Dédiée à l’éducation aux médias, l’association Icare a livré récemment une compilation remarquée de chiffres-clés sur le rapport à la télévision du public d’âge scolaire. Suite à la publication par Médiamétrie de son rapport 2010, où l’on observe pour la première fois depuis des années l’arrêt de la chute de la consommation télévisée (3h32 par personne et par jour en moyenne), Icare souligne notamment qu’«un écolier en primaire passe tous les ans plus de temps devant le tube cathodique que face à son instituteur (956 heures contre 864)».
Une rapide division montre que ce dernier chiffre correspond à un total quotidien de 2h37/jour, sensiblement moins élevé que la moyenne de la consommation de l’ensemble des Français (74%). Mais il l’est encore beaucoup plus …que celui fourni par une enquête réalisée l’an dernier par la même association dans un collège en région, où la moyenne quotidienne n’atteint qu’1h01 pour les 11-15 ans (32%).
D’où l’on peut conclure sans grand risque d’erreur que les jeunes Français regardent beaucoup moins la télé que leurs aînés. Pas de quoi crier à l’addiction – ou alors il faut de toute urgence s’occuper de nos seniors, qui font considérablement grimper la moyenne…
Ce n’est pas l’impression que laisse la compilation statistique d’Icare, qui contribue plutôt à nourrir l’inquiétude. «Entre 1983 et 2007, les budgets de pub ciblant les enfants sont passés de 100 millions à 17 milliards de dollars (170 fois plus en 24 ans)» Ou encore: «Aux États-Unis, juste après la seconde guerre mondiale, il a suffi de 7 petites années pour que le taux d’équipement des foyers passe de 1 à 75%. Pour atteindre le même niveau de couverture, la radio avait mis 14 ans, le réfrigérateur 23, l’aspirateur 48, l’automobile 52, le téléphone 67 et le livre des siècles.»
Que est le sens de cette accumulation de chiffres hors contexte empruntés aux sources les plus hétéroclites, qui mélange joyeusement données américaines anciennes et statistiques françaises récentes? Il est livré d’entrée par une citation de Pascal Bruckner (philosophe): «La télévision n’exige du spectateur qu’un acte de courage – mais il est surhumain -, c’est de l’éteindre.» (MàJ: L’animation a été modifiée depuis la rédaction de cette critique, voir ci-dessous en commentaire).
Il est navrant de voir une association pleine de bonne volonté se donner pour guide un intellectuel qui est à l’éducation aux médias ce qu’Eric Zemmour est à l’analyse politique. Et plus consternant encore de voir qu’après le constat que le temps consacré au petit écran est supérieur à celui passé en classe, le seul message explicite est celui d’éteindre la télé.
Aussi efficace que le conseil énoncé naguère de ne pas s’inscrire sur Facebook, ce message est bien, aujourd’hui encore, celui que délivre globalement l’institution scolaire et ses représentants, qui partagent avec Bruckner la conviction que la télé n’est pas une vraie source culturelle, mais un divertissement de mauvais aloi. La lecture des chiffres réunis par Icare transmet fidèlement l’idée que les heures passées devant l’écran sont au mieux du temps perdu, au pire une aliénation aux diktats de la consommation.
Qui aurait l’idée de s’inquiéter du temps passé à bouquiner? Lire, nous le savons tous, est une activité culturelle noble, valorisée par l’institution et qui ne peut être que bonne – à l’inverse de la télé, qui ne peut être que mauvaise…
Admirable puissance du préjugé. Comme nous le rappellera une promenade dans une librairie quelconque, l’édition est la plus vieille des industries culturelles, et comprend à ce titre une variété de contenus dont la gamme qualitative ne se distingue pas foncièrement de celle proposée par les programmes télévisés. Tout comme Arte n’est pas la chaîne la plus regardée, la règle en matière d’édition est que ce sont les mauvais livres qui se vendent le mieux – heureusement pour la librairie, qui ne survivrait pas longtemps si elle ne devait s’appuyer que sur les essais de Benveniste ou de Lévi-Strauss…
Une réalité que nous ne voyons que d’un œil. La valorisation de la littérature nous empêche de considérer les ouvrages de Marc Lévy ou les recueils de recettes de cuisine comme de « vrais » livres. Inversement, la perception négative de la télévision nous enjoint de considérer le foot et la télé-réalité comme des manifestations de sa nature profonde. Ces clichés ne valent pas mieux l’un que l’autre. La vraie différence dans le rapport des jeunes à ces diverses offres culturelles est que leur consommation livresque est efficacement guidée par les adultes, dont la maîtrise s’appuie largement sur les schémas de reproduction culturelle (oui, tu peux lire Marcel Pagnol; — non, Gérard de Villiers ce n’est pas de ton âge)…
Les chiffres réunis par Icare dénombrent des téléspectateurs, des téléviseurs ou des heures passées à les regarder, jamais aucun contenu. C’est dommage, car le rapport Médiamétrie souligne que la bonne tenue des statistiques télé, boostées l’an dernier par la TNT, est largement soutenue par la fiction: blockbusters, séries américaines et films français ont fait les succès d’audience de 2010, et représentent globalement un quart de la consommation télévisuelle.
