Newsring: aseptiser le débat sur internet

Peste! Rien moins qu’«inventer le débat sur internet»: tel est l’ambitieux programme  que s’est fixé le nouveau magazine en ligne Newsring, parrainé par Frédéric Taddei et piloté par Philippe Couve. En découvrant l’édito de l’animateur, on se dit qu’il n’a pas dû circuler beaucoup sur la toile, qui est un lieu de débat incessant. Et puis l’on se souvient que l’exercice du commentaire dans la presse en ligne a rapidement tourné vinaigre. Pour de bonnes raisons: la première règle de la conversation sur un blog est qu’elle a lieu entre pairs. En important sur le terrain numérique la césure entre éditeurs et lecteurs, en n’intervenant jamais dans l’espace des commentaires, les sites de presse n’ont fait qu’alimenter l’antagonisme entre le journalisme comme expression légitime et le défouloir de la piétaille, d’autant plus violent qu’il était ignoré et tenu à distance.

Plutôt que de tolérer le débat à la marge, Newsring veut le mettre au centre. A une condition: «Sur Newsring, c’est vous qui faites le débat, nous nous contentons de l’orchestrer». Traduction: du débat, mais organisé, formaté par l’intervention journalistique, présente à tous les étages. J’ai été contacté pour participer à ce magazine: on ne m’a pas demandé d’exprimer librement mon avis, mais de répondre à une  question imposée (« Prenons-nous trop de photographies? »), en isolant les arguments, avec une jauge de 1500 signes et blancs maximum chaque. Mises en ligne comme autant de points séparés à discuter, mes interventions ont été ornées du label « oui/non » qui permet à Newsring d’identifier et de classer les positions.

Un débat bien refroidi par une éditorialisation omniprésente, qui ne pousse pas vraiment à la discussion, mais transforme les opinions en carburant médiatique, avec la même obsession du cadrage que les émissions télévisées. Qui ont démontré que la polémique est un bon produit éditorial, et donné le mode d’emploi de sa fabrication: une question qui ne vise pas à éclairer un sujet mais à produire un clivage, une sélection d’invités de bords opposés mais néanmoins dociles, un animateur propre sur lui qui gère les tours de parole, évite les dérapages et conserve une apparence civilisée au spectacle.

Sur Newsring, on retrouvera donc le rubricage classique de la presse (politique, économie, culture…), les questions sans imagination d’école de journalisme,  simples reformulations des informations ou des débats du moment, les interventions de spécialistes patentés issus de l’université… Le Parisien avec des points d’interrogation. Ajoutons une touche d’interactivité, qui permet au public de réagir dans les cases aux événements choisis par la rédaction, un peu comme le micro-trottoir du JT. Inventer le débat sur internet? Disons plutôt importer les règles du débat télévisé sur le web.

14 réflexions au sujet de « Newsring: aseptiser le débat sur internet »

  1. Très bon article! Enfin un peu d’objectivité sur ce sujet, tous les médias reprenant le communiqué de presse ces derniers jours. Une chose est sûre: un sujet n’a pas été ouvert au débat!
    Par ailleurs, « inventer le débat » sur internet c’est tout simplement ne pas savoir que des alternatives existent. Notre tentative: http://www.talkeo.fr. Et là, pour répondre à votre critique, ce sont les débatteurs qui ouvrent les débats et le choix n’est pas seulement limité au trop simple « oui/non »!

  2. André, merci pour ce retour d’expérience concernant Newsring. Nous venons de nous lancer et, comme tu le sais, nous sommes en version bêta. Donc les premiers mois vont nous servir à expérimenter, améliorer, affiner, perfectionner le site. Par définition, nous ne sommes pas fermés au débat, ni à l’expérimentation. Pourquoi d’ailleurs ne viendrais-tu pas lancer un débat conforme à tes attentes (et pourquoi pas l’orchestrer) ? Chiche ?

  3. Plutôt d’accord avec vous, le discours d’accueil de Taddeï, très central, starisé, est un brin démago (ne sommes-nous pas tous d’ores et déjà amis, mes chers amis ? Réanchantons le débat ! Réinventons la roue !), et il semblerait en effet que son temps à la télévision lui empêche cruellement d’en passer sur le net, sans quoi il aurait revu de toute évidence son argumentaire. Mais bon, désormais « il est dans la place », faudra voir. Reste que : cadrage ou pas cadrage ? telle est une des questions qu’on peut se poser. L’avantage du cadrage est que l’argumentateur doit se forcer à synthétiser sa pensée parfois trop vaste, lâche, (on observe que sur le web celle-ci – à part le format twitt et celle assurant la fonction phatique du langage –, est souvent redondante, touffue, proche de l’oralité) ; un peu d’ordre et de concision ne font pas de mal. 1500 signes, point. En revanche, dans les sujets qui mériteraient de vrais développement dans l’argumentation et l’analyse – pour autant qu’ils soient conduits par des spécialistes pédagogues et qui savent captiver par leur écriture –, ce cadrage « télévisuel » semble évidement un obstacle, initialement absent du web (qui lui permet tous les épanchements, pour le pire mais aussi pour le meilleur). A suivre, donc. (Mais de façon générale, j’ai le sentiment d’une formatisation progressive du web et des espaces, ces temps-ci, comme s’il y avait une sorte de conscience collective, de voix des limbes qui nous disait : « les journées n’ont que 24 heures, fais court ! On n’a plus le temps ! »)

