Youtube, la chute du "broadcast yourself"

Lundi 19 avril, le site TechCrunch révélait que la plus célèbre des sources de parodies en ligne, l’accès de rage d’Adolf Hitler dans La Chute d’Oliver Hirschbiegel, faisait l’objet d’une demande de retrait systématique de la part du distributeur Constantin Film. Dès le lendemain, cette information se voyait à son tour détournée et moquée sur la partition de l’offensive Steiner. On aurait pu apprécier la réactivité du web et sa réjouissante capacité à transformer l’arroseur en arrosé. Mais il n’a fallu que quelques heures aux robots de YouTube pour bloquer l’accès à ces pastiches.

Mise en parallèle avec d’autres symptômes, comme l’effacement des bandes-son des vidéos exigé par Warner Music Group dès qu’un extrait copyrighté y est détecté, la disparition programmée des parodies de La Chute constitue un signal inquiétant, symbole d’une inéluctable inversion de tendance.

Créée en 2005 avec le slogan « Broadcast yourself« , YouTube devait devenir le paradis des vidéos amateurs – oeuvrettes familiales, productions avant-gardistes bricolées avec les moyens du bord, performances musicales et remixes en tous genres, auxquelles le film de Michel Gondry Soyez sympas, rembobinez (Be Kind, Rewind) offrait en 2008 la plus belle incarnation. Une alternative aux productions stéréotypées des industries culturelles qui paraissait si alléchante qu’elle était rachetée par Google pour 1,6 milliards de dollars.

Mais le rêve d’un cinéma réalisé par des vidéastes de quartier a fait long feu. Aujourd’hui, sur YouTube, on trouve surtout les copies numériques d’archives et de programmes réédités en DVD, les dernières productions Universal et les clