Licence de jouir, ou la culture du blockbuster

Prendre une fessée à cause d’un blockbuster est chez moi une habitude qui menace de s’installer. Mes lecteurs les plus assidus se souviennent peut-être de l’arrêt du Flipbook, brève tentative de blogging embedded sur le site de 20minutes.fr, abandonnée après l’attaque en piqué d’une escadrille de fans d’Iron Man. Trois ans plus tard, rebelote! Au cœur de l’été, Rue89 me propose de tester un partenariat avec Culture Viselle, et choisit pour l’inaugurer de reprendre mon billet consacré aux métamorphoses visuelles de Nafissatou Diallo. Le passage de L’Atelier des icônes au pure player ne se fait pas sans mal: il faut notamment modifier l’iconographie initiale, qui ne respecte pas le droit à l’image (une première proposition de Rue89 mettait un bandeau noir à tous les portraits de la jeune femme antérieurs au 25 juillet, ce qui modifiait sensiblement la lecture de l’article…).

L’expérience est néanmoins jugée positive, et se poursuit par la reprise de mon billet sur Transformers 3. Manque de chance, je suis alors en vacances, sans autre connexion que celle de mon mobile, et pas vraiment disponible pour suivre l’édition. Ce n’est qu’avec un jour de retard que je m’aperçois des dégâts causés par un changement de titre (« Transformers 3, une insulte à l’idée même de scénario« , au lien de: « Transformers, l’adieu à la fiction« ), qui a encouragé la plupart des lecteurs à interpréter mon billet comme une attaque de cinéphile à col roulé contre le blockbuster, noyant les commentaires sous l’ironie et les noms d’oiseau. Comme le résume Oroborus: «Un pseudo intellectuel qui taille une grosse production hollywoodienne, quoi de plus ennuyeux et inutile?»

Devant l’ampleur du malentendu, j’essaie d’abord de faire retirer le billet. Mais je ne suis plus maître de mon texte: celui-ci est partie prenante de la Une de Rue89, référencé et commenté. Il est trop tard pour changer le titre, déjà repris et discuté. Je décide finalement de laisser les choses en l’état: l’article édité et ses commentaires rageurs forment un excellent échantillon pour documenter la discussion sur le genre du blockbuster, symptôme crucial de l’évolution des industries culturelles (voir notamment ma note: « Blockbusters: pourquoi tant de haine?« ).

Sur les 130 commentaires, je n’en ai relevé que trois exprimant une forme d’accord avec l’idée principale du billet (p. ex. Comptoir 2.0: «il n’en reste pas moins qu’avec le temps, Hollywood semble privilégier l’effet visuel, les effets spéciaux toujours plus, au détriment du scénario»). Quelques-uns apportent des élements de discussion intéressants sur le fond (en particulier sur la question, pas du tout anodine, de la consommation de pop-corn pendant la séance). Glissant sur la pente savonnée par le titre provocateur, la majorité réagit de manière plus ou moins réflexe et renvoie article ou auteur dans les cordes, en s’appuyant sur trois formes d’illégitimité: illégitimité de l’article, illégitimité du film, illégitimité de la critique.

Illégitimité de l’article

La révolution de la consultation provoquée par la disponibilité des sources en ligne a entraîné des évolutions profondes des habitudes du lectorat, parmi lesquelles la remise en question de la légitimité ou de la pertinence d’un article est l’une des formes les plus élémentaires et les plus courantes de la critique du travail des médias. Alors que la consultation habituelle d’un nombre limité de sources tendait à « naturaliser » la grille des informations sélectionnées, le relativisme favorisé par le web encourage le lecteur à interroger l’agenda médiatique, ce qui est a priori une bonne chose.

Mais la reprise d’un billet de blog pose des problèmes spécifiques. Mon billet sur Transformers n’est pas une critique de film. Comme souvent sur L’Atelier des icônes, il s’agit d’une simple observation qui participe de ma prise de note des symptômes de la culture visuelle contemporaine, comme une étape d’une réflexion globale dont le blog dessine petit à petit les contours. Sa reprise efface évidemment ce contexte et transforme volens nolens la notation du blogueur en forme journalistique. Comme l’écrit gregman31, croyant s’adresser à un membre de la rédaction de Rue89: «Cette pseudo-critique est purement inutile car en rien elle ne décrit le film et le travail derrière. (…) Monsieur, critiquer ça ne veut pas dire donner son avis, ça veut dire analyser. Votre avis n’intéresse que vous.»

Je suis bien d’accord, et c’est tout le problème. La bienveillance que s’attire a priori le blogueur qui soumet à la discussion un avis subjectif s’explique par la proposition d’un échange entre pairs, constitutif de l’espace du blogging. En revanche, l’expression hypercritique que l’on aperçoit dans les commentaires des sites de presse en ligne traduit une lecture calée sur les règles classiques d’objectivité et de pertinence exigées du journalisme professionnel et le maintien d’un antagonisme entre producteur et consommateur de l’information.

Un des reproches souvent rencontré sur les sites de presse est celui du remplissage ou de la diversion par rapport à une actualité plus légitime. A quoi bon gaspiller la précieuse exposition médiatique en consacrant un article à un film peu intéressant, plus d’un mois après sa sortie? Pour plusieurs commentateurs, ressortir le blockbuster en plein mois d’août ne peut s’expliquer que par le besoin de tirer à la ligne. Plus sceptique encore, Acéphale me soupçonne d’avoir «essayé d’emballer quelque jolie damoiselle et que la seule raison de cet article est de se venger de la frustration de n’avoir pas pu conclure avec elle» – une hypothèse qui me rajeunit, mais qui confirme surtout que sortir du cadre des attentes médiatiques est un exercice qui ne va pas de soi sur un pure player.

Illégitimité du film

L’utilité de ma note se trouvait pourtant expliquée par le titre original du billet: « l’adieu à la fiction », soit un questionnement sur l’évolution du rôle du récit en régime d’industrie culturelle (qui faisait par ailleurs écho à un autre billet récemment publié sur Culture Visuelle, par Alexis Hyaumet). Par rapport au fait difficilement contestable que la part majeure de la production littéraire puis cinématographique s’est appuyée sur le goût du public pour la narration, la franchise Transformers donne l’occasion de s’interroger sur la place grandissante, voire exclusive, des effets spéciaux dans la prosécogénie des films commerciaux, ou blockbusters.