  4. Le problème ne me semble pas tant de faire court, si c’est long et sans intérêt, on zappe, que le nombre d’interventions. Suivre un fil de plusieurs centaines d’interventions (c’est fréquent sur Libé.fr par exemple), ça relève du sacerdoce quelque soit l’intérêt que l’on porte au sujet.

  5. @Couve: Réagir en commentaire et prendre sportivement la critique, ça fait déjà deux bons points côté webculture! Comme le dit NLR, on va suivre l’évolution du bébé. Ce qui est sûr, c’est que le dispositif est lourd, peut-être trop, et que si vous voulez « inventer le débat », il va falloir sérieusement renouveler les approches. Plutôt qu’un nième débat sur la retouche (avec des vrais morceaux de Valérie Boyer… 😉 pourquoi ne pas se demander, avec Marianne, si les francs-maçons ne servent pas aujourd’hui surtout à vendre des journaux?

  6. @Couve: Si tu suis un peu Culture Visuelle, tu remarqueras que ma façon à moi d' »orchestrer » le débat est un peu différente de la vôtre… 😉 Reparlons-en autour d’une bière…

  7. Tout à fait d’accord sur l’analyse des commentaires dans la plupart des sites de presse (surtout ceux dont la modération est sous-traitée à des sociétés opérant depuis des pays étrangers) mais la proposition s’inverse pour les sites d’information qui ne considèrent pas les commentaires comme un ghetto ou un défouloir mais comme un espace de discussion et de dialogue. Ce qui pourrait donner :

    « Et puis l’on se rend compte que l’exercice du commentaire dans certains sites d’information a permis de recréer un lien de confiance entre les journalistes et leurs lecteurs. Pour de bonnes raisons: la première règle de la conversation sur un blog est qu’elle a lieu entre pairs, les journalistes descendent de leur piédestal pour rentrer dans l’arène.

    En mettant un terme sur le terrain numérique à la césure entre éditeurs et lecteurs, en intervenant dans l’espace des commentaires, les sites d’information font cesser l’antagonisme entre le journalisme comme expression légitime et le défouloir de la piétaille, d’autant plus violent qu’il était ignoré et tenu à distance. »

  8. Ping : LSDI
  9. Un débat à coup de link de plus en plus automatisé. Les programmes sont presque prêt, qui soutiendront le contributeur en temps réel, fouillant le web pour nourrir la link argumentation. Une cyberguerre de tranchées. Mais, quelque part, un petit village d’irréductibles..

  10. Sur Newsring l’expérience tourne déjà au précipité sulfuré, en grande partie pour les raisons évoquées dans cet article : questions binaires et simplistes sur des sujets beaucoup trop vastes (« POUR OU CONTRE LA GUERRE AU MOYEN ORIENT? « ) ou au contraire totalement dépourvus d’intérêt (« la Playstation aide-t-elle à lutter contre l’insomnie ? ») ; journalistes mous et n’apportant rien au débat, mais le cadrant dans leurs clous, bien comme il faut ; nullité de l’interface (tout débat est impossible, pas plus de 3 réponses par personne dans un même fil !)…

    Cette semaine ils ont jugé bon de supprimer le compte de leur principal contributeur (« babarbecue »)pour avoir traité une autre newsringeuse de « dinde » – on mesure tout le chemin qu’il leur reste à faire pour « inventer le débat sur internet »…

  11. Newsring est de toute évidence une initiative française calquée sur le modèle du site américain sodahead.com, lancé par un ancien dirigeant de MySpace.

    Avec 9 millions d’utilisateurs il ne marche pas trop mal. Donc oui pourquoi ne pas tenter la même chose en France?

    A la différence près que Sodahead ne prétend pas bouleverser le monde des débats: c’est un site de divertissement qui permet de lancer des « débats » (réduits à l’option d’un vote OUI-NON impulsif, assorti d’un commentaire spontané à la volée) sur n’importe quel sujet, en vrac, dans une optique plus ludique que sérieuse.

    Petite suggestion à l’équipe de Newsring: faites sauter cette barrière à la participation qu’est l’obligation de de connecter avec un compte Facebook et ne prétendez pas être un site « sérieux » car le modèle d’interaction choisi n’est tout simplement pas le bon eu égard aux prétentions affichées (je dirais même en totale contradiction avec la réflexion marketing qui a donné naissance à Sodahead.)

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