Oui, comme Balzac, Stendhal ou Flaubert, la télé raconte aussi des histoires. Plutôt que les taux de pénétration des marchés, j’aurais préféré qu’on nous détaille les goûts des adolescents. Le dessin animé Les Simpson, actuellement diffusé par W9, que je donnerai au doigt mouillé comme le programme préféré des jeunes Français entre 10 à 15 ans, est par exemple une impressionnante machine à recycler des modèles culturels et des problématiques sociales, appuyée sur une ironie décapante et un goût du second degré inconnus des vieux Disney.
Parmi les données mises en exergue par Médiamétrie, il y a le développement de la consultation en différé, par enregistrement (27% des foyers sont équipés d’un lecteur enregistreur numérique à disque dur) ou catch-up TV (rediffusion sur internet), ce qui signifie un accroissement du contrôle des programmes par les téléspectateurs. Une donnée malheureusement passée sous silence par Icare, qui préfère nous rappeler que «la surconsommation de télé peut entrainer une diminution de l’activité physique, une dégradation des habitudes alimentaires, une réduction du temps passé à lire, une altération du sommeil, un affaissement des performances scolaires et un assèchement des interactions intra-familiales.»
Oui, indiscutablement, la surconsommation de télé peut entrainer de nombreux effets nuisibles. Comme d’ailleurs la surconsommation de n’importe quoi d’autre, qui est par définition néfaste. Ce qu’on attendrait, de la part d’une association d’éducation aux médias, c’est qu’elle aide parents et professeurs à mieux utiliser cette ressource, en l’intégrant à nos autres pratiques culturelles, plutôt que de renforcer les préjugés. Comment contextualiser un cours par le conseil d’un programme approprié, rebondir d’un documentaire sur une visite de musée, ou discuter avec les élèves eux-mêmes de leurs pratiques télévisuelles…
«Une classe de CM1 se vit présenter le premier volet d’une série TV déployée sur 8 épisodes. Lorsque l’on demanda aux élèves d’imaginer l’ensemble de l’intrigue sur la base de ce seul premier volet, ils furent 80% à prédire plus de 70% des évènements qui allaient survenir», relève Icare, en nous laissant conclure au caractère formaté des contenus, alors que cette observation indique surtout l’existence d’une culture audiovisuelle. Les jeunes d’aujourd’hui, qui ont passé de si longues heures devant les écrans, disposent d’un bagage sans précédent dans ce registre, et savent reconnaître sans hésiter genres, figures et citations – c’est pitié que de ne pas utiliser ce savoir dans l’enseignement des formes fictionnelles.
Pour ce faire, encore faudrait-il envisager la télé comme une ressource culturelle, et non sous l’angle habituel de la guerre des cultures, qui néglige toute forme populaire récente et ne sait reconnaître que les contenus validés par l’institution. Oui, il faudrait apprendre la télé aux professeurs, majoritairement incapables aujourd’hui de se servir de ces contenus, puisqu’ils ont été exclus de leur formation, et qui ne peuvent guider les élèves, livrés à eux-mêmes dans leurs choix de consommation télévisuelle. Un cercle vicieux qui enferme l’école dans un pur schéma reproductif. Ce ne sont visiblement pas les associations d’éducation aux médias qui vont l’aider à en sortir.
27 réflexions au sujet de « Eteindre la télé? »
Votre mise en perspective du livre et de la télévision n’est pas sans me rappeler ce point de vue analogue concernant, cette fois, le jeu vidéo : http://www.psyetgeek.com/proust-tait-un-gameur
L’on pourrait bien sûr mettre cela en perspective avec des phénomènes cycliques plus anciens, de confrontation entre « (contre-)culture des jeunes » et « culture (légitimée) des adultes » : cette dichotomie se situait autrefois au sein même des objets imprimés (illustrés vs romans, romans policiers vs « vrais » romans littéraires, roman d’aventure vs roman psychologique). L’article suivant (en anglais) en donne des exemples éclatants : http://www.techdirt.com/articles/20090612/1530595217.shtml
Même si la question générationnelle existe, vous faites bien décrire la différence entre télévision et livre d’un point de vue qui oppose, d’un côté le contrôle et la prescription, de l’autre, l’indépendance et l’appropriation : ce débat trouve aujourd’hui un écho, non plus au sein des familles, mais à l’échelle du corps social tout entier, où les « parents » putatifs que constituent (de moins en moins) les instances dirigeantes, légitimées, médiatiques (ce qui inclue notamment l’engeance d' »intellectuels » précitée), gourmandent les vilains garnements que nous sommes, classes moyennes émancipées, éveillées culturellement, et qui développons une pensée propre et de nouvelles formes de lien social décentralisées (notamment sur Internet). Vers un « âge bête » du peuple ? 🙂
@vvillenave: Merci pour la référence au billet de Yann Leroux, en effet très appropriée dans cette discussion. Je pense que cette guerre des cultures, oublieuse de l’histoire comme de la sociologie de la culture, est l’un des ressorts essentiels de la tension qui s’accroit entre jeunes et enseignants dans le contexte scolaire. Ce qui me semble le plus inquiétant dans le symptôme que constitue le choix de données de l’association, c’est à quel point ce phénomène est inaperçu de la part de ceux-là mêmes qui devraient être les premiers à le prendre en compte.