Le caractère elliptique de cette détermination demandait déjà une certaine agilité intellectuelle dans son contexte d’origine. Le changement de titre sur Rue89 au profit d’un énoncé plus provocant effaçait non seulement une indication de lecture précieuse, mais exacerbait l’antithèse entre récit et spectacle, culture lettrée et culture industrielle, en me désignant comme un critique un peu bêta de la nullité du scénario de Transformers. Comme le note Babarcéleste: «Quelqu’un qui va voir Transformers 3 pour le scenario a un QI de moule, désolée de le dire (surtout que le 1 et 2 ont quand même bien servi d’avertissement)».

Là encore, je ne peux qu’acquiescer, et renvoyer ce compliment bien senti à l’éditrice qui a voulu pimenter mon titre, en isolant mal à propos une citation du texte (qui se voulait une réponse à la critique du film par CSP, pour souligner au contraire que T3 avait fait un effort de storytelling…). On notera au passage la confirmation d’une autre discussion déjà abordée sur Culture Visuelle, à savoir le rôle déterminant de l’intitulé dans l’interprétation du contenu d’un article. Ce qui attire par ricochet l’attention sur le rôle de l’éditing des titres, traitement éditorial classique, mais dont on constate qu’il peut avoir des effets considérables sur la lecture.

Cette pente a nourri l’objection de bon nombre de commentateurs sur la légitimité de consacrer une réflexion critique au film Transformers 3, sur le mode résumé par Jack Sullivan: « Ce qui s’appelle « tirer sur une ambulance »». Pour assisdansmoncanapé: «Avant on critiquait des chefs d’œuvre. Maintenant, on analyse des bouses…» Et Lejeje94 de compléter: «Je ne sais pas celui qui est pire: Celui qui vend une boite de conserve vide avec écrit « Rien » sur l’étiquette ou celui qui critique le premier car il n’y a rien dans la boite de conserve. Ce type de film propose les mêmes sensations qu’un grand huit dans une fête foraine. Il me semble que personne n’a jamais reproché à une attraction de ce type de ne pas avoir de scénario.»

A noter que j’avais moi-même eu quelque scrupule à proposer à mes lecteurs un sujet aussi illégitime que T3, en ouvrant mon billet sur une interrogation qui, pour être rhétorique, n’en traduisait pas moins une forme d’embarras. De la part d’un chercheur qui se consacre à l’étude de la culture populaire, cette empreinte de la hiérarchie des valeurs établies révèle la difficulté de passer outre les préjugés et d’accorder à la production commerciale l’attention qu’elle mérite. Pour la préoccupation scientifique, il ne devrait pas y avoir de sujets illégitimes, seulement des approches non-pertinentes. Mais une telle formule reste un vœu pieux dans le contexte des études culturelles françaises, qui restent dominées par la hiérarchie des arts.

Illégitimité de la critique

La part la plus intéressante des commentaires vient de ceux qui, ayant « consommé » le film, en défendent le caractère de divertissement, qui délégitime a priori toute forme de commentaire critique. Comme le dit Malkav: «On peut aller voir Transformers 3 pour se détendre. Une heure et demi de film bourrinojouissif, sans subtilité, sans message-super-profond-a-discuter-pour-briller-en-soirée. Une grosse pipe de meth bourrée par Michael « gros sabots » Bay, l’homme pour qui le moindre pistolet a patates fait un bruit d’obusier de marine (…). Quand on va voir un film made in Michael Bay, on laisse son cerveau au clou en entrant, c’est tout. Zéro message subversivo-jsais-pas-quoi, zéro scénario, juste un gamin de 6 ans a qui on a fourgué des millions pour filmer ses délires playmobils.» «Arretez d’essayer d’intellectualiser les choses… renchérit Dave_dub: il ne s’agit en aucun cas de « réflechir », ou de se « creuser les méninges », il s’agit d’émotions!»

Cette critique de la critique, où l’on retrouve souvent l’expression «se vider le cerveau», mais aussi la plupart des clichés anti-intellectualistes, est dure à avaler pour le chercheur en sciences sociales, qui voit son métier et sa fonction purement et simplement disqualifiés, au nom d’un entre-soi de la jouissance. Il y a pourtant du grain à moudre dans cette antithèse de la réflexion et du divertissement, qui prend la forme tout à fait explicite d’une opposition de classe. Ainsi que l’exprime psych0Dad: «Bon ca va, on a compris, le mauvais gout des pauvres revulse André Gunthert. Maintenant Dédé tu es gentil, tu ramasses les Telerama que tu viens de plagier et tu laisses les amateurs de caca industriel comme moi se regaler tranquilles.»

Il y a trois ans, au moment du Flipbook, je n’avais ressenti qu’agressivité et intolérance dans cette éviction qui m’était signifiée. Ce n’est qu’aujourd’hui que je comprends que ce qui s’exprime à travers cette exclusion est une revendication culturelle proprement dite, l’exigence de la propriété exclusive d’une aire symbolique, d’une identité collective qui se construit de manière tout à fait délibérée par opposition au système classique de valorisation par la référence et l’érudition.

Comme l’agent 007 dispose d’une « licence de tuer », la culture du blockbuster revendique une « licence de jouir », ce qui ne va pas de soi dans notre système culturel, qui valorise la signification comme la marque qui permet de distinguer ce qui appartient à la « culture » et ce qui relève du divertissement. Le plaisir, dans la culture chrétienne, doit être justifié par une fonction ou racheté par l’exercice intellectuel. La culture « cultivée » est ce qui rachète le divertissement par la signification.

Le poids que nous accordons au récit, à la fiction – et à son exégèse – est bien la marque d’une culture de classe, qui a fourni jusqu’à aujourd’hui les modèles de l’appréciation des contenus reconnus comme « culturels ». Et la revendication de la pure jouissance du blockbuster est le signe d’une évolution profonde des critères de constitution du phénomène culturel. Non que le blockbuster donne lieu à une jouissance inédite: il s’inscrit bel et bien dans la tradition immémoriale du spectacle, des jeux du cirque ou des attractions foraines. Mais ce qui est remarquable est que ce plaisir a priori dévalué, parce qu’il ne signifie rien, puisse faire aujourd’hui l’objet d’une appropriation explicite, répétée, revendiquée.

