Longtemps attendue, la rencontre Hergé-Spielberg a fait flop. Le Secret de la Licorne n’est pas un grand film, ni même un film tout court, plutôt un laboratoire des formes cinématographiques, qui teste sous nos yeux techniques, hypothèses et systèmes narratifs. Nul doute que, de ces recherches, on observera dans les années qui viennent de nombreuses retombées. En attendant, cet échafaudage ne fait pas un film. Malgré toute ma sympathie pour le projet, malgré mon vif intérêt pour la question de l’adaptation, j’ai eu pour la première fois depuis longtemps au cinéma l’envie violente de quitter mon siège (au moment du combat de grues).
Dans Inglorious Basterds de Tarantino, il y a un film dans le film: « Stolz der Nation« , pseudo-long-métrage nazi à la gloire d’un tireur d’élite qui dégomme toute une division du haut d’un clocher, dont on aperçoit quelques extraits en noir et blanc (voir ci-dessous).
Il est amusant de voir que dans un film aussi maniaque sur les détails de l’histoire du cinéma, le comble de l’invraisemblance est atteint dans cet exercice citationnel, qu’on aurait du mal à rattacher à quoique ce soit de la filmographie existante de la période (cf. Francis Courtade, Pierre Cadars, Histoire du cinéma nazi, Eric Losfeld, 1972). Impossible, pour un film des années 1940, de montrer une tuerie en séquences aussi appuyées et en gros plan. De sorte qu’une caricature destinée à surligner la violence nazie se retourne contre l’envoyeur et désigne finalement surtout celle du cinéma américain, dont la mise en images est infiniment plus brutale.
Le Secret de la Licorne montre pareillement l’échec de toute forme non hollywoodienne à rentrer dans un moule dont les contraintes sont désormais si fortes, le style si déterminé, la manière si dominatrice. Loin de toute adaptation, rencontre de deux univers, on est ici dans un exercice purement réflexif, une sorte de jeu de massacre qui passe les motifs tintinesques à la moulinette d’un système du spectacle qui a peur de son ombre.
Tout est dit dans la tentative de faire rentrer en un seul et même opus Le Secret de la Licorne et Le Crabe aux pinces d’or, qui produit une intrigue à mi-chemin d’Indiana Jones et de Pirates de Caraïbes, et souligne la navrante pauvreté scénaristique des albums des années 1940, qu’il faut empiler pour faire un film compatible avec les exigences des années 2010, voire enrichir encore de péripéties supplémentaires (comme le combat de grues).
Tant de richesse dit la pauvreté d’un cinéma qui a peur de son public et craint de ne plus être aimé, contraint à une escalade sans fin des explosions et des poursuites, à une débauche toujours plus luxeuse des effets et des trucs pour conjurer le détournement d’attention des vidéos bricolées sur YouTube.
Trop occupé à gérer la 3D, la performance capture et autres jouets technologiques, Spielberg a oublié qu’Indiana Jones n’est pas qu’un scenic railway de rebondissements et de surprises, mais aussi un personnage attachant et crédible, qui permet au spectateur d’accrocher sa ceinture pour suivre les cahots du film. Le plus grand défaut du Secret de la Licorne, c’est que Tintin en est absent. A aucun moment je n’ai pu me défaire de l’impression de voir évoluer une sorte de marionnette à fils qui, comme le Canada Dry, a l’allure de Tintin, la houpette de Tintin, mais rien d’un personnage auquel j’aurais envie de croire. Les Dupondt sont de même des animations de traits plaqués sur des corps en 3D, seul Haddock est un peu plus réussi.
De manière générale, la gestion de l’animation, dont la technique est proche de celle utilisée dans Avatar, est surprenante par ses contrastes entre des effets de texture ou de lumière très fouillés et maîtrisés, et une animation marionnetto-réaliste des corps, dont même la peau fait plastique. Tout du long, je n’ai pas pu m’habituer au nez de Haddock ni à ces visages à l’allure de masques, alors que leurs mains ultra-réalistes avaient l’air d’avoir été sectionnées sur des corps vivants.
Une œuvre qui dure n’est pas fidèle à elle-même. Le Tintin des Picaros n’a plus grand chose de commun avec celui des Soviets ou du Congo, dessiné un demi-siècle plus tôt. Accoutumé à ces mutations, le public fait de lui-même le travail nécessaire à l’intégration de ces écarts. C’est dire si la tolérance aux jeux de l’adaptation est grande. On admet de même couramment l’autonomie artistique d’un créateur qui se confronte à une œuvre étrangère. Mais le Secret de la Licorne ne se situe pas au niveau d’une discussion sur l’adaptation. Ce qu’il montre, c’est au contraire l’incapacité d’Hollywood d’intégrer tout apport extérieur, autrement que sous l’espèce d’un décor où projeter le répertoire habituel de ses effets spéciaux et de ses courses-poursuites. Quand on connaît la somme des moyens et des talents mis en œuvre pour un tel résultat, c’est un aveu d’échec inquiétant.
