Dans son célèbre article « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », publié en 1939, Walter Benjamin dessine l’opposition paradigmatique de deux cultures [1]Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (édition de 1939, trad. de l’allemand par M. de Gandillac et R. Rochlitz), Œuvres, t. … Continue reading. Face à l’ancienne culture bourgeoise, appuyée sur le modèle de l’unicité de l’œuvre d’art, les nouveaux médias que sont la photographie et le cinéma imposent par la reproductibilité le règne des industries culturelles.
Un demi-siècle plus tard, la révolution des outils numériques nous confronte à une nouvelle mutation radicale. La dématérialisation des contenus apportée par l’informatique et leur diffusion universelle par internet confère aux œuvres de l’esprit une fluidité qui déborde tous les canaux existants. Alors que la circulation réglée des productions culturelles permettait d’en préserver le contrôle, cette faculté nouvelle favorise l’appropriation et la remixabilité des contenus en dehors de tout cadre juridique ou commercial. Dans le contexte globalisé de l’économie de l’attention [2]Voir Richard A. Lanham, The Economics of Attention. Style and Substance in the Age of Information, Chicago, University of Chicago Press, 2006., l’appropriabilité n’apparaît pas seulement comme la caractéristique fondamentale des contenus numériques: elle s’impose également comme le nouveau paradigme de la culture post-industrielle.
Mythologie des amateurs
Cette évolution a d’abord été perçue de façon confuse. Au milieu des années 2000, la diffusion de logiciels d’assistance aux loisirs créatifs [3]La suite iLife d’Apple, comprenant des logiciels d’édition vidéo (iMovie, iDVD), photo (iPhoto) ou musicale (GarageBand), fait par exemple partie de l’équipement standard de tout … Continue reading, le développement de plates-formes de partage de contenus [4]Notamment Myspace (musique), créé en 2003; Flickr (photos), créé en 2004; Youtube (vidéos), créé en 2005., ainsi qu’une promotion du web interactif aux accents volontiers messianiques [5]Tim O’Reilly, « What Is Web 2.0. Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software« , O’Reilly Network, 30 septembre 2005. alimentent l’idée d’un « sacre des amateurs [6]Voir Andrew Keen, Le Culte de l’amateur. Comment internet détruit notre culture (2007, trad. de l’américain par J.-G. Laberge), Paris, Scali, 2008; Patrice Flichy, Le Sacre de … Continue reading ». Appuyée sur la baisse statistique de la consommation des médias traditionnels et la croissance corollaire de la consultation des supports en ligne, cette vision d’un nouveau partage de l’attention prédit que la production désintéressée des amateurs ne tardera pas à concurrencer celle des industries culturelles.
Dans cette mythologie optimiste, l’amateur est avant tout conçu comme producteur de contenus vidéos, selon des modalités qui ont des relents de nouveau primitivisme. Dans le film Soyez sympas, rembobinez! (Be Kind Rewind, 2008) de Michel Gondry, qui fait figure d’allégorie de la révolution des amateurs, les vidéos bricolées par les héros en remplacement des cassettes effacées rencontrent un succès phénoménal auprès du public local. Cette réception imaginaire traduit la croyance alors largement partagée que la production naïve des amateurs est capable de susciter un intérêt comparable ou supérieur aux productions professionnelles.
Racheté par Google en 2006 pour 1,65 milliards de dollars, YouTube incarne exemplairement ce nouveau Graal. Mais la plate-forme ne tient pas la promesse signifiée par son slogan: « Broadcast yourself« . Il devient rapidement clair que les services d’hébergement vidéo sont majoritairement utilisés pour rediffuser des copies de programmes télévisés ou de DVD plutôt que pour partager des productions originales. Guidée par la promotion automatique des séquences les plus fréquentées, la réponse du moteur de recherche aux requêtes des usagers accentue la valorisation des contenus mainstream.
A la fin des années 2000, malgré quelques exemples isolés, il faut admettre que les « contenus générés par l’utilisateur », ou UGC, n’ont pas révolutionné les industries culturelles ni créé une offre alternative durable. YouTube a été envahi par les clips de chanteurs à succès, diffusés par leurs éditeurs à titre de publicité, qui sont parmi les contenus les plus regardés de la plate-forme. L’autoproduction reste présente en ligne, mais n’est plus mise en avant par la presse, dont la curiosité s’est déplacée vers les usages des réseaux sociaux. Construite par opposition avec le monde professionnel, la notion même d’amateur apparaît comme une relique de l’époque des industries culturelles – qui maintiennent fermement la distinction entre producteurs et public –, plutôt que comme un terme approprié pour décrire le nouvel écosystème.
La mythologie des amateurs, qui n’est qu’un cas particulier de la dynamique générale de l’appropriation, est désormais passée de mode, en même temps que le slogan du web 2.0. Elle n’en laisse pas moins une empreinte profonde, symbole de la capacité des pratiques numériques à réviser les hiérarchies sociales, mais aussi du passage de la démocratisation de l’accès aux contenus (décrite par Walter Benjamin), à la dimension interactive et participative caractéristique de la culture post-industrielle.
L’appropriation comme fait social
Quoique le terme d’appropriation puisse renvoyer aux formes légitimes de transfert de propriété que sont l’acquisition, le legs ou le don, il recouvre de façon plus générale l’ensemble du champ de la transmission et désigne plus particulièrement ses applications irrégulières, forcées ou secondes, comme la conquête, le vol, le plagiat, le détournement, l’adaptation, la citation, le remix, etc. Bornées par la codification moderne du droit de propriété, les pratiques de l’appropriation semblent héritées d’un état moins sophistiqué des échanges sociaux.
Le volet le plus apparent de l’appropriation numérique est l’activité de copie privée. Avant la dématérialisation des supports, le caractère fastidieux de la reproduction d’une œuvre audiovisuelle freinait son extension; sa circulation était nécessairement limitée à un cercle restreint. L’état numérique balaie ces contraintes et stimule la copie dans des proportions inconnues. L’industrie des contenus, qui voit chuter la vente des supports physiques, CD ou DVD, décide de combattre cette consommation parallèle qu’elle désigne sous le nom de « piratage [7]Je ne reviens pas ici sur le caractère très discutable des raisonnements qui corroborent la chute des ventes des supports physiques avec l’essor du partage en ligne. Voir notamment: Philippe … Continue reading ». En France, la ministre de la culture Christine Albanel charge en 2007 Denis Olivennes, alors PDG de la FNAC, d’élaborer une proposition législative visant à sanctionner par la suspension de l’abonnement internet le partage en ligne d’œuvres protégées par le droit d’auteur.
Le projet de loi « Création et internet », ou loi Hadopi, repose sur l’idée d’une automatisation de la sanction, dont le processus devrait pouvoir se dérouler hors procédure judiciaire à partir des signalements effectués par les fournisseurs d’accès, sur le modèle des contraventions envoyées à partir des enregistrements radar de dépassement de la vitesse autorisée sur le réseau routier.