En raison de l’absence d’une élaboration critique de ses contenus, la télévision n’a jamais réussi a faire valoir le plaisir qu’elle octroie comme un contenu culturel – il n’y a pas de téléphilie, seulement une téléphagie. En calquant la valorisation de ses contenus sur le canevas de la critique littéraire, le cinéma a réussi a installer précocément leur réception sur le terrain culturel. S’inscrivant dans cet héritage, le blockbuster (et le jeu vidéo) continue a bénéficier des mécanismes de valorisation qui autorisent ce que nul n’ose réclamer à propos des programmes télé: revendiquer une jouissance sans signification.

Pour m’avoir aidé à démêler les fils de cette pelote compliquée, je dois des remerciements aux commentateurs de Rue89. Tout en me confirmant que le symptôme T3 était le bon, il ont aussi contribué sans le savoir à la démonstration que le blogging reste un exercice spécifique.

(La discussion sur les blockbusters se poursuivra demain sur ”Les Matins d’été” de France-Culture, 8h30-9h.)

  • Bibliographie: Tom Shone, Blockbuster. How the Jaws and Jedi Generation turned Hollywood into a Boom-Town, 2004, Sydney, Simon & Schuster.

32 réflexions au sujet de « Licence de jouir, ou la culture du blockbuster »

  1. Un miroir parfait de la culture bourgeoise en quelque sorte. Au musée d’Orsay, le tabou est de d’amuser avec son appareil photo; devant un blockbuster, il est interdit de réfléchir…

  2. Bref, à cause d’une pratique éditoriale médiocre de la part d’un pure-player, un travail de blogging universitaire sur la culture populaire va peut-être amener des gens à voter FN (je ne rigole qu’à moitié).
    Pour moi, cette mésaventure en dit long sur la question des formats : sur Rue89, les gens ne réagissent pas à un propos mais à l’idée qu’il s’en font en fonction du support et d’indications comme le titre. Ceci dit, je suppose que le même phénomène concerne tous les supports, y compris la revue universitaire : the medium is the message.

  3. Pour traumatisante qu’elle ait pu être, votre expérience me semble particulièrement intéressante. Lecteur assidu de votre « blog » ici-même, j’ai tendance à fuir les sites « de presse » (qu’ils émanent d’organes traditionnels ou, quelle laide terminologie, « pure players ») et avais à ce titre manqué votre article sur rue89. Étant moi-même un grand inconditionnel des super-productions américaines, j’apprécie bien au contraire votre démarche de réhabiliter les cultures « de masse » sous un angle narratologique qui me semble, en dernière analyse, bien plus respectueux que la critique « légitimée »/de classe à la Télérama. (J’en veux pour illustration votre billet sur la bande annonce du film Tintin, qui me semblait très pertinent.)

    Il est vrai que votre article T3 n’était probablement pas le plus réussi, et contenait, même à l’état embryonnaire, l’ébauche d’une critique « morale » dont Rue89 s’est immédiatement emparé. « Justifier » le spectacle (par ce dernier mot j’entends l’ensemble de la dramaturgie cinématographique, qui va bien au-delà des effets spéciaux) est un motif « classique » du cinéma, tout comme l’étaient les Trois Unités pour le théâtre au XVIIe siècle, et comme tous les classicismes il est nécessairement amené à être questionné, transgressé, purement oublié ou conservé simplement « pour la forme ». T3 n’est certainement pas le film le plus recherché ni le plus intéressant à ce titre (les deux derniers films que j’ai vus, Sucker Punch et Super 8, en donnent des illustrations plus parlantes), mais il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à l' »insulte » pour l’expliquer 🙂

    En fin de compte, votre article est lui-même tombé dans une grille de lecture classique (critique légitimée vs plaisir illégitime, art bourgeois vs culture populaire) de façon injuste et injustifiée… mais peut-être était-ce à craindre en vous extrayant du contexte crypto-universitaire de Culture Visuelle (voir à ce titre l’irruption de Bourdieu dans les médias de masse en 1995 et ce qui s’ensuivit) ?

  4. @Claude Estebe: Très bonne idée, le miroir…

    @Jean-no: Je ne sais pas s’il faut employer le terme « médiocre ». Je crois qu’on est plutôt dans un exercice moyen, c’est-à-dire représentatif. L’éditing est une pratique normale, mais justement, je n’ai pas l’impression que ceux qui y recourent mesurent forcément son importance narratologique.

    @vvillenave: Oui, le billet T3 était bancal, je m’en suis rendu compte rapidement avec la discussion, mais c’est justement cela qui m’a mis sur la piste d’une antithèse que je ne voyais pas encore aussi clairement entre culture et divertissement. Quant à parler de traumatisme, il ne faut rien exagérer non plus, je n’ai pas mis de smileys dans le billet ci-dessus, mais j’espère qu’on perçoit que je garde le sourire en restituant cette expérience qui est, comme vous le dites, particulièrement intéressante, et qui m’a permis de préciser plusieurs notions.

    @ pierre carles: J’imagine que votre commentaire répond à la dernière question de vvillenave… Je ne suis pas sûr que mon exposition en ligne soit la meilleure illustration du « confort douillet » de l’entre-soi universitaire – même si, soyons juste, il faut aussi un peu de sérénité pour réfléchir et tirer les leçons des expériences du terrain. Cela dit, ne l’oublions pas, la sociologie reste un sport de combat… 😉

  5. @André : l’éditing est une tradition de la presse, mais ne fonctionne pas toujours pareil. Le travail du Monde Diplomatique est par exemple nettement plus respectueux que celui de Libé, pour ce que j’ai pu en voir. J’ai une copine qui a abandonné le journalisme tellement ça la rendait folle de voir ses propos sabotés, simplifiés, détournés par des titres, des intertitres, des illustrations ou même de simples mises en exergue : que raconter à quelqu’un qu’on a interviewé en confiance et qui voit ses paroles trahies ? Dans la grande presse, la tradition est que les titres ne sont pas faits par les auteurs des papiers, parce que c’est par ces titres, finalement, que s’exprime vraiment la ligne politique du journal. Mon expérience de collaboration avec le Monde Diplomatique a été très bonne : allers-retours, modifications respectueuses, argumentées, discutées à la virgule près,… Et ça a peut-être à voir avec la temporalité propre du journal : Libé est quotidien, Le Monde Diplomatique est mensuel… De même, mes quelques expériences de publications universitaires (une temporalité encore plus tranquille) ont toujours été bonnes du point de vue de la maîtrise du contenu. Là, le piège, à la rigueur, c’est le nom des autres contributeurs : se retrouver associé à tel ou tel universitaire célèbre change peut-être la perception qu’auront les lecteurs de la publications, comme si être « à côté de » c’était aussi être « du côté de ».

