La pleureuse d'Ishinomaki ou l'esthétique du désastre

Pourquoi la photographie de Tadashi Okubo d’une japonaise au milieu des décombres est-elle devenue la signature visuelle du séisme japonais (fig. 1)?

(1) Tadashi Okubo, Ishinomaki, samedi 12 mars (Yomiuri Shimbun/AP/AFP/Reuters).

Trois explications ont été avancées: 1) une forme de paresse éditoriale, l’image ayant été diffusée simultanément par les trois grandes agences filaires, AP, AFP, Reuters; 2) une explication plus technique: la baisse des budgets photos empêchant un organe d’acquérir les droits exclusifs et de bloquer les autres publications; 3) enfin la qualité même de l’image, «très bonne photo» selon Jean-François Leroy, ou «excellente photo» selon Michel Puech, qui pronostique sa sélection lors du prochain prix WorldPress (voir la synthèse des réactions par Audrey Leblanc).

C’est sur l’unanimité de ce jugement que je m’appuierai pour proposer une quatrième explication: l’uniformité du goût des éditeurs.

Couvertures du (2) Nouvel Observateur, (3) Paris-Match, (4) Stern, (5) Le Point du 17 mars 2011.

Au-delà de la sélection en Une de la photographie d’Ishinomaki par de nombreux quotidiens ou hebdomadaires (fig. 2 à 5), on peut souligner la remarquable coïncidence de l’appréciation des agences filaires, qui n’avaient pas seulement acquis les droits de la photo, mais l’avaient mis en tête de gondole de leur best-of.

De façon plus globale, l’examen des sélections effectuées par les principaux supports du photoreportage, de The Big Picture à Paris-Match, qui partagent un grand nombre d’images communes, témoigne d’un accord profond sur les photographies les plus remarquables (fig. 6 à 8).

Exemples de photos sélectionnées par The Big Picture et Paris-Match: (6) Asahi Shimbun, Noboru Tomura/Associated Press; (7) Itsuo Inouye/Asociated Press; (8) Yomiuri Shimbun/AFP/Getty Images.

On retrouve dans ces sélections trois des principaux moyens pour la photo de jouer à l’illustration: l’anecdote, le formalisme ou l’emblématisation. La photographie de Tadashi Okubo appartient manifestement à cette troisième catégorie.

La plupart des occurrences éditoriales de la photo la recadrent pour accentuer la solitude apparente du personnage féminin, alors que les bords de l’image montrent un environnement urbain peuplé et même la présence des sauveteurs (voir fig. 1). Ces détails parasites sont la marque de l’enregistrement photographique, qui conserve toutes les informations présentes, y compris le bruit éventuellement indésirable du point de vue de l’éditeur. Un coup de ciseau corrige ce défaut et permet d’atteindre l’objectif souhaité dans un contexte presse: la simplification qui garantit la lisibilité du message.

Le personnage que Gilles Klein a rapidement qualifié de « madone des décombres » s’apparente plutôt à l’antique figure de la pleureuse, qui permet depuis des lustres de représenter les effets des guerres ou des catastrophes. Comme toute figure rhétorique classique, celle-ci fonctionne sur un antagonisme simple et facilement compréhensible: la brutalité du chaos ou de la mort mis en évidence par la douleur du personnage féminin – veuve, mère ou fille, soit la victime par excellence (fig. 9 à 11).

(9) Femme en pleurs, bas-relief antique, musée du Capitole, Rome (10) Londres, 8 septembre 1940, femmes sans abri après un raid de la Luftwaffe (coll. Getty Images). (11) Monuments aux morts, 1914-1918, Villers-Bretonneux.

Peut-on parler d’une «bonne photographie»? Ce qui intéresse ici l’éditeur est plutôt qu’il s’agit à peine d’une photographie. L’élection de la pleureuse d’Ishinomaki s’explique par les caractères qui font de cette image une quasi-peinture d’histoire, l’illustration attendue de la catastrophe, sa figuration la plus intelligible, dans le droit fil de la tradition iconographique.

L’hésitation sur la qualification de cette figure ou son identification comme une «excellente photographie» montre la confusion qui règne dans la profession et la perte de la culture qui permettrait aux éditeurs de maîtriser les ressorts de leurs choix.

La photographie peut-elle continuer à faire passer pour du reportage ce qui relève des règles de l’illustration? La recherche de la virtuosité ou du romanesque, on peut l’apprécier en galerie et à distance de l’événement. Elle est acceptable dans le cadre de la construction médiatique, pour guider la compréhension de l’événement. Mais à titre personnel, j’avoue préférer de plus en plus la modestie de l’image télévisée, qui filme à hauteur d’homme, sans essayer à tout prix de surligner la signification ou de surjouer l’émotion (fig. 12 à 14).

Extraits des journaux télévisés de (12-13) France 3 et (14) France 2, le 13 mars 2011.

31 réflexions au sujet de « La pleureuse d'Ishinomaki ou l'esthétique du désastre »

  1. D’accord pour la modestie de l’image TV. Image dont on n’a pas suffisamment souligné tout l’intérêt, en raison même de sa pauvre pauvreté. Bien que le terme « image » soit peut-être un terme encore trop fort, puisque l’on parle plus généralement de « captation ». Du coté de la technique en tout cas.

    Reste que les commentaires des journaux et même docus TV n’en sont pas moins aussi déplorables et chargés (de pathos, de stéréotypes, de phrases toutes faites.. ) que les clichés véhiculés par la presse écrite.

    Non, non… le monde n’est vraiment pas parfait.

  2. Merci pour cette analyse éclairante. J’avais, de manière modeste, posé la question de ce qu’est une « bonne » photographie à partir des prix du World Press Photo il y a quelques semaines. Je retrouve dans la photographie dont vous évoquez le succès les traits d’une allégorie, et c’est aussi ce que j’avais cru déceler dans certaines photographies du World Press. (http://litterature2point0.blogspot.com/2011/02/world-press-photo-2011-ethique-ou_6606.html)

    Cela me rappelait beaucoup des procédés picturaux (allégorisation de l’événement, souci de composition de la scène, choix du moment ou du personnage-symbole…) et on pouvait d’ailleurs les rapprocher, comme vous le faites pour cette image de femme qui renvoie à la figure de la pleureuse, d’une riche iconographie ou représentation codifiée.

    Et je vous suis concernant votre préférence pour l’approche de l’image télévisée, qui « filme à hauteur d’homme ». Pour ma part, il me semble toute l’éthique de l’image journalistique doit se penser là, à hauteur d’homme. Je crois que cette tendance à l’esthétisation de la photographie dans le photojournalisme – sans que jamais ne soit posée la question de son éthique – me gêne quelque peu.

  3. Bref, dans cette image brute, les éditeurs reconnaissent immédiatement un « cliché ».
    A partir de là, chacun fait sa mayonnaise à partir d’un fond de sauce industriel. Comme dans les mauvais restaurants.
    Un truc me semble juste dans le texte de M. Puech : noter que « dans le bon vieux temps », Match ou VSD se battaient pour des exclus ou même juste pour empêcher la concurrence d’avoir une photo.
    Sinon, ton analyse du phénomème me semble juste, dans la lignée de Diplopie de C. Cheroux.

  4. L’analyse rejoint ce qui a été écrit à propos de la célèbre photo de Nick Ut (La fille de la photo). La comparaison entre vidéo et photo était aussi intéressante.
    http://aphgcaen.free.fr/blois/2007/kimphuc.htm

    Pour les magazines dont les couvertures sont reproduites ici ou dans Arrêt sur images, l’urgence était commerciale.
    http://www.arretsurimages.net/vite.php?id=10645

    Le recadrage de la source a été systématique.
    Noter la place du rouge, plus présent sur la couverture du Point que sur celle de l’Obs.
    Faire aussi le détour par les titres annexes : nuclear timebomb, fundraising, tourisme en Italie, échec scolaire …

    Modestie de l’image TV ? Elle est aussi construite, et elle dépend fortement
    du discours qui l’accompagne, un discours qui peut parfois contredire ce que disent les images filmées par le cameraman.

  5. « La photographie peut-elle continuer à faire passer pour du reportage ce qui relève des règles de l’illustration? La recherche de la virtuosité ou du romanesque, on peut l’apprécier en galerie et à distance de l’événement. Elle est acceptable dans le cadre de la construction médiatique, pour guider la compréhension de l’événement. Mais à titre personnel, j’avoue préférer de plus en plus la modestie de l’image télévisée, qui filme à hauteur d’homme, sans essayer à tout prix de surligner la signification ou de surjouer l’émotion »
    André, si je ne te lisais pas depuis un certain temps, cette affirmation me semblerait bien naïve. Je n’ose pas te conseiller de lire Culture Visuelle, mais c’est quoi cette image de reportage ne serait pas de l’illustration visuelle? 🙂
    Toute image dès lors qu’elle accompagne un texte et est destinée à illustrer l’évènement dont parle ce texte devient une illustration visuelle.
    Alors qu’ensuite il y ait des clichés sur lesquels la presse va s’abattre, comme la vérole sur le bas clergé, ça montre simplement que la presse se nourrit d’elle-même et que plus une photo ressemble à ce que l’on a déjà vu, et plus elle a de chance d’être reprise dans les médias. Il y a d’ailleurs sans doute des raisons objectives à ce processus. C’est ce que le lecteur attend. La fonction de l’image n’est pas de le déranger. Autrefois Bourdieu avait constaté que pour le goût barbare, une belle image est l’image de quelque chose de beau. On attend du reporter qu’il fasse de « belles » images de l’horreur, l’esthétisme affiché permettant de conserver l’évènement à distance. Les commentaires sur le fait de montrer ou non les morts, participent de ce processus. Un « beau » cadavre est acceptable et peut mériter un Pulitzer. Un cadavre « à hauteur d’homme » serait un objet de scandale.
    « Mais à titre personnel, j’avoue préférer de plus en plus la modestie de l’image télévisée, qui filme à hauteur d’homme, sans essayer à tout prix de surligner la signification ou de surjouer l’émotion  »
    L’image télévisée, c’est de l’image, du son et un montage. Elle n’a rien de modeste, c’est simplement que sa force évocatrice est telle que pour l’utiliser pour faire de l’illustration visuelle dans un journal télévisée, il faut la châtrer. Supprimer ou étouffer le son direct en le couvrant avec le commentaire du journalisme, réduire les plans à quelques vignettes et réduire le montage à sa plus simple expression pour en faire de la photo qui bouge plus que du cinéma.