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35 réflexions au sujet de « Tintin inadapté (notes) »
Dans les raisons qui conduisent au résultat, il faut prendre en compte que ce film s’adresse à un public qui, hors franco-belgie, n’a aucune idée de Tintin, ce qui rend les choses difficiles : il faut amener le spectateur dans un certain univers, sachant que certains éléments qui s’y trouvent sont sans doute impossibles à livrer tels quels,… Ce n’était peut-être tout bêtement pas un film à faire.
Il me semble qu’on pourrait retourner (peut-être au prix d’un tantinet de mauvaise foi) l’argument : peut-être faut-il, justement, chercher dans la « navrante pauvreté scénaristique » des albums eux-même la source de leur inadaptabilité (les tentatives faites du vivant d’Hergé, et sous sa caution, n’ayant pas laissé de chef-d’œuvre, encore moins sans doute que le travail de Spielberg).
Vous semblez avoir gardé du Tintin dessiné un souvenir attachant ; pourtant, pas plus que son avatar (hi hi) en plastique-3D, le Tintin des albums ne saurait être sérieusement qualifié de « personnage attachant et crédible » — même si Hergé semble tout de même avoir cherché sur le tard à lui inventer une dimension « psychologique ».
On apprécie Tintin, historiquement, 1) pour sa vocation éducatrice-moralisatrice (du point de vue des adultes de l’époque) 2) pour ses aventures variées et souvent dépaysantes (pour les enfants d’alors) 3) pour la « ligne claire », les aplats de couleur, le _lissage_, dans tous les sens du terme, des procédés de récit — ceci pour les adultes d’aujourd’hui. Et à ce dernier titre, l’expression « laboratoire des formes » me parait tout autant pouvoir qualifier le travail des studios Hergé.
Que ce film (et ceux à venir) aient simplement happé les figures de ces albums (j’hésite même à parler de personnages) ainsi que, tant bien que mal, leur iconographie, et aient digéré tout cela en y plaquant « le répertoire habituel d’effets spéciaux et de courses-poursuites », me parait d’autant moins choquant que c’est exactement de cette façon que travaillait Hergé lui-même dans son propre « système du spectacle », tout au moins jusqu’à ses cinq derniers albums. Ceci pour relativiser votre point de vue : après tout, les albums de Tintin **aussi** étaient, à leur échelle, de grosses machines coulées dans « un moule aux contraintes si fortes, au style si déterminé et à la manière si dominatrice ». Ce « moule » que vous semblez regretter comme quelque chose de récemment advenu, me semble pouvoir caractériser toutes les productions d' »industrie culturelle », que l’on parle de médias de masse, de roman-feuilleton, ou même, encore plus tôt, des « studios Balzac » ou des « studios Vivaldi »… (bon d’accord, faut oser).
Je ne crois pas que Quentin Tarantino, dans Inglourious Basterds (arrivera-t-on un jour à voir l’orthographe correcte d' »Inglourious »?), ait voulu faire « réel ». Tout le film est une farce, où l’Histoire est utilisée rien que pour la tordre. Ce qui a fait dire à certains que c’était un film révisionniste.
Un film de propagande nazie filmée comme un actioner hollywoodien ? C’était à mon avis l’objectif visé.
@Jean-no, vvillenave: Je ne suis pas un adepte du respect religieux de l’oeuvre et je crois aux pouvoirs de l’adaptation, y compris de Tintin (dont les Oranges bleues, à défaut d’être un grand film, montraient qu’un espace de transposition existe). Là, c’est autre chose: digestion me paraît un terme plus adapté.
Je ne suis pas d’accord sur l’absence de psychologie de Tintin, ce n’est pas parce qu’on retrouve ce cliché partout qu’il est pour autant exact. La composition de Jean-Pierre Talbot, avec son côté boy-scout, fournissait une piste compatible, et on voit bien que le Tintin de Spielberg est à côté du personnage.