Effectivement, André, il y a matière à discuter ces études statistiques globalisantes qui, le souvent, même avec un luxe de chiffres, restent à la surface du phénomène. C’est étonnant comme la télévision, pratique commune s’il en est, qui concerne donc tout le monde ou presque, demeure méconnue dans les comportements effectifs qu’elle suscite. Que font les gens devant la télé ? comment la consomment-ils ?
Par exemple, si les jeunes la regardent moins que les adultes, c’est pour une bonne part parce que les adolescents se dérobent à ce loisir familial au bénéfice d’autres plus personnels ou, du moins, individualisables au sein de la famille. Mais tout ceci évolue avec le taux d’équipement : car dès qu’ils ont la télé dans leur chambre (c’est de plus en plus fréquent), ils la regardent autant sinon plus que leurs parents.
Bref, il faut plonger dans le détail des pratiques effectives pour comprendre ce qui se passe avec la télé.
Je viens de faire faire à mes étudiants de Licence 3 des enquêtes sur les pratiques et consommations des images par les jeunes aujourd’hui. Je l’avais déjà fait entre 2001 et 2003. Ce qui est frappant, c’est que la thématique de la télévision n’arrive plus en tête des préoccupations de ces jeunes, à la différence d’il y a quelques années. Leurs comportements changent rapidement, sans qu’on en ait forcément ni la mesure ni la compréhension. Pour ce faire, il faudrait vraiment se plonger dans l’univers vécu des gens – ce qui n’a rien de très simple – plutôt que de réitérer des enquêtes statistiques, prétextes à commentaires plutôt que vecteurs de connaissances.
Nous sommes flattés que vous ayez pris le temps de critiquer notre travail.
Notre objectif à travers « la saga des médias » est bien simplement de compiler des données vulgarisées autour des médias afin de sensibiliser qui passera par là à la problématique de l’influence des médias sur l’éducation.
« Cette accumulation de chiffres hors contexte empruntés aux sources les plus hétéroclites » vise simplement à donner quelques indicateurs à différentes échelles afin d’effectuer des comparaisons, comme vous l’avez très bien fait.
Même si la citation un peu provoc’ de début peut éventuellement porter à confusion, j’ai le regret de vous annoncer que nous ne buvons pas le thé avec Pascal Bruckner. Mais peut-être varierions nous les points de vue lors des prochains épisodes.
Maintenant nous tenons à rappeler que nous sommes une association qui s’inscrit dans le mouvement de l’éducation populaire et nous cherchons simplement à contribuer bénévolement et à notre échelle à la cause de l’éducation aux médias. Nous manquons de temps, de ressources et de moyens. Penser que nos lacunes sous-entendent une idéologie qui n’est pas la votre est un raccourci un peu dangereux.
Nous ne parlons ici nullement d’addiction comme vous le suggérez. Nous n’avons pas estimé important de parler des contenus télévisuels que consomment les jeunes puisque nous nous adressons essentiellement à des gens qui les connaissent : animateurs, éducateurs… Vous pensez que les jeunes regardent majoritairement les Simpsons, libre à vous. Mais que faire avec ceux qui ne regardent pas ce programme ?
Lorsque vous concluez par « Ce ne sont visiblement pas les associations d’éducation aux médias qui vont l’aider (l’école) à en sortir » nous nous demandons si vous avez jeté un œil à l’autre moitié de nos publications à savoir une fiche action autour de la vidéo ainsi que notre projet test « @ction! », animation autour de l’expression qui se déroule actuellement dans un collège. Il est d’ailleurs regrettable que notre petite animation prezi sans prétention aie été « remarquée » et non pas nos propositions d’action.
Nous vous invitons avec grand plaisir à venir voir par vous même le type d’actions que nous proposons auprès de publics variés (enfants de maternelle, primaire et collège, animateurs et acteurs de l’éducation, parents, élus…) plutôt que de nous juger sur une animation flash.
