Petits déplacements du spectacle

Si j’essaie de reconstituer le fil, il y a eu d’abord le billet de Jean-No. Début avril 2013, je note la diffusion prochaine de la série Real Humans sur Arte, dont j’ai été informé par des affiches et une mention à la radio. Un feuilleton de SF est devenu un phénomène assez rare pour attirer l’attention, et le debriefing du Dernier blog me confirme dans l’idée qu’il s’agit d’une œuvre à voir. Je la range mentalement sur la liste de mes must-see.

Malheureusement, la série est diffusée le jeudi, jour de séminaire, qui finit un peu trop tard pour que je sois assuré de ne pas manquer le début. Lors de la diffusion du premier groupe d’épisodes, je rate la moitié, et suis déjà sûr de manquer le deuxième rendez-vous, à cause d’un colloque à Pavie.

Qu’à cela ne tienne. Jean-No indiquait dans son billet que le DVD sortait de façon simultanée. Et Pavie est une destination qui, par avion ou par train, impose des changements qui allongent le voyage. Je choisis le train, bonne occasion de visionner tranquillement les 3 épisodes manqués.

Peu avant le départ, je fais un saut à la FNAC de la gare de Lyon. Le voyage, qui impose la déconnection, me donne une bonne excuse pour déambuler dans les kiosques ou les librairies et faire l’emplette de quelques distractions sur support physique (je me dis d’ailleurs qu’on devrait pouvoir acheter au dernier moment des contenus sur clé USB, l’obligation de télécharger un film au préalable n’étant pas vraiment pratique…).

Je trouve le DVD de Real Humans (qui s’avèrera finalement assez décevant, le principal intérêt de la série résidant dans la contrainte absurde des robots de se connecter à tout bout de champ à une prise de courant pour recharger leurs batteries…). Et à côté, je vois la saison un de Games of Thrones. Je ne suis pas abonné à Canal +, et je suis resté jusque là insensible à la promotion du feuilleton. A l’exception d’un billet décisif de Daniel Bonvoisin sur Culture Visuelle, qui analyse habilement le générique de la série, et qui a suffi à déclencher le catalogage comme must-see. L’aller-retour me semble suffisamment long pour justifier l’achat de ce second opus, qui m’évitera la tentation de prendre de l’avance sur les épisodes de Real Humans diffusés sur Arte.

Jean-No, Culture Visuelle, premiers prescripteurs… Non que je ne sois exposé de loin en loin aux comptes rendus de Libé, du Monde, de Télérama ou des Inrocks, au gré des signalements des réseaux sociaux. Mais la dynamique de mes choix culturels a clairement changé, et dépend désormais plus de la recommandation de mes contacts ou des blogs que du jugement des critiques. Mon univers s’est reconfiguré autour de Facebook et de Twitter, qui réunit l’essentiel des gens dont l’avis compte pour moi. Il est parfaitement logique que ce soit à présent ma timeline qui gouverne mes appétits culturels.

Walter Scott, Ivanhoé, page de garde de la 1e édition française, 1874.

A peine assis dans le train, je lance le premier disque de GoT sur mon portable, parfaitement isolé du monde extérieur par mon casque audio. Je suis si fasciné par le déroulement de l’épisode que je ne m’aperçois pas que je me suis trompé de TGV. Il me faudra descendre jusqu’à Aix-Marseille puis remonter à Lyon via Avignon pour retrouver la ligne de Milan. Autant dire qu’une bonne moitié de la série a été consommée lorsque j’arrive à destination.

Games of Thrones fournit la confirmation éclatante que les ressorts de la narration qui alimentaient autrefois le cinéma sont définitivement passés du côté du petit écran. Alors que Hollywood peine à retrouver la veine du récit populaire, le format long du feuilleton permet de ciseler le dessin des personnages et la qualité des péripéties, outils structurels de l’intrigue classique. L’adaptation de la saga de George R.R. Martin retrouve ainsi le dynamisme du roman d’aventures, avec un lyrisme et un goût des rebondissements directement inspirés de Walter Scott.