@Jerome: Le rapport au réel de IB est une question problématique. Mais la chose la plus réaliste dans ce film, c’est bien son rapport au cinéma: affiches d’époque, reconstitution maniaque de détails de projection, etc. Evidemment, c’est proposé comme une caricature – mais ce terme convient-il si la satire n’a plus aucun rapport avec un quelconque original? Dans IB, mis à part l’exécution initiale, la violence nazie reste très abstraite, faite de pression mentale plutôt que de violence physique. « Stolz der Nation » est un ingrédient indispensable pour contrebalancer les exécutions sauvages des tortionnaires américains. Que le cinéma nazi soit en réalité bien moins brutal que le cinéma américain est certes une ironie que Tarantino ne maîtrise pas, mais qui n’en reste pas moins savoureuse…
S’agit-il d’une critique ou d’un billet d’humeur ?… A aucun moment le film est cité et sert d’argument (hormis un combat de grue qui semble déplaire et on ne sait pas vraiment pourquoi). « Motion capture » (25 ans d’âge déjà), non ! Il s’agit de performance capture ; Canada Dry et Tintin ?… vous voulez certainement parler de 7up et son Fido Dido, non ? Quel jeune inculte je fait… « Dans le temps » il y avait un jeune enfant roux associé aux pubs de Cananda Dry. Sans aucune ressemblance avec Tintin, cela dit.
Mais le pompon de votre billet c’est quand même le laïus sur Inglorious Basterds, « le film dans le film » il ne vous est même pas apparue que l’acteur dans ce film nous est contemporain et que cette pellicule est réalisée aussi par Tarantino. Je comprends assez facilement que « l’envie violente de quitter votre siège » vous a pris pour ce film qui se moque du cinéma nazi. Sa conclusion vous aurait sans doute aidé à cerner l’idée majeur du film.
Ravi d’avoir lu un fin cinéphile.
@Alain
Slogan de Canada Dry : « Ça a la couleur de l’alcool, le goût de l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool ». Comme dans ce spot publicitaire: http://youtu.be/drMT-aNI4Sg
Le slogan a souvent été détourné, pour dire d’une chose qu’elle ressemble à une autre à laquelle elle fait référence, mais qu’elle n’est qu’une pâle imitation, voire une contrefaçon lamentablement ratée.
C’est à ça que l’auteur de ce billet fait référence, et pas à autre chose à mon avis.
@Khakaoura: Merci pour la précision, c’est en effet cette référence, déjà un peu lointaine, que j’avais en tête. Pour répondre à Alain, je lui confirme qu’il est bien sur un blog et que ce billet est un relevé de notes.
Pour une critique en bonne et due forme, il suffit d’aller sur LeMonde.fr, où l’on pourra lire gratuitement celle de Thomas Sotinel, parue avant-hier, dont je partage la plupart des observations.
@André : oui oui j’ai bien compris tes conclusions, et je pense qu’elles sont assez exactes. Ceci dit je n’ai pas vu les approximations d’Inglourious Basterds comme des erreurs mais au contraire comme une forme d’humour, puisqu’aucun cliché n’est respecté, tous sont fournis dans une version complètement tordue.
@Jean-no: Sur Inglourious, je crois qu’on peut discuter. Il me paraît difficile de parler d’humour ou de satire si l’élément de référence est absent. Or, qui a vu Uber Alles In der Welt ou Feldzug in Polen? Du coup, « Stolz der Nation » peut très bien apparaître, pour le public d’aujourd’hui, et en particulier les plus jeunes, comme un exercice citationnel proche des autres allusions filmiques d’IB, un peu déformées, mais pas tant que ça – Pabst a bien réalisé L’Enfer blanc de Piz Palu, et Goebbels s’occupait bel et bien de cinéma…
Pour ma part, je trouve que dans Inglourious, le pastiche de pastiche de pastiche de série Z finit en premier degré, et que l’humour s’y étouffe. J’ai vu ça comme un double fiasco : l’épuisement d’une veine pour Tarantino, et la distance « plus drôle du tout » qui finit par dire ce qu’elle tente de contredire… Je ne sais pas si je suis très très clair…
Pour Tintin, pas encore vu. Mais je n’ai pas l’attachement d’André pour lui (chez moi, c’était « Astérix »). Tiens, j’en parlerais un de ces jours…
De deux choses l’une, ou l’extrait du film nazi tourné à l’américaine “Stolz der Nation“ est une mise en abyme de l’appropriation hollywoodienne de l’Histoire que constitue l’ensemble du film de Tarantino, et l’on y voit un second degré, une sorte de distance prise avec les formes hollywoodiennes… et c’est renforcé par le fait que les seules reconstitutions historiquement fidèles concernent le cinéma et ses conditions de diffusion… donc la seule réalité c’est celle du cinéma… Ou c’est, au premier degré, une appropriation classique, simple et directe du cinéma nazi de propagande par les formes hollywoodiennes, et alors le dispositif est involontairement dénoncé et ça coince en France, par exemple, où ces formes sont moins naturalisées… Mais en tout cas chez Tarantino, il y a questionnement des formes de l’industrie culturelle hollywoodienne, fût-il lourdingue…