Il faudrait sans doute se pencher sur les conditions de production des enquêtes médiamétrie (s’appuyer dessus : quelle drôle d’idée pour une association d’éducation) : le plus ignoble dans cette télévision, c’est qu’il y a toujours quelque chose (enfin, c’est beaucoup dire) entre les publicités (la pub, comme la com et comme la prod : j’aime ça). C’est bien la première fois que je lis quelque chose d’intelligent de la part de Pascal Bruckner (tout arrive alors) (on devrait demander son avis à monseigneur lefevre-celui qui s’est fait couper les cheveux, et qui lit Voltaire dans le texte) (en même temps, il est quand même ministre) (c’est du propre) :°)) je blâââgue André…
Pour redevenir sérieux (j’y arrive pas), il faut quand même parvenir à vendre les « espaces » publicitaires, vous êtes marrant vous : 17 milliards de dollars (voilà un gros chiffre), est-ce que ça ne pourrait pas servir (un exemple au hasard) (mais pas tout) à développer un robot qui nettoierait en tout bien tout honneur les centrales Areva si chères à Bouygues et son pote nano1© petit commissionnaire de ce genre de procédé auprès de l’Inde, du Brésil et de la Chine ? Ce que j’en dis…
@Asso ic@re: Sur l’éducation populaire, on est parfaitement d’accord: le support qui accueille cette conversation, Culture Visuelle, a lui aussi été développé dans ce sens, et mes interventions ici ne sont pas moins bénévoles que les vôtres. C’est bien parce que l’éducation aux médias me paraît une thématique urgente dans le contexte scolaire que j’ai pris la peine de réagir.
J’ai lu avec attention votre enquête « Moi et les écrans« , citée ci-dessus, qui me paraît autrement plus intéressante que la compil « saga des médias ». Vous répliquez par une pirouette, en évitant de répondre sur le fond, mais il n’empêche que les données sélectionnées par cette présentation renforcent les préjugés anti-télé plutôt qu’elles ne la décrivent comme une ressource. Ce qui ressort de votre enquête « Moi et les écrans », c’est que les jeunes sont la tranche d’âge qui regarde le moins la télé de toute la population française (7h/semaine pour les 11-15 ans, contre 16h/sem. pour les 15-24 ans et jusqu’à 27h/sem. pour les 65 ans et plus, cf. Donnat, Les Pratiques culturelles des Français, 2009). Je regrette que cette information disparaisse dans votre animation, qui documente au contraire les traits de surconsommation. Il n’est nullement dans mes intentions de juger de l’ensemble de votre travail sur une animation Prezi, mais plus simplement de critiquer les présupposés de cette présentation. Si sa tonalité ne correspond pas à la démarche que vous revendiquez, faut-il en rendre le lecteur coupable, ou bien se demander si les informations sélectionnées la représentent correctement?
Les Simpson ne sont évidemment qu’un exemple, pour montrer que la télé peut offrir des contenus dignes d’intérêt (ce qui suggère à tout le moins qu’il peut y avoir une raison à sa consommation). Mais répondez-moi franchement: si vous aviez eu à construire une présentation consacrée à la pratique de la lecture, vous seriez-vous limité à une collection d’indications quantitatives ou psychopathologiques, ou n’auriez-vous pas évoqué aussi des contenus, des auteurs, des genres, des préférences? Ce que j’essaie de pointer ci-dessus, c’est la différence de traitement a priori des ressources, et le piège dans lequel vous tombez en écrivant par exemple «la surconsommation de télé peut entrainer (…) une réduction du temps passé à lire», alors que ce qui oppose les deux pratiques est moins la qualité du contenu que le fait que l’une est guidée, l’autre pas. Un enfant livré à lui-même dans une librairie ne serait pas moins exposé à des mauvais choix de contenu que lorsqu’il est seul face à la télé.
C’est ce message qui me paraît essentiel à transmettre à des enseignants: non pas d’éteindre la télé, mais bien d’accompagner les jeunes, dans cette pratique culturelle comme dans les autres. A la place de la citation de Bruckner, je vous propose donc: «La télévision n’exige du professeur qu’un acte de courage – mais il est surhumain -, c’est de l’allumer» 😉
@PCH: Pas moyen d’avoir une discussion sérieuse avec toi sur la télé! Mais puisque tu reviens sur la dimension économique, on pourrait aussi rappeler, lors de l’exercice de comparaison des pratiques culturelles, que la télévision reste le moins cher des loisirs culturels, ce qui n’explique pas tout, mais permet tout de même de mieux comprendre la place qu’elle occupe dans le paysage!