En juin 2009, cet aspect du projet législatif est censuré par le Conseil constitutionnel. Un dispositif revu, qui sera finalement adopté en octobre 2009, contourne cet obstacle en imposant à l’abonné la responsabilité de la sécurisation de son accès internet. En juillet 2011, l’institution nouvellement créée indique avoir reçu en neuf mois plus de 18 millions de constats de la part des sociétés d’auteurs (SCPP, SACEM, etc.), soit 75 000 saisines/jour [8]Michel Martins, « Hadopi, des chiffres et des internautes« , ElectronLibre, 11 juillet 2011.. Ces chiffres expliquent le choix d’un traitement « industriel » de la fraude, seule réponse possible face à l’ampleur du phénomène.
Ces mêmes indications auraient pu conduire à s’interroger sur la nature des pratiques incriminées. Peut-on encore qualifier de déviant un comportement aussi massif? N’est-il pas plus légitime de le considérer comme un fait social? D’autres approches tentent au contraire d’intégrer les pratiques appropriatives au sein du paysage culturel. Proposées en 2001 par le juriste Lawrence Lessig sur le modèle du logiciel libre, les licences Creative Commons se présentent comme des contrats permettant à l’auteur d’une œuvre de définir son degré d’appropriabilité [9]Voir Lawrence Lessig, L’Avenir des idées. Le sort des biens communs à l’heure des réseaux numériques (2001, traduction de l’américain par J.-B. Soufron et A. Bony), Lyon, Presses … Continue reading.
Ces élaborations juridiques contradictoires illustrent les tensions occasionnées par les usages numériques dans le monde des œuvres de l’esprit. La publication à l’automne 2010 de La Carte et le Territoire, roman de Michel Houllebecq, est rapidement suivie par une polémique sur des emprunts non sourcés à l’encyclopédie Wikipedia, qui conduit à une brève mise en ligne d’une copie intégrale de l’ouvrage sous licence libre. Un accord sera finalement conclu entre Flammarion et les éditeurs de l’encyclopédie, qui manifeste l’existence d’un rapport de force entre appropriabilité numérique et propriété intellectuelle classique [10]Guillaume Champeau, « Houellebecq: Wikipédia remercié, mais pas sourcé« , Numerama, 19 mai 2011..
L’appropriation contre la propriété
Il existe divers degrés d’appropriation. La cognition, qui est à la base des mécanismes de transmission culturelle, est le stade le plus élémentaire de l’appropriation. Le signalement d’une ressource en ligne ressortit du mécanisme classique de la citation, dont il faut noter que la possibilité formelle n’est autorisée que par exception à la règle générale du monopole d’exploitation par l’auteur, qui caractérise la propriété intellectuelle [11]L’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle est celui qui régit l’exception de citation, qui n’est donc pas un droit mais l’aménagement d’une … Continue reading. La collecte de souvenirs ou de photographies, telle qu’elle s’effectue habituellement dans le cadre du tourisme, héritière d’une tradition qui remonte aux pèlerinages, permet de préserver la mémoire d’une expérience passagère et représente une forme d’appropriation substitutive particulièrement utile lorsque la propriété des biens n’est pas transférable [12] Voir André Gunthert « La photo au musée, ou l’appropriation« , Culture Visuelle, 18 février 2011..
Ces trois exemples appartiennent à la catégorie des appropriations immatérielles ou symboliques. L’usage d’un bien, et plus encore sa modification, relèvent en revanche de l’appropriation matérielle ou opératoire, qui permet de mobiliser tout ou partie des facultés que confère sa propriété effective. C’est dans ce second registre que se rencontrent la plupart des pratiques créatives de l’appropriation.
L’appropriation symbolique, qui ne présuppose aucun transfert de propriété et fait d’un bien un bien commun, est un outil constitutif des pratiques culturelles. L’appropriation opératoire, en revanche, pose problème dès lors qu’elle s’effectue en dehors d’un droit légitime, et réclame des conditions particulières pour être acceptée.
Les débats récurrents suscités par les appropriations d’un artiste comme Richard Prince (qui a récemment perdu un procès contre un photographe dont il avait repris l’œuvre [13]Charlotte Burns, « Patrick Cariou wins copyright case against Richard Prince and Gagosian« , The Art Newspaper, 11 mars 2011.) en attestent [14]Randy Kennedy, « If the copy is an artwork, then what’s the original?« , New York Times, 8 novembre 2007.. Quoiqu’elles se soient progressivement banalisées depuis les années 1960, les pratiques appropriatives de l’art contemporain n’ont pas perdu tout caractère de scandale. Le geste de Marcel Duchamp proposant l’exposition d’objets manufacturés, les fameux ready-made, était un geste de provocation qui se voulait paradoxal. Celui-ci pouvait être toléré dans l’extra-territorialité du monde de l’art, et à la condition de procéder selon un schéma vertical, qui élève à la dignité d’œuvre des productions issues de l’industrie ou de la culture populaire, considérées à l’égal de l’art nègre, sans auteur et sans conscience.
Plutôt que l’appropriation bottom-up de l’art contemporain, celle qu’on observe en ligne procède selon un schéma horizontal, sur le modèle de la pratique musicale du remix (modification de version ou montage de plusieurs morceaux), popularisée à partir des années 1970 par la vogue du disco, dont l’intégration progressive dans les standards commerciaux est le résultat d’un long travail de socialisation, appuyé sur les intérêts économiques des éditeurs.
Si elles brouillent la frontière entre propriété symbolique et propriété opératoire, les pratiques numériques ne sont pas pour autant exonérées des contraintes de la propriété intellectuelle. Créé sous forme de jeu en octobre 2007, un site permettant aux internautes de modifier l’intitulé des couvertures de la série pour enfants « Martine », créée par Gilbert Delahaye et Marcel Marlier, rencontre un franc succès, avant d’être fermé un mois plus tard à la demande des éditions Casterman [15]Christophe Asselin, « Le buzz du mois: les couvertures de Martine« , Influx, 18 novembre 2007. (voir ci-dessous).
Qu’il s’agisse de la création de fausses bandes annonces sur YouTube, de remixes satiriques à caractère politique, des threads anonymes de 4chan [16]Voir Patrick Peccatte, « La fabrique des images sur 4chan« , Culture Visuelle, 17 novembre 2010. ou de la circulation virale des mèmes (jeu appropriable de décontextualisation de motif) dont les traces seront effacées après usage, les conditions de l’appropriabilité numérique ne s’autorisent que d’expédients et de tolérances fragiles: la protection de l’anonymat ou de l’expression collective, la nature publicitaire des contenus, la volatilité ou l’invisibilité des publications, la méconnaissance de la règle, et surtout les espaces du jeu, de la satire ou du second degré, qui, comme autrefois le temps du Carnaval, sont des espaces sociaux de l’exception et de la transgression tolérée… La créativité du remix s’installe dans la zone grise formée par les lacunes du droit, des oublis du contrôle ou de la dimension ludique. Mais ces conditions font du web l’un des rares espaces publics où l’appropriation collective est possible, communément admise, voire encouragée.
