réseau permanent et actif de chercheurs – dont, pour une part non négligeable, ses anciens étudiants étrangers – se reconnaissant dans le même idéal qu’elle, la tenant informée des avancées de la recherche dans chaque aire culturelle de la planète (et non pas seulement à propos de chaque aire culturelle) et publiant régulièrement, en différentes langues, dans les revues électroniques de l’EHESS. A travers ce dispositif, tissé de Helsinki au Cap, et de Shanghai à Buenos Aires, l’EHESS se sera reconnu pour mission de soutenir – avec son bel enthousiasme intellectuel et ses faibles moyens économiques – le développement des sciences sociales et historiques et du type d’intelligence du social qu’elles permettent, partout dans le monde et spécialement, dans les pays où il se trouvera entravé. C’est à cette fin, notamment, qu’elle aura promu l’enseignement en ligne, via la mise à disposition sur Internet de l’enregistrement de la plupart de ses séminaires, et qu’elle aura transformé ce qu’on appelait jadis le « diplôme de l’EHESS » en un diplôme d’enseignement à distance, permettant aux meilleurs de ses lauréats de venir poursuivre des études de Master dans ses murs. C’est à cette fin également qu’elle se sera dotée, à Paris et à Marseille, de résidences de travail de qualité destinées à ses hôtes étrangers – parmi lesquels on comptera parfois des artistes et des chercheurs en sciences dures. C’est à cette fin aussi qu’elle se sera faite connaître, sur les campus du monde entier, comme une institution prête à offrir son hospitalité aux esprits les moins conformistes, dès lors qu’ils chercheront un havre où ressourcer leur inventivité ou terminer calmement un travail d’écriture, en échange de l’aide apportée à des doctorants. C’est à cette fin encore que les enseignements de langue et les ateliers de traduction auront été développés et diversifiés au sein de l’Ecole, augmentant considérablement sa capacité à nouer des programmes de recherche impliquant à titre personnel ou collectif, dans la diversité des langues requises, des étudiants et des chercheurs étrangers en même temps que son pouvoir de faire mieux connaître à la communauté de recherche francophone le meilleur des travaux de sciences sociales produits en langue étrangère.

    Un second facteur, peut-être plus crucial encore, contribuera à la renommée internationale de l’Ecole: au fil des années, cet établissement se sera affirmé comme le berceau de très importants renouvellements théoriques en sciences sociales. Dans chacune des disciplines qui composent ces sciences, alors même qu’on les avait décrétées vouées, selon les cas, à une crise irrémédiable, à une irrésistible fragmentation ou à une routinisation sans espoir, le milieu de la recherche que l’Ecole aura su entretenir entre ses murs, aura permis l’éclosion de propositions radicalement nouvelles, qui seront, à l’étranger, l’objet du commentaire et de la curiosité de nombreux chercheurs et étudiants. Ces derniers n’auront souvent qu’une hâte: celle de venir écouter les auteurs de telles avancées, assister à leurs séminaires, travailler avec eux et leur apporter de vive voix questionnements, objections et prolongements. D’où l’Ecole tiendra-t-elle une telle puissance d’invention intellectuelle? En premier lieu, du souci qui aura été le sien, de développer les formes de vie spécifiques dont un chercheur a besoin pour commencer à penser autrement et à rompre avec ses habitudes mentales: le séminaire de recherche, la controverse argumentée, la confrontation interdisciplinaire « réelle », le comparatisme historique et/ou entre aires culturelles différentes, l’unité de recherche de taille restreinte – autant de formes de vie qui s’accompagnent de droits que l’Ecole aura pris soin de garantir: droit d’avoir du temps (pour chercher, lire, écrire, discuter, combler des lacunes…), droit à l’expérimentation, droit à l’erreur. En second lieu, la puissance inventive de l’Ecole lui viendra de sa politique de recrutement. Une politique originale car tout entière fondée sur des procédures et des critères qui, loin de s’aligner sur les standards internationaux, auront, au contraire, été soigneusement définis par l’Ecole elle-même. Ce qui, ici encore, ne manquera pas d’étonner le visiteur, c’est qu’il ne suffira pas, pour être élu à l’EHESS, d’avoir publié dans les revues les mieux cotées : plus important encore sera le fait d’avoir su créé, dans un domaine de recherche ou un autre, un déplacement du débat – i. e. une innovation empêchant les conversations entre chercheurs de ce domaine, de demeurer les mêmes. L’Ecole, en d’autres termes, aura su recruter des chercheurs de sexe, d’âge et de nationalité divers, qui auront moins fait la preuve de leur aptitude à emprunter avec maestria des sentiers balisés et à se couler dans le moule de rhétoriques consensuelles que celle de leur capacité à prendre des risques et à inventer des solutions méthodologiques, conceptuelles et théoriques aux problèmes qu’ils auront été les premiers à voir et à formuler. Les parcours rectilignes, « parfaits » et « professionnels » qui, partout ailleurs, ouvriront les portes du succès institutionnel, ne seront à l’Ecole une condition ni nécessaire, ni suffisante. Autrement plus valorisés y seront les profils des chercheurs ayant su manifester, par leurs œuvres, leur engagement en faveur d’une idée intellectuelle ou d’une intuition de recherche, leur imagination méthodologique et théorique, et leurs penchants auto-subversifs, leurs trajectoires fussent-elles, pour cette raison, un peu plus accidentées ou lacunaires.