Je vois que ma critique a (partiellement) porté, et que la page d’ouverture où ne figurait que la citation de Bruckner s’orne désormais de points de vues multiples. Ont été conviés notamment Orson Welles, Albert Dupontel, Jean Guéhenno, Philippe Geluck, Patrick Le Lay ou Pierre Bourdieu – sans oublier l’ancien compère de Bruckner, le radiosophe Alain Finkielkraut. On ne peut pas dire que l’impression générale qui se dégage de ce collage soit beaucoup plus positive, mais au moins elle est plus variée…
De mon côté, en matière de références, je ne saurais trop conseiller le passionnant volume collectif Télévision: le moment expérimental, dirigé par Gilles Delavaud et Denis Maréchal, récemment paru aux éditions Apogée. Un ouvrage qui donne de l’air frais à l’histoire de la télé, et qui démontre que, comme d’habitude, les objets qui nous semblent les plus familiers sont ceux qu’on connait le moins…
« Si sa tonalité ne correspond pas à la démarche que vous revendiquez, faut-il en rendre le lecteur coupable, ou bien se demander si les informations sélectionnées la représentent correctement? »
Vous avez raison et là n’est pas notre intention. Nous voulons plutôt pointer du doigt qu’une pratique qui prend du temps et qui grandit au fil des âges ne doit pas être ignorée des éducateurs, d’où notre question en conclusion sur la place que nous devons accorder aux médias dans nos actions éducatives.
Sachez que ce débat ainsi que les autres qui ont eu lieu autour de ce premier épisode de « la saga… » vont contribuer à la faire évoluer pour qu’elle reflète mieux notre discours.
Concernant le parallèle entre livre et télé, il ne nous parait pas si évident que vous le soulignez. Même s’il y a effectivement de grandes similitudes, le facteur image entre en jeu. Mais peut-être les lectures que vous recommandez vont nous éclairer sur ce point.
Pour ma part,il m’apparait intéressant qu’une structure associative s’empare d’un sujet de société dans une démarche d’expertise citoyenne.
Il me parait pertinent d’envisager l’éducation aux médias par de nouveaux moyens de sensibilisation permettant de développer l’esprit critique et des moyens d’analyses à destination notamment des jeunes.
Il est clair qu’un clip de quelques minutes ne peut permettre une analyse de fonds. Il s’agit pour m’a part d’envisager cette compilation comme un support permettant de susciter le débat et d’aller plus en profondeur dans l’analyse de ce type de phénomène.
j’attends l’épisode 2.
« Ce ne sont visiblement pas les associations d’éducation aux médias qui vont l’aider à en sortir. »
Est-ce que vous constatez systématiquement ce type d’approche dans la pratique de l’éducation aux médias ?
En tout cas merci pour ce focus et cette réflexion sur le sujet.
@Asso ic@re: Le « facteur image »? Mais quand on lit l’Iliade, est-ce qu’on n’a pas aussi des images dans la tête? Est-ce si différent de regarder un film? Certes, dans un cas, les images sont imposées, dans l’autre librement choisies, mais on voit bien que le problème n’est pas « dans » l’image. Si vous regardez attentivement un film, vous vous rendrez compte que la plupart des messages émotionnels passent en réalité par l’illustration sonore. Comme la télé, l’image n’est ni bonne ni mauvaise en soi, il n’y a que des usages qui peuvent être sains ou pervers, utiles ou néfastes. Ce que je remarque, c’est que les jeunes ont justement, par leur apprentissage sauvage des médias audiovisuels, une culture de l’image beaucoup plus développée que leurs aînés, qui les immunise contre les effets les plus néfastes, qu’ils ont appris à identifier.
@Hugues Lefebvre: Non, c’est juste une vacherie. Je pense que c’est évidemment plutôt une bonne chose que ces associations existent (mêmes si certaines ont une conception assez orientée de la « paix éducative« ). Leur développement constitue un révélateur des lacunes de l’éducnat, qui s’avère incapable de remplir sa mission éducative dans le domaine des industries culturelles, et leur action ne peut que contribuer à améliorer un état des lieux dramatiquement insuffisant. Il n’en reste pas moins regrettable, étant donné le rôle qu’ont choisi de se donner ces associations, d’y rencontrer les préjugés qu’elles devraient en principe aider à combattre ou à relativiser (la télé, c’est mal; le livre, c’est bien).
« la télé, c’est mal; le livre, c’est bien » Il nous semble que vous généralisez le discours qui transpire de notre présentation aux travers de quelques lignes qui ne vous plaisent pas.
Encore une fois, nous cherchons bien là à appuyer que la télé tient une place importante dans notre société et questionnons donc la place qu’elle détient dans les actions éducatives (notre conclusion).
Vous dites que l’image n’a pas plus d’impact que ça sur le public et que les jeunes sont « immunisés contre les effets les plus néfastes ». Manifestement nous ne croisons pas le même public jeune.