Par SMS et Skype, je partage mon enthousiasme avec ma famille et annonce la mise au programme du feuilleton. Quoique j’aie entièrement visionné la saison un avant mon retour chez moi, nous regardons à nouveau tous ensemble les aventures des maisons Stark, Lannister,  Barathéon et Targaryen, le vendredi soir, à raison de deux épisodes par session. La saison deux suivra dans la foulée, elle aussi sur DVD.

Les enfants poursuivront seuls le visionnage de la troisième saison, non encore disponible en France, par des moyens dont je me dois d’ignorer l’existence (GoT passe pour être la série la plus piratée au monde). Je ne suis pas très content de cette rupture du contrat familial, mais après tout, j’ai regardé seul la première saison. A présent, je zigzague pour éviter les spoilers, en me demandant jusqu’à quand je supporterai de patienter. A vue de nez, pas jusqu’à la sortie officielle, prévue en février 2014.

Même cette impatience est nouvelle. Car j’ai dans l’intervalle rompu le contrat télévisuel. Games of Thrones est la première série que j’ai découvert intégralement en dehors d’une diffusion de flux. On dira que ce n’était pas trop tôt. Mais voilà, j’avais 11 ans quand on a lancé la troisième chaîne, et ma vie télévisuelle a été marquée du sceau de la dépendance hertzienne.

Je sens bien que c’est un tournant. Même si mon visionnage, après une première expérience anarchique et boulimique, a été réordonné sur un rythme télé-analogique, la différence avec une diffusion proprement dite est essentielle. J’ai pris connaissance de la saga avec la liberté de l’enregistrement, comme une œuvre patrimoniale. Alors que je ne regarde plus guère la télé que pour les infos et les séries, l’autonomisation de ma consommation a fait de mon écran un simple espace de projection, sans le cordon ombilical d’une programmation, d’une décision externe imposée.

C’est le caractère hyper-narratif de GoT qui m’y rend attentif: j’ai conscience d’avoir pleinement éprouvé la consultation alternative qui s’impose aujourd’hui comme le nouveau modèle de consommation culturelle. A se demander s’il faut encore parler de séries télé pour des formes qui deviennent de plus en plus autonomes, et qui circulent sous forme de fichiers, par divers canaux électroniques, au point que leur diffusion hertzienne n’est plus que l’un des relais d’une accessibilité générique. Comme le codex illustré acquis par livraison du XIXe siècle, formule gagnante de la diffusion populaire du roman, l’ubiquité électronique est le principal ressort de l’appropriation d’un contenu dont les caractères sont appelés à devenir des normes.

Qu’est-ce que ça change? Tout et rien. Voir une série télé sans la télé, c’est comme lire de la BD sur internet, ou voir un film sur YouTube, c’est modifier profondément l’expérience d’un type de récit jusque là étroitement lié à son médium. La série télé avait le caractère formel du rendez-vous public. Sa consultation désynchronisée fait rentrer l’œuvre dans un continuum plus intime. Curieusement, ce déplacement n’en altère pas le partage. Autour de nous, nous sentons bien que nous sommes synchrones avec la consommation de la saga. Mais il faut tenir compte de la personnalisation du rythme, prendre la précaution de s’enquérir auprès de son interlocuteur du niveau atteint, comme dans un jeu vidéo.

Quelque part, l’idée qui s’insinue est celle de la fin du cinéma – ou du moins de sa forme la plus courante au XXe siècle: celle de sa consommation simultanée, publique et théâtrale, largement prolongée par la diffusion hertzienne. Le récit visuel ubiquitaire du feuilleton reprend la place familière qui était celle du roman, si confortable par sa disponibilité individuelle en tout lieu, au moment choisi. Trois mois plus tard, on déplaçait la télé. L’écran qui avait toujours trôné au milieu du salon a été mis au coin – un emplacement plus en rapport avec sa portée définitivement amoindrie.