  6. Merci André de cristalliser cette impression confuse de maladresse éditoriale que je ressentais, sans réussir à la nommer, quant au choix d’une même photographie pour les Unes des magazines… L’illustration évidemment! C’est ce que nous met sous le nez cet exemple, évidemment

  7. Cette photographie est décidément trop belle pour le drame qu’elle représente de façon emblématique, et l’on peut comprendre qu’elle ait séduit du premier coup un regard étranger, éloigné du malheur concret, et qui avait besoin de retrouver des éléments connus à plaquer sur la béance de cet événement… personnellement, en plus de la pleureuse que tu pointes comme source iconographique, j’ajouterai cette image célèbre de Woodstock, qui s’apparente à celle-ci par deux de ses caractéristiques ; l’usage de la couverture enveloppante qui évoque un retour à la réalité après l’événement et le rôle d’emblème métonymique de l’événement qu’elle représente à partir de son effet sur ceux qui l’ont vécu…
    http://www.amazon.fr/gp/product/images/B00000AVW3/ref=dp_image_0?ie=UTF8&n=301062&s=music
    (la photo de Woodstock joue déjà sur l’iconographie des survivants, rescapés de naufrage…)

    D’autre part le tas de décombres d’une maison me fait penser aux mises en scène de Jeff Wall, sa « Destroyed room » notamment, qui présente de manière esthétisée la destruction de l’habitat :
    http://www.harpreetkhara.com/wp-content/uploads/jeff-wall-destroyed-room.jpg
    mais aussi aux photos hyper travaillées d’un Gregory Crewdson où des personnages restent debout ou assis à contempler le vide… http://img410.imageshack.us/img410/1788/59bc9aa9.jpg ou celle-ci : http://www.zeutch.com/wp-content/uploads/2010/06/Gregory-Crewdson04.jpg

    Bref, cette photographie est bien un tableau…

    Ce ne sont bien sûr que des associations subjectives, mais dans sa dimension esthétique, cette trop belle photographie, bien pratique pour que le regard évite de voir l’événement, gagne en opacité et se dévitalise à vouloir si ostensiblement ressembler à un emblème et à une photo d’artiste… C’est le photographe qui se met en avant dans cette image académique… J’en viens presque à me demander si elle n’est pas mise en scène… Plus que des survivances, ces reformulations esthétiques qui tiennent parfois du sulpicianisme (on fait de la madone à tout va) sont comme des répétitions symptomatiques destinées à cacher le vif de l’événement aux yeux qui veulent voir sans trop savoir… un produit standard du petit commerce médiatique.

  8. Très clair, merci André. Tout semble montrer que cette uniformité du goût des éditeurs est due à une sorte de facilité de consommation, quelque chose de similaire aux gens qui écoutent les hits que la radio propose et rien d’autre.
    Et puisque aucune couv ne se distingue ou se détache véritablement des autres, je trouve très dommage pour leur démarche: une démonstration de peu de parti pris et surtout de zéro risque iconographique.

  9. « C’est le photographe qui se met en avant dans cette image académique… J’en viens presque à me demander si elle n’est pas mise en scène… »
    Quelle mise en scène Olivier ? On ne peut pas trouver plus simple comme image. Des ruines? La difficulté là-bas c’était d’éviter de les photographier, pas de les avoir dans le champ de son objectif. Une femme avec une couverture? Tous les survivants sont drapés dans des couvertures et crèvent de froids. Elle est jeune et belle? Les photographes ne devraient photographier que les vieux et les enfants pour que leurs photos ne soient pas académiques?
    Techniquement ce n’est pas du Salgado. Il n’y a pas d’utilisation des techniques spécifiques à la photographie pour mettre en scène de façon étonnante la réalité. Un cadrage centré qu’aurait réalisé n’importe quel amateur (même si je ne doute pas qu’ici il est pensé et approprié), pas d’effet de perspective en jouant sur l’optique, symétrie imparfaite, les couleurs n’ont pas été boostées, bref une photo qui me semble à l’inverse de la photographie scénarisée.

    @Daniel, La pleureuse d’Ishinomaki serait-elle une icone latine, là où les anglo-saxons auraient besoin de voir les larmes sur une photo destinée à illustrer la douleur?