    Un esprit alliant liberté et rigueur intellectuelles soufflera donc sur l’Ecole, et fera son attractivité – et ce d’autant plus nettement, dans un paysage universitaire qui, le plus souvent, en ces années 2025, se trouvera organisé de telle manière que cet esprit lui sera devenu inconnu. C’est ainsi qu’alors que dans de nombreux établissements d’enseignement supérieur français et européens, l’idée d’un « enseignement par la recherche » se sera imposée, l’EHESS étonnera encore, et toujours, par sa capacité à appliquer ce principe jusqu’au bout et avec plus de radicalité qu’ailleurs. Car s’il y aura à l’Ecole, comme partout, des enseignements spécifiques au Master, ceux-ci ne ressembleront guère à ce que l’on trouvera ailleurs: ils seront résolument et unanimement tournés vers l’initiation des étudiants au principe fondamental de l’enquête – un terme qui aura retrouvé sa pleine vigueur, quelle que discipline que l’on considère. Ainsi les enseignements élémentaires favoriseront-ils les expérimentations collectives et les exercices d’apprentissage sur le terrain, en salle d’archives françaises ou étrangères ou en bibliothèque, en lien parfois avec des programmes de recherche menés par des centres de l’Ecole, tandis que la formation aux cadres théorico-conceptuels ne sera pas détachée d’une expérience de leurs conséquences pratiques pour l’enquête, et que chaque enseignement de Master, théorique ou méthodologique, aura été repensé en vue de la contribution qu’il sera susceptible d’apporter au perfectionnement des mémoires de recherche des étudiants. Dans cette optique, l’Ecole se signalera par la proposition qu’elle fera systématiquement à ceux de ses masterants qui travailleront sur des objets situés à l’étranger, ou qui œuvreront dans une optique comparatiste, de financer leur déplacement dans le pays concerné par leur étude et, lorsque cela sera possible, de bénéficier sur place de l’accueil et de l’aide du réseau de correspondants qu’elle se sera constitué. L’Ecole se distinguera également en ayant eu l’intelligence de mettre à contribution le talent et l’expérience considérable de ses enseignants-chercheurs à la retraite auquel il sera régulièrement proposé d’intervenir auprès des masterants – par exemple, à travers des conseils pratiques et des conférences inaugurales. Plus encore, c’est au niveau des enseignements non spécifiques au Master, soit au niveau du séminaire de recherche, que se révélera le plus fortement la singularité de l’Ecole: les enseignants-chercheurs de l’EHESS auront renoué avec l’idée d’en faire, avant tout, le lieu d’exposition de leurs enquêtes en cours et de la mise en discussion de celles-ci, éprouvant ainsi pour eux-mêmes, et montrant par l’exemple aux étudiants de Master comme aux doctorants, comment s’élabore une œuvre et quel travail critique collectif appelle constamment ce processus de création. Au final, de chaque cours de Master comme de chaque séminaire de master, une conception générale de la transmission des savoirs en sciences sociales se dégagera, qui aura sans doute de quoi surprendre. Du moins tranchera-t-elle avec l’environnement. Car ici, à la différence de beaucoup d’autres établissements comparables, une très grande diversité de disciplines et de spécialisations techniques ira de pair avec un ethos de la recherche unanimement partagé, enseignants et étudiants s’accordant à reconnaître dans l’enquête en tant que principe général et dans la maîtrise pratique de ses procédés, selon une déclinaison propre à chaque discipline, la seule véritable porte d’accès au savoir.

    Autre chose, sans doute, frappera les visiteurs: la pluralité des styles de recherche au sein de l’Ecole. Tandis que certains chercheurs se seront lancés depuis des années dans la recherche contractuelle et auront acquis, en la matière, des compétences précieuses, d’autres pas du tout. Tandis que certains auront obtenu des budgets de recherche importants, en participant activement aux labex et à de grands programmes coordonnés au plan international, d’autres n’auront pas même cherché à en obtenir. Plus étonnant encore: cette disparité de comportement n’aura amené aucune forme de relégation ou de discrimination à l’égard des uns ou des autres. Et pour cause: pour les instances dirigeantes de l’EHESS, l’objectif aura été de garantir la cohésion de l’Ecole à travers le maintien de la pluralité des styles de recherche qui s’y expriment – persuadées que seul l’alliage entre cette cohésion et cette pluralité est source d’inventivité et de créativité intellectuelles. C’est ainsi que tout chercheur non financé contractuellement se sera vu offrir les moyens matériels de travailler comme il le souhaite, et que les effets potentiels de dislocation des collectifs de recherche institués, propres à certains programmes de financement, auront été, autant qu’il est possible, retournés, pour en faire des moyens de renforcer la solidarité et la cohésion entre chercheurs. Pour cette raison aussi, les experts bruxellois viendront régulièrement visiter l’EHESS, soucieux d’essayer de comprendre la réussite d’un contre-modèle qu’ils jugeront fascinant.