Quand la télé devient responsable : http://www.curiosphere.tv/ et http://www.lesite.tv/ les sites de France Télévisions dédiés aux communautés éducatives, notamment en ce qui concerne l’éducation aux médias.
Il faut noter que nombreux sont les enseignants qui sont demandeurs de télévision, d’explications, d’activités et de programmes pédagogiques en lien avec la tv.
Des gens comme Eric Rohmer ont travaillé longtemps à la télé (comment ça s’appelait, ça déjà, « la télévision scolaire » ? c’est d’un has been) et que ce n’était pas plus mal. D’un autre temps probablement (mais c’est vrai que les profs que je peux rencontrer dans ma vie professionnelle, en tant que sociologue, sont tous très friands de télévision – mais pas vraiment celle des Simpsons et des écrans qui sont attachés – comme les virus sur les messages internet – pour ne rien dire d’autres parasites…)
A signaler le billet intéressant de Jean-Marc Proust, qui entreprend de décrire l’état de l’édition de la même manière que « la saga… » d’Icare rend compte de la télévision. Dans cette vision « au kilo », qui classe les auteurs par chiffre d’affaires, Marc Lévy (24 millions d’euros) est suivi par …Pierre Dukan (20 millions d’euros). L’immortel auteur de la « Méthode Dukan illustrée » (régime hyperprotéiné notamment mis en pratique par François Hollande) totalise avec ses différentes déclinaisons 1,8 millions d’exemplaires vendus l’an dernier, ce qui en fait le recordman toutes catégories de l’édition française 2010, loin devant Michel Houellebecq, qui n’arrive qu’en 16e position (après Stéphane Hessel, Marcel Camus, Molière et …Matt Groening). Observée sous cet angle quantitatif, on voit que la littérature ne résiste pas plus que la télé à l’aplatissement par le bulldozer du marché…
La télé ? Quelle télé ?
11 ans que nous n’en possédons plus. Nos 2 enfants et nous-mêmes ne nous en portons pas plus mal (c’est une litote) !
Une des caractéristiques des discussions sur la télé, c’est la pauvreté et le caractère répétitif des arguments, camouflée sous une belle assurance. Il y aussi plein de gens qui vivent très bien sans avoir jamais lu un livre. Qu’est-ce que ça prouve? Que la lecture ne sert à rien? Il s’agit en effet, comme la télé, d’un loisir. La seule vraie différence est que l’absence de lecture est un trait des classes populaires, qui est généralement dissimulé, alors que la privation de télé caractérise les classes supérieures, où il est de bon ton de la revendiquer. En clair, c’est un autre symptôme de la guerre des cultures, qui n’est en définitive rien d’autre qu’une guerre des classes.
Monsieur Gunthert,
votre position est intéressante, mais pourquoi ressemble t’elle autant à ce qu’on peut justement entendre à la télevision ? vous regardez la télévision, c’est bien car vous êtes du côté du peuple ; les autres critiquent beaucoup, mais nous savons tous qu’il s’agit d’une élite qui ne nous écoute pas. Buvez coca-cola.
Un des arguments qui me parais intéressant dans la comparaison des différents médias, c’est plutot : qui en a le controle ? Qui peut produire le contenu et qui décide quel contenu sera diffusé ?
Pour faire un film/programme télé, cela coute des millions, pas n’importe qui peut le faire, seule une certaine élite peut faire passer son message. De même que les personnes qui sélectionnent les programmes qui auront la chance de pouvoir passer a la télé, ils ont bien souvent qu’un objectif : faire du bénéfice, pour pouvoir vendre de la publicité, et s’en suis tout les défauts qu’on connais au « fric a tout prix ». Dans ces conditions, tout ce qui s’éloigne du rentable, non-nuisible au gouvernement (dans le cas de la tv publique), non-nuisible au capitalisme (pour la privée) a peu de chance d’y passer. C’est ca qu’on appel le formatage de la télévision.
Un autre point important est que vu le nombre de gens qu’on touche en même temps lorsque que l’on diffuse quelque chose, on a d’emblée une sorte de responsabilité par rapport au contenu. Tentative maladroite d’exemple : dire que le président a fraudé pour être élu, a 20h sur tf1, et boum, c’est le pays entier qui tombe sur le patron de la chaine « comment osez vous ?! ». Dire ca dans un livre obscur ou sur un blog perdu, et on dira juste « celui qui a dit ca est con ».
Si on compare au livre, il y a un million de fois plus d’auteurs qui s’expriment, des millions de maisons d’édition, chacune spécialisée dans sa niche, de même que les variétés de librairies sont énormes. C’est de véritables écosystèmes qui se développent.