    Quel confort d’avoir son blog en tout cas, où on a le droit d’utiliser des titres obscurs (qui forcent le lecteur à lire avant de penser savoir de quoi ça parle), où on maîtrise l’iconographie, où on choisit quand on publie,…

  6. Il ne faut pas discuter de l’existence de T3 dans une sphère culturelle : il est un objet de culture, et donc un objet de rélexion valide. Pas de souci.
    il n’est pas étonnant, non plus, que nombre de spectateurs (et je ne suis en aucune manière ironique ici !) ne puisse voir la portée qu’un tel objet cinématographique puisse avoir, par son existence même, le fait qu’un objet culturel est par nature un moment politique ; j’irai jusqu’à affirmer que c’est un effet voulu : on regarde, on nous enjoint d’en jouir, sans imaginer qu’on puisse en penser quelque chose, le bruit ambiant (dans la salle, mais aussi de façon plus diffuse le ‘bruit médiatique ambiant’) niant le recul réflexif (qui est même moqué, ou méprisé) ; on est empêché de penser un tel film, parce que ça correspond à un faisceau d’intérêts conjoints, sans verser dans la théorie du complot.
    Je suis plus étonné par le fait que peu soit relevé l’opposition réfléchir/jouir : on ne peut donc plus jouir en pensant ?
    C’est bien pour ça qu’il faut s’aventurer en dehors du ‘champ culturel officiel’ : il y a plus à explorer en regardant regarder Transformers 3 (en n’omettant pas de se regarder soi-même) qu’à analyser le public de —disons Jazz in Marciac. (Même s’il y aurait à en dire, ne serait-ce que par l’interdiction non dite de la critique…là aussi !)

  7. Quand tu dis qu’il n’y a pas de téléphilie, tu te trompes peut-être si tu oublies « les enfants de la télé » (l’émission animée et produite si je ne m’abuse par le si rigolo arthur et avec ex je crois Pierre « Magic » Tchernia : une très bonne idée de la légitimation qui s’exprimait alors -je ne suis pas exactement les évolutions des émissions de télé depuis le passage au tout numérique du 8 mars 2011). Je crois qu’il y a là une piste sur cette philie qui (de même que les vidéo gags ou les bétisiers) donnent de la télé l’image réaliste de ceux qui la font sur ce qu’elle est (ou qu’ils pensent qu’elle est).
    (c’est pas la discussion, je sais bien, mais quand même; le coup du pop corn est extrêmement intéressant, au même titre)

  8. @b : tiens, c’est amusant, j’étais à Marciac cette semaine. Et aussi à la fête du Madiran, qui était une ambiance toute différente.
    Outre la question du loisir « intelligent » ou « de qualité » et du plaisir qu’il y a à apprécier une oeuvre au second degré (un très mauvais film de vampires est souvent plus plaisant et plus riche à tout point de vue qu’un blockbuster moyen ou qu’un film taillé sur mesure pour Sundance), je remarque que la demande de films « décérébrés » néglige souvent le fait que ces fictions véhiculent souvent un contenu idéologique implicite : et si le plaisir « décérébré » servait parfois à faire baisser la garde du spectateur ? Je n’ai vu aucun « Transformers » mais j’ai vu « Pearl Harbour », du même cinéaste, qui est un film au contenu politique et historique extrêmement douteux. Alors sans paranoïa excessive, est-il si prudent de revendiquer d’être un spectateur « idiot » ? Qu’on revendique la liberté de jouir, bien sûr, mais existe-t-il une liberté de se faire manipuler ?

  9. En l’occurrence la porte du « confort douillet » est ouverte et permet à chacun d’en savoir un peu plus sur la sereine réflexion et le combat .
    Je n’ai pas lu tous les commentaires, mais celui de Gregman31 m’interpelle, il est chercheur, mais ne semble pas avoir eut l’idée de chercher à savoir qui était celui qui l’auteur de cet article. C’est à la fois étrange et particulièrement intéressant . Dans tous les cas, merci de laisser ceux qui le souhaitent profiter d’une douillette et sereine réflexion pour pouvoir précisément combattre plus sereinement ensuite.

  10. il me semble que vous n’échappez pas à l’approche top-down de l’universitaire qui s’adresse à un large public non-universitaire, c’est très français et sans doute lié au magistère intellectuel qu’exerce ou que croit exercer encore la parole universitaire française; les anglo-saxons sont plus dans le bottom-up… pour votre information, il y a bien une « téléphilie » qui tourne surtout autour des séries, certes anglo-saxonne mais nous commençons à avoir quelques spécimens français comme Pacôme Thiellement, voir également de très bons articles de Daney…

  11. @Pierre Carles : …Martin Winckler, aussi.
    Les séries sont à la mode, c’est vrai, mais je ne sais pas si ça suffit à faire une téléphilie : les gens aiment telle ou telle série, ils ne disent pas « ma passion c’est la télé », ou plutôt, ceux qui disent ça semblent aussi inquiétants que ceux qui disent « ma passion c’est le shoping ». Non ?
    Sur le top-down des mandarins, il me semble que vous ne mesurez pas le bouleversement qu’apporte le blog en la matière, notamment pour ses commentaires directs (ceux que nous sommes en train d’écrire) ou indirects (réponses d’autres blogs et commentaires sur Twitter – pas spécifiques au blog, ok, mais s’y associant naturellement).

  12. @ Pierre Carles: Quelle déception de découvrir que l’auteur du meilleur documentaire sur Bourdieu est aussi pétri de préjugés anti-universitaires!