Alors qu’apparemment, dans cet opus, l’industrie croque goulument la figure de Tintin et en fait un héros hollywoodien aux normes commerciales en vigueur actuellement…
Je me souviens qu’Indiana Jones était né de l’impossibilité que rencontrait Spielberg d’adapter James Bond, personnage qui avec Tintin partage le goût des voyages, l’action solitaire et cet art de la pirouette, de la ruse, et de la déduction (séduction en moins pour Tintin). Cette difficulté économique avait stimulé sa créativité, et d’une certaine manière, Indiana Jones est le fruit d’une hybridation entre Tintin et James Bond…
C’est parce qu’il est très puissant qu’il a pu se lancer dans la réalisation de ce rêve de jeunesse avec Tintin… et c’est peut-être cette puissance industrielle qui s’étale à l’écran sur le dos d’un imaginaire en berne…
Renoncement à l’exception au profit de la règle…
Je crois que dans ces adaptations en 3D de synthèse se joue également quelques chose du rapport entre cinéma et jeux vidéo… Le cinéma se retrouve privée de son carburant premier : l’acteur de chair et de sang et se voit ainsi en concurrence directe avec le jeu vidéo qui lui a toujours dû composer des personnages de pixels. Le vivant y a ainsi souvent été quelque chose de froid, de désincarné, tiraillé entre les soucis de photo-réalisme et les contraintes techniques. Et quand je vois les affiches pour Tintin, me viennent d’abord à l’esprit des références de mondes virtuels avant même celles de la bande dessinée d’origine ou d’autres films d’aventure !
La « version longue » de Stolz der Nation multiplie les références: l’intro de Star Wars, le sniper de Saving Private Ryan, le landau du Cuirassé Potemkine. Du Tarentino, quoi.
Merci Patrick pour la version longue, assez cocasse dans son assemblage d’Eisenstein et d’Attenborough, qui prouve que la vision tarantinesque (en fait, c’est Eli Roth qui réalise ce film) du cinéma de propagande allemand est effectivement assez peu documentée… 😉
Sinon, j’avais oublié de noter ce détail: dans la VF, Tintin dit: « Sapristi! » – et ça, c’est vraiment bien! 😉
Vous parlez de la « navrante pauvreté scénaristique des albums des années 1940 » de Tintin. Je pense que tout est dit, et lire la suite de votre article ne sert à rien. Car si vous n’aimez pas les albums d’Hergé des années 40, vous n’aimez tout simplement pas Tintin.
Ne vous en déplaise, le premier film d’animation de Spielberg réussit bel et bien le pari d’adapter les aventures du jeune reporter belge, en saisissant justement le rythme des BD (celui-là même qui vous déplaît et rend ce cinéma « pauvre » comme les albums pour vous citer une fois encore) là où toutes les précédentes tentatives (« Les Oranges Bleues », ce terrible navet qui trouve grâce à vos yeux) n’y sont pas parvenues, rendant qui plus est les personnages ridicules.
Alors si cette adaptation cuvée 2011 est une digestion, tant mieux, Hergé lui-même souhaitait laisser Spielberg libre lorsqu’il lui confiait sa création en 1983. Enfin, ce n’est qu’un avis de Tintinophile, ce n’est sans doute rien à côté de votre érudition. Mais ce qui me rassure, ce sont les propos d’Hugues Dayez ou de Benoît Peeters. Ouf, je ne suis pas encore sénile, j’ai bien vu un très bon film, tonerre de Brest !
@Guillaume Briquet: On ne se comprend pas du tout. Ce que j’ai voulu dire, c’est que quand on imbrique deux intrigues pour en faire une, on laisse évidemment entendre que la densité scénaristique originale est insuffisante (le Crabe aux pinces d’or est un de mes albums préférés, et le moins que l’on puisse dire est que cet épisode ne lui rend pas justice). Libre à vous de considérer cette option comme satisfaisante, mais vous aurez du mal à convaincre qu’il s’agit d’un compliment adressé à Hergé.
Pour le reste, il serait sympathique d’admettre que chacun a le droit d’avoir son avis sur un film, sans avoir besoin de se cacher derrière des autorités, ni insulter ceux qui pensent différemment. Est-il si difficile d’admettre qu’une opinion n’en menace pas une autre, et qu’il est possible d’en discuter sur un blog?