    Bien entendu, des humanités numériques aux sites dédiés à la recherche coopérative et à l’enseignement en ligne, l’Ecole aura pris, complètement, le tournant des nouvelles technologies et d’Internet – qui, alors, feront déjà figure d’institutions vénérables. Mais ce qui surprendra le plus, sur ce plan, c’est que l’EHESS aura su s’approprier à la fois techniquement et intellectuellement les nouveaux outils pour les mettre au service de ses propres objectifs, au lieu de les appliquer de façon suiviste et servile. Internet sera, au sein de l’Ecole, un moyen clé de la publication de la recherche: sous différents formats, audiovisuels autant que textuels, en différentes langues, à destination de publics inégalement avertis, selon des modalités d’interactivité diverses, les compartiments dédiés à l’enseignement et à l’actualité de la recherche en sciences sociales en côtoieront d’autres, consacrés à ce que la recherche en sciences sociales et le recul historique peuvent apporter à la compréhension de l’actualité. Ainsi les travaux produits à l’Ecole auront-ils la prétention d’être, pour un large public, une source d’intelligibilité estimée, et un aliment critique utile, permettant aux citoyens qui sauront s’en emparer de s’engager différemment dans les débats publics, en France et à l’étranger. Mais Internet sera aussi, et tout autant, un outil de recherche permettant aux chercheurs l’accès à de puissantes banques de données et à des corpus documentaires, le lancement et la coordination d’enquêtes d’envergure ou encore, la discussion collective de leurs recherches en train de se faire. Ici, à nouveau, la richesse du dispositif viendra de ce que la pluralité des styles de recherche aura été préservée: même si l’accès aux nouveaux outils électroniques sera ouvert à tous, nul ne sera contraint d’y recourir, et certains – expérience de plus en plus intéressante au fil des évolutions technologiques – n’y recourront pas. Ici encore, l’expérimentation ne sera pas seulement permise: elle sera systématiquement encouragée. L’Ecole, qui aura renforcé ses liens concrets avec les mondes de l’art, des sciences, de l’architecture, du journalisme et du sport proposera, à l’interface avec ces différents univers, des protocoles d’enquête inédits et des expériences nouvelles d’échanges de savoir-faire, dont les outils numériques seront un support privilégié mais cependant jamais exclusif.

    *
    Les signataires de ce texte ont un point commun: en 2025, aucun d’entre eux n’aura encore pris sa retraite. Cela ne leur donne aucun droit particulier dans les réflexions actuellement en cours sur l’avenir de l’Ecole. Mais cela leur assigne malgré tout un devoir: s’ils veulent voir se réaliser le rêve qu’ils font pour l’EHESS, à l’horizon des quinze prochaines années, c’est dès à présent qu’il leur faut prendre la mesure des évolutions à entreprendre. C’est, dès à présent, que tournés vers leur futur, qui sera aussi celui de leur institution, il leur faut impulser les bonnes politiques et opter pour les bons choix. Quoique les deux candidats à la présidence de l’Ecole, qui se présentent aujourd’hui à nos suffrages, soient tous deux éminemment respectables et que beaucoup de ce que chacun d’eux affirme entre en résonance avec la projection rêvée que nous avons ici osée, l’un des deux, Pierre-Cyrille Hautcœur, qui est celui pour lequel nous voterons, nous semble plus proche des directions que nous avons ici ouvertes.

    Esteban Buch, Emanuele Coccia, Morgane Labbé, Cyril Lemieux & Larissa Zakharova »

  11. Je reproduis ci-dessous un courrier de Christophe Prochasson sur la liste des débats électoraux.

    « Chères et Chers Collègues,

    Dans son dernier message, Pierre-Antoine Fabre a fait mention des éditions de l’EHESS. L’ensemble de l’équipe qui s’est engagée avec l’énergie et la passion que l’on sait dans le relèvement des éditions depuis plusieurs années ne peut que se satisfaire de voir la question éditoriale portée au rang des débats occasionnés par cette campagne présidentielle.