    Merci de m’informer de l’intérêt pour les séries, mais celui-ci n’a rien de nouveau (je l’évoquais moi-même dans le billet lié ci-dessus), et il n’est qu’un pur décalque de la cinéphilie classique, sur des objets qui restent des héritiers de l’univers narratif romanesque (et donc compatibles avec la culture cultivée). Comme le dit Jean-No, l’amour des séries ne suffit pas à créer l’amour de la télé. Les vraies inventions formelles de la télévision n’ont jamais fait l’objet d’une attention ou d’un investissement particulier, sinon de la part des spécialistes, ce qui ne suffit pas à créer une philie. Le web, par contre, apporte l’exemple d’un média qui a su développer très rapidement une revendication culturelle et identitaire forte, nourrie d’une pléthore de nouveaux motifs et de modèles inédits. A peu près plus personne ne doute aujourd’hui que le web est porteur d’une culture nouvelle, bottom-up justement – ce qui est le résultat d’un sacré travail de valorisation. En comparaison de sa consommation réelle, qui reste très importante, la télé est passée à côté de cette signature culturelle – précisément parce qu’elle est d’abord perçue comme un divertissement. Puisque la question vous intéresse, je vous renvoie à d’autres billets de ce blog, où cette discussion a déjà eu lieu, notamment: “Eteindre la télé” (& commentaires).

  13. @Jean-no : pour Martin Winckler vous avez raison, je n’ai pris qu’un exemple récent avec Thiellement; il faudrait parler aussi du travail moins spéculatif mais plus antiquaire d’Alain Carrazé; certes nous ne pouvons pas parler d’une « téléphilie » sur le modèle de la cinéphilie Cahiers du Cinéma/Positif avec une école critique et une pratique culturelle répandue grâce à l’important réseaux des ciné-clubs dans les années 60-70. Cependant, la « téléphilie » si elle n’a pas encore en France un bataillon de critiques, possède un important maillage de fan-clubs aussi bien de séries TV actuelles que de séries anciennes. Une « téléphilie » qui repose aussi sur la nostalgie, voir les fan-clubs sur les émissions jeunesse… Une mémoire téléphilique entretenue par le désir du fan de créer son fandom avec produits dérivés…

    Bien que les commentaires du blog permettent effectivement de l’intéractivité, il reste néanmoins que la manière de s’adresser à un public non universitaire dans un article reste top-down…

    @André Gunthert: Pierre Carles c’est mon prénom, je n’ai rien avoir avec le réalisateur de doc que je trouve par ailleurs intéressant…

  14. sans oublier les fans-clubs des jeux télévisés qui sont légions – pendant longtemps en France les fan studies n’étaient pas considérés par les directeurs de recherche contrairement aux anglosaxons (Jenkins notamment), ce n’est que récemment que l’on a pu voir des études très intéressantes sur ces réseaux très importants de fan-club TV…voir le travail de Sébastien François sur les fans de Questions pour un champion

  15. Pour la téléphilie, peut-être faut-il attendre un peu, le cinéma a bientôt cent vingt ans, la télé n’en a que soixante dix peut-être en temps que médium de masse… mais les jeux sont une partie extrêmement importante des émissions, et sont très regardés (selon des chiffres probablement discutables des agences d’audience).

  16. « la culture du blockbuster revendique une “licence de jouir”, ce qui ne va pas de soi dans notre système culturel, qui valorise la signification comme la marque qui permet de distinguer ce qui appartient à la “culture” et ce qui relève du divertissement. Le plaisir, dans la culture chrétienne, doit être justifié par une fonction ou racheté par l’exercice intellectuel. La culture “cultivée” est ce qui rachète le divertissement par la signification. »

    Très bon titre, et très belle réflexion qui éclaire un peu le grand mystère des réactions à la critique de blockbusters ; tu touches ici à quelque chose de profond et d’essentiel dans le rapport de l’oeil à l’image… je crois que l’hystérie que manifestent les défenseurs des blockbusters repose en bonne partie sur ce droit de jouir sans cerveau, d’avoir un rapport purement visuel à l’image (« plein les yeux », 3 D…) avec une forte dose d’illusion de la présence des objets représentés… Le but étant d’être médusé, sidéré, fasciné… jusqu’à sentir le lait de l’illusion de la présence couler dans la gorge… Ce droit à la jouissance sans conscience que revendiquent les fans de T3 etc… , la forme reconnue du blockbuster le leur donne avec la bénédiction des médias commerciaux considérés comme des autorités maternantes… Consommez, faites vous plaisir…
    Tout ce qui ressemble à une prise de conscience ou à une élaboration intellectuelle trouble cette jouissance première, l’intellectuel qui y voit l’absence de scénario (de logos) ou pire, celui qui y met de la signification et coupe l’image de ses vertus fusionnelles et illusoires en introduisant des limites, devient un censeur, une sorte de père la morale castrateur… La violence des réactions me semble être tournée vers ce censeur imaginaire qui rappelle le spectateur aimant laisser libre cours à son avidité visuelle, (pulsion scopique), à sa conscience et le culpabilise du même coup. Cette agressivité est celle de la pulsion qui se retourne contre sa censure… Au fond, plus qu’en vertu d’un souci de propritété, j’ai l’impression que c’est par culpabilité que les passionnés se révoltent contre celui qui ne l’est pas… Il y a sûrement là quelque chose d’oedipien… (ça c’est ce qu’il ne faut plus dire…;)

    PS : Rue 89 me semble avoir cherché la bagarre et le clic d’août, avec cet article et ce titre provocateur…

    PS2 : Le choc des commentaires vient peut-être d’un passage de la sphère de l’extime à la sphère publique, d’une remarque personnelle l’article se transforme en prise de position publique… on passe de l’opinion à la morale… ce qui renforce l’image de censeur…

    PS3 : Il n’y a rien de plus violent que les disputes cinéphiliques, on accepte plus facilement les divergences politiques que les avis négatifs sur les films qu’on aime, ça touche à quelque chose de très intime ; le cinéphile ou le fan a peur de perdre la merveilleuse illusion qu’il a eu d’avoir vu réellement ce qui lui manquait dans un film… Touche pas à mon illusion ! C’est le motif commun à Michel Onfray, aux cinéphiles hystériques comme aux défenseurs vindicatifs des blockbusters… qui se venge de celui qui, bien malgré lui, les empêcherait de jouir.