Le 9 novembre 2009, jour anniversaire de la chute du mur de Berlin, les services de l’Elysée mettent en ligne sur le compte Facebook de Nicolas Sarkozy une photo le montrant en train d’attaquer la paroi de béton au marteau et datent par erreur cette image du 9 novembre 1989. Devant les protestations de plusieurs journaux, le camp gouvernemental s’enferre dans sa confusion et multiplie les allégations pour justifier cette manipulation. En 24 heures, la réponse du web fuse, sous la forme d’un mème intitulé « #sarkozypartout ». Plusieurs centaines d’images retouchées mettent en scène le président dans les situations les plus célèbres de l’histoire mondiale, de la préhistoire au premier pas sur la Lune en passant par la bataille de Poitiers, la prise de la Bastille, le sacre de Napoléon ou l’assassinat de Kennedy (voir ci-dessous). Comme la plupart des phénomènes viraux, cette création parodique collective, diffusée de manière dispersée sur plusieurs sites et réseaux sociaux, constitue un événement éphémère sans archive, tout entier contenu dans l’expérience d’une réactivité instantanée.
Moins créative que réactive, l’appropriation numérique déploie à l’infini remixes et parodies, dans un jeu perpétuel du second degré qui finit par être perçu comme la signature du média. Lorsque Clément Chéroux, Joan Fontcuberta, Erik Kessels, Martin Parr et Joachim Schmid choisissent de célébrer la nouvelle création visuelle avec l’exposition « From Here On », présentée en 2011 au festival de la photographie d’Arles, ils sélectionnent tout naturellement le travail de plasticiens qui recyclent, samplent et remixent des contenus collectés sur la toile, dans une surenchère appropriationniste volontiers ludique, désignée comme principe de l’écologie numérique [17]Clément Chéroux, Joan Fontcuberta, Erik Kessels, Martin Parr, Joachim Schmid (dir.), From Here On, Arles, Rencontres d’Arles, 2011..
De l’appropriation de la culture à la culture de l’appropriation
L’appropriation est le ressort fondamental sur lequel repose l’assimilation de toute culture, formée par l’ensemble des pratiques et des biens reconnus par un groupe comme constitutifs de son identité. Elle fournit depuis des temps immémoriaux la clé de la viralité des cultures, leur mécanisme de reproduction. Comme le montre Vincent Goulet, c’est par leur appropriabilité et leur usages conversationnels que les médias populaires existent dans l’espace public [18]Cf. Vincent Goulet, Médias et classes populaires. Les usages ordinaires des informations, Paris, INA, 2010.. Il y a eu plusieurs périodes où l’architecture juridique de la transmission légale des biens culturels cédait momentanément la place à des phases d’appropriation plus ou moins sauvage, comme par exemple aux premiers temps du cinéma, qui se caractérisent par le vol et le plagiat de formes, de techniques ou de contenus [19]Cf. Francis Vanoye, L’adaptation littéraire au cinéma, Paris, Armand Colin, 2011, p. 13.. Dans le contexte de la révolution numérique, pour la première fois, cet instrument essentiel de la construction culturelle apparaît à son tour comme une culture reconnue, un nouveau paradigme dominant.
L’écologie numérique ne fait pas qu’encourager la production de remixes. Elle établit l’appropriabilité comme un critère et un caractère des biens culturels, qui ne sont dignes d’attention que s’ils sont partageables. Hors-jeu, un contenu non-appropriable sera exclu des signalements des réseaux sociaux ou des indications des moteurs de recherche, évincé des circulations éditoriales qui constituent l’architecture de cet écosystème [20]Voir André Gunthert, « La vidéo qui ne buzzait pas« , Actualités de la recherche en histoire visuelle, 26 octobre 2008..
C’est ainsi que l’appropriabilité devient elle-même virale. Le mème est l’exemple-type d’un contenu qui comporte tous les ingrédients de sa remixabilité, et qui se propose non seulement comme un document à rediffuser, mais comme une offre à participer au jeu (voir ci-dessus). On trouvera une confirmation de la puissance de ces principes dans les tentatives effectuées par l’industrie pour investir ces mécanismes, en développant des formes conversationnelles autour des productions grand public.
L’économie marchande comme celle des œuvres de l’esprit ont construit leurs fonctionnements sur la valorisation de l’innovation et de l’exclusivité (dont les équivalents en art sont la création et l’auteurat), protégées par l’armure juridique de la propriété intellectuelle. La fluidité numérique a au contraire favorisé l’émergence d’une propriété collective qui valorise la remixabilité générale des contenus, la satire et le second degré. On peut penser que le chemin sera long avant que ces formes soient reconnues comme les manifestations d’une nouvelle culture dominante. Mais le plus frappant aujourd’hui, c’est à quel point cette culture est déjà inscrite dans les pratiques, à quel point son statut de culture dominante fait figure d’acquis pour les jeunes générations.
Citation: André Gunthert, « L’œuvre d’art à l’ère de son appropriabilité numérique », Les Carnets du BAL, n° 2, octobre 2011, p. 136-149 (en ligne: http://culturevisuelle.org/icones/2191).
- Version mise à jour: « La culture du partage ou la revanche des foules« , 04/05/2013.
