Transformers 3? Vraiment? Même sur Culture Visuelle, où rôdent quelques allumés de la culture industrielle, pas sûr qu’on trouve plus de deux ou trois amateurs désireux de taper la causette sur la plus grosse daube hollywoodienne du moment.
Et pourtant, Transformers 3 offre l’occasion de poser la question du récit en régime d’industrie culturelle. Contrairement à ce qu’affirme CSP, dépité, T3 n’est pas « la destruction du sens ». Basé sur une une idée absurde de gamin de 5 ans – des bagnoles-robots-alien rangés en deux camps qui se cognent dessus à grands coups d’effets pyrotechniques –, Transformers a toujours été une insulte à l’idée même de scénario, un gros scenic railway d’effets spéciaux qui faisait sourire jusqu’aux préados, conscients de s’exposer à une caricature de film. Par rapport à cette hérédité chargée, T3 ferait plutôt un effort de storytelling, en imaginant de justifier a posteriori la course à la Lune par la guerre des robots.
La partie qui m’a imposé le visionnage du film consiste en effet dans le mix du souvenir du programme Apollo avec la révélation que celui-ci aurait été décidé pour élucider avant les Russes l’énigme du vaisseau spatial Autobot crashé par mégarde sur la Lune – une réécriture de l’histoire fabriquée, comme dans Watchmen, à l’aide d’un savant mélange de vraies et de fausses images d’archives, dont le principe a également inspiré le récent X-Men First Class.
A un moment où l’arrêt de la dernière navette range définitivement l’aventure spatiale au rayon des accessoires, l’idée qu’un blockbuster corrige le réel pour en fournir une explication plus convaincante n’est qu’à moitié amusante. Le clin d’oeil complotiste en forme de promenade dans les images du passé révèle la fragilité du scénario officiel, qui a vendu comme une aventure scientifique universelle une compétition d’abord politique et industrielle.
Pour la fiction, truquer l’Histoire n’a rien d’anormal. Mais manipuler la course à la Lune, monstre narratif de la seconde moitié du XXe siècle, dans le contexte d’une franchise qui se moque ouvertement de la vraisemblance constitue un paradoxe des plus désagréables, une façon de souligner la minceur de la frontière entre Histoire et fiction, l’une et l’autre recourant aux moyens du grand spectacle pour donner le frisson.
Mais T3 porte un message encore plus subversif. Au final, c’est la notion même de fiction qui est mise KO par l’obsession spectaculaire déployée à coups de millions pendant deux heures et demi. Plutôt que la destruction du sens, Transformers propose, sur le modèle complotiste, de ramener le schéma narratif à sa plus simple expression, renonçant à toute complexité pour mieux s’abandonner au pur plaisir de l’effet spécial.
Marque de fabrique de la franchise Transformers, le renoncement aux ressorts de l’intrigue n’est qu’une forme extrême de la secondarisation de la fiction qui caractérise la production hollywoodienne depuis l’émergence du système du blockbuster, où la puissance de l’attraction de foire a pris le pas sur la séduction du récit. Comme la version cinématographique d’Harry Potter, la plupart des machines hollywodiennes ne sollicitent plus guère la grille narrative que comme le vulgaire fil conducteur d’un long toboggan d’effets spéciaux, sur fond de combat du bien contre le mal.
Hollywood a-t-il encore des histoires à nous raconter? Quelque chose semble épuisé dans une mécanique qui ne fait plus qu’exploiter des franchises comme on creuse un gisement, recyclant l’énergie narrative du passé, habillant les personnages des comics des habits neufs de la 3D ou de l’image de synthèse, mais qui semble incapable de créer de nouveaux récits ou de nouveaux héros.
L’opposition du théâtre et du cirque est aussi vieille que notre goût du spectacle. Mais la cannibalisation de la fiction par le goût des effets, le triomphe de la spectacularité nue sur la construction du sens ne sont pas les symptômes d’une civilisation au mieux de sa forme. Une société vivante est une société qui sait se raconter – le coup d’œil dans le rétroviseur de la conquête spatiale, de la part d’une époque qui n’a plus d’horizon, est encore un signe de la nostalgie de cette disparition.
Lire la suite:
- « Licence de jouir, ou la culture du blockbuster » (15/08/2011)
- « Aliénante fiction (retour sur entretien) » (17/08/2011)
14 réflexions au sujet de « Transformers, l'adieu à la fiction »
T3 est un objet cinématographique fascinant je trouve.
En effet, le scénario n’est plus qu’un prétexte, qu’on sent comme un reliquat pesant.
C’est un cinéma régressif qui renoue avec sa forme primitive de spectacle de foire.