    Lors de la campagne de 2009, déjà en charge des éditions, j’avais moi-même souhaité apporter ma pierre aux échanges en défendant l’idée d’un pôle éditorial robuste tel que l’Ecole s’en est dotée depuis déjà bien longtemps. Force est de constater que grâce au soutien déterminé de François Weil et de son Bureau ainsi qu’à la remarquable qualité professionnelle de l’ensemble du personnel des éditions, celles-ci ont connu un développement manifeste dans les dernières années.

    Certes, bien des défis sont encore à relever dans une période de turbulences et de transformations majeures : rétrécissement du lectorat, difficile pénétration des marchés étrangers, numérisation, langues de publication, collaborations avec d’autres partenaires publics et privés, nouveaux équilibres économiques à inventer, etc. Les incertitudes sont si grandes que l’on ne peut parler légèrement en toutes ces matières.

    Les éditions participent à de nombreux groupes de travail traitant de toutes ces questions, notamment au sein du Syndicat national de l’édition mais aussi au Centre national du livre ou en d’autres espaces où elles sont souvent conviées, en France ou à l’étranger. Elles sont elles-mêmes à l’origine d’un cycle de conférences et de groupes de travail (l’un sur la question des traductions et la diffusion internationale, l’autre sur le numérique) où des politiques sont ébauchées et des solutions techniques adoptées.

    Les propositions de Pierre-Antoine Fabre sont d’autant plus intéressantes qu’elles sont mises en œuvre depuis déjà quelque temps : le positionnement des éditions dans les nouvelles configurations d’alliance universitaire est déjà en marche avec des premiers partenariats (Presses de l’INED, Presses de Paris 1 notamment), l’ « incubation » en matière de politique numérique est déjà bien avancée grâce à la cellule sur le numérique dans le respect d’une complémentarité des missions partagées avec le CLEO dont Sylvain Piron a très justement rappelé l’importance décisive et le rayonnement, le développement international (y compris vers l’Asie !) est aussi l’une des priorités des éditions et rencontre d’ailleurs de grands succès en termes non seulement de ventes de droits mais aussi de sollicitation des éditions comme partenaires d’événements scientifiques. Je rappelle qu’une collègue des éditions se consacre entièrement à de telles tâches. Grâce à son travail, le pôle éditorial de l’Ecole dispose aujourd’hui d’une réelle visibilité internationale comme l’atteste chacune de nos présences dans les grandes foires du livre.

    La force des éditions a toujours reposé sur une position qui leur permet d’être tout à la fois une « direction » de l’Ecole, au service donc d’un grand établissement de recherche dont elles sont non pas un service de valorisation mais un véritable partenaire, et une structure complète publiant des ouvrages et des revues insérée dans le paysage éditorial français. Cette dualité qui fait toute l’originalité des éditions de l’EHESS doit être conservée. La remettre en cause, d’une façon ou d’une autre, reviendrait à les affaiblir au moment même où celles-ci devront mettre en place des partenariats renforcés avec d’autres pôles éditoriaux relevant du PRES HESAM.

    La campagne électorale actuelle ne doit pas se réduire à un concours de rhétorique fondée sur des postures sans lien avec la réalité. Elle doit s’appuyer sur des faits concrets et vérifiables. Pierre-Antoine Fabre a fait référence à son expérience d’ancien responsable des éditions. Et à ce titre il connaît fort bien toutes ces questions. Certaines d’entre elles avaient d’ailleurs été évoquées lors d’un audit des éditions par le Conseil Scientifique en 2007, à l’issue duquel le Conseil avait insisté sur l’urgence qu’il y avait alors à mettre en œuvre une politique plus rigoureuse et plus dynamique. C’est une période durant laquelle les éditions avaient en effet pris beaucoup de retard, notamment en matière de politique numérique. Puisque Pierre-Antoine Fabre s’appuie sur son expérience passée pour vanter ses qualités présentes, il me semblerait plus raisonnable qu’il évite de prendre les éditions comme un exemple représentatif de son action. Son passage à la direction des éditions ne plaide pas en sa faveur.

    Christophe Prochasson »

  12. Je reproduis ci-dessous un courrier de Marie-Vic Ozouf-Marignier sur la liste des débats électoraux.

    « Chères et chers collègues

    En charge depuis un an des enseignements et de la vie étudiante, je me réjouis que les programmes présentés en vue de l’élection présidentielle accordent une place importante à la question de la formation. Je suis néanmoins surprise que ne soit pas mieux capitalisé le travail effectué depuis plusieurs années, tant au niveau de la réflexion que des politiques et des procédures. Or, je voudrais rappeler qu’il existe à l’Ecole un conseil de l’école doctorale et une commission de la scolarité, que le l’ordre du jour du conseil scientifique comporte à chaque séance un point sur les enseignements et la vie étudiante et que des commissions ad hoc ont été réunies depuis 2009 pour traiter de points particuliers de la formation. Des enquêtes approfondies ont également été menées sur nos étudiants et leur devenir, à l’échelle de l’Ecole et à celui des formations pédagogiques. Enfin, un bilan complet vient d’être établi pour les besoins de notre évaluation quadriennale. Que ces matériaux n’aient pas été sollicités avant de produire certains propos programmatiques laisse sceptique sur le réalisme des propositions qui, il est vrai, ne peuvent que convenir à tout le monde tant elles sont pétries de bonnes intentions.