Notes
↑1 | Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » (édition de 1939, trad. de l’allemand par M. de Gandillac et R. Rochlitz), Œuvres, t. 3, Paris, Gallimard, 2000, p. 269-316. |
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↑2 | Voir Richard A. Lanham, The Economics of Attention. Style and Substance in the Age of Information, Chicago, University of Chicago Press, 2006. |
↑3 | La suite iLife d’Apple, comprenant des logiciels d’édition vidéo (iMovie, iDVD), photo (iPhoto) ou musicale (GarageBand), fait par exemple partie de l’équipement standard de tout ordinateur Mac à partir de 2003. |
↑4 | Notamment Myspace (musique), créé en 2003; Flickr (photos), créé en 2004; Youtube (vidéos), créé en 2005. |
↑5 | Tim O’Reilly, « What Is Web 2.0. Design Patterns and Business Models for the Next Generation of Software« , O’Reilly Network, 30 septembre 2005. |
↑6 | Voir Andrew Keen, Le Culte de l’amateur. Comment internet détruit notre culture (2007, trad. de l’américain par J.-G. Laberge), Paris, Scali, 2008; Patrice Flichy, Le Sacre de l’amateur. Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique, Paris, Seuil, 2010. |
↑7 | Je ne reviens pas ici sur le caractère très discutable des raisonnements qui corroborent la chute des ventes des supports physiques avec l’essor du partage en ligne. Voir notamment: Philippe Le Guern, Patricia Bastit, « Crise de l’industrie musicale et politique anti-piraterie en France. Hadopi: internet civilisé ou politique répressive? », Contemporary French Civilization, vol. 36, n°1-2, juillet 2011, p. 141-160; Maya Bacache-Beauvallet, Marc Bourreau, François Moreau, Portrait des musiciens à l’heure du numérique, Paris, éditions Rue d’Ulm, 2011. |
↑8 | Michel Martins, « Hadopi, des chiffres et des internautes« , ElectronLibre, 11 juillet 2011. |
↑9 | Voir Lawrence Lessig, L’Avenir des idées. Le sort des biens communs à l’heure des réseaux numériques (2001, traduction de l’américain par J.-B. Soufron et A. Bony), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2005. |
↑10 | Guillaume Champeau, « Houellebecq: Wikipédia remercié, mais pas sourcé« , Numerama, 19 mai 2011. |
↑11 | L’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle est celui qui régit l’exception de citation, qui n’est donc pas un droit mais l’aménagement d’une tolérance dûment encadrée. |
↑12 | Voir André Gunthert « La photo au musée, ou l’appropriation« , Culture Visuelle, 18 février 2011. |
↑13 | Charlotte Burns, « Patrick Cariou wins copyright case against Richard Prince and Gagosian« , The Art Newspaper, 11 mars 2011. |
↑14 | Randy Kennedy, « If the copy is an artwork, then what’s the original?« , New York Times, 8 novembre 2007. |
↑15 | Christophe Asselin, « Le buzz du mois: les couvertures de Martine« , Influx, 18 novembre 2007. |
↑16 | Voir Patrick Peccatte, « La fabrique des images sur 4chan« , Culture Visuelle, 17 novembre 2010. |
↑17 | Clément Chéroux, Joan Fontcuberta, Erik Kessels, Martin Parr, Joachim Schmid (dir.), From Here On, Arles, Rencontres d’Arles, 2011. |
↑18 | Cf. Vincent Goulet, Médias et classes populaires. Les usages ordinaires des informations, Paris, INA, 2010. |
↑19 | Cf. Francis Vanoye, L’adaptation littéraire au cinéma, Paris, Armand Colin, 2011, p. 13. |
↑20 | Voir André Gunthert, « La vidéo qui ne buzzait pas« , Actualités de la recherche en histoire visuelle, 26 octobre 2008. |
34 réflexions au sujet de « L'œuvre d'art à l'ère de son appropriabilité numérique »
100% d’accord André 🙂 Cette hypothèse de l’appropriation symbolique et/ou matérielle était d’ailleurs le thème de ma conférence (et de mes travaux en général sur les remixes) donnée en Juin 2011 au Forum des Images lors du Mashup Film Festival intitulée « Mashup, remix, détournement: nouveaux usages des images sur les réseaux sociaux » dont voic les slides : http://www.slideshare.net/laurenceallard/mashup-remix-dtournement-nouveaux-usages-des-images-sur-les-rseaux-sociaux
Bonne continuation à toi!
Est-ce que le mème ne relèverait pas plus du dialogue que de l’appropriation? Ce serait alors une réponse en image à un propos ou à une image. De la dialectique visuelle. Auquel cas, il y aurait bien appropriation, mais aussi ancienne et guère différente dans son principe que celle qui est en jeu dans tous les échanges qui s’appuient sur le verbe. On joue avec les images, comme on joue avec les mots. Et jouer avec les images suppose une culture différente, mais tout aussi inégalement partagée que le jeu avec les mots en ce qui concerne le locuteur. Par contre, le mème appartient à la culture populaire parce que l’image, parce qu’elle est toujours l’image de quelque chose, est beaucoup plus accessible que le langage qui peut susciter l’incompréhension. Ce que le spectateur percevra d’une image ne sera pas nécessairement ce que le locuteur voulait lui faire dire, mais elle aura toujours une signification.
Est-ce que le nouveau paradigme de la culture post-industrielle, c’est l’appropriabilité des contenus culturels ou leur dé-monétarisation?
Après tout l’appropriation, dans notre société, a toujours été l’essence même de la culture, qu’elle soit réservée à une minorité (économique et culturelle) ou qu’elle devienne un phénomène de masse grâce au développement des industries culturelles.
Mais en raison de «la dématérialisation des contenus apportée par l’informatique et leur diffusion universelle par internet », les industries culturelles sont devenues incapables de donner une valeur économique aux œuvres de l’esprit. Nous sommes entré dans un nouvel « éco-système », où seul les œuvres matérielles sont encore monétisables.
@Laurence Allard: Merci beaucoup! Ce n’est pas la première fois qu’on suit des pistes proches!
@Thierry Dehesdin: L’appropriabilité du mème fait partie de ses propriétés caractéristiques et conditionne sa viralité, sans laquelle il n’est qu’une image sans qualité. Comme je l’explique ci-dessus, l’appropriation est un vieux système culturel, ce qui a changé est de la faire apparaître comme une contre-culture.
La citabilité est une conséquence de la fluidité des contenus. La définir comme vol ou piratage est un réflexe de défense logique, mais cette définition ne tient pas, pas plus que l’opposition sommaire gratuit/payant. Ce qui se passe en réalité, c’est que la citabilité entraîne des transferts de valeur – la citabilité étant elle-même une valeur d’échange, cad qq chose que l’on peut parfaitement monétiser, c’est exactement ce que fait YouTube, Facebook ou Twitter.
Oui à propos de la réappropriation, par exemple: la première image, celle du dos de mon livre, ce n’est pas de l’open-source ni du creative commons.
Du coup avant de l’utiliser pour illustrer un article, surtout sur ce thème, il aurait été adorable de demander l’autorisation.
Un truc qu’on oublie souvent sur internet. Avant de parler de droits, de législation, on peut aussi parler de simple politesse.
@Boulet: Désolé que vous preniez ma mention pour une impolitesse, mais ici, on est sur un blog scientifique, où les images ne sont pas mobilisées à titre décoratif, mais à titre d’exemples dans le cadre d’une démonstration (j’ai en revanche demandé à Owni de retirer cette image de leur version). Il ne s’agit pas de réappropriation ni de remix, mais plus simplement d’une citation respectueuse du droit d’auteur, qui fournit la mention précise de la source, comme stipulé par le Code de la propriété intellectuelle, selon le même principe que les notes de bas de page de ce texte.