Une telle décomplexion face à l’écriture intrigue, elle est évacuée dans la première partie où tous les personnages sont ridiculisés, on en vient presque à penser à du Joe Dante (l’atténuation constante des enjeux dramatiques par la bouffonnerie), mais c’est ici parce que l’écriture n’est plus considérée comme une affaire sérieuse, on cherche à s’en délester pour laisser la place à de l’action pure dans la seconde moitié.
Après il y a quelques bonnes idées (outre le fait que Bay ait enfin découvert qu’un plan pouvait durer plus d’une seconde)… le choix de Chicago comme terrain de jeu qui accompagne l’apparition de la 3D dans la franchise en donnant du volume à une action précédemment assez plate.
Pour le reste, les héros finissent toujours par renaître 🙂
Ça fait quand même une bonne centaine d’années que le cinéma s’est émancipé de la foire. Et l’attraction foraine à 195 millions de dollars, je ne sais pas si on peut vraiment appeler ça « renouer avec la forme primitive » 😉 La question est plutôt de savoir si T3 doit être considéré un symptôme isolé, ou comme l’aboutissement du système du blockbuster, qu’on pourrait alors décrire comme l’industrialisation du spectacle de cirque, venu refermer la parenthèse du cinéma.
Je ne pense pas que ce soit une forme isolée : Tron (les mots me manquent) ou Sucker Punch avec ses scènes d’actions isolées et complètement déconnectées du reste du film (qui pour le coup n’a plus aucune unité) me semblaient encore plus préoccupants.
Ah, Tron 2, j’avais espéré pouvoir y couper… Et Sucker Punch, comment dire… On n’imagine pas la difficulté du job de chercheur en culture pop… 😉
Par rapport à la réécriture de la course à la Lune, il faut aussi citer le prochain « Apollo 18 » qui aborde la dernière mission du programme spatial américain comme un Projet Blair Witch dans l’espace avec une menace invisible qui s’en prend à tout l’équipage.
Il en va de même avec les films de super-héros avec le décalage entre le premier et le second Iron Man par exemple ou les récentes adaptations Marvel (les premières critiques de Captain America soulignent un film manichéen avec des personnages avec peu de profondeur).
Pour Tron Legacy, je pense qu’il subit l’héritage de son prédécesseur. Tron avait eu bien du mal a sortir un scénario lisible, d’ailleurs le titre reprenait le nom d’un personnage secondaire. Après, je pense qu’il ne faut pas penser que Micheal Bay est un symptôme général du cinéma américain et que Transformers 3 représente la centaine de films produits chaque année. Avec Transformers, le style de Micheal Bay est devenu sa propre caricature, donnant un film bon pour tester son home cinéma avec une histoire segmentée uniquement de scènes d’action explosives.
Ce qui m’interpelle le plus c’est le parallèle entre l’excellence des effets spéciaux (mes collègues graphistes ne jurent que par ce film, on aurait atteint un sommet technique d’après eux) et l’inexistence du scénario. Il faudrait regarder dans l’histoire du cinéma pour voir si ce film fait date ou pas.
Il y a toujours eu bcp de navets pour qu’un jour survienne un film qui sorte du lot. Pour cela, il fallait qu’un réalisateur s’empare de la technique.
On peut se rappeler l’attention que portait Hitchcock aux SFX (je pense à Correspondant 17 notamment) ou bien un film comme Blade Runner (utilisation des matte paintings et des maquettes).
Combien de T3 faudra t-il avant d’avoir un chef d’oeuvre qui sache utiliser la 3D d’aujourd’hui?
Haneke ou Lynch pourraient faire l’affaire…
Dans une autre mesure, j’ai l’impression que T3 fait la liaison avec une grande partie des jeux video d’aujourd’hui (graphismes hyperréalistes, scénario nul). On est peut-être à un tournant…
Qu’en pensez-vous? Je suis peut-être hors sujet par rapport à votre discussion initiale sur le blockbuster.
@ Alexis: T3 représentatif du cinéma, je ne crois pas non plus. Mais de la dérive des grosses productions vers toujours plus d’effets, oui. Le cinéma international est devenu trop cher pour pouvoir reposer uniquement sur le récit ou les stars. Les histoires, aujourd’hui, c’est l’affaire des séries télé.