17 réflexions au sujet de « Petits déplacements du spectacle »

  1. Ah ou, pour les petits déplacements en province dans la navette Marseille-Aix on a wifi gratuit… bien pour visionner ce qu’on veut. Mais c’est un peu court. Je fais alors mon courrier ou mes itinéraires. Un truc qui se nomme Gowex (non je fais pas de pub mais c’est intéressant comme initiative. De là à venir plus tôt à la gare pour télécharger mon émission.
    A Genève aussi j’ai wifi gratuit au parc en face mais ya pas de tablette comme dans le car et je dois me mettre sur le goudron et jucher mon pc sur le banc en granit.
    Plus loin sur l’esplanade en face du musée d’art et d’histoire* (jusqu’à peu, le plus cher en Europe en terme de subventions pour le moins de visiteurs, audit à l’appui, ouais chez moi ya plein de trucs comme ça), il y a des tables et aussi le wifi gratuit. Là c’est bien mais le soir c’est un peu inquiétant. j’adore aller les soirs d’été surfer au parc juste avant la nuit noire.
    La sf faudra que je m’y mette, moi je vivais la sf en fac, et ça me prenait tout mon temps.
    Maintenant je prépare mon départ pour Roma 3, autour de Stalker http://www.spatialagency.net/database/stalkerosservatorio.nomade

    Je me demande comment l’image est utilisée là, avec les populations par exemple Je reprendrai mon blog sur CV pour décrire. A noter que on peut rentrer dans ce cursus même sans diplôme, comme auditeur actif. C’est vraiment bien la formation, les blogs ouverts, etc. et les moocs on peut valider après en VAE et contourner quelques aliens.
    Après j’irai finir mon master je ne sais où. Merci bien pour tous ceux de CV, c’était trop super…. les discussions en ligne avec des profs que je ne connaissais pas et ceux que je connaissais ne disaient pas un mot, c’est bizarre, des profs muets, venus d’ailleurs peut-être, on ne sait pas.

    Bon été à tous et encore merci
    Brigitte

    *En plus on peut pas même acheter une carte postale (2013) de « La Pêche miraculeuse » de Konrad Witz, un joyau de la peinture occidentale, un des premiers paysage reconnaissable en occident. Soit il faut acheter un pack de carte, soit rien. Avant on pouvait acheter à la librairie qui a déserté un bouquin pas mal sur la notion de point de vue en art: « La Pêche miraculeuse de Konrad Witz. Visions dynamiques des peintures du retable de Genève » de Robert Mougenel (doctorant à Paris 1 je crois), Editions Notari, Genève, 2011

  2. Ah oui, les liens ça marche bien maintenant sur les commentaires de CV mais si on veut corriger une faute d’inattention comme sur le site internet de l’Open University où l’on peut corriger ses posts sur les forums pendant une demi-heure après la publication. On me dira que je n’ai qu’à préparer ma contribution ailleurs, sur un fichier texte et le coller ici. Mais l’excitation tombe quand je ne suis pas en ligne. Je ne sais pas si c’est de l’addiction à CV et autre blog! Remarquez je ne suis pas toujours d’accord, donc ça doit aller encore ! Bon été à tous. Ah oui et là je ferme mes fenêtres malgré l’été, des addicts sf de la voiture klaxonne devant le parking rien va assez vite, quoi. Il faut sortir…. débrancher, aller voir des images et autre, prendre le train pour Bologne, Berlin, Jena et retour et trouver des Stolpersteine que je vais prendre en photo pour mon mémoire. Aussi un truc de dissémination grâce aux images entre autre, je sens que certains seront furieux, mais bon. En marche avec Stalker.

  3. « Games of Thrones est la première série que j’ai découvert intégralement en dehors d’une diffusion de flux. »

    Amusant. Pour moi – 30 ans, urbain, classe moyenne intellectuelle – la télévision n’existe en réalité plus depuis que j’ai quitté la maison familiale après le bac. Or, le bac, c’était en 2000 : on avait bien Internet mais la version avec modem qui fait tut-tut-frhrhfhrf et qu’on ne met en route qu’après avoir écrit son mail sur Word pour économiser le forfait.