  10. @ Isabelle So: Dans votre billet, vous discutez l’article de Vincent Lavoie, qui reprend l’explication traditionnelle du « moment décisif », à laquelle vous opposez à juste titre une lecture de l’image de presse comme allégorie. Culture Visuelle a également développé ce mode d’analyse, rapproché des mécanismes de l’illustration (voir notamment mon billet « L’illustration, ou comment faire de la photographie un signe » ou le tag illustration sur CV).

    @Rémi: D’accord sur l’exclu, mais n’est-il pas paradoxal de ne retenir des pratiques du « bon vieux temps » que cette technique de maquignon qui consiste à empêcher les autres de publier le matériel le plus intéressant, pour le réserver à celui qui a le plus de « pognon » (Puech dixit)?

    @Dominique, Daniel, Thierry (image TV): Sur la catastrophe japonaise, où il nous importait de savoir ce qui s’était passé, je maintiens que j’ai mieux perçu, au fur et à mesure des reportages, la réalité du désastre par les images des JT que par les photos publiées, toutes choses égales par ailleurs. On pourrait faire un travail de comparaison systématique sur la manière de représenter un certain nombre de repères de la catastrophe en vidéo et en photo, on constaterait que la photo a toujours tendance a souligner par des plongées ou des contre-plongées, jouer des contrastes de l’avant-plan et de l’arrière-plan, renchérir par des effets d’abstraction formelle, bref, essayer de rendre l’image « intéressante », quand la vidéo se borne à enregistrer, l’image-mouvement n’encourageant pas les effets de cadrage. Alors le commentaire, certes, mais le magazine ou le journal comprend lui aussi titres et légendes, le montage, d’accord, mais idem, l’image n’est jamais seule non plus sur papier, ce sont nos habitudes de glose qui font que nous n’en tenons pas compte…

    @Thierry: Il y a deux niveaux dans ma conclusion. J’exprime in fine à titre personnel un jugement de goût, qui n’a pas valeur de jugement moral, mais qui peut servir dans un contexte où tous les éditeurs de presse semblent persuadés que le public adore les effets de manche et les plats très chargés.

    Une autre chose est de constater le décalage entre les usages et la compréhension qu’en ont les professionnels. Mis à part le commentaire du responsable photo de “Télérama”, Laurent Abadjian, qui est le seul à prendre en compte l’usage illustratif, la série des commentaires de cette photo porte témoignage de la confusion et des incertitudes des professionnels. Jean-François Leroy n’a jamais compris ce qu’il faisait ni pourquoi il sélectionnait une image. Les figures ont une histoire, et ceux qui manipulent les images devraient en être plus conscients, à l’instar des illustrateurs qui, comme Alain Korkos, disposent souvent d’une culture approfondie en matière iconographique.

  11. @ Thierry,

    Je ne dis pas qu’elle a été mise en scène… bien sûr que non, cette réflexion concernait plutôt le fait que cette image existait déjà, comme forme iconographique, au niveau de sa signification en tant que pleureuse comme le montre André, et peut-être au niveau de sa dimension plus spécifiquement graphique, comme le suggèrent les rapprochements que je fais.
    Le photographe, ici, a lui-même fait l’allégorie, ce n’est pas l’lllustrateur qui a transformé sa photographie par un usage illustratif… Elle a été faite pour faire la Une, contenir tout le drame…. et c’est le cadrage limpide qui nous le dit…
    On peut simplement noter qu’elle est si parfaite qu’elle semble formatée au goût visuel mondialisé pour lequel elle a été faite… comme dans la peinture académique classique, comme sur tout marché, une forme qui a eu du succès est reprise et déclinée jusqu’à un certain épuisement…

  12. Le 17 mars 2011, Libération choisissait une autre image que Le Point, Paris-Match et consorts, mais rien moins qu’une variation qui ajoute à l’excellent propos d’André et aux commentaires sur la virtuosité épique (poétique) du journalisme de presse. La madone de la solitude proposée par Libération est peut-être plus « emblématique » encore. Une /vieille/ femme /isolée/, peut-être par le recadrage, se tient debout, on l’imagine tremblante, dans un manteau /rouge/ au milieu de la /neige/. Car, après le tremblement de terre, le tsunami et l’incident nucléaire, n’oublions pas /l’hiver/. A son tour il frappe et donne une valeur intemporelle à la tragédie, celle de la suspension du temps et du silence qui entourent toute /chute/ de neige. Celle-ci vient aussi nous faire reconnaître le Japon par une vieille association : le Japon et la neige. Une autre vieille association, réactualisée, nous interpelle sans doute : l’horreur et la cendre. En plus de nous dépayser, nous qui avons l’habitude de lier catastrophes et pays tropicaux ou régions du Sud où il fait bon vivre. Le visage tourné vers le sol, à hauteur d’un immense « Survivre », la vieille nippone prie les mains jointes sur le cœur, et il neige tellement que l’exagération numérique a probablement été utilisée, de même que le détachement artificiel de la figure sur un arrière-plan indifférencié. Elle ne nous regarde même pas.

    Numéro spécial de Libération, les écrivains écrivent l’actualité : http://www.flickr.com/photos/bartholeyns/5549672210/

  13. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux m’empêcher (moi et ma culture visuelle), en voyant cette image de penser à la série Lost et au personnage de Sun au moment du crash.
    Je ne me souviens plus des images exactes de la série, mais je ne peux me défaire de l’association à ces images de naufragés. Peut-être que l’image de la série est tout différente mais ma mémoire fait un téléscopage entre ces images de fiction et cette images d’illustration qui rend encore plus parlant le « symbolisme » de la Une.
    Les échos entre ces « formes visuelles » proches font que le sens se communique plus facilement.

  14. Je n’ai jamais travaillé pour la presse sur l’actu. Mais qu’il s’agisse de « street photography » ou d’une photo du Mont St Michel, il y a des photos que l’on cherche et des photos qui sont des évidences. Je suppose que cette photo a été pour le photographe une évidence parce qu’elle s’inscrivait dans une culture iconographique inconsciente et parce que, ce qui n’a pas été relevé à ma connaissance, parce qu’en même temps elle est décalée. Ca pourrait presque être une photo de mode de par l’attitude, l’age, le physique et la teinture des cheveux. On est très loin de la photo de catastrophe classique façon Yoshikatsu Hiratsuka. C’est à la fois ce qui en fait une icone et peut-être aussi ce qui explique que tous les magazines l’ont reprises en pensant être original, condition sine qua non des unes comme l’a soulignée Audrey.
    @André J’ai un peu de mal avec cette notion de photo « à hauteur d’homme » qui supposerait qu’il y ait des cadrages qui ne s’inscriraient pas dans une culture visuelle. On pourrait s’interroger sur des cadrages qui reflètent avant tout une maladresse technique (les photos de famille qui coupent les têtes), mais là on est toujours en présence de professionnels qui ont à la fois une culture et un savoir-faire qui est la conséquence d’un apprentissage.

  15. La couvertude de Télérama (22/03/2011) utilise une photo d’Adrees Latif (Reuters)
    montrant une maison ennoyée à Kesennuma (15 mars 2011)
    A house lies damaged in a river going through Kesennuma City

    Les photos de Tadashi Okubo et celle d’Adrees Latif sont en plan large ; les magazines les utilisent en mode portrait. Les bords de l’image ont donc été découpés.

    Cette photo a été retenue par Libération (16/03) dans un article qui parle surtout de Fukushima
    http://q.liberation.fr/photo/id/259926
    http://www.liberation.fr/monde/01012325870-direct-japon-seisme-accident-nucleaire-fukushima-mercredi

    D’autres photos prises par Adrees Latif (Google Images)
    http://tinyurl.com/google-images-latif
    http://blogs.reuters.com/photo/2011/02/08/adrees-latif-wins-icp-infinity-award-for-photojournalism/
    http://blogs.reuters.com/adrees-latif/

    – – –

    Pour prolonger ce fil, Tadashi Okubo, le photographe, a-t-il été interrogé
    sur ce cliché et sur les conditions de la prise de vue ?

    quelques remarques :
    – les photos de Tadashi Okubo et d’Adrees Latif sont en plan large ;
    dans les magazines, les bords ont été découpés.

    – L’apparence de la jeune femme change avec le format,
    celui du magazine ou de l’écran d’ordinateur.

    – La jeune femme semble encore anonyme,
    alors que Yoshikatsu Hiratsuka, le vieil homme, est clairement identifié.
    http://tinyurl.com/Yoshikatsu-Hiratsuka
    http://clioweb.canalblog.com/tag/hiratsuka

    – un détail : une note rouge est très fréquente dans les couvertures.
    L’Obs fait un clin d’oeil au drapeau japonais.
    dans les autres cas, la touche (ou la typographie) , n’est-ce pas une simple technique commerciale ?

  16. Une question toute simple. Quelle photo auriez-vous publié en une d’un de ces hebdomadaires si cela avait été votre job?

  17. D’accord avec André pour déplorer cette uniformité de goût et cette «madonisation».

    Après, je me demande s’il est approprié de préférer les images TV à cette photographie et donc de les comparer. C’est un peu préférer les prunes aux poires, qui sont bien 2 fruits, mais fort différents. Cette photo est recadrée (et pas qu’un peu!) alors que les images TV ne le sont en général pas. Cette photo est une (illustration de) Une. La notion de Une ne me semble pas transposable au monde de la TV.

    Il y a donc un contexte d’usage très différent entre une Une de presse imprimée et des images de journaux télévisés. Il eût peut-être fallu comparer les séries de photos publiées à l’intérieur de ces magazines à celles des journaux télévisés… La photo non recadrée, avec toutes les ruines visibles à côté, est déjà beaucoup plus proche de ces images «à hauteur d’homme».