Mis à part le fait que Notes produit un excellent cas de dérivé de la culture web (j’y reviendrai prochainement ici à propos de la très intéressante figure du « afin de respecter sa vie privée », cf. Notes 2, p. 66), la série des quatrième de couverture de Notes est un magnifique exemple de l’empreinte des pratiques participatives dans les formes classiques. J’y reviendrai aussi plus en détail dès que possible, et toujours sans demander la permission 😉 – mais avec toute mon admiration pour le travail du Maître…
Honnêtement ça ne me dérange pas, hein, mais je veux tout de même souligner que la limite est floue.
Quand vous citez la série « interdite » des Martine, il s’agit d’un exemple. Vous en parlez, vous illustrez votre propos. La couverture de mon livre n’est pas utilisée ici dans le cadre d’une quelconque démonstration, mais simplement pour faire joli: c’est donc une illustration décorative. L’utilisation de cette image en particulier n’est ni didactique, ni une citation à titre d’exemple.
J’aurais complètement compris la notion de citation respectueuse s’il y avait eu la moindre ligne sur mon travail dans votre article, voire simplement sur les blogs BD en général. Ce n’est pas le cas.
Bref, je comprends que vous vous sentiez dans votre bon droit et je ne vais pas me battre pour vous détromper. Mais personnellement, en tant qu’auteur de cette image, ma réaction a été « Il aurait pu AU MOINS demander ». Donc non, il n’y a aucune évidence flagrante à l’utilisation de ce dessin.
Mais ceci n’est pas un reproche. Juste une remarque pour le principe, comme je vous le disais sur Twitter.
D’ailleurs question naïve: s’il n’y avait aucun problème à l’utiliser, pourquoi avoir demander à Owni de la retirer ?
Oui, vous avez raison, il n’y a pas d’analyse développée de cette image dans l’article. Mais elle correspond pour moi, depuis un moment déjà, à une espèce d’allégorie de cette direction de recherche, qui est loin d’être close. Je réïtère qu’il ne s’agit pas d’une illustration « pour faire joli », même si ça ne se voit pas encore de façon claire (et accessoirement que le fait que cette image soit jolie complique sérieusement l’examen du cas…). Le développement correspondant est juste momentanément prisonnier d’une faille spatio-temporelle (ou plutôt d’un recoin de mon esprit d’escalier). Du coup, me voilà sérieusement poussé à donner suite à l’analyse promise. En espérant que vous repasserez par là… 😉
Dans la mesure où il n’y a pas d’utilisation commerciale de ces images, que le propos n’est pas diffamatoire, on peut dire qu’on s’en fout complètement de l’avis de l’auteur quant à l’utilisation de la quatrième de couverture de son livre.
(qui ne lui appartient pas d’ailleurs, mais à l’éditeur).
Qu’il s’agisse d’illustration ou de démonstration.
Des fois, les auteurs me gonflent grave. Il faut arrêter de se prendre au sérieux à ce point.
@Jean-david sicone: Je préfèrerais qu’on dise qu’on voit bien le lien entre cette image et mon propos, plutôt qu’on se fout de l’avis de l’auteur…
Bel échange entre l’auteur et l’auteur en désaccord sur le statut d’une image qui peut être considérée comme une illustration au sens éditorial du terme (elle « illustre » l’article) mais pas au sens iconologique puisqu’en tant qu’allégorie de l’appropriabilité de l’oeuvre à l’ère numérique, elle se passe de commentaire et constitue en soi un propos qui va dans le sens du billet…
Je trouve qu’elle joue le rôle d’une épigraphe, tout simplement, c’est bien une citation, mais pas en tant qu’exemple, en tant qu’essence du propos de l’article qu’elle couvre de son rayonnement…
Par ailleurs est-ce que la quatrième de couverture a le même statut que les autres images de l’oeuvre graphique ? Je me pose la question au sujet des affiches de film que je reprends souvent dans mes billets sur des films et qui me semblent relever du domaine public dans la mesure où ce sont des « publicités »… La quatrième de couverture, c’est un peu une bande annonce, la reprendre ne porte pas préjudice à son auteur, au contraire…
@Olivier: Merci pour ton appréciation qui justifie mon emploi de cette image (ouf!)
Plus sérieusement, en matière de propriété intellectuelle, il faut d’abord admettre qu’on est dans un domaine très mal défini par les dispositifs légaux (j’ai souvent critiqué le « catalogue » d’exceptions de l’article L-122-5, qui offre l’exemple d’un triste galimatias plutôt que d’une élaboration juridique sérieuse) et largement soumis à l’interprétation.
Toutefois, la réaction de Boulet me paraît très intéressante pour situer une différence fondamentale entre l’écrit et l’image – différence qui structure en effet les textes et les usages, et contre laquelle je me bats, car son existence menace l’ensemble des études visuelles.
Alors que, lorsque je vois un extrait de mes publications citées par un autre auteur qui y renvoie, j’ai généralement tendance à me réjouir, un auteur graphique commencera par s’offusquer de ce qu’il perçoit comme un déni de son monopole. Cette perception est encouragée par la jurisprudence, qui ne reconnaît pas l’exception de citation dans le cas des images, alors qu’elle l’admet pour le texte. Comment en effet appliquer la règle de la « brièveté » de l’extrait lorsqu’on mobilise une image tout entière? (Ne reproduire qu’une partie de l’image ne résoud pas le problème, car on tombe alors dans un autre reproche: celui de dénaturer l’œuvre.)
Je suis évidemment en désaccord avec cette lecture, et pense qu’il est absurde et néfaste d’établir un droit de citation spécifique selon la nature des contenus. Cette distinction est bien sûr préjudiciable du point de vue scientifique, car son application stricte interdirait toute possibilité d’analyse indépendante, en liant le chercheur à l’approbation de l’auteur (voir un cas concret d’application de ce principe).
Pour ma part, je milite pour une redéfinition de la notion de citation, qui me paraît constituée par le geste même de l’extraction, autrement dit la mobilisation de l’oeuvre dans un contexte différent de sa publication initiale, signalée notamment par la mention de source. Je ne vois pas d’autre possibilité si l’on souhaite étendre aux formes audiovisuelles les capacités d’analyse conférées par la liberté de citation dans le cas de l’écrit.
L’image de Boulet est retirée du site Owni car ce n’est pas un lieu de réflexion scientifique (contrairement à ces carnets) mais un site d’information. Il me semble que l’espace scientifique peut servir de laboratoire et par là être « sacralisé » hors des contingences de la société des échanges commerciaux. Il semble ensuite que Boulet revendique un droit non pas de rémunération pour son image mais plutôt d »être mis au courant » de la mise en ligne d’un de ses contenus par un tiers. L’argument de Gunthert concernant cette « non demande » (dont on ne sait pas finalement si elle doit être soumise à autorisation ou pas) repose sur l’impératif de sa recherche qui ne saurait être entravée par quiconque (je resume !). Un ultime point de l’argumentaire est très intéressant, il concerne le statut de l’image dans l’article: si l’image était le sujet de l’article, la discussion n’aurait pas lieu (nous dit Boulet), mais est elle là comme illustration. Et, si elle est là comme illustration, sa fonction récréative la ferait alors tomber dans le régime de la consommation (c’est toujours l’argumentaire de Boulet). Ce à quoi Gunthert répond que certes dans le cas précis ce n’est pas évident mais qu’il s’engage à prouver plus tard que cette image est plus qu’une illustration, que c’est une conceptualisation de l’axe dans lequel son travail est inscrit (je résume encore et extrapole un peu).