    Pour moi – et pas mal de personnes de ma génération, en tout cas dans mon milieu – la télévision est donc un outil de vieux, qui sert à regarder Nestor Burma dans le meilleur des cas, Julie Lescaut dans le pire. Depuis 15 ans maintenant, toutes nos découvertes, mille fois plus enrichissantes que tout ce qu’on voulait bien nous montrer à la télévision, c’est sur Internet qu’on les a faites.

    Et la question ne se pose même pas de savoir si cela passe à la télévision (française) car la télévision pour nous n’existe même plus. Une série, c’est issu d’une chaîne américaine, anglaise, danoise ou néerlandaise et ça se télécharge. Ce n’est ni bien ni mal, c’est comme ça. Il paraît que des DVD existent oui, mais cela nous paraît tellement bizarre d’acheter un support physique qu’on n’a pas la place de stocker dans un appartement parisien… De toute façon, le portable sur lequel je travaille n’a pas de lecteur de DVD – support déjà obsolète.

    Pas de conclusion à ce témoignage sans grand intérêt, juste l’étonnement que quelques années d’écarts entraînent de si grandes différences dans les usages. Et le sentiment que les gérontes qui nous gouvernent ne chercheront jamais à comprendre ces différences, ni que c’est leur médiocrité qui nous a chassé de leurs pratiques.

  4. Hier je suis allé voir Le Congrès d’Ari Folman, parce que deux amis sur Twitter me disaient que c’était pour moi, et sans m’en dire un bien fou, d’ailleurs, mais oui, la prescription n’est plus ce qu’elle a été, et la manière d’expérimenter les œuvres aussi. Hier, on discutait de la « super télé » promise il y a vingt ans : le satellite, avec ses centaines de chaînes, où l’on ne fait plus que zapper à la recherche éperdue d’un programme intéressant que l’on ne prend pas au milieu (je n’ai pas le satellite ni le câble mais j’ai connu cette expérience), et qui semble ringard au possible à l’ère d’Internet, où les émissions se visionnent souvent en différé. Ce qui est intéressant c’est qu’un des principes des médias de masse n’a pas changé : on aime toujours être en phase avec son prochain sur des émotions, des personnages, des récits, mais sans ressentir le besoin d’être synchrones, tous devant le même poste au même moment, situation qui est visiblement en train de se raréfier. Du coup effectivement on revient à Walter Scott, Eugène Süe, Alexandre Dumas, etc.

  5. Oui, ce sont d’autres temporalités, plus fines, plein de micro-temporalités plus ou moins asynchrones mais reliées plutôt qu’un gros bain temporel dans lequel on baigne ou pas, un trajet (plus complexe, du coup ?) fait de continuités discrètes, et plus la grosse bertha.

  6. @ Un témoignage: « la télévision est donc un outil de vieux » C’est incontestable, et attesté par les statistiques! En vertu de quoi, on ne peut pas non plus vous féliciter pour vos pratiques, bien dans votre tranche d’âge… 😉 La télé a cessé aussi d’exister pour moi après mon départ de la maison parentale, et pendant toute la (longue) période de ma vie étudiante. La vie, malheureusement, ne s’arrête pas à 30 ans, et la télé a réapparu ensuite, en liaison avec la constitution d’une nouvelle cellule familiale…

    Je suis toutefois bien d’accord que ma génération a intégré une forme de dépendance à la programmation dont le témoignage ci-dessus atteste du poids, puisqu’il m’a fallu tout un réseau de circonstances pour passer à une consommation plus ouverte de contenus que j’avais été habitué à ne pas choisir. Cette pratique n’a de valeur que par opposition à l’état antérieur de l’offre audiovisuelle, car elle n’a pas de caractère de nouveauté en soi, et rejoint les modes de consommation qui étaient depuis bien longtemps ceux de l’offre littéraire.