    Enfin, si cette photo, comme on peut le prévoir, figure au prochain palmarès du WPP, elle y figurera en entier et on oubliera les grotesques recadrages qu’on voit sur ces couvertures de presse.

  18. @Thierry: La notion de jugement de goût n’a pas l’air de t’être familière. Pourquoi écris-tu: « des cadrages qui ne s’inscriraient pas dans une culture visuelle… »? Si je n’aime pas les gâteaux à la crème, je n’empêche personne d’en manger… 😉

    @Elodie: Je pourrais me défiler en disant que c’est justement un job que je n’ai pas choisi. Mais puisque vous posez la question, je pense que j’y aurai répondu en demandant un travail graphique très sobre à un illustrateur. Pour une catastrophe, c’est approprié, et ça aurait évité de prendre le risque de se retrouver avec la même icône que le voisin…

    @Béat: Il y a une distorsion dans ce billet, principalement consacré à l’analyse de l’usage de la pleureuse, mais dont la conclusion est beaucoup plus large, à propos des sélections photographiques dont je donne aussi un petit échantillon. Disons pour être plus clair que je n’ai rien contre la photo de Tadashi Okubo, en effet plutôt sobre, mais que je préfère les images plus neutres et plus informatives de la télé aux effets de manche un peu trop appuyés de The Big Picture ou de Paris-Match. D’accord, j’aurais dû faire un second billet… 🙂
    Bien sûr qu’il y a un contexte d’usage différent, mais il y a aussi un espace concurrentiel médiatique qui, lui, est unique, et l’on comprend bien que la photo en rajoute parce qu’elle n’a ni le son ni le mouvement. Encore une fois, je comprends bien cette tactique, il y a une sorte d’escalade qui est difficile à éviter. Je dis juste à titre personnel qu’il y a un moment où ces affèteries me fatiguent – en particulier dans un moment grave comme celui de la catastrophe japonaise.

  19. @André Tu as raison lorsque tu m’accuses de te reprocher d’aimer les choux à la crème. Mais lorsque tu dis que tu préfères les images plus sobres et plus informatives, n’es-tu pas en train de justifier en faisant appel à un autre registre ce qui ne relève que des goûts et des couleurs?

  20. @Thierry: J’évoque ci-dessus « l’uniformité de goût » des éditeurs. C’est évidemment Francis Haskell et ses belles démonstrations à propos de l’évolution du goût du public pour la peinture (notamment: « De l’art et du goût. Jadis et naguère », Gallimard, 1989), que j’ai en tête. Selon son approche, le goût est tributaire d’une culture et d’une époque, il en est aussi l’expression et le symptôme.

    Evoquer in fine mon propre goût, en prenant bien soin de marquer la césure entre la généralité de l’observation et un point de vue personnel, présente ici l’intérêt de montrer que la norme d’aujourd’hui peut aussi supporter des exceptions, et peut-être évoluer dans un sens inattendu. Je crois percevoir une certaine fatigue du langage visuel médiatique, dont la répétition de plus en plus fréquente de figures comme la pleureuse d’Ishinomaki est probablement un signe. Si tu observes des créations récentes comme Mediapart ou Owni, tu verras qu’ils ont des options iconographiques très marquées, le premier en choisissant un usage très restrictif de l’image, l’autre en privilégiant le graphisme – deux choix opposés, mais qui évitent l’un et l’autre la photographie de reportage. Tu me diras qu’il y a des raisons économiques à cela, mais je pense que cette iconographie est aussi en train de perdre de sa séduction…

  21. Eh bien, me voilà cité dans « Culture visuelle » le « media social d’enseignement et de recherche », quel honneur !

    Nous n’avons pas le même point de vue sur « la madone », sur « l’icône »; il n’y a là rien d’étonnant: je ne suis ni enseignant, ni chercheur. Mon « job » c’est le journalisme, qui est pour moi un métier et un mode de vie.

    Ce qui m’a choqué jeudi dernier c’est l’utilisation d’une même photographie par quatre hebdomadaires français, mais pas le choix de cette image.

    La photo, elle est incontestablement forte, bonne, excellente. Elle illustre parfaitement le sentiment de tout un chacun devant le désastre. Et, ce n’est pas une « pleureuse », mais bien une femme statufié par la catastrophe.

    Elle a pourtant, déjà, un gros inconvénient: c’est une largeur or pour les Unes, il faut des hauteurs. Elle a donc été recadrée, parfois à la hache. Cette pratique est contestable, et fortement contestée par beaucoup de photographes. Le recadrage dénature l’information: on ne voit plus le contexte. Il y a quarante ans, les photographes (et leurs associations) se seraient énervés. Aujourd’hui, la vie est si difficile pour les photojournalistes que peu d’entre eux s’énervent contre ces pratiques abusives de « directeur artistique » qui ne sont plus journaliste.

    Mais ce qui semble ne pas plaire dans mon billet de blog du Club Mediapart « La leçon de «l’icône d’Ishinomaki» » (cf http://blogs.mediapart.fr/blog/michel-puech/180311/la-lecon-de-licone-dishinomaki )c’est que je parle de « pognon » !

    Or c’est la clé de l’histoire.

    Je ne crois pas Marc Brincourt de Paris Match quand il explique qu’il y avait peu d’images disponibles ce dimanche là. D’autres images étaient disponibles. Comme ce dimanche dernier, pour la Lybie, ou pourtant on retrouvait le même phénomène. (cf Libye: Une photo pour des dizaines de journaux in http://www.20minutes.fr/article/691425/media-libye-photo-dizaines-journaux ).

    La différence entre le siècle dernier et aujourd’hui, loge dans la différence de montant des budgets des services photo. Aujourd’hui, les magazines – même les plus prestigieux – rechignent à payer les photographes sous le prétexte qu’il y a beaucoup d’images en circulation et que les agences dites fillaires (AFP, Reuters, AP) produisent du bon matériel. C’est exact, mais cela conduit à ses Unes unifiées. Ces deux exemples coup sur coup, devraient inciter les directions a réfléchir…

    Contrairement à André Gunthert, je ne pense pas que la culture visuelle des iconographes et des services photo ait baissée. Je pense même le contraire. La question ce n’est pas le « savoir » mais le « pouvoir », celui de dire cette photo là, je la veux pour mon journal et je ne la veux que pour mon journal.

    Donc il faut acheter les droits en exclusivité.

  22. @ Thierry,

    « il y a des photos que l’on cherche et des photos qui sont des évidences. »

    Au sujet de l’évidence de cette photographie… S’agit-il d’une expérience mystique ou de l’apparition soudaine d’un trophée ?
    J’ai l’impression que cette photographie était inévitable, la figure était magnifique… mais c’est précisément son cadrage qui nous révèle son académisme et la position du photographe qui a pris le moins de risque possible, je veux dire par là qu’il est très conventionnel et témoigne de l’autorité de la figure sur le point de vue du sujet imageant. Les magazines l’ont recadrée mais cela semble être pour exalter la figure plus que pour tenir un propos sur elle…
    J’ai tendance à préférer les photos que l’on cherche et les illustrations plus créatives où le sujet se montre plus dans le cadrage et dans les choix figuratifs qu’il exprime… Ici, on sent une forme de prédation de la figure offerte à son insu par le réel, le tableau vivant qui s’appuie sur une iconographie plus ou moins consciente… A tel point d’ailleurs que tout le monde voit une madonne, figure maternelle phare de l’iconographie chrétienne occidentale, dans cette figure de l’hébétude et de la sur-vie … alors que la madonne est justement celle qui s’évanouit, se pâme, s’effondre dans ses représentations douloureuses…
    Si j’ai bien compris, pour gagner un prix prestigieux en photographie, il faut aller à la pêche à « l’évidence », c’est-à-dire trouver une figure qui mériterait d’être dans un tableau…
    La photographie est suffisamment mûre et belle pour valoriser sa propre esthétique, fondée sur ses propres qualités, celle de la coupure du cadre, de l’instantané et de la présence subjective du cadreur-sujet imageant à son origine… (je pense aux photographies de Hughes Léglise-Bataille que j’ai vraiment découvertes récemment et qui m’ont paru évidentes dans leur rapport à l’instant, je pense aussi à Nan Goldin dans un autre registre…)

  23. @Olivier Je ne parle pas de cette photographie en particulier, mais de ma pratique de photographe.
    « … Ici, on sent une forme de prédation de la figure offerte à son insu par le réel, le tableau vivant qui s’appuie sur une iconographie plus ou moins consciente…  »
    Prédation je ne sais pas trop. Dans une situation telle que celle là, toute image est prédation (qu’elle soit faite à hauteur d’homme ou qu’elle fasse de l’homme photographié un symbole) et c’est sans doute pour cela que la photographie de presse ne m’a jamais attirée. (Tout en étant convaincu de son importance et de sa nécessité, même si je n’éprouvais pas l’envie d’être un de ses acteurs). Je parle de l’iconographie plus ou moins consciente qui fait que parfois, devant le Mont St Michel, un pratiquant de Tai Shi Shuan dans un parc de Shanghai ou sur un personnage totalement décalé au milieu des ruines d’un tsunami, la lumière, l’attitude, la situation transforment l’envie de réaliser ou non une image en un acte instinctif, un besoin irrépressible. Mais si je suis photographe, c’est pour les autres photos (99% des cas) où, avec plus ou moins de bonheur, je serais dans la position du photographe cherchant « La photographie suffisamment mûre et belle pour valoriser sa propre esthétique, fondée sur ses propres qualités, celle de la coupure du cadre, de l’instantané et de la présence subjective du cadreur-sujet imageant à son origine ». Cette présence subjective n’en étant pas moins le résultat de ma culture visuelle, de ma sensibilité face à la situation et de mon expérience professionnelle.
    L’expérience mystique ça arrive parfois, même si ça ce fait malheureusement plus rare en vieillissant. (En ce qui me concerne en tout cas.) Le trophée jamais. La photographie une fois développée ou imprimée n’est jamais qu’une représentation en 2 dimensions d’une expérience sensible nécessairement beaucoup plus riche. Bon maintenant je ne suis pas un paparazzo.
    En l’occurence d’ailleurs, l’idée du trophée me semble totalement contradictoire avec ce que je ressens face à ces images évidentes. Il n’y a aucune fierté ou accomplissement particulier à retirer d’une image dont la principale justification n’est pas à chercher dans le génie du photographe, mais dans le fait qu’il était au bon endroit au bon moment.