Voilà d’après moi où nous en sommes 😉
Un point important à noter est que Gunthert cite Boulet car il l’admire et connait son travail, souhaitons que cet échange permette aussi à Boulet de prendre connaissance du travail de Gunthert et puisse une admiration réciproque les réunir bientôt…
Lizarewind: merci pour le résumé !
Je pense que tout repose sur le statut de cette image au cœur même de l’article. Pour moi tant que l’image n’est pas nécessaire comme support visuel, tant qu’elle n’apporte rien en terme d’exemple, on est dans l’illustration récréative.
Pour répondre brièvement à la navrante remarque de Jean-David Sicone: non mais ce n’est pas comme ça que ça se passe. Une image appartient toujours à son auteur. Non-diffamatoire, commercial, vous êtes à côté de la plaque. Ça n’a rien à voir. Cette image je l’ai fait avec mes petits doigts, elle est à moi, point final. L’éditeur a des droits dessus en échange de sa publication, mais elle ne lui appartient pas non plus, renseignez-vous avant de proférer de telles énormités ! Alors je suis désolé si ça vous gonfle: c’est comme ces chanteurs qui gueulent quand on utilise leurs chansons sans leur demander, quels emmerdeurs.
J’insiste sur le fait que je n’ai rien demandé. Je ne parlais pas de droits, encore moins d’argent, juste de courtoisie. Mais je ne voudrais pas péter la bonne ambiance de l’internet selon Sicone en proposant un minimum de politesse et de respect. L’important bien sûr étant que les articles soient jolis.
En attendant, si ce n’est ce commentaire, je trouve ce blog très sympathique, et j’espère que les gens censés n’y auront vu aucune animosité.
très révélateur aussi sur le statut d’exceptionnalité de l’artiste / de l’auteur, sur lequel il y aurait beaucoup à dire…
et la sacralité des images…le créateur qui aime garder le contrôle sur son oeuvre…
L’illustration ou la citation dans le cadre d’un exercice de réflexion, d’un travail scientifique, ne nécessite pas, même par courtoisie, que l’on demande l’autorisation de l’auteur? Ce n’est pas un manque de courtoisie que de valoriser, même par une simple illustration (dûment sourcée) le travail d’un auteur?
Quand on cite l’extrait d’un livre, on ne demande pas l’autorisation, par courtoisie, à son auteur. Si? J’imagine le cauchemar des universitaires s’ils devaient procéder ainsi!
Pareil pour les extraits de film, les photogrammes, et autres.
Mais je vous trouve très sympathique aussi…
peut-être auriez-vous pu apprécier à l’inverse que votre travail soit mentionné. Cela permet à des ignares comme moi d’en prendre connaissance.
Enfin, j’admets volontiers que je ne suis pas au fait de la législation en la matière. Finalement, on est toujours l’abruti de quelqu’un d’autre, comme disait l’autre justement. Et on n’a jamais fini d’apprendre.
En tout cas, je ne vais pas théoriser (je n’en ai pas les moyens) sur les vertus pédagogiques – dans le cadre d’un processus de transmission – de la simple illustration, mais il me semble assez évident qu’une simple illustration participe en soi d’une forme de démonstration (on choisit une image plutôt qu’une autre et cette utilisation fait sens dans ce contexte, et autrement sens dans un autre contexte).
Quand je dis que les auteurs me gonflent, non sans provocation gratuite de ma part, et je vous prie de m’en excuser, c’est que je suis profondément gêné – étant auteur moi-même – par le rapport de propriété que l’auteur s’accorde (la législation est une donnée adaptable et évolutive, donc je n’en parle pas ici) d’avoir sur son oeuvre.
Hors usage commercial usurpé par un tiers (imaginons que l’accès à l’article d’André Gunthert eut été payant par exemple), hors usage diffamatoire, je ne vois pas en quoi un auteur aurait son mot à dire sur l’utilisation qui est faite de son oeuvre, y compris pour des questions de courtoisie ou autre.
Je ne parle pas de législation : la loi on la change. C’est une question de mentalité. La défense des droits ne me gonfle pas : au contraire. L’ego blessé, c’est autre chose, c’est plus discutable, et la notion de politesse est relative, culturellement, socialement, et même juridiquement.
Ca me rappelle aussi le cas des revues bénévoles et autres fanzines qui reproduisent moult images sans autorisation des auteurs, mais qui sont produits par des passionné-es qui ne tirent aucun bénéfice de leur travail. Courtoisie ou pas, un auteur sympa devrait s’en moquer… ce serait de sa part une belle marque de courtoisie et de générosité.
Le problème qu’il y a à demander la permission c’est que souvent on s’expose au refus, et ça peut être un vecteur de censure, puisque l’auteur (sauf rare beau joueur) ne donnera son accord qu’à condition d’être sûr que l’article ne dit pas du mal de son travail. Cf l’exemple de Moulinsart qui accepte facilement les citations visuelles de Tintin mais à la condition que l’on ne parle ni de politique, ni d’alcool, ni de la Belgique sous l’occupation, ni… de rien quoi.
Le pouvoir des ayant-droits est évidemment légitime, mais il est parfois aussi exorbitant (évidemment je ne parle pas du tout du cas spécifique de ce dessin de Boulet ici).
Jean-David: Oui encore une fois c’est la boussole morale internet: « J’ai le droit parce que j’estime que c’est normal ».
Or non. C’est même à ça que servent les législations. A recadrer ce qui se fait ou non.
Encore une fois: citer dans un but précis est une chose, utiliser une image « parce qu’elle va bien avec » en est une autre. En plus l’image est un tout. Effectivement vous pouvez citer un extrait de texte, mais trouveriez-vous normal de citer une nouvelle en entier ? Ou qu’un journaliste réutilise l’intégralité d’un autre article ? Bref, c’est absurde, ce jeu des comparaisons avec le livre n’a aucun sens.
Tout ça pour dire que je n’aurais fait aucune remarque s’il s’était agit d’une citation, d’un usage didactique, ou même d’une parodie, d’un pastiche ou autre.
En l’occurrence je ne faisais que soulever ce point: utiliser une image, si ce n’est pas de la citation, ça se demande.