    La télé retrouve d’ailleurs très vite son rôle d’outil social, dès qu’un traumatisme collectif surgit, comme hier la catastrophe de Bretigny-sur-Orge… Si la portée de la télé s’amoindrit, celle-ci n’en gardera pas moins quelques irremplaçables fonctions, dont celle de cérémonie collective, désormais augmentée de livetweet…

    @ Jean-No: Que ce soit par la multiplication des canaux ou par l’autonomisation des consommations, nous nous éloignons manifestement d’un état « synchrone » de la société, qui a probablement connu son apogée dans l’immédiat après-guerre, avec les médias de masse ou la publicité de masse. Il est cela dit assez frappant de constater que la société atomisée de la « karaoké culture » peut, par exemple avec Gangnam Style, produire de brefs instants de communion universelle…

  7. Merci pour votre article, même s’il étouffe dans l’oeuf la fastidieuse mise en forme de réflexions que je me faisais sur le même thème, quoique peut-être de manière moins objective, ayant, justement, plongé tête la première dans ces pratiques sur lesquelles vous jetez un voile pudique dans votre texte, y compris pour ma thèse.

    C’est sur ce thème que je souhaiterais revenir, ayant tiqué sur cette phrase dans l’article.

    Alors que le Septieme art garde quelques atouts en sa faveur grâce à la surenchère technique et qualitative offerte (pour combien de temps encore ?) par la salle de cinéma, il semblerait que, pour la télévision, le profil présenté par notre témoin anonyme, dans lequel je me reconnais par ailleurs entièrement, soit de moins en moins marginal. Ces comportements alimentent un samizdat sur lequel vous choisissez, à vous lire, de jeter un voile pudique, nourrissant une demande à laquelle s’intéresse enfin l’offre légale, si j’en juge par le projet de chaîne Canal + intégralement dédiée aux séries, qui doit être lancée en septembre, avec une grille « en direct des USA » avec un délai de quelques dizaines d’heures en version originale avec ou sans sous-titres en cas de retard de production.

    Par ce « robinet à séries » (P. Langeais, Télérama), je me demande si on n’assiste pas sinon à l’apogée d’un processus, ou du moins à une forme d’institutionnalisation par une « grande » chaîne de télévision (certes à abonnement, mais Canal+ ) de pratiques déjà nourries par OCS (US+24) et les offres VOD des principales Box ADSL (MyTF1 et M6 proposent ainsi depuis assez longtemps cette possibilité pour les séries appartenant aux grilles respectives de leurs maisons-mères.)

    Il me semble, en effet, que ce lancement est dans la droite logique qu’un mécanisme de démocratisation, ou du moins de dé-ghettoisation des communautés de sériesmaniaques, et de ces pratiques certes légalement douteuses. J’ai connu l’époque où il fallait connaître (voire faire partie de, ce qui revenait bien souvent au même) les quelques communautées de fansubbers (Forom, pour ne citer qu’elle) selon la série que l’on suivait, pour se retrouver avec des sous-titres et des traductions à la qualité et l’orthographe hasardeuse. Par la suite, on a assisté à un mouvement de démocratisation en deux temps, d’abord avec l’apparition de sites à l’interface beaucoup plus ergonomique et beaucoup plus simple tant dans la compréhension du principe (mise en relation d’une version de sous titres et d’une « release » du ou des épisodes concernés). Par la suite, avec l’apparition de sites contributifs d’obédience wikipédiesque, à l’instar d’Addic7ed, par exemple, la traduction est sortie du simple cercle fermé de la « Team », virtuellement n’importe quel abonné du site pouvant proposer ses services pour la traduction dans plusieurs langues de transcriptions VO déjà synchronisées à une release. Dernier acte, me semble t-il, la création de Maxime Vallette : BétaSéries, qui est une sorte de facebook de la série télévisée, sur lequel les membres peuvent se constituer des plannings de visionnages, partager lesdits plannings, et interagir avec les autres membres de la communauté. (A noter que les sous titres et liens semblent s’échanger également sur Betaséries).