Mais publier un livre, ca coute encore de l’argent, c’est risqué. Publier un blog, c’est a la portée du premier venu. C’est sur le net qu’on peut trouver les informations les plus subversives, c’est la que la créativité explose et produit des millions de nouvelles choses a chaque instants (choses bonnes ou mauvaises, c’est un autre débat, cf « laisser tout le monde publier nous noie dans la médiocrité » (je ne suis pas d’accord))
Voila pourquoi je pense que les livres et internet sont bien mieux que la télévision.
PS: oui, les technologies évoluant, il y a de plus en plus de chaines et il est de plus en plus facile et peu cher de s’exprimer a la tv, mais finalement, c’est sur youtube and co que finissent les vidéos des nouveaux créateurs de contenu audiovisuels.
C’est malin !
J’avais presque réussi à convaincre ma femme de balancer notre télévision à la poubelle et la lecture de votre billet parvient à me convaincre du contraire. Vos arguments et deux soirées télé devant les Simpsons pèsent lourds.
En y réfléchissant, la chose qui me plaît avec la culture télévisuelle, c’est qu’elle constitue un plus petit dénominateur commun. Les gens de ma génération se souviennent tous ou presque des sketches des Inconnus. C’est sans doute médiocre mais ça constitue une base sur laquelle nous pouvons nous rencontrer, et entretenir à peu de frais des conversations bonhommes et dépassionnées qu’interdisent, par exemple, l’abord de sujets aussi polémiques que le football ou la vie sexuelle.
Ou la télévision.
@Chap, Fred: Je n’appartiens pas aux classes populaires, mais aux classes supérieures. Et moi non plus, je n’aime pas beaucoup le foot, ni la télé-réalité. Mais je ne pratique pas la guerre des cultures, et je sais faire la différence entre mes goûts individuels et le jugement global porté sur un média. Déguster un met raffiné dans un grand restaurant ne m’empêche pas de savoir apprécier un hareng pommes à l’huile au bord de la nationale 7. Tout est affaire de moment, de contexte et de compagnie, et ce dont je suis sûr, c’est que je m’ennuierais énormément si je devais dîner tous les soirs au Grand Véfour (pour ne rien dire de ma ligne).
Dire que le livre ou internet, c’est mieux que la télé suppose: soit d’avoir lu tous les livres, vu tous les programmes, surfé sur tous les sites, soit de faire confiance au préjugé qui est le seul moyen pour trancher. Autrement dit, ces jugements globaux ne font que refléter nos préjugés culturels, et dévoilent l’étendue de notre inculture dans l’un ou l’autre domaine (car dès que l’on connaît mieux un média, on s’aperçoit que c’est plus compliqué). Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a DES livres, DES sites, mais aussi DES programmes télé intéressants. Pour ma part, tout ce que je demande, c’est qu’on fasse preuve d’un peu plus d’objectivité dans la façon d’envisager nos pratiques culturelles. Ensuite, des goûts et des couleurs, c’est comme la religion, chacun a les siens. La loi de 1905, qui nous enjoint: 1) de respecter les options des autres et 2) de ne pas imposer celle d’un groupe à tous les autres, n’est pas un mauvais point de départ pour réfléchir aux moyens d’encourager la tolérance en matière culturelle.
Quant à la pub, je crois qu’il ne faut pas se tromper de combat. Non seulement nos loisirs et nos pratiques culturelles n’existeraient pas sans le marché, mais elles sont un marché, qui est devenu l’une des principales industries du monde développé. On peut le regretter, mais la télé n’est pas le seul véhicule de la communication commerciale, et je ne crois pas que faire comme si elle n’existait pas soit une façon très efficace ni très citoyenne de résister à l’envahissement. Il vaut mieux utiliser son bulletin de vote, son porte-monnaie, ou militer pour imposer de meilleures régulations.
@André Rebaz: Désolé! Mais vous avez raison: la télé a pour propriété remarquable de produire du lien et du partage, autrement dit …de créer de la culture (qui désigne les pratiques communes reconnues au sein d’un groupe). Comme pour n’importe quel autre média, on peut commencer à en avoir un usage intelligent quand on a compris ce qu’il peut apporter, sans lui demander ce qu’il ne sait ni ne peut faire.
Bonsoir,
un peu hors sujet, mais savez vous combien de temps il a fallu pour que le taux INTERNET d’équipement des foyers passe de 1 à 75% ? (s’il les a atteint et sinon ce qu’une projection simpl(iste)e donnerait).
Cordialement,
@Le Brad: Selon l’INSEE, la proportion de ménages français disposant d’un accès Internet est passée de 12% à 64% entre 2000 et 2010. Le taux d’équipement, manifestement optimiste, cité par Icare concerne les USA. Compte tenu de la difficulté d’établir ce type d’évaluation, les comparaisons entre technologies sont très discutables. On notera également que l’histoire de l’installation de la télé aux USA est tout à fait spécifique (les Etats-Unis sont un des rares pays à n’avoir pas eu de chaîne publique), et que le rythme d’équipement des pays européens a été beaucoup plus lent.