    Permettez-moi donc d’apporter quelques indications sur les différents points abordés dans des messages récents.

    1) les contrats doctoraux
    Nous sommes tous d’accord que n’attribuer que 20 contrats doctoraux chaque année est une situation préoccupante. C’est cependant oublier que chaque année, environ 35 contrats de plus sont signés avec l’aide d’autres organismes. Faire appel à nos fonds propres : oui, nous le faisons déjà grâce à la politique du Fonds de la recherche. Se battre pour la mutualisation des ressources entre écoles doctorales, c’est un combat dont quelques-uns d’entre nous ont pu mesurer l’âpreté ces derniers mois. A cet égard, ne faut-il pas se réjouir que le programme PNMU ait retenu 7 de nos doctorants pour les 20 contrats doctoraux mis au concours pour tous les établissements du PRES HESAM. Mutualisation favorable à l’EHESS grâce à la qualité des projets élaborés en son sein, qualité que savent sans nul doute saluer aussi les comités de sélection des LabEx.

    2) le parcours doctoral
    Oui, certes, et faire le bilan des efforts conjugués de l’école doctorale et de certaines unités de recherche permet de donner de la visibilité à bon nombre d’actions trop souterraines. Mais à quelles conditions formaliser le parcours doctoral ? «Porter l’Ecole au niveau des exigences internationales» comme le réclame Pierre-Antoine Fabre de ses vœux a un coût : voulons-nous délivrer des crédits ECTS dans le cadre du parcours doctoral, octroi qui nous est souvent demandé par les étudiants étrangers ? Voulons-nous rendre obligatoire le comité de thèse ? Ce n’est pas aujourd’hui que ce débat démarre. Il a été mis à l’ordre du jour du conseil de l’école doctorale par mon prédécesseur André Grelon et poursuivi depuis, notamment lors de la préparation du bilan quadriennal. Pour ma part, je suis à la fois profondément hostile à la scolarisation excessive du parcours doctoral, mais sensible à l’intérêt qu’il pourrait y avoir à rendre plus visible l’activité effective des doctorants au-delà de la préparation de leur thèse. L’idée d’un supplément au diplôme récapitulant non seulement les publications et participations à des colloques, ce qui est le plus facile à faire apparaître, mais aussi les contributions à l’organisation d’ateliers, de journées d’étude, à la tenue d’un site web, etc. est une piste à mettre en discussion.

    3) «le souci de nombre de nos collègues concernant le Master de l’Ecole».
    Il est heureux que le master, bien absent des premières déclarations de campagne, suscite aujourd’hui l’intérêt. Et contrairement à ce qui a été dit, la dernière Présidence lui a consacré toute l’attention qu’il mérite en vue du contrat et en dehors. Je remercie à cet égard les responsables des formations de master et leurs secrétariats, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour remettre des dossiers substantiels à l’agence d’évaluation, dossiers qui bien au-delà de leur destination première, nourrissent notre réflexion collective sur un domaine d’activité qui entame sa huitième année d’existence dans notre école. Je les remercie, ainsi que les membres de la commission du bilan du master, qui se sont réunis une fois par mois pendant plus d’un an, et dont les synthèses et discussions ont été soigneusement consignés dans des comptes rendus.

    Le problème n’est pas tant de s’apercevoir que tous les masters ne mènent pas à la thèse, mais de constater que les inscriptions en master à l’EHESS sont en hausse constante (et en doctorat, en baisse relative) et que cela engendre nécessairement un changement de répartition de nos tâches. La réflexion sur le devenir de nos masterants est, elle aussi, déjà en marche puisque dès 2011, une enquête a été conduite au niveau de toute l’école, puis, à nouveau en 2012, dans le cadre de chaque formation, ce qui a permis des analyses circonstanciées. Certains s’y intéressent en continu, hors des seules campagnes.