Pour Inglorious basterds, il me semble qu’outre le fait que Tarantino ne respecte jamais vraiment l’esprit des cultures étrangères dans ses films (dans Kill Bill, les références japonaises ne sont pas plus malines, même si elle fonctionnent), « Stolz der Nation » peut être vu comme une forme de parodie… d’Inglorious basterds, comme un lecteur du Diplo le note ici : http://blog.mondediplo.net/2009-09-27-L-armee-du-crime-face-aux-batards-sans-gloire#forum42688 et du coup, le film en entier prend une autre dimension, ou Tarantino manipulerait son spectateur comme un Haneke avec Funny Games.
Comme je n’aime pas Tintin (ça évoque plus pour moi le souvenir d’un trompe l’ennui de l’enfance que celui d’une gourmandise de lecture), et que d’un autre côté certains des films de Spielberg que je déteste le plus sont les Indiana Jones, j’aurais du mal à être objectif sur votre billet et son propos.
Cependant, je constate que c’est le deuxième billet sur Tintin où vous pointez le raté d’adaptation et où, dans les commentaires, on vous oppose que ce qui est justement réussi dans l’adaptation est ce que vous n’aimez pas dans Tintin (et par conséquence, comme ici explicitement, que vous n’aimez pas vraiment Tintin).
On se demande si la question ne prend pas un tour personnel (qu’est-ce que j’aime dans Tintin) et si vous ne pourriez pas faire un billet là-dessus, qui au fond nous éclairerait mieux sur le rapport entretenu avec l’œuvre d’Hergé et, par voie de conséquence, avec ses diverses adaptations…
D’autre part, je suis d’accord avec les critiques de votre vision citationnelle du film de Tarantino: le film ne cite pas, la reconstitution évoquée est construite comme factice, et au mieux le film évoque l’idée de la propagande contre laquelle les protagonistes du film doivent se révolter. En somme, le film dans le film n’est
1) qu’un argument pour nouveau morceau de démonstration culturelle,
2) qu’un motif narratif permettant l’avènement du complot ourdi par les bastards et la propriétaire de salle de projection jouée par Mélanie Laurent.
Y voir une citation tronquée de film de propagande est se tromper de cible, à mon sens. Cela n’enlevant rien à l’épuisement du « système » Tarantino, sentiment que je partage avec plusieurs des commentateurs de ce billet (mais comme presque TOUS les films de Tarantino m’énervent, par leur forme faites de mise en abyme culturelle sur une absence de fond ou pire, un fond réactionnaire, je ne peux non plus me retrancher dans une quelconque objectivité – illusoire – de chercheur à leur propos).
Dernier point, je ne suis pas du tout d’accord avec vous sur l’incapacité d’hollywood à intégrer tout apport extérieur: c’est même exactement le contraire, Hollywood ne cessant d’intégrer tout apport qui pourrait se révéler un filon; les diverses otherxploitations sont là pour en témoigner (de la blaxploitation à l’ensemble des intégrations hollywoodiennes de succès externes – japonais, indien, chinois). En revanche, il s’agit bien d’une intégration, c’est-à-dire d’une insertion au sein de son propre système, ce qu’on pourrait nommer digestion, en vous suivant.
La question qui demeure est pour quelles raisons faire ce film? Et là, on peut se demander ce que joue Spielberg à travers cette réalisation, lui qui n’a plus rien d’autre à prouver que sa capacité à exploiter les dernières avancées technologiques dans un film grand spectacle et éminement rentable (l’alpha et l’omega du système de valeurs hollywoodien, non?), là où James Cameron lui a ravi celui de réalisateur le plus bankable et most successfull. Ce que fait Spielberg, sur l’ensemble de ces derniers films, c’est de s’attaquer à un genre et de montrer qu’il est encore un patron: AI, Minority Report et La guerre des mondes, pour la SF, Il faut sauver le soldat Ryan pour le film de guerre. Force est de constater, malgré l’énervant happy end à l’artificialité de plus en plus voyante (navrant dans la guerre des mondes, comme dans AI), qu’il réussit toujours à sortir les films du lot, montrant son savoir faire de réalisateur de film spectaculaire (à ce titre, je considère la première heure de la Guerre des Mondes comme anthologique, et plusieurs séquences de Minority Report sont maintenant des parangons en matière de représentation des IHM).