  17. « Comme l’agent 007 dispose d’une “licence de tuer”, la culture du blockbuster revendique une “licence de jouir”, ce qui ne va pas de soi dans notre système culturel, qui valorise la signification comme la marque qui permet de distinguer ce qui appartient à la “culture” et ce qui relève du divertissement.
    Mais est-ce qu’une bonne part de la culture d’aujourd’hui, ce ne sont pas les blockbusters d’hier?

  18. La lecture des commentaires que vous citez est un régal, elle est aussi une expression de la licence de jouir qui débouche sur des formules très percutantes, pas toujours agréables pour l’auteur mais avec la distance que vous avez prise, ils prennent toute leur saveur. ce qui démontrerait que les défenseurs des blockbusters ne laissent pas leur cerveau au vestiaire quand ils font des commentaires (enfin certains si quand même, car vous n’avez gardé que le meilleur) Mais la jouissance de commenter, son caractère immédiat, réactif, anonyme, gratuit et narcissique serait sans doute à prendre en compte comme mode d’existence du web 2.0 (que je trouve extraordinaire par ailleurs).
    Une hypothèse sur les blockbusters, c’est qu’ils sont bien des blockbusters, c’est à dire des dispositifs conçus pour focaliser l’attention avant tout. Vider le cerveau peut être mais surtout éviter l’hésitation (un terme tardien que j’aime beaucoup) sur que choisir? Ici la programmation fait le spectateur comme c’est le cas aussi pour la télé ( qui est plutôt mon domaine). Ce qui peut paraitre étonnant à l’époque de l’abondance et du choix qui devraient donner leur place à tous les goûts de niche (ce n’est pas une insulte mais un terme marketing!) ce qui est vrai aussi. Mais la stratégie pour contrer la concurrence semble prioritaire. Le blockbuster serait ainsi avant tout le succès auto alimenté du marketing et de ce fait la bande annonce fait tout le travail (une fois qu’on est dans la salle, c’est gagné, on peut remplir les espaces de la bande annonce pour passer le temps et faire un film assez long, mais c’est pour passer le temps précisément.) Du coup, je me suis demandé en voyant avant Super 8 toutes les bandes annonces qui passaient avant si nous étions dans le même monde de « cinéma », car tout était uniforme ( le gag c’est qu’un autre soir de la semaine dernière, j’ai regardé l’année dernière à marienbad, sur arte, alors que je ne l’avais jamais vu et à ce moment, la perception de l’écart entre les deux mondes étaient à son extrême, vraiment des planètes très éloignées, mais je pense qu’on ne pourrait plus faire l’année dernière à marienbad désormais, non? Mais je me vois mal recommander à quelqu’un d’aller voir au cinéma l’année dernière à marienbad c’est sûr, à moins d’avoir une thèse à faire sur Robbe Grillet).mais c’est quand même bien plus intéressant que les deux dernières palmes cannoises , autre dispositif de focalisation de l’attention et d’orientation des spectateurs qui m’ont donné l’impression désagréable de m’être fait rouler, il faut bien le dire (le mallick et le thailandais imprononçable).

    Deux mondes donc, mais un seul terme « cinéma », c’est un peu ça le problème. et comme le dit un excellent commentaire que vous citez, il est pourtant bien écrit dessus qu’il n’y a rien dedans!!
    Mais au-delà de la captation de l’attention qui est le propre d’un blockbuster, et qui est le problème majeur de cette industrie, doit on s’intéresser à ce qui s’y dit? Ce medium qu’est le blockbuster là encore serait le message. Une forme de synchronisation des esprits réussie pour reprendre un terme de Sloterdijk. Du coup méthodologiquement il serait plus important d’analyser les bandes annonces ( et les marques que sont les licences marvel et autres, les titres comme vous le dites car ce sont eux qui génèrent les horizons d’attente) que le film, et de trouver des cas frontières qui sont à la fois blockbusters mais avec scénario, ce qui existe aussi (la tentative de super8 étant précisément un hybride raté en partie) pour savoir où se fait la différence.
    Excusez moi d’avoir réfléchi tout haut en termes de média studies mais vos analyses sont tellement stimulantes ;-))

  19. @Thierry Dehesdin : bonne question mais pas si simple. Qu’est-ce qui fait qu’on étudie Victor Hugo et Balzac à l’école mais pas Dumas et encore moins Eugène Süe, le vrai auteur « mainstream » de l’époque ? Qu’est-ce qui fait que Tintin est un classique célébré mais pas Rahan, Akim ou Blek le Roc, qui avaient sans doute plus de lecteurs ?
    Il s’est passé une chose étrange à la fin des années 1970 : Spielberg et Lucas ont réussi à ce que les gros budgets d’Hollywood (et les Oscars) n’aillent plus aux films « importants » (histoire, adaptation littéraire,…) mais aux scénarios de séries B. C’est un changement historique à étudier de près, à mon avis, dans ces enjeux…

  20. « Qu’est-ce qui fait qu’on étudie Victor Hugo et Balzac à l’école mais pas Dumas et encore moins Eugène Süe, le vrai auteur “mainstream” de l’époque ? Qu’est-ce qui fait que Tintin est un classique célébré mais pas Rahan, Akim ou Blek le Roc, qui avaient sans doute plus de lecteurs ? »
    Je suppose que l’on pourrait dire la même chose d’un grand nombre d’auteurs reconnus par la culture savante d’un époque qui sont tombés dans l’oubli par la suite.
    Mais pour revenir au thème de la jouissance, est-ce que chaque époque n’a pas ses auteurs suffisamment en phase avec les acquits d’une catégorie sociale pour lui permettre d’atteindre le 7ème ciel sans initiation préalable et d’autres qui supposent au préalable un acquis formel?

  21. @Olivier: Merci pour l’appréciation! J’insiste encore une fois sur l’idée que l’opposition que je relève est de l’ordre d’un face-à-face social délibéré, pas d’un antagonisme de la bêtise et de l’intelligence. Dominique Boullier remarque à très juste titre que plusieurs de ces commentaires qui revendiquent le « permis de jouir » sont tout sauf idiots… Il s’agit donc bien d’une opération de distinction, comme le décrivait Bourdieu, sauf qu’elle s’effectue à l’envers, ce à quoi nous ne sommes pas habitués.
    Par ailleurs, il faut retenir ce que tu dis de la virulence des divergences cinéphiliques, qui forme évidemment le décor de ce drame, et qui me frappe aussi quand je lis des blogs cinéma. Là plus que partout ailleurs, on constate les effets de la disparition de l’autorité qu’a entraîné la culture du web, ce qui peut souvent conduire à l’impossibilité de tout consensus sur le jugement. C’est un autre problème, mais qui n’est pas sans lien.