@ Benjamin: Le parallèle avec les jeux vidéos me paraît tout à fait justifié. La question est moins de l’opposition entre effets et scénario (lorsque l’effet est mis au service du récit, tout va bien), que du miroir que tend l’industrie cinématographique à la société. A l’exception près d’Inception (qui en est par ailleurs un exemple discutable) on voit bien que la narration n’est plus un ressort suffisant de la production. Le fonctionnement qui se généralise consiste plutôt à prendre toutes les mythologies au second degré, sous un angle satirique ou stéréotypé, comme autant de décors où donner libre cours à la puissance technique du graphisme (exemple type: Cows-boys et Envahisseurs…).
@André: « Les histoires, aujourd’hui, c’est l’affaire des séries télé » ; je trouve ça plus vicieux encore… les séries télé, aussi bien écrites soient-elles tombent dans l’excès inverse des films de Bay ; une « sur-écriture » qui phagocyte la fiction… les séries se nourrissent de ressorts dramatiques d’une manière boulimique sans finalités autres que celle de continuer.
Plus que dans un long métrage, il ne peut pas ne rien se passer… La plupart ne sont que des soap-opéras recouverts d’un joli vernis. Lost typiquement, c’est une renonciation à la fiction.
@Nico « les séries se nourrissent de ressorts dramatiques d’une manière boulimique sans finalités autres que celle de continuer. »
C’est le reproche que l’on faisait au XIXème aux feuilletonistes. 🙂
@ Nico, Thierry: Sur-écriture, pourquoi pas. Reste que les séries, dont les moyens financiers sont différents des BB, misent sur le scénario plutôt que sur les effets. Le point qui me paraît utile de comprendre, c’est que le récit n’intervient pas par hasard dans la culture industrielle: à l’époque des feuilletons dans les journaux, il était lui aussi un produit d’appel. Aujourd’hui, le plaisir de la narration a clairement perdu sa place privilégiée, il est considéré comme concernant d’abord un public vieillissant. Le public jeune (et particulièrement masculin) lui préfère le plaisir de « l’action », c’est-à-dire du spectacle non narratif, qui relève pour l’essentiel de (la simulation de) l’affrontement physique, et qui correspond assez bien à ce qu’au temps des Romains on appelait les Jeux.
La référence à l’Empire Romain est tout à fait pertinente. Je suis à New York en ce moment et le « du pain et des jeux » pourrait tout à fait s’appliquer à la société américaine actuelle. Je travaille dans une société de production où l’on produit des « Tv Show » et ici ils sont légion (sans mauvais jeu de mots). Il y en a toujours de nouveaux car il faut nourrir le nombre impressionnant de chaînes télévisées qui existe outre atlantique. La société américaine réclame de plus en plus de spectacle et qu’on lui en mette plein les yeux, d’où T3 et son côté pur spectacle (devant lequel j’ai aussi pris mon pied). La dépravation des moeurs dans l’empire romain ne fut pas la raison de sa chute mais elle y a sans doute contribué. De là à dire que l’Empire américain décline, il n’y a qu’un pas…
Le problème de votre article, c’est que vous n’avez manifestement pas pris le temps de regarder les deux premiers. Que les films soient mauvais est une chose, mais ce que vous présentez comme une « nouveauté » est la base de la franchise, justement.
Transformers a toujours réécrit l’histoire au prisme de l’arrivée des robots, depuis le premier, qui explique que Roosevelt a ordonné la construction du Hoover Dam pour dissimuler un des robots, et en exploiter la technologie. Je vous invite à regarder le tout-premier teaser de la franchise, qui expliquait la disparition du Mars Rover et donnait déjà le ton.
Le deuxième film est tout aussi fumeux, et va plus loin, et revisitant Petra et les pyramides, mais le principe est le même. Oui, Watchmen est passé par là, et le mix avec les images d’archive, mais c’est une question de forme, pas de fond.
Transformers 3 présente une nouveauté en matière de storytelling, mais elle n’est pas là, elle est dans la longueur de l’exposition et dans le développement (certes grotesque) de personnages accessoires à l’histoire.
@Pierre Pigeon: Merci pour le reminder. Quoique j’ai effectivement vu T1 et T2, j’avoue ne pas avoir conservé le souvenir de ces détails scénaristiques. La question vaut évidemment à l’échelle de la franchise. Poursuite de la discussion ici:
http://culturevisuelle.org/icones/1914/
« People say ‘It’s all about the story. When you’re making tentpole films, bullshit. » Hendrickson showed a chart of the top 12 all-time domestic grossers, and noted every one is a spectacle film. Of his own studio’s « Alice in Wonderland, » which is on the list, he said: « The story isn’t very good, but visual spectacle brought people in droves » (Variety). « Tentpole » (mot à mot: pilier de tente) est la nouvelle appellation pour désigner le blockbuster dans le vocabulaire professionnel, voir: What is a « tentpole movie »?
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