En ce qui concerne Tintin, le propos me semble-t-il est d’aller au-delà des propositions des films Pixar, d’un côté, et d’Avatar, de l’autre (voire de Pirates des Caraïbes), et d’amener la représentation pseudo-réaliste 3D à un autre niveau. L’industrie hollywoodienne d’aujourd’hui ont à se battre contre le jeu vidéo, industrie populaire qui l’a dépassé par la bande en ce qu’elle avait comme argumentaire premier: sa capacité d’immersion. La lutte est grande, et l’involution spectaculaire peut être envisagée à cette aune, mais elle n’est pas la seule: l’involution technologique est aujourd’hui un enjeu majeur du système de valeurs des films à grand spectacle, sur lequel repose beaucoup de leur crédibilité.
Mais ces films ne s’adressent presque plus à nous, tout au moins marginalement; leurs spectateurs sont les 15-25 ans, principaux consommateurs de films au cinéma et de produits dérivés, pour qui la fidélité à l’œuvre d’Hergé n’est certainement pas un critère…
@André Gunthert : Il ne fait aucun doute que l’on ne se comprend pas. Mais ne voyez pas dans ma remarque une insulte, puisque je suppose bien au contraire une érudition moins grande que la vôtre.
Cela étant dit, dans votre critique, et sans vous offenser, le passage sur les albums des années 40 n’est pas très clair. Il semble qu’il s’agit de votre avis, et non de ce que laisserait sous-entendre le film. Je ne suis d’ailleurs pas non plus d’accord là-dessus, et je pense simplement qu’un album de Tintin, aussi riche et passionnant soit-il (et je les aime tous), ne tiendrait de toutes façons pas sur la durée d’un long-métrage.
Sinon, je ne me cache pas derrière des autorités, je prends en compte le jugement de personnes que je respecte pour leur immense travail autour de la BD francophone d’une autre époque, et pour leur connaissance du maître Hergé. Et il me semble que ma réponse n’est pas plus choquante que votre propre avis sur le film. Lorsque vous parlez de « l’incapacité d’Hollywood d’intégrer tout apport extérieur », c’est un peu schématique, non ?
Cela dit, je suis d’accord avec vous sur un point : libre à chacun de s’exprimer et d’avoir son avis. Mais je n’aurai aucun mal à convaincre que le film de Spielberg est un vrai hommage à Hergé.
Merci André pour votre critique! je n’ai pas encore vu le film, peut-être parce que la tintinophile que je suis a peur d’être déçue…Car j’imagine que chacun a une attente particulière vis-à-vis de ce film…Ceux qui n’ont pas lu, relu et dévoré chaque album de Tintin -et Milou!- (des Soviets aux Picaros), sans compter la (très bonne) série animée qui passait sur France 3 il y a une bonne dizaine d’années, vont peut-être voir le film dans l’optique de découvrir une création originale dans ses effets, un scénario ne collant pas exactement à celui des 2 albums, et du coup, ne cherchent pas particulièrement à retrouver la saveur des aventures sur papier.
Mais la question que je me pose, plus largement, est: une adaptation d’une bande-dessinée au cinéma peut-elle fonctionner? quand je lis une BD, de Tintin ou autre, les images s’animent dans ma tête, je crée les voix des personnages que j’associe à leur image…bref, le film se projette dans ma tête. Alors, voir un film réel se superposant à mon film imaginaire génère un décalage, qui fait que je n’arrive pas à adhérer à ces « nouveaux » personnages. Les adaptations au cinéma de romans que j’ai lu me font le même effet, à la différence que le pouvoir de l’image dans une bande-dessinée est de donner une trame à partir de laquelle l’imaginaire construit un personnage complet (apparence physique + voix, intonations…), tandis que dans un roman, la seule présence des mots laisse le champ libre à la création totale des personnages/décors par le lecteur. Alors, faut-il aborder l’adaptation cinématographique comme une oeuvre à part entière, et pénétrer dans le propre univers imaginatif du réalisateur, en laissant de côté notre petit « film de tête » personnel, quitte à être déçu de ne pas retrouver sur la pellicule « nos » personnages et ambiances? Mais je digresse…. 🙂
Alors, je crois que je vais tout de même attendre la sortie en DVD (mais ça n’a peut-être pas grand intérêt de le voir sur ce format, car la magie du cinéma -le lieu- c’est de créer une atmosphère ouatée, l’odeur des pop-corns, des gens dans la salle, les lumières, le moelleux des sièges…) Bref….wait and see!
@Astrée : une adaptation « live » de bande dessinée peut fonctionner à mon avis. Avec les super-héros, il y a eu quelques réussites (ou quelques bons moments en tout cas) car les personnages en question avaient déjà vécu plusieurs vies (l’origine de Spiderman a été racontée x fois, la série a eu de nombreux dessinateurs,…) qui font que le film n’est pas une transposition d’un univers précis dans le monde du cinéma, mais est une brique de plus dans cet univers.