    @Thierry: Ta question est très compliquée. Pour y répondre d’un mot, je dirais qu’il faut distinguer entre le sens anthropologique du mot culture, et celui de « culture cultivée » (que j’écris ci-dessus entre guillemets). Ce qui m’intéresse ici est le second point: la culture perçue comme culture, fut-ce confusément (par exemple avec le recours à l’expression proche des « valeurs »), ou par l’intermédiaire de la revendication ou de l’insulte de classe. Dans ce cas-là, ce qui est perçu comme « culturel » est un fait de réception, évolutif, dont la construction est constamment renégociée.

    @Dominique Boullier: Merci beaucoup pour ces remarques d’une grande justesse! « Deux mondes, mais un seul terme, cinéma », me paraît aussi une bonne description du problème – en ajoutant que le mélange des deux univers me paraît tout à fait organisé, au bénéfice de la profession. N’oublions pas que c’est le blockbuster qui tire le cinéma de son marasme économique des années 1970. En retour, il est bien pratique pour Première de pouvoir évoquer dans les mêmes termes un film d’auteur et le dernier numéro d’une franchise…

    @Jean-No: « Qu’est-ce qui fait…? » Bonne question, à laquelle la réponse est étonnamment simple: ce qui fait qu’un auteur est valorisé plutôt qu’un autre tient essentiellement… au travail de valorisation qui a été produit antérieurement. Que l’école préfère Hugo à Dumas n’est que la reconduction des grands débats de la critique du XIXe siècle, qui ont fermement assis la réputation du premier, et constamment minimisé le travail d’auteur du second…

  22. @ André,

    Lorsque je reprends l’expression « jouir sans cerveau » il ne s’agit pas pour moi de parler de bêtise par opposition par exemple à une jouissance « intelligente » que procurerait un film d’auteur réussi… je n’emploie pas ces mots et je regrette cette impression hiérarchique laissée par mon commentaire… la jouissance sans cerveau est une métaphore qui insiste sur le côté physique que flatte la plupart des blockbusters depuis les années soixante-dix… Le THX de Lucas et « Les dents de la mer » de Spielberg sont essentiellement des procédé et film qui jouent sur le système nerveux du spectateur, plus que sur sa capacité d’interprétation… (Interpréter la dimension symbolique de cette mâchoire cachée dans l’eau, c’est passer à côté de l’effet du film en allant à la rencontre de sa signification…) C’est le « sans cerveau » revendiqué par les sujets eux-mêmes et qui correspond à une mise en suspens de l’interprétation, de la distance (critique ou non), au profit d’un rapport plus physique, plus sensuel, « purement visuel » ou même optique au film… la séance de cinéma devenant un massage de l’oeil.
    Cet étage-là (ce sous-sol) largement impliqué par ton titre un peu lacanien et la remarque que je mettais en exergue dans mon comm’ n’exclut pas le rapport Bottom-up, « le face à face social délibéré » et le renversement d’autorité que tu pointes… C’est une réponse dionysiaque populaire à l’injonction appolinienne de l’élite mais, n’étant pas le fait de gens « bêtes », comme tu le soulignes, c’est aussi une révolte de la jouissance scopique contre la coupure de la lettre… c’est le plaisir de la sidération qu’il faut défendre…
    Ainsi, je parle d’un antagonisme de la Lettre et de l’image que « d’un antagonisme de la bêtise et de l’intelligence ».

  23. @Olivier: « antagonisme de la Lettre et de l’image », oui, c’est tout à fait ça…

    Quant à la jouissance, comme j’ai eu l’occasion de le préciser ce matin à FC, celle du blockbuster concerne moins la sexualité génitale que précisément la libido scopique. Il y a une jouissance (du spectacle) de la guerre, de la destruction ou du corps-à-corps, qui regarde effectivement plus la psychanalyse que l’histoire culturelle. Il y a aussi la jouissance de l’effet, de la performance technique, de l’autoréférentialité spectaculaire, qui elle renvoie – et c’est peut-être plus troublant – à l’histoire du théâtre et du cinéma.

  24. @André Gunthert, @Olivier Beuvelet : ce qui me trouble un peu dans vos analyses sur la réception T3, c’est que nous aurions d’un côté les « sachant » et de l’autre les « jouisseurs », pour le dire vite d’un côté le corps soumis à ses passions (les fans T3), de l’autre l’esprit qui raisonne et hiérarchise les valeurs culturelles (des intellectuels/universitaires spécialistes de l’image). C’est dans cet écart que l’on peut peut-être chercher cet incompréhension entre André Gunthert et ses commentateurs fans T3. Peut-être aussi que T3 renvoit à l’imaginaire de l’enfance et au ludique, à l’origine de T3 il y a des jouets Hasbro et de nombreux fans adultes de ces maquettes robots (dont le producteur et le réalisateur). Aux Etats-Unis, après la sortie du film, les ventes des maquettes T3 ont explosé… achetées par des adultes. Lorsque l’on discute un peu sereinement (et en évitant de les stigmatiser) avec les fans T3 ont s’aperçoit assez vite que c’est moins la pulsion destructrice/guerrière que l’univers magique/ludique (voiture transformée en robot), du rapport homme-machine qui les « font rêver ».

    Il y aurait également bcp à dire sur le relativisme culturel encouragé selon André Gunthert par le web (pas d’autorité capable d’assurer un jugement référent, un amateur peut devenir un expert, mais où se trouve la frontière d’expertise pour un proam ?)

  25. OK, reprenons du début. En quoi est-il illégitime de donner un avis subjectif sur une production culturelle, dans le cadre d’un média interactif, ouvert à la discussion (et donc à la contradiction)? Pourquoi le fait de livrer une appréciation, positive ou négative, à propos d’une œuvre devrait-il susciter autre chose qu’une indifférence polie ou un commentaire anodin?