  24. Il y a une grosse tête de bonhomme barbu à lunettes (dans la moitié supérieure et le tiers gauche) qui regarde par-dessus l’épaule gauche du sujet.

  25. Elle a pas du tout une tête de « pleureuse », je trouve. Plutôt d’une âme en dé-sérance. D’un petit fantôme. Et puis pleureuse c’est pas très heureux comme mots je trouve, c’est assez moche :/

  26. @Michel
    Si tout est money dependant, je comprends ton enchainement de raison affirmant donc que c’est l’argent qui donne au directeur artistique le pouvoir et la talent pour ne pas respecter la cadrage de l’auteur?
    <<
    Je précise bien, le pouvoir et le talent qui donnent les haches qui nous recadrent, sont décidés par l'argent.
    Donc Médiapart n'a pas encore pouvoir ou talent pour les images.

  27. Peut-on parler d’une bonne photographie ?
    Dans l’absolu, oui.
    On pourrait même faire une parallèle avec certaines peintures classiques. La composition interessante, cette jeune femme perdue, frêle, au regard presque absent et pourtant tellement présente, elle hante l’esprit, elle habite l’espace avec la grâce du desespoir.
    D’un point de vue purement technique, la majorité des lignes décrites par les objets mènent vers elle, l’ancrent au centre de la photo.
    Que tout la plus part des éditeurs aient choisis la même photo ne m’etonne pas, mais au delà de la normalisation u gout chez ces derniers, on peut tout simplement se dire que c’est une de celles qui décrit peut être le mieux non pas la situation telle qu’elle existait au Japon, mais telle qu’on la percevait (la nuance me semble importante).
    Pour en avoir vu beaucoup notamment sur l’excellent Big Pictures celle ci etait la plus representative d’un occident qui pense le japon en le personnifiant(un fait etonnant d’ailleurs, deux photos racontent une petite histoire qui a peut être echappé aux gens, je me souviens d’avoir vu celle des sauveteurs ayant retrouvé une petite fille (je ne suis plus sur de son age mais je dirais entre 4 et 8 mois maximum), et un peu plus tard celle de ce pere avec la même fillette – ceci n’etant pas mentionné au début, si vous aviez vu les photos à un jour d’intervalle vous pouviez remarquer la ressemblance au niveau de l’enfant, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu ces deux photos mises l’un à coté de l’autre).

    Cette image qui plus est pourrait faire partie d’un des nombreux films que les fans de cinéma asiatique dont je fais partie ont en mémoire.

  28. Ping : Alexis Tabah
  29. Discussion tres interessante (desole de ne pas avoir un clavier avec accents, et d’autres fautes de langage a suivre…). Je voudrais ajouter une image source potentielle, ou qui en tout cas la meme source mythique, et d’une facon peut-etre eclairante: ‘The Blind Girl’ (L’Aveugle) du peintre pre-Raphaelite anglais, Millais, 1856: http://www.preraphaelites.org/the-collection/1892p3/the-blind-girl/ . C’est une image qui a merite par sa condensation de myth (sens Barthes) et d’allegorie un renome et une reproduction enorme (et bien sur un sujet, l’aveugle mendiant, que la photographie a vite fait reconnu comme sien de par sa nature: Le Blind Woman, New York de Paul Strand en 1916 frappe tout suite avec l’evidence de la cliche qu’il etait destine a devenir).
    Les relations les plus evidentes sont, bien sur, celles de la position et des draps. Mais, plus interessant, elle partage en plus explicite, auto-referentielle, d’autres charecteristiques: la cecite du sujet de Millais en faite trouve son echo paradoxalment dans l’Okubo. Tout l’effet du Millais reste dans ce que la pauvre femme (pauvre) qui merite la pitie Victorienne ne voit pas la beaute dont elle est entoure (et, puisqu’elle ne la vois pas, dont elle fait parte). La meme regle marche pour l’Okobu, comme Anre Gunthert montre bien: l’esthetique risque d’etre de pair avec une approche hypocrite de la suffrance (ce n’est pas toujours le cas, n’est-ce pas? Je pense, par exemple, a McCullin).
    Tout ca pour dire qu’on n’est pas encore sorti de l’epoque Victorienne (meme si ca change de nom: chez nous en Angleterre ce genre d’hypocrisi qui veut le sentiment du souci sans l’action s’appelle pour l’instant ‘the Big Society’).

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