Personnellement il s’agit moins de sacralité que de contrôle. Je veux savoir ce que deviennent mes images, parce que l’image parle, elle est ma voix dans un contexte donné. J’ai eu des cas comme ça de gens qui se servaient de mes images pour illustrer des propos politiques ou religieux par exemple. Vous trouvez que ce n’est pas gentil, non, ça ne l’est pas. Mon travail ce n’est pas un buffet à volonté. Je ne vais pas remercier qui que ce soit de « me faire connaitre », déjà parce que je n’ai rien demandé, ensuite parce que je ne fais pas l’aumône pour de la reconnaissance.
Cet argument, c’est hélas ce qu’on entend de plus en plus même dans la profession (le fameux « bah c’est mal payé mais bon, ça te fait de la pub ! ») Je l’ai même entendu de la part d’un rédac’chef d’un journal de BD très connu (« Bah c’est déjà dessiné, non ? Du coup nous on remplit notre journal gratos, et toi ça te fait de la pub. »)
Moi je vois TRÈS BIEN pourquoi je peux revendiquer un droit de propriété sur mon boulot: je l’ai fait, c’était long, c’était parfois pénible, c’est à moi, sans moi, il n’existerait pas.
Après je ne demande pas grand-chose pour « être sympa » comme vous dites: juste qu’on demande gentiment, histoire que je vérifie tout de même que je ne juge pas l’image en contradiction avec MON propos.
@Boulet: Vous confirmez ce que j’écrivais ci-dessus: l’ambiance hadopiste donne aux auteurs des industries culturelles l’impression qu’ils sont continuellement pillés. C’est regrettable. Mais répéter les termes d’un énoncé juridique inepte ne lui confère pas une plus grande pertinence. J’aimerais que vous répondiez à mon interrogation, et que vous m’expliquiez comment les chercheurs pourraient étudier et discuter les œuvres visuelles s’ils n’ont pas la possibilité de les mobiliser de la même façon que ceux qui étudient les textes.
Ce qui est absurde, c’est de parler de ce qui n’existe pas: personne ne « cite » un roman en le recopiant in extenso. La citation, c’est mobiliser la partie d’une œuvre utile à la démonstration, pouvoir la mettre en relation avec d’autres éléments, soumettre à la contradiction le corpus de l’analyse – pas reproduire un opus en entier. Cela, ça s’appelle du plagiat. Faire mine de confondre citation et plagiat, c’est ce que fait le code, et c’est cela qui est absurde.
Oui, pour un chercheur, votre oeuvre, comme celle de Victor Hugo, comme la Bible, est un « buffet à volonté » – et encore heureux! Que penseriez-vous d’une recherche qui ne pourrait s’effectuer que selon les prescriptions des auteurs ou de leurs ayants-droits?
Je regrette maintenant d’avoir utilisé cette image. Je la retire de l’iconographie, puisque son utilisation suscite la polémique – ce qui me navre et s’inscrit à l’encontre de l’analyse que je propose, qui méritait mieux que ce procès.
Un dernier mot: vous avez devant vous une belle et grande carrière, ce dont je me réjouis. Il va falloir vous faire à la notoriété, et à l’idée que le public ou les fans puissent vous aimer en dépit de vous-même. Vous devrez accepter de ne pas pouvoir contrôler l’usage de votre œuvre. En réalité, comme cet exemple modeste le démontre, celle-ci ne vous appartient déjà plus – son destin vous dépasse. Son appropriabilité atteste que vous êtes allé à la rencontre de l’époque. On peut difficilement souhaiter mieux…
@Olivier: La quatrième de couve a le même statut que n’importe quel dessin, en l’occurrence. Je vais y revenir dans un instant
@André: comme je le disais plus haut, je ne faisais que souligner le fait que la limite soit très floue.
Un chercheur peut tout à fait étudier, discuter d’une œuvre en la citant abondamment, il n’y a aucun souci là-dessus. Vous auriez pu prendre de nombreuses images de mon travail pour en disserter, en bien ou en mal, que je n’aurais absolument pas fait de remarque.
La citation est à mes yeux une chose normale, on l’utilise abondamment dans la presse, sur les forums, sur les sites de critique, sur les blogs. Nous mettons nous-même à disposition des journalistes des pages, les couves (souvent ce sont en effet les « vitrines » de l’album, mais elle n’ont pas de statut particulier pour autant.). Si quelqu’un veut parler du boulot, pas de souci !
Cependant, comme je le disais aussi, DANS CET EXEMPLE PRÉCIS, mon image n’avait rien à voir avec l’article. Vous ne parliez pas de mon travail, vous ne parliez même pas de blogs ni de BD en particulier. L’image était là, comme le dit Olivier, « en tant qu’essence du propos de l’article qu’elle couvre de son rayonnement », ce qui est une élégante manière de dire qu’elle l’illustre esthétiquement. Elle n’a plus alors sa fonction d’exemple, de matière première à la discussion, mais est là pour faire joli parce que ça colle.
Et honnêtement, ça m’allait très bien. Après avoir lu l’article que j’ai apprécié, j’étais très content de voir que vous aviez choisi mon dessin pour l’illustrer, en plus, ça collait bien, je suis d’accord !
MAIS, et c’est le gros MAIS: cette image n’avait pas le même statut que les autres, qui étaient des EXEMPLES. Quand j’illustre un article (parce que ça m’est arrivé, oui), c’est un choix, il sous-entend que je suis un minimum d’accord avec le propos, ou tout du moins que j’ai VOULU l’illustrer. Parce que mon propos, celui du dessin, se retrouve de fait un peu solidaire de celui de l’article.
Vous en étiez vous-même conscient, vous me l’avez vous-même reconnu, et pour cette raison vous aviez demandé à Owni de ne pas diffuser l’image.
En bref: si vous voulez parler de mon boulot, voire du boulot de bloggueur ou d’auteur en général, citez-moi si vous voulez, abondamment, pas de souci.
En revanche, si mon dessin illustre -au sens « agrémente »- votre article par le sens qu’il contient, il faut d’abord vous assurer que je suis d’accord pour « parler » avec vous.
Là c’était le cas, je regrette que cette polémique ait pu vous mettre mal à l’aise, ce n’était pas le but. J’ai aimé votre article, et j’aurais été ravi de vous laisser utiliser mon image pour l’illustrer en ligne. Je vous demandais juste… De demander. Par politesse. Je n’ai pas parlé de droits, je n’ai pas menacé ou interdit, je disais juste « Ha bah vous auriez pu demander ».
Si vous aviez voulu une image d’Hergé, je vous aurais effectivement dirigé vers Moulinsart, si vous aviez voulu du Victor Hugo ou la bible, je vous aurais fait remarqué qu’ils sont libres de droits.
Je ne voudrais pas que vous pensiez que je suis dans une logique protectionniste ou paranoïaque suscitée par Hadopi.