    4) La mobilité internationale des étudiants
    Il faudrait, certes, faire mieux, notamment pour favoriser la mobilité pour des séjours universitaires de doctorat et de post-doctorat. Mais il s’agit en effet d’une orientation coûteuse, pour laquelle la présidence de François Weil a souhaité mettre des moyens supplémentaires à travers l’augmentation sensible du budget annuel de l’aide aux étudiants. Pour l’heure, je voudrais seulement rappeler que la mobilité des masterants est aidée à la hauteur de près de 80 000 euros par an, représentant, dans certaines formations, 70% du budget et que les programmes internationaux de master ne cessent de se multiplier à l’EHESS. Quant à l’internationalisation du parcours doctoral, il faut la mesurer à plusieurs aunes : les co-tutelles bien-sûr, mais dont le bilan fait apparaître de très nombreux dysfonctionnements et des résultats souvent décevants, les bourses de mobilité, la participation à des colloques à l’étranger (220 000 euros pour l’ensemble de ces chapitres). N’oublions pas, à ce niveau non plus, les cursus internationaux pilotés par ou associés à l’EHESS. Ni les 65000 euros que l’Ecole consacre annuellement à l’invitation de membres étrangers dans les jurys de thèse, sans compter la contribution des unités de recherche à cette internationalisation des soutenances.

    Bien cordialement,
    Marie-Vic Ozouf-Marignier »

  13. Je reproduis ci-dessous un courrier d’Emanuele Coccia sur la liste des débats électoraux.

    « Chères collègues, chers collègues,

    Parmi les surprises agréables que l’élection à un poste de maître de conférences à l’E.H.E.S.S. réserve à un jeune chercheur ayant fait ses premières armes dans d’autres contextes institutionnels, il y a certainement la très grande liberté de recherche, la possibilité de dialoguer avec des spécialistes des domaines disciplinaires les plus différents, l’ouverture et la grande curiosité intellectuelle qui animent ses membres, les relations nombreuses et très étroites avec les institutions académiques du monde entier.

    Ces qualités sont devenues de plus en plus rares dans le paysage universitaire européen et elles justifient la renommée internationale d’une Ecole qui a marqué de façon indélébile l’histoire culturelle européenne des dernières décennies. En devenir membre signifie accepter le défi d’être à la hauteur des énormes possibilités scientifiques qu’elle ouvre.

    Mais il est un autre élément de surprise qui touche tout nouvel élu, celui-là moins agréable : l’incroyable retard que l’Ecole a accumulé en matière de politique d’égalité entre les sexes. Ce retard est à la fois institutionnel, culturel et politique. A la différence de la plupart des institutions universitaires européennes et américaines, l’Ecole ne dispose pas d’un organe ou d’une commission permanente dotée de pouvoir effectif en mesure de produire une meilleure représentation des femmes dans les opérations scientifiques conduites par l’Ecole (éditions, colloques, échanges, jurys), et surtout de permettre des recrutements égalitaires. A la différence de n’importe quel établissement d’enseignement supérieur européen ou des Etats-Unis, l’Ecole n’a jamais rendu publique ses positions face aux inégalités évidentes qu’elle produit, et ce alors qu’elle est l’une des institutions qui, en France, ont permis le développement des études sur le genre.

    Pour ne prendre qu’un exemple, à l’Université de Freiburg im Breisgau, en Allemagne, où j’ai travaillé avant d’arriver ici, existe un Gleichstellungsbureau rattaché au Rectorat, une commission permanente au Sénat Académique, plusieurs programmes de conseil personnalisé pour les professeures et les étudiantes, une politique de quotas très efficace, des programmes pour la promotion et le financement de chercheuses, plusieurs prix pour la recherche réservés aux femmes. Du fait que le soin des enfants pèse statistiquement davantage sur les mères que sur les pères, le même bureau avait développé un Family Service assurant un programme de garde d’enfants. A l’Ecole, on ne trouve même pas l’ébauche d’un tel programme.

    Les jurys de thèses ou d’HdR sont trop souvent entièrement masculins ; les conseils et les commissions montrent rarement un équilibre entre les deux sexes ; l’espace symbolique est entièrement masculin (les noms des salles et des centres sont toujours des noms d’hommes) ; la carrière interne des femmes a lieu avec un retard de 10 ans en comparaison avec leurs collègues hommes. Ce ne sont pas de petits secrets: la faible féminisation de l’Ecole a fait l’objet récemment d’un article scientifique. Dans les sciences sociales l’E.H.E.S.S. risque de devenir célèbre comme cas d’étude en matière d’inégalité des sexes. Quelques timides pas en avant ont été fait, surtout sur le plan de recrutements. Le travail de réflexion des missions rattachées à la Présidence (je pense au travail de Isabelle Backouche et de Liora Israël), ainsi que celui du groupe de réflexion ad hoc ont été exemplaires. Mais le problème, surtout sur le plan culturel reste irrésolu, négligé et trop souvent refoulé. Sans arriver à changer le statut de l’Ecole, il faudrait éviter de s’appuyer seulement sur l’effort volontaire de quelques unes, et arriver à s’engager collectivement et institutionnellement sur cette question. Il faudrait en outre commencer à imaginer et à réaliser des politiques de soutien pour les doctorantes, les candidates aux postes, les jeunes maîtresses de conférences dans la poursuite de leurs ambitions scientifiques et institutionnelles.