Par ailleurs, il existe des adaptations qui sont bonnes parce que l’on ne connaît pas la bande dessinée d’origine, et qu’on ne s’y réfère pas pour juger, comme A history of violence, Men in black ou Kick Ass.
Il y a eu, enfin, de belles réussites en dessin animé, par exemple Akira, Nausicaa et plus récemment Persépolis.
@ Jean-No: vous avez tout à fait raison! j’ai oublié de préciser que je parle d’adaptations cinématographiques d’oeuvres qu’on a lues….du coup le propos, et la réponse, n’est plus du tout le même! 🙂
(Je confirme, Persepolis était vraiment très réussi et pourtant j’avais auparavant lu la bande-dessinée….comme quoi, il y a des exceptions à ma règle ^^)
@Astrée : la particularité de Persépolis est que l’adaptation a été réalisée par l’auteur, mais aussi par un autre artiste, célèbre pour son humour noir et son mauvais esprit : il n’a pas eu peur de donner au dessin animé une vigueur qu’une adaptation juste respectueuse n’aurait pas pu avoir.
@Patrick Mpondo-Dicka: La question de savoir si on aime A pour parler de B me paraît un peu WTF. On peut très bien ne pas aimer A et aimer B, aimer A et ne pas aimer B, ou tout autre combinaison, sans que le jugement ne soit ni moins ni mieux fondé. Je vous renvoie par ailleurs à mon billet « Evolution du spectacle« , qui prenait le contrepied de la position fidéiste, et qui reste parfaitement justifié.
Contrairement à d’autres, qui regardent d’abord ce que disent les autorités avant de décider d’aimer ou pas un film, je me suis abstenu de lire les critiques pour préserver la spontanéité de mon jugement, enregistré ici au plus vite après la vision de film. J’ajoute que je me moque bien d’avoir raison ou pas, et je n’exclus nullement de changer d’avis par la suite. En fait, ce n’est pas de cette manière que je pose la question du jugement esthétique, mais de façon beaucoup plus globale. Mon hypothèse est que le jugement sur un film se forge comme un phénomène d’opinion. Le suivi de The Unicorn depuis bien avant sa sortie est justement une expérience de réception. Ma question est d’observer comment se forme le jugement critique, pas à pas, et à partir de quels éléments. A ce stade, ce qui m’intéresse est de constater qu’il n’y a pas consensus, mais 2 lignes critiques antagonistes, aussi justifiées l’une que l’autre.
Avatar est clairement une épine dans le pied de Spielberg, qui a inventé le blockbuster avec Les Dents de la Mer, et a programmé The Unicorn pour revenir à la 1e place (on a entendu circuler la prévision du milliard de dollars de revenus mondiaux, record absolu de recettes). Il ne s’agit donc pas seulement de s’affirmer le plus fort dans un genre, mais plus simplement de dire qui est le patron.
@Astrée: Le cinéma s’est toujours abondamment nourri d’adaptations de toutes sortes, et la discussion fidéiste est aussi vieille que le cinéma. A noter que la BD elle-même peut adapter d’autres sources, comme ça a par exemple été le cas avec Tarzan, roman d’Edgar Rice Burroughs dont la version de Burne Hogarth est unanimement admirée. Ce qu’on peut remarquer dans la période récente, c’est une transition des sources, pour les plus grands succès commerciaux, du roman à la bd, transition qui va de pair avec le rajeunissement du public ciblé.
Le Secret de la Licorne n’est pas du Hergé, on le savait déjà, la question est plus simplement: est-ce un bon film? Il ne m’en a pas laissé l’impression, je pense qu’Indiana Jones est bien meilleur, plus drôle, mieux charpenté, avec un personnage principal plus attachant. Reste la dimension technique, qui est évidemment attractive, mais que j’ai également trouvé peu convaincante (je suis d’ailleurs persuadé que nous observerons un progrès décisif de ce côté avec le prochain épisode piloté par Jackson).
@ André Gunthert : Pour info : le projet de Spielberg d’adapter Tintin a débuté en 2007, bien avant le succès d’Avatar. Spielberg a d’ailleurs passé quelques jours sur le tournage de Cameron pour voir la technique de la Performance Capture, après avoir passé également du temps avec Zemeckis. Alors dire qu’Avatar (largement surestimé) est une épine dans le pied de Spielberg, cela me semble encore exagéré.
Et j’aimais le film Le Secret de la Licorne avant de m’apercevoir que j’étais loin d’être le seul. Je n’ai moi non plus lu aucune critique avant de le voir, puisque je l’ai découvert le 12 octobre en même temps qu’une bonne partie de la presse.