    Il y a visiblement ici plusieurs cas de figure. Il est rare de constater sur les blogs qui se consacrent à l’art contemporain des empoignades musclées. Les blogs dédiés au cinéma ont en revanche des conversations plus mouvementées. Comme le note Olivier, il semble bien qu’il y ait une « virulence » particulière liée à l’expression de la critique cinématographique (voir ici un exemple au hasard). Virulence encore accrue dans le cas de la critique de blockbuster, où la contradiction ne porte pas seulement sur le jugement exprimé, mais sur sa nature, avec l’expression typique et nettement formulée d’une disqualification de tout commentaire articulé ou réflexif, comme si sa manifestation était à cet endroit (et là seulement) un geste déplacé, inapproprié, hors-sujet.

    Je ne suis pas un grand spécialiste des jeux vidéos, mais je crois avoir remarqué un symptôme semblable s’appliquer à la critique de jeux, quand elle est trop intellectuelle.

    C’est ce symptôme surtout qui m’intéresse (décrit ci-dessus dans la 3e partie du billet). Le relevé que je propose du cas Transformers/Rue89 n’est pas un constat isolé: c’est simplement l’échantillon le plus nombreux, en raison de l’audience du site. J’ai pu effectuer des observations semblables dans d’autres cas (notamment Iron Man/20minutes et The Dark Knight/ARHV), donc à propos de films différents et dans des contextes de publications variés. On peut par exemple comparer aux commentaires de Rue89 celui que laissait XSB en 2008 sur le Flipbook: «Je vous demande de me laisser mes explosions, mes scénarios pas forcement intelligents, mes gentils héros et mes horribles méchants pour me vider la tête et oublier un peu mon quotidien, de grâce ne venez plus mêler vos intrigues et vos références hors de propos dans mon seul divertissement. Je vous demanderai donc de vous abstenir pour les films suivants: The Incredible Hulk, The Dark Knight, Hellboy 2, Wolwerine, Thor».

    Je ne « stigmatise » personne, et certainement pas les fans de T3 – en l’occurrence, c’est plutôt le contraire… 😉 Mon billet initial n’était qu’une observation marginale publiée sur mon blog, que j’utilise comme carnet de recherche. La proposition de republication par Rue89 s’est effectuée dans de mauvaises conditions de communication, alors que j’étais en vacances, et je n’y ai pas accordé l’attention nécessaire. Après coup, il me semble évident qu’une réponse mûrement réfléchie aurait dû décliner l’offre: ce billet est en effet beaucoup trop elliptique pour faire office de critique cinéma à la Une d’un pure player. Mais voilà, c’était l’été, le billet a été publié, retitré et commenté. Rien de grave – ce n’est après tout qu’un billet parmi des milliers d’autres. Au-delà des malentendus éditoriaux que j’ai décrit, mais qui ne me semblent pas des éléments décisifs, c’est bien le rapprochement avec le précédent du Flipbook qui m’a permis de comprendre que cette publication me fournissait une nouvelle expérience.

    L’incompréhension n’est pas forcément du côté de mes commentateurs. Il y a bien sûr des commentaires désobligeants, mais ceux qui concernent le symptôme qui m’intéresse (3e partie) ne le sont pas nécessairement, et la disqualification qu’ils expriment ne concerne pas un jugement particulier de ma part, mais de façon plus globale le geste critique lui-même. L’incompréhension peut être de mon côté, comme je m’en explique ci-dessus, en notant que je n’avais pas compris, dans mes précédents relevés du phénomène, qu’il s’agissait d’une revendication culturelle.

    Je ne crois pas que le problème soit de « ne pas se comprendre » entre « sachants » (ou intellectuels) et « jouisseurs » (ou amateurs de T3). J’interprète la fin de non-recevoir de l’activité critique par les fans comme une exclusion de classe, manifestée notamment par les noms d’oiseau qu’on m’accole, qui m’identifient à la « culture Télérama », culture légitime de la classe dominante. L’exclusion du « snobinard bobo » par les fans de blockbuster n’est pas un refus de penser, c’est une revendication identitaire, un véritable geste de distinction – qui est selon Bourdieu l’opération qui manifeste la culture (la culture d’un groupe est simultanément ce qui exclut les autres).

  26. la critique est aisée, mais l’art est difficile… seulement, en Transformers 3, y a-t-il de l’art ? (ce titre fait-il penser à la nouvelle réalisation de Pedro Almodovar dont s’empare la critique ?) le cinéma en est-il, de l’art ? (Et la télé ? ) et la critique, est-elle de la promotion (comme on dit), ou de la réclame (comme on disait) ? En tout cas, « pure player » ou pas (c’est quoi, pure player ?), toujours mêmement (c’est bien, mêmement), on ne se demandera pas si l’instrumentalisation de la critique est réalisée par les industriels du divertissement… Au milieu de l’été, à peu près, l’auteur en vacances et les transformations (tiens) de son billet produites dans le sens du poil (à gratter), chez le pure player on ne s’embarrasse apparemment pas de déontologie (journalistique ? pure player ? web 2.0 ?) (les conditions sociales de production de Transformers 3 -l’important c’est qu’on en parle- ont-elles quelques rapports antagonistes ou concurrentiels avec celle du pure player en question ici ? En clair, en quoi ton billet sert-il le pure player et quel est donc son jeu, ou intérêt ou profit ?)

  27. Pour info, à propos des effets on trouve une approche historique intéressante dans l’article suivant : « Créer du sensationnel – Spirale des effets et réalisme au sein du théâtre équestre vers 1800 »,de Caroline Hodak (2006), disponible ici : http://terrain.revues.org/3997

    « Les recherches sur les loisirs n’accordent peut-être pas encore assez d’intérêt à la quête de sensations des spectateurs, corollaire de l’ennui, comme facteur de renouvellement des divertissements et des registres qui les constituent »…

  28. Elle est pas mal celle-ci :

    « Le spectateur se voit offrir en prime une autre sorte de plaisir, beaucoup plus intense, beaucoup plus délicieux. N’en soupçonnant même pas la nature, il ne songe pas, pour s’en protéger, à convoquer ses forces intérieures de censure. Il jouit, sans savoir de quoi il jouit. N’est-ce pas l’effet suprême du grand art ? »

    Dominique Fernandez in « Eisenstein », Grasset, p. 235. (à propos de la scène de la bataille sur la glace dans « Alexandre Nevski »)

    Reste à définir un peu cette « autre sorte de plaisir »…

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