    On aurait tort de poser la question en termes moraux. S’il est important d’intervenir, c’est parce que l’inégalité des sexes a des répercussions désastreuses sur la qualité de la production scientifique comme sur la vie quotidienne de l’Ecole. Une institution qui ne surveille pas l’exclusion des femmes de son corps enseignant fait augmenter les « suicides blancs » des étudiantes et des doctorantes qui abandonnent les études ou arrivent plus difficilement à obtenir postes et financements par rapport à leurs collègues de sexe masculin, et détruit donc la possibilité d’héberger de nouvelles chercheuses et recherches de talent. Une institution qui n’offre pas des modèles d’identification féminine (sur le plan réel et symbolique) à ses étudiantes et à ses étudiants sera toujours incapable d’accomplir sa tâche, celle de former.

    Parce qu’il m’a convaincu de sa volonté réelle de modifier les choses dans ce domaine, je voterai le 24 novembre pour Pierre-Cyrille Hautcoeur.

    Emanuele Coccia »

  14. Je reproduis ci-dessous un courrier d’Emmanuelle Kadya Tall sur la liste des débats électoraux.

    « Il s’appelle Emanuele et je regrette que sa défense de la cause des femmes se termine par un appel à voter pour un candidat dont les messages sur la plateforme élections ne disent rien sur la parité. N’étant concernée que de manière indirecte par ces élections qui m’évoquent la Grèce antique ou plus contemporain, un système dit de « caste » ( après tout, l’assemblée des enseignants représente à peine un tiers des personnels qui travaillent avec et dans l’Ecole), je ne peux m’empêcher d’espérer que surgira le jour des élections, une figure trublione genre trickster ou legba, qui viendra chambouler des élections, où pour caricaturer à l’extrême, s’opposent un soit disant doux rêveur à un technocrate investi de réseaux puissants. Croire encore que l’Ecole est un réservoir de personnalités idiosyncratiques est un leurre et le fait que la mastérisation dans ce noble institut est un succès inédit au détriment du doctorat témoigne de l’impasse dans lequel il se trouve. Non, l’Ecole ne va pas bien, et ce n’est pas, me semble-t-il pour des raisons immobilières. Il y a bien longtemps que les séminaires ne sont plus le lieu de présentation de recherches en cours, comme cela a pu l’être jusqu’au début des années 1980, époque où j’étais étudiante. Si je prends l’exemple des études africaines à l’Ecole, la vivacité des débats n’empêchaient pas les échanges. Ce que je constate aujourd’hui est un repli sur soi, un refus du dialogue et des coteries. L’unité de l’école ne peut se maintenir lors d’élections réservées aux happy few, en imaginant qu’en participant à des postes de pouvoir dans des instances d’autres organismes de recherche, elle se sauvera. Arrivera bien un moment où pour le dire vulgairement when the shit will hit the fan, l’Ecole ne sera plus. Pour ma part, il me semble que le prochain président devra moins avoir des réseaux ici ou ailleurs, qu’une politique attentive auprès de ce qui fait l’Ecole, à savoir son vivier comprenant ses ITA (en grande fuite vers d’autres organismes publics si j’ai bien compris), ses partenaires et collègues extérieurs (PRAG, CNRS, IRD etc.) afin de réfléchir ensemble à l’horizon souhaité. En admettant que le trickster ne se dévoilera pas le 24 novembre prochain, sur l’ensemble de ces orientations, ce sont les propositions de Pierre Antoine Fabre depuis son entrée en campagne qui me semblent les plus à même de faire avancer ce qui devrait être notre institution commune. »

  15. Je reproduis ci-dessous un courrier d’Yves Chevrier, Pietro Corsi, Alain Delissen, Yves Hersant, Pierre Judet de La Combe, Frédéric Nef sur la liste des débats électoraux.

    « Dans moins d’une semaine maintenant, l’Ecole aura un nouveau président. Deux candidats de valeur présentent des projets moins éloignés qu’il n’y paraît sur bien des points. Le choix nécessaire n’en est pas moins clair. Car cette élection comporte un enjeu capital, qui est de nature scientifique. C’est sur ce seul plan que nous souhaitons nous prononcer. Il ne s’agit pas pour nous de négliger les aspects des programmes et de la personnalité des candidats qui ont fait débat et parfois polémique. Mais à la veille du scrutin, il nous semble impératif de distinguer les priorités. Si l’on prend de la hauteur en laissant de côté ce qu’une confrontation électorale a d’inévitablement excessif, les convergences, nous le répétons, sont nombreuses – par exemple sur la formation. Et certains contrastes qui ont alimenté la rumeur apparaissent artificiels et forcés : Pierre-Cyrille Hautcoeur n’est pas le « pur » administratif que l’on a dit, et il est faux de présenter Pierre-Antoine Fabre comme étranger aux réalités de l’administration. Il est tout aussi faux d’opposer polémiquement les deux dernières présidences. La campagne a cependant permis de dégager de véritables divergences de choix. Il est clair que le dossier immobilier n’est pas envisagé de la même manière de part et d’autre. Mais si vital que soit ce dossier, la priorité fondamentale à nos yeux se situe sur un autre plan.