    Pour autant, j’avais l’impression qu’une part de cette pratique se nourrissait d’une forme de militantisme anti-commercial, et une forme de bravade aussi face à l’interdit de la légalité (bien qu’il faudrait nuancer, la connaissance des arcanes du droit d’auteur étant à géométrie très variable dans ces communautés). Par conséquent, combien des « mordus » de ces communautés seront-ils prêts à jouer le jeu d’une offre légale cherchant à les détourner de leurs pâturages médiatiques illicites ?

  8. @ Yannick Pourpour: Merci pour ces indications, dont la complexité montre qu’il s’agit d’un sujet en soi. Il m’a paru préférable de distinguer dans ce relevé la question de l’autonomisation de la consommation de celle du piratage. Je renvoie à cet autre billet pour une description complémentaire: http://culturevisuelle.org/icones/2329

    Une récente étude norvégienne suggère que le piratage est essentiellement une réponse temporaire à une offre insuffisante: http://www.presse-citron.net/le-piratage-est-mort

    « La conception du piratage est fondamentalement erronée. Le piratage est presque toujours un problème de service et non un problème de prix.
    Nous sommes complètement immergés dans l’ère Internet avec un accès immédiat à l’information. Si je veux visionner le final de Game of Thrones (et que je n’ai pas d’abonnement au bouquet OCS), je ne vais pas attendre des mois son arrivée en VOD ou -bien pire- Mars 2014 pour une sortie en DVD (oui, oui… il faut encore patienter 8-9 mois avant la sortie DVD). Très honnêtement, le téléchargement et le streaming seront mes choix… pas parce qu’ils sont gratuits, mais parce qu’ils sont plus pratiques.
    L’exemple norvégien prouve donc (si cela était encore nécessaire) que si de bonnes alternatives payantes apparaissent, le piratage recule de manière impressionnante. »

  9. Une idée importante : les recommandations et critiques proviennent de son réseau et non plus de la critique pro. Un commentateur a une remarque trés fine: « deux amis sur Twitter me disaient que c’était pour moi, et sans m’en dire un bien fou, d’ailleurs, mais oui, la prescription n’est plus ce qu’elle a été.. ». Le « c’est pour toi » est bien une marque de l’humeur contemporaine. Le fait que l’on ne sache plus non plus définir en quoi un film ou une série est de bonne qualité mais qu’il faille, must see comme vous dites horriblement, la voir est une chose nouvelle.
    Une observation, hors-sujet peut-être : c’est le triomphe de la série B qui est ici mis en avant. Des intrigues pour adolescents cousues de fil blanc, un tournage hyper-académique, des acteurs qui surjouent dans le moyen. Les sous-cultures font le spectacle. Déplacement oui.

  10. « must see comme vous dites horriblement » Je n’aime pas ceux qui font une allergie de principe aux expressions anglaises, posture dont l’idéologie me paraît personnellement bien plus affreuse qu’un son étranger. Comme les formes culturelles, les mots circulent, avec l’empreinte de leur origine, j’aime ce cosmopolitisme autant qu’un made in Brasil sur une bouteille de cachaça. « Must-see » est une expression typique d’une culture qui a accepté sa dimension visuelle, ce n’est pas pour rien qu’elle est anglaise, et c’est en vain qu’on lui chercherait un équivalent français. Au pays de la Société du spectacle et du quotidien qui a le plus longtemps refusé les images, un « détourne les yeux » ferait plus terroir…

    « Le fait que l’on ne sache plus non plus définir en quoi un film ou une série est de bonne qualité » va évidemment de pair avec la fin de l’autorité des critiques, qui étaient chargés de définir les critères (essentiellement formalistes) de cette qualité standard… Comme on peut le voir à votre vocabulaire très hiérarchique (série B, intrigues pour adolescents, etc…), les structures de la Distinction restent néanmoins bien implantées dans certains esprits… 😉

    Le plaisir qu’apporte GoT est essentiellement lié à la narration et à l’intrigue. Dans l’histoire de la littérature, ce goût est en effet plutôt associé à des auteurs « série B »: Walter Scott, Alexandre Dumas, E. R. Burroughs…, dont j’ai personnellement toujours adoré le romanesque très aristotélicien… Ces retrouvailles avec la fiction me paraissent un choix plutôt intéressant à un moment où les blockbusters ne reposent plus que sur l’épate des effets spéciaux.