@Briquet: Pourquoi dire qu’Avatar est surestimé? Ce qui est évoqué ci-dessus est seulement son succès public, qui est pour l’instant un record du point de vue financier, ce qui est un fait objectif. Largement alimentée par la presse spécialisée US, la compétition entre Spielberg et ses principaux concurrents du box-office est aussi vieille que le blockbuster (voir Tom Shone, Blockbuster, Scribner, 2005). Elle ne concerne pas la dimension esthétique, mais le succès industriel, mesuré en dollars. Ce serait bien mal connaître le cinéma américain que de faire l’impasse sur ce facteur.
Je ne fais pas l’impasse sur ce facteur, mais vous écrivez que Spielberg a fait Tintin pour dire qui est le patron. Je ne le pense pas. C’est un projet qui lui tient à coeur depuis très longtemps.
Sinon, à film surestimé gros succès au box-office, non ? ^^
comment dire…en fait, ce que j’ai essayé d’exprimer assez maladroitement, c’est qu’il est difficile d’adhérer à l’adaptation cinématographique d’une œuvre à laquelle on est trop attaché, trop imprégné….
Bon…. en fait, je crois simplement que je suis de très mauvaise foi, et que tous mes arguments un peu bancals ne servent qu’une seule cause: ON NE MASSACRE PAS TINTIN, POINT 😀 (par exemple, on ne fait pas combattre Haddock sur une grue!)
@Briquet: Je vous signale que, si l’on en juge par les premiers chiffres, Tintin est bien parti pour être un gros succès au box-office… 😉
Quant à Spielberg, je ne pense pas que le fait que le projet lui tienne à cœur (ce qui est incontestable) soit en contradiction avec l’ambition d’en faire un succès du box-office, ce serait même plutôt le contraire – et là encore pas la première fois que le goût du cinéaste rencontrerait celui du public.
@Astrée: C’est quand même mieux de voir le film pour se faire son opinion, non?
@ André: oui, absolument, je vais le voir!! mais vu le prix du billet, j’hésite à le voir au ciné 😉 …vous pensez que ça vaut tout de même le coup?
(30 commentaires à votre article: gros succès au box office!!! 😀 )
@André Gunthert : C’est vrai, Tintin est même applaudi à chaque séance, et je serais de mauvaise foi si je disais que je le vis mal, alors que je ne supporte pas ça habituellement…
Si vous le souhaitez, nous pouvons continuer le débat lundi soir au Centre Pompidou. Et promis, je ne serai pas caché derrière Peeters 😉
A lire: la critique du Guardian, par un tintinophile qui descend en flammes le film, « execrable offering », « violence perpetrated against the core impulses of Hergé’s work ».
@Astrée: On peut aussi le voir en 2D, c’est moins cher. Comme d’habitude, la 3D n’apporte rien de particulier, et j’ai regretté de devoir rechausser les lunettes.
« De sorte qu’une caricature destinée à surligner la violence nazie se retourne contre l’envoyeur »… Bizarre en effet, comme d’autres j’avais vu cet aspect comme quelque chose de tout à fait intentionnel, surtout au vu des images de dignitaires nazis qui se bidonnent devant le film (de même que des spectateurs occidentaux moyens se bidonnant tristement devant des images de nazis massacrés par centaines blabla). Ce serait d’une naïveté assez surprenante autrement, surtout que la « violence nazie » est de nos jours presque aussi redondant que « l’hypocrisie du clergé ».
Ma formule est assez précise: une caricature qui se retourne contre l’envoyeur. Autrement dit, l’intentionnalité de la satire n’enlève rien au fait que Tarantino se prend les pieds dans le tapis: le cinéma américain mettant en scène la violence nazie est plus violent que le cinéma nazi lui-même.
@André Gunthert
Réponse tardive, désolé (pour l’actualité du débat).
J’ai bien lu votre billet « Évolution du spectacle », sans bien comprendre son rapport à notre discussion. Le fait d’indiquer dès le départ qu’on aime ou pas l’objet de notre réflexion est une volonté d’honnêteté, ou, si on préfère, d’assomption de subjectivité – au regard de ce j’ai nommé « l’objectivité illusoire du chercheur ». En clair, la discussion m’intéresse, mais le sujet de Tintin (l’esprit, la lettre) en lui-même non, si ce n’est comme symptôme; le phénomène qui nous intéresse est bien celui de l’adaptation d’une œuvre canonisée, de la transposition intersémiotique, et des valeurs qui lui sont accordées. Je ne vois pas en quoi ce serait fidéiste?
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