    On a beaucoup parlé des «orientations scientifiques», en invoquant de grands principes – tradition pluridisciplinaire de l’Ecole, unité des sciences sociales, union de la recherche et de la formation, coexistence de pratiques et de formes de recherche différentes… Ces approches font apparaître une vraie diversité, que certains jugent globalement satisfaisante, alors que d’autres considèrent qu’elle est pléthorique, incohérente, voire inconsistante. Il nous semble nécessaire de dépasser les termes de ce débat en partant d’un constat bien plus inquiétant. Dans le monde des sciences sociales d’aujourd’hui, l’Ecole apparaît toujours comme un ensemble de recherche et de formation exceptionnel, mais elle n’occupe plus du point de vue de l’innovation, de l’originalité des méthodes, et du caractère pionnier de la démarche, la place centrale qui fut la sienne. Quelles que soient les causes d’une telle évolution, internes à l’Ecole ou tenant à l’environnement, il nous appartient de réagir sans tarder, sans quoi les discours sur notre rayonnement, sur l’Ecole des sciences sociales, et sur la valeur de nos formations ne resteront qu’incantation.

    Bien entendu, la nécessité et la possibilité d’innover font l’objet d’un large accord entre nous et sont un objectif commun aux deux candidats. Mais sur le plan des moyens et des choix, les deux candidatures se sont dessinées d’une manière radicalement différente au regard de cet enjeu capital. Si nous laissons de côté ici encore les faux semblants, il apparaît en toute clarté que l’une des candidatures ne fait pas de cet enjeu une priorité d’action, tandis que l’autre s’organise autour de l’exigence d’une présidence scientifique. Notre conviction est que l’Ecole a besoin d’être portée scientifiquement, et que Pierre-Antoine Fabre met en avant des moyens et une capacité d’action qui répondent en profondeur au principal défi du moment. La connaissance et l’expérience anciennes et approfondies de l’Ecole qui sont les siennes, lui permettront, concrètement et dans la plus large ouverture possible, de susciter et de coordonner les initiatives nécessaires, à partir du tissu vivant de l’Ecole et des liens qui forment la sociabilité scientifique à laquelle notre communauté est fortement attachée. Si cette tradition de l’Ecole nous importe, le souci de l’avenir de cette tradition doit éclairer notre choix. Voici pourquoi nous faisons confiance à Pierre-Antoine Fabre et pourquoi nous vous demandons de lui apporter votre soutien.

    Yves Chevrier, Pietro Corsi, Alain Delissen, Yves Hersant, Pierre Judet de La Combe, Frédéric Nef »

  16. Si l’on suit M. P-C Hautcoeur, nous sommes en droit de demander immédiatement une réforme radicale de l’enseignement de l’économie à l’EHESS (voir les programmes de master APE et PPD qui ne laissent aucune place à la sociologie, à l’anthropologie ou à l’histoire).

  17. Les programmes de master à l’Ecole sont effectivement beaucoup trop fermés, ce qui est un paradoxe au regard de l’interdisciplinarité revendiquée à l’EHESS. L’une des raisons de cette situation est l’absence de cours d’initiation dans les principales matières, car la masterisation de l’Ecole a été effectuée avec très peu de moyens, avec l’idée que l’offre d’enseignement pouvait être couverte par les séminaires de recherche. En pratique, cette absence de proposition de formation à un niveau élémentaire rend l’interdisciplinarité très abstraite. La « réforme » que vous suggérez supposerait d’investir de gros moyens dans des cours d’initiation, un programme que l’Ecole ne sait pas très bien faire, et pour lequel elle n’a pas de budget.

  18. Cher André Gunthert,

    Je pense que vous avez à la fois raison et tort. Le « manque de budget » est sans doute un frein à la « réforme ». Mais, pour ma part, je crois que la raison principale de l’absence d’interdisciplinarité dans les cursus d’économie à l’EHESS (au sein de laquelle sont nées la Paris School of Economics et Toulouse School of Economics) est avant tout et en premier lieu idéologique.

    Le paradigme standard, très mathématisé, ne subissant pour le moment aucune remise en question dans sa domination temporelle (l’argent pour la recherche, les postes de professeurs etc.) et scientifique (légitimité, « Prix Nobels » etc.) et celui-ci étant fort peu ouvert aux discussions avec la sociologie, l’anthropologie ou même l’histoire (sauf peut-être entre collègues mais sûrement pas dans les salles de classe !) et encore moins avec les autres courants encore marginaux (Conventions, Régulation etc.), il est fort peu probable que tout cela change.

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