  11. en terme de distinction il peut être aussi intéressant de s’intéresser à la gestion et à la sociologie de la culture.
    En effet je viens de lire des remarques intéressantes dans un MA de gestion de la culture fait au CNAM (en économie sociale et solidaire, ceci justement pour sortir des présupposés et des déterminations en vogue dans les formations culturelles.
    Ce travail de diplôme pointe justement l’organisation de la culture en France qui imprègne de l’intérieur nos vues sur celle-ci tout autant que les contenus de nos formations, la diffusion, l’accès ou non à tels ou tels contenus ou pratiques. Sans parler du reste, ce serait si long, un travail de MA au moins, justement!

    Je garde mes références sous le manteau car… comment pointer sur ces données au niveau académique et dans l’art et la culture puisqu’elles viennent du CNAM, ah !
    Je suis intéressée d’ailleurs de dire, à quel point, dans mon expérience d’étudiante, on désactive la portée critique de certains auteurs. On ressasse des savoirs jusqu’à leur ôter toute résonance. Je pensais même qu’on les émascule pour être franche. Ceci sous prétexte de scientificité. J’en reste toute étonnée encore. Lire Rancière, Debord et autre et réussir en faire une sorte de mix sans saveur. On me dit en gros, et si j’ai bien compris si jamais mon cerveau ressemblait à un petit pois (mettons donc cela au conditionnel) que je comprenais rien pas et que je devrais plutôt prendre le large.
    Bon, je devrais justement partir pour l’université de Rome 3 en archi début 14. Le Pr Careri du groupe Stalker me redonnera, je pense, le goût de faire ‘bouger les lignes’, oui, ça encore une tarte à la crème de la culture pour noyer le poisson déjà affaibli…
    Il me semble que quelques professeurs travaillent d’une manière moins édulcorées que d’autres. Mais quelle lutte pour tenter de former ses phrase contre ces déterminations et les distinctions dans lesquelles certains se lovent. Une vraie lutte.

  12. @ВД Cela se nomme, je crois, en politique culturelle et pour faire court:

    1. La démocratisation de la culture, héritée de l’ère Malraux. En gros faire monter ‘ceux d’en bas’ vers la ‘haute’ culture.
    2. La démocratie culturelle, qui semble peu vous plaire (je ne sait pas si j’interprète abusivement) et qui est de reconnaître toutes les expressions culturelles, et les considérer comme telles, sans jugement de valeur hérités dans les conditions décrites par A. Gunthert ici.
    Et là c’est toute la bataille qui se joue autour des médiations, de l’histoire des arts, etc. et j’en oublie, car de toute manière il n’y a pas d’argent dans les caisses.

    Enfin si je comprends bien, c’est de cela dont il est question, c’est vraiment intéressant, cela nourrit mes réflexions – et avec d’excellents exemples – au-delà de mes propres expériences.
    Je connais un Dr en cinéma qui parle aussi comme ça, ce qui fait d’ailleurs que depuis longtemps et malgré mon manque de diplôme, je doute de l’aspect scientifique de son approche. Mais c’est juste ce que je ressens. Je ne peux pas le prouver, je dois finir mon master d’abord. C’est assez complexe, l’image.
    Vive CV!

  13. Bonjour Brigitte, ne croyez pas, je suis optimiste. De toute cette sub-culture qui s’est partout répandue et est devenue la culture, c’est un fait, naitront de grandes oeuvres. Pas de doute. Rien de plus fatigant que les petits marquis des lettres dix-neuvièmistes ou que l’imitation du cinéma d’auteur à coups de « mouvements de caméra ». Par contre je ne vois rien de nouveau dans ces séries télé, les trouve rétrogrades et abrutissantes dans leur forme. Cette remarque ne me semble pas contradictoire avec la précédente. Il faut bien choisir certaines choses plutot que d’autres. Vous noterez chez les 15-25 ans grosso-modo une forte demande d’authenticité artistique. Ils sont pris dans le déluge d’images et voudraient bien voir quelques îles. Ce sera votre tache de leur indiquer la route…bon master, et vive CV bien sûr!