Débat intéressant. En soif de synonymes, on mélange l’objet TV, les programmes TV, et le moniteur TV (console, DVD, HDD…).
Pour ma part, j’ai renoncé aux programme TV. Bien sûr, il existe des programmes intéressants, mais ils sont trop peu nombreux et trop fragmentés pour moi. Je n’impose à personne de faire la même chose, c’est ma réponse à un problème personnel. Je suis bon public, les programmes TV me captivent trop facilement et je regarde alors des émissions que je trouve débiles. Donc, pas de décodeur TNT ni satellite, et le tour est joué.
Je conserve l’objet TV que j’adore : j’y regarde des films, j’y passe mes photos et je joue à la console de jeux. Du coup, je choisis ce que contient cette boite luminescente et je me sens mieux en contrôle, plus en rythme que devant la foison de programmes et de publicités.
Je suis aussi un assez gros lecteur, je ne peux pas me passer de lire. C’est un autre plaisir, et quand je n’ai pas envie de lire, je peux jouer ou regarder un film. C’est un autre pan de la même culture, et pas une culture alternative ou antinomique.
En revanche, entre l’image et l’écrit, il me semble que la densité de l’information est très différente. L’image peut suggérer ou informer très vite, de façon relativement floue. L’écrit est plus laborieux, mais peut se révéler très complet. J’en prends pour exemple une série de Arte sur la théorie quantique, qui était inspiré d’un livre (et dont je n’ai pas ici le nom). J’ai regardé le documentaire (en plusieurs parties, assez complet), puis j’ai lu le livre. Pour un temps d’occupation assez comparable, la masse d’informations, le niveau de détail extrait du livre était infiniment supérieure à l’étendue des notions présentées dans le documentaire.
Je ne fais pas état ici de question de qualité, de pertinence, ou d’un quelconque jugement de valeur : il m’apparait simplement qu’à investissement de temps égal, le livre soit en mesure de fournir plus de contenu, possède une plus forte densité d’information, que l’image télévisée.
@Simon: Vous avez raison de voir les pratiques de loisir dans leur articulation, mais votre comparaison de la « densité d’information » de l’image et de l’écrit n’est qu’une version plus sophistiquée du préjugé selon lequel le livre, c’est mieux que la télé. Elle me fait penser à celle proposée par Antoine Gallimard entre un volume Pléïade et un message sur Twitter sur la base du nombre de signes, sans tenir aucun compte des spécificités du réseau social. Je n’ai pas vu ce documentaire, basé sur un livre, et il est possible que l’apport de l’image soit faible dans le cas de la théorie quantique. Mais avec quelle balance allez-vous peser le poids des images du 11 septembre ou du tsunami japonais? Quelle est la valeur en « densité d’information » de l’émotion du direct? Comment mesurer celle d’un film ou d’un événement sportif partagé en famille ou avec des amis? A la télé, même le vide ou le bruit peuvent avoir du sens, comme par exemple lors de l’événement partagé que fut le 11 septembre, où la télé s’est transformée pendant une journée en une sorte d’église vouée au travail du deuil.
@André : je parlais précisément d’information, et non d’émotion. L’image possède un impact que l’écrit permet moins, l’écrit permet un luxe de détail que l’image permet moins.
Je vous rejoins tout à fait sur la nécessité de ne pas hiérarchiser ces deux médias, mais on peut un peu les décortiquer pour distinguer ce qu’ils ont de différents, ce que leur nature permet de véhiculer ou non.
L’émotion est-elle une information ? Pas tout à fait : c’est la réaction (humaine) à une information.
Le 11 septembre ou le tsunami récent au Japon ont une très forte charge émotionnelle que l’écrit n’aurait pas permis. Cependant, pour l’information (les détails, les enchainements, les précisions, les enquêtes, les caractéristiques des évènements), c’est l’écrit qui prend généralement le relais. Une abondante littérature sur le 9/11 le prouve amplement – la redite des images des avions s’encastrant dans les tours ne suffit pas à répondre au besoin de comprendre, même si elle renouvelle l’émotion.
Le documentaire est l’objet cinématographique ou télévisuel qui se rapproche le mieux d’une espèce de symbiose de ces deux médias : une narration littéraire, écrite, préparée, supportée par un choix d’image en illustration.
Encore une fois, loin de moi l’idée de les hiérarchiser ; j’essaie d’en préciser les différences (inutilement, peut-être) – alors pour équilibrer mon propos, si l’écrit se démarque sur le terrain de l’information pure, l’image se distingue sur le thème de l’émotion pure.
Les commentaires sont fermés.