Mon travail publié est disponible à la lecture gratuite depuis 2004, j’ai moi-même mis comme condition sine qua non à la publication le fait que tout y reste, sans pub, sans inscription, sans prélèvement de données personnelles.
Je n’ai pas le sentiment d’être pillé, je trouve même que tout se passe admirablement bien. Et j’ai mis plus de 1600 pages de BD en ligne gratuites à la lecture, je ne suis pas avare de mes images. Mon malaise vient du fait que pour le coup, le web.2, le p2p, le cc et les plates-formes participatives ont tout à coup éduqué les gens à croire que cet état de fait était « normal ».
Et non, ce n’est pas normal. J’essaie juste de rappeler ça. Je fais tout ça justement en essayant d’être le plus sympa possible, comme le suggérait Jean-David. Je pense qu’un « s’il vous plait », au terme de presque 8 années de travail, ce n’est pas demander tant que ça.
Voilà, mes excuses encore si ce débat a pourri l’ambiance, je vous laisse tranquille !
Vous êtes vraiment aussi tête de mule que votre personnage! Et moi, j’ai l’impression de discuter avec le Boulet de la bd, comme si j’étais rentré dans les cases… Je me demande si je ne devrais pas mettre un masque de Pucca afin de préserver ma vie privée… 😉
A propos d’Hergé, voir par ici: http://culturevisuelle.org/icones/1425
@ Boulet,
Bon je ne veux pas alimenter une discussion qui me semble prendre le chemin du dialogue de sourds, et il est évident qu’André a dit ce qu’il y avait de plus « scientifique » à dire sur la question, c’est d’autant plus regrettable que vous êtes sûrement sur la même longueur d’ondes à bien des égards, mais, puisque vous utilisez mon commentaire en le citant pour le retourner contre l’usage de votre image par André (et vous me citez sans me demander mon avis, j’aurais dû faire un dessin ! 😉 , je tiens juste à préciser que je ne suis pas d’accord avec votre conception ornementale de la citation en épigraphe… L’épigraphe entretient un rapport intime avec le texte qu’elle éclaire et dont elle « cadre » le champ de signification… elle ne le décore pas, elle dialogue avec lui, l’oriente ou en exalte la substance… Notez qu’en général c’est aussi une preuve d’autorité intellectuelle que d’être cité en épigraphe, la formule prend une dimension d’aphorisme ou d’emblème… ce qui est le cas de ce dessin. L’utilisation qui en est faite lui confère une certaine valeur et manifeste aussi un certain respect… Demande-t-on l’autorisation de manifester son intérêt (ou son désaccord) envers un propos public, fût-il graphique ?
Si vous aviez voulu une image d’Hergé, je vous aurais effectivement dirigé vers Moulinsart, si vous aviez voulu du Victor Hugo ou la bible, je vous aurais fait remarquer qu’ils sont libres de droits
En fait la loi (en tout cas la jurisprudence) traite un peu différemment le texte et l’image, car il existe un droit de citation littéraire, mais même si la loi a un peu évolué sur le sujet, le statut de la citation d’image n’est pas très clair.
Par ailleurs, histoire de pinailler, une Bible peut tout à fait être soumise à droit d’auteur : il existe plus d’une trentaine de traductions suffisamment récentes pour ça.
Je regrette pour ma part l’absence d’un dispositif légal comparable au « fair-use » des anglo-saxons, qui, entre autres, donne des droits étendus au champ de la recherche et de l’éducation en matière de citation.
Puisque Boulet est passé par ici, peut-on lui suggérer de remonter à la racine du site http://culturevisuelle.org pour consulter l’ensemble des travaux de notre groupe, et particulièrement l’excellent article qu’Olivier a consacré à Intouchables: http://culturevisuelle.org/luciddreams/archives/293 ?
Olivier: je peux comprendre cette nuance, désolé si j’ai déformé votre propos, cependant vous mettez bien le doigt sur le problème: « elle ne décore pas, elle dialogue avec lui ». C’est là que se situe la différence entre « parler de » et « parler au nom de »
Jean-No: il faut juste un peu de temps, le statut de l’image a évolué de manière très rapide ces dernières années avec internet. Les images sont reprises, souvent sans citer de sources, réutilisées sur d’autres supports… Il est justement très important de recadrer. Et de se poser vraiment la question de ce qui nous appartient ou non (dans les deux sens, j’entends. Je suis complètement favorable à un dispositif comme le « fair use »)
André: je vais aller explorer ça avec grand plaisir !
Cette discussion est intéressante parce qu’elle fait plutôt bien écho à l’article finalement. Mais la vérité qu’André n’avouera pas c’est qu’il a développé une fanitude de midinette envers Boulet et qu’il a mis le dessin avant tout parce que c’est un dessin qu’il a trouvé super 🙂
Maintenant il sera peut-être un de ces fans déçus qui disent partout : « ah celui-là, en fait on croit qu’il est sympa, eh bien pas du tout » pour s’être fait mal recevoir à une dédicace.
À part ça je pense que la juste attribution devrait être respectée chaque fois que c’est possible, chaque fois qu’on connaît le nom des artistes. À l’époque du peer-to-peer, je trouvais ahurissant et vraiment irrespectueux (hors de la question du manque à gagner financier) que des fichiers musicaux circulent avec des attributions fantaisistes, et je ne parle pas des ruses pour échapper à la surveillance (Madonna qui devenait Adonnam) mais du fait que toute chanteuse française devenait « Edith Piaf », que toute chanteuse soul devenait « Aretha Franklin », etc.
Evidemment que ce dessin est super! Et en plus, je me sentais particulièrement malin de m’intéresser aux 4e de couv’ que personne ne regarde… 😉
Bon, encore une fois, on retrouvera ce dessin et quelques autres dans un prochain billet, avec une argumentation plus développée qui montrera que ce choix n’a pas seulement pour motivation ma « fanitude de midinette » (je sens comme une pointe de jalousie dans l’emploi de cette expression par Jean-no… C’est l’occasion de préciser que ce génie injustement méconnu a lui aussi droit à toute ma fanitude – et je ne blague pas! Par ailleurs, j’adore l’idée d’avoir encore à mon âge quelque chose de la midinette 😉
Enfin, concernant les sentiments mêlés de Boulet par rapport à la «boussole morale internet», n’importe quel familier de son œuvre connaît bien cette tension, qui transparaît largement dans sa bd.
@André : quoi, tu veux dire que j’essaie d’obtenir de l’attention parce que je serais jaloux et que moi aussi j’admire Boulet ? Hmmm, peut-être.
Je suis sûr qu’il n’y a pas d’âge pour avoir des béguins de midinette pour tel ou tel artiste – moi c’est pour une camarade de classe de Boulet, d’ailleurs, l’excellente Lisa Mandel.
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