  14. @ВД C’est à dire que mon master, ils l’ont mis en panne, expurgé de sa biblio en socio de l’art, il n’avait plus lieu d’être et je vais le finir ailleurs. Je me réjouis de votre soucis pour mon cas, en fait mes professeurs parlent un peu comme vous le faites: une très grande différence d’approche entre le high et le low, chers aux premières cultural studies.
    En fait je suis très bien guidée dans l’approche des phénomènes culturels et comme je le laisse entendre par des enseignants-chercheurs hors mon département d’origine, c’est un choix salutaire pour moi, et je fais bien attention de ne pas me laisser entraîner ailleurs.
    CV me permet de vérifier que les postures d’une prof qui a fait sa Hdr à la Sorbonne avec l’élite (je dirai ainsi…) de sa spécialité je crois, et qui nous disait déjà en L1 que, ‘l’art reflète au fond (sous tous ses aspects, par ex. critique, histoire, sociologie, au hasard, réception, etc.) toutes les contradictions et les différences secrétées par nos sociétés contemporaine’. Je trouve cette remarque très pertinente. Elle m’a accompagnée dans les moments difficiles, quand il faut se positionner contre des enseignants à bac + 8 ou encore d’autres avec des médailles ou chevaliers des arts et des lettres. Surtout lorsque je ne suis pas d’accord avec eux sur les processus de distinction, insus, jamais nommés clairement mais agis, en quelques sorte, enfin ici je ne ferai pas de psychologie ce n’est pas mon métier. Sans oublier la domination masculine bien sûr.
    Merci beaucoup pour votre remarque, elle me sert pour avancer dans touts ces exemples pointés par des enseignants que j’apprécie.

    Je vous souhaite un bel été, je pars avec l’Open University faire de l’allemand à bon niveau car l’université française a aussi du mal avec ses options LV qui ferment souvent car peu promues. L’OU c’est plus cher mais on est sûr d’arriver en bon état en fin d’année. Très bien organisée, on peut facilement trouvé un soutien dans la difficulté, au lieu de tourner en rond comme j’ai dû le faire en France (je suis Suissesse).
    Je viens d’être bien notée pour un examen sur l’art justement, tout s’encastre parfaitement. Je trouve aussi ici, des références pour mes travaux. C’est génial je trouve.
    Je suis bien loin du sujet de M. Gunthert, mais c’est une manière de parler du high and low qui s’immisce partout. Exposer ces notes et ces réflexions font entrer la matière par expérience, dans des échanges alors qu’en fac, j’ai dû me taire pendant 5 ans. Je suis mieux maintenant.
    Bon été encore ba

  15. @ВД je ne suis pas sûre que l’on doive s’énerver plus sur les séries ‘rétrogrades’ que contre Mme Boutin par ex. Tout cela fait partie de notre quotidien malheureusement et nous pouvons à loisir les analyser, enfin je me garderais bien d’analyser Mme Boutin, je n’ai pas de telles prétentions. ! En art par ex. il n’y a pas de limites normalement – quoique elles soient non-dites en l’occurence dans mon cas – mais l’image en elle même n’est ni rétrogade ni progressiste, elle est neutre, nous y mettons ou y projetons ce qu’il nous plaît, comme avec nos interlocuteurs. (cours de philo L2, je me souviens dans: ‘Pour introduire le narcissisme de Freud et on le trouve en ligne)

  16. Ce terme d’abrutissement par les séries m’étonne, quand on les analyse avec méthode, on y trouve du plaisir je trouve. D’ailleurs même l’art de qualité nous assome si nous en consommons trop il me semble.

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