Nul tintinophile ne l’ignore: après une longue gestation, Steven Spielberg et Peter Jackson ont entamé la post-production du premier film consacré par Hollywood au héros à la houppette. Inspiré des albums Le Secret de la licorne (1943) et Le Trésor de Rackham le rouge (1944), avec une pincée du Crabe aux pinces d’or (1941), The Secret of the Unicorn sortira le 26 octobre 2011 en motion capture.
La production n’a diffusé jusqu’à présent que trois puis six images fixes (dont une adaptation du générique du dessin animé), publiées en exclusivité par Empire en décembre puis Studio Ciné Live en janvier, et aucun extrait animé. Une stratégie bien faite pour provoquer l’intérêt des bédéphiles: voici cinq de ces photogrammes comparés aux images les plus proches de Hergé (cliquer pour agrandir).
Chaque fois que je les ai montrés, ces photogrammes ont éveillé l’attention. En Europe, Tintin est trop connu pour que ces images ne suscitent pas la curiosité. Pour moi que les dessins d’Hergé ont accompagné depuis l’enfance, il y a quelque chose d’étrange à contempler l’incarnation de ces personnages si familiers. L’effet de surprise vient surtout du degré de détail requis par l’animation de synthèse, qui complète les décors sommaires de la BD de papiers peints ou d’interrupteurs d’époque et d’une myriade de particularités qui sont autant d’incursions dans l’univers si économe du Hergé de la guerre.
L’écart autant que la puissance d’évocation de l’image de synthèse fascinent. Il y a du dinosaure dans cette débauche naturaliste appliquée à un trait plus suggestif que réaliste. Non que l’image du cinéma ne puisse imposer sa manière. Un bon film est d’abord une proposition d’imagerie qui convainc en dehors de tout référent. Ce qui est à craindre sont des décalages plus subtils, comme la virtuosité anachronique d’Alice au pays des merveilles (Tim Burton, 2010), avec ses mouvements de caméras et sa ribambelle d’effets si hype qui ont tué dans l’œuf toute velléité d’évocation et la plus petite parcelle de poésie.
Au-delà des formes, le dessin de Hergé invente un dynamisme qui est sans doute l’élément le plus difficile à transposer au cinéma. Comment bouge Tintin? C’est ce que ces images immobiles ne peuvent pas dire.
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15 réflexions au sujet de « Tintin à Hollywood »
attention les droits d’auteurs autour de Hergé sont effrayants, les héritiers poursuivent même les magasins de BD qui affichent un Tintin dans la vitrine…, alors publier des vignettes de Tintin ça risque gros.
Quel est le village du centre de la France qui avait dédié une statue à Tintin et a subit un procès avec obligation de dédommager les « héritiers » et supprimer la statue ?
@serge noiret: Merci de l’avertissement, mais je ne suis pas le premier à avoir publié ce type d’exercice comparatif (http://smashou.info/dotclear2/index.php) qui va probablement se répéter au fur et à mesure qu’on s’approchera de la sortie du film.
En cas de réclamation de l’éditeur, je fermerai l’accès à l’iconographie du billet.
Les images immobiles d’Hergé ne donnaient pas non plus beaucoup d’indications relatives à la lumière. Il faisait jour ou nuit, à la rigueur aube ou crépuscule ; parfois on avait des ombres portées mais pas tant que ça… Or parmi les ajouts les plus surprenants que révèlent ces images de Spielberg, il y a ces modelés sur les tarins, ces reflets sur les portes et les cuirs, ces contre-jours… La distance avec le réel cultivée par le tracé simple et les aplats de couleurs du Belge est maintenant remise en cause, tout en restant dans une certaine mesure dans le registre du dessin (contrairement à d’autres adaptations cinématographiques de Tintin). C’est un peu comme si un faussaire habitué à imiter le style de Simon Vouet s’était mis à copier des Nicolas Poussin, tu vois… Donc pour l’instant, le mélange me dérange. Mais je vais peut-être m’y faire au fil de la distillation des révélations sur cette adaptation-ci.
C’est moi ou il y a un petit air de Spielberg dans le regard de l’homme au chapeau de la dernière image?
@Erwan : anéffet… mais ça n’a rien à voir avec le fait que le personnage est un pickpocket… ou Spielberg aurait-il volé quelque chose à quelqu’un?
Ce qui est drôle c’est le cadrage de l’image du desert : à mes yeux celui d’hergé est dix fois mieux, bien plus poètique. Le partis pris hollywoodien de se mettre en hauteur pour manifester la grandeur du lieu, dévoile l’inexistence de tout mystère ou péripétie possible qui se cacherait derrière la prochaine dune, nos amis vont juste galérer, point. Alors que le dessin d’Hergé laisse non seulement le lecteur se rendre compte que manifestement nos héros sont perdus, en centrant le regard sur eux et en les gardant personnages principaux d’une action située au milieu de nulle part; mais en plus en coupant la possibilité d’analyse topographique de son lecteur par un second plan envahissant presque tout l’arrière plan, il laisse l’esprit s’évader et s’imaginer ce qu’il peut y avoir derrière la colline. C’est toute la force de l’art séquentiel en général qu’on retrouve là. Et il semble sur ce coup, complètement perdus chez Spielberg à mon sens. Trop américain, le désir d’impressioner par la démonstration formelle du gigantisme, prenant toujours le pas sur l’infini des possibles que peut provoquer la suggestion. Les studios sont des forains, ils misent tout sur l’empire des sens et c’est bien dommage. Mais bon, Spielberg reste un maître pour faire du comic sur grand écran, on verra bien s’il ne s’attaque pas cette fois à trop différent pour lui…
Excusez moi pour les fautes, mon ordi n’a pas de correcteur et vu mon niveau orthographique, j’en suis assez dépendant…
Bien vu, Erwan, le coup des gros tarins. C’est aussi ce qui m’a frappé d’emblée. Les gros nez en BD sont légion au point qu’ils sont presque constitutifs du genre. Ils sont un des meilleurs éléments permettant de différencier les personnages et personne ne s’offusque de leurs formes caricaturales (on sait bien que ce n’est pas vrai puisque c’est du dessin). Lorsqu’on reprend le modèle du gros nez dans un univers réaliste, ça ne marche plus. Ces tarins deviennent de vraies infirmités protubérantes et on a peine à suivre naturellement ces personnages, tellement leur gros nez nous préoccupe.
quelle qu’elle soit, l’adaptation au ciné du héros au culottes de golf perdra tout crédit à nos yeux : c’est qu’est révolu le temps de notre enfance
@plop: D’accord sur les cadrages. La contre-plongée sur Tintin visant l’homme du Vieux Marché m’inquiète aussi beaucoup… 😉
@Erwan, Béat: Bien vu aussi sur les gros nez. On notera dans le même ordre d’idées que les mains sont également d’une taille disproportionnée chez Hergé, détail qui n’est en revanche pas repris dans la version de synthèse.
@PCH: Je ne suis pas partisan de fermer la porte a priori à toute possibilité d’adaptation. A vrai dire, je trouvais les Oranges bleues assez convaincantes, et le choix d’une version motion capture, qui a succédé à de nombreuses autres pistes, peut s’avérer tout à fait intéressant. A la différence de l’oeuvre d’art, une oeuvre de la culture populaire se nourrit de ses appropriations successives. Ce ne serait pas bon signe pour Tintin de ne pas supporter des vies et des appropriations multiples.
Je ne suis pas d’accord pour « les Oranges bleues »-n’importe. Je parlais de ce goût de (ou pour) l’enfance qui ne reviendra pas, et non de la culture populaire… (mais je suis toujours un peu à côté de la plaque…).
Cependant, j’ai trouvé, tout à l’heure en lisant le Monde (rien à voir avec le petit reporter qui accompagne Milou dans ses aventures) et le billet de G. Courtois (p17), certaines références à ce qui nous occupe – la « culture populaire » et les monstres (je mélange, mais je crois qu’il y a là quelque chose de ces définitions ).
Je le cite, et propose cette lecture à votre réflexion (si je peux me permettre) :
« … Ses mots (de nano1©) sont donc soigneusement choisis : « (italiques) Notre devoir, c’est de protéger notre société de ces monstres. Je dis monstre parce qu’il y a un moment où il faut employer les mots qui correspondent aux situations. »
Plus loin : « Il (le président de la république française) a donc multiplié les coups de boutoir contre l’institution, réorganisant sans ménagement la carte judiciaire, renouvelé à la hussarde les hiérarchies, annoncé la suppression du juge d’instruction puis l’introduction des jurys populaires dans les tribunaux correctionnels, etc. »
Plus loin encore : : « Mais c’est la lutte contre la récidive – en particulier contre les criminels sexuels récidivistes- qui est devenu le symbole de la défense de la loi et de l’ordre qu’il (le même ) entend incarner. Selon la méthode éprouvée, les faits divers les plus odieux ont été l’occasion de jouer sur l’émotion populaire pour prendre la défense des victimes, mettre en cause les juges et multiplier des lois de plus en plus répressives.
Enfin, citant Mireille Delmas-Marty (professeur au Collège de France, auteur de « Libertés et sûreté dans un monde dangereux » au Seuil) : « (italiques) Le retour au registre du monstre pour désigner les délinquants sexuels fait naître la crainte (…) d’une déshumanisation du criminel » et d’une transformation du procès pénal en une forme d’ (italique) « exorcisme » « .
J’ai comme le sentiment d’un pont créé par cette histoire ou ce billet entre le « monstre » et la culture populaire (incarnée, peut-être, dans les jurys (populaires donc), et l’émotion (populaire elle aussi).
Ce que je trouve de plus impressionnant dans cette adaptation cinématographique c’est cet essai de rendre presque réels les personnages. Je trouve ça plus particulièrement frappant pour le capitaine…
La première fois que j’ai vu cette image j’ai été un peu déçu de m’apercevoir qu’il ressemble à n’importe quels personnages de 3D au niveau du travail de la texture et de la lumière que je trouve un peu trop réaliste. Je suis peut-être un peu puriste mais en premier lieu cela m’a dérangé…
On dirait parfois que les studios en adaptant des histoires connues au cinéma s’éloignent parfois un peu trop des conditions de réalisation premières. Je n’y vois pas spécialement une actualisation car il n’y a pas d’innovation. Bref, je ne retrouve pas ce « truc » particulier qui m’a fait aimer Tintin…
Encore un détail : Tintin a perdu son imper au profit de son pull bleu clair qui est l’emblème du « dernier Tintin », bien postérieur et moins intéressant que le Tintin du Secret. Les lumières aussi posent un problème. Il faudrait inventer une mise en lumière pour Tintin plutôt que de plaquer ce qui se fait ailleurs (très net sur l’entrée de l’homme du marché éclairé en contre-jour sans aucune raison narrative). La lumière en à plat de la BD ne sont pas vraiment utilisables en animation. Encore un effort pour ré-inventer et rè-interpréter les Aventures de Tintin.
Intéressant de mettre en vis-à-vis les images et les vignettes.
L’image avec les dupondt m’avait un peu fait pensé à la série « Babar » de mon enfance où les acteurs avaient les masques des personnages.
Je crois que l’enjeu du film de Spielberg/Jackson sera de donner un peu à rêver entre les images comme ce fût le cas de tous les lecteurs des albums de Tintin. J’ai lu chaque aventures plusieurs centaines de fois, avec toujours de nouvelles sensations puis, plus tard, des rapprochements avec mes voyages.
Le film n’arrivera sans doute pas à la même richesse et conduiran sans doute beaucoup de déceptions, notamment chez les Tintinophiles qui sont parfois un peu chatouilleux sur les détails.
Mais si il arrive à être fidèle tout en apportant de nouvelles perspectives, ce sera déjà pas mal. Moi cela fait plus de vingt ans que j’attends ce film. Je me rappelle qu’à la fin des années 80, j’achetais chaque mois la revue STARFIX en espérant trouver des nouvelles sur le projet de Spielberg. Quand le projet est passé dans les mains de Claude Berri, là c’est plutôt la trouille qui m’a envahit, surtout quand j’ai vu l’adaptation d’Astérix….
Je trouve aussi que la composition visuelle effectuée par André Gunthert pour cet article rend bien compte de quelques futurs effets de composition moderniste.
Ce passage de l’écrit à l’écran, de la littérature pour enfants jusqu’à un éclatement du cadre en technique 3D stéréoscopique, et où notre univers fictionnel risque certes d’être remis en question! Le subtil lecteur ne pourra plus suivre ce voyage visuel à son rythme propre et sera soumis à une présentation des héros selon la retranscription de Steven Spielberg. J’espère aussi que cette nouvelle réalisation tiendra ses promesses, et ne s’affichera pas tel un avatar de l’étrange sur-investissement visuel d' »Alice aux Pays des Merveilles » par Tim Burton.
L’année 2011 sera alors une nouvelle étape pour deux grands cinéastes américains dont Spielberg, mais aussi Martin Scorsese, qui nous proposera une re-lecture de l’ouvrage illustré de « L’Invention de Hugo Cabret » par Brian Selznick, et publié en 2007. Cependant ce passage du « roman graphique » aux images mouvantes et sonores restera un tant soit peu plus « réel » à travers un film « classique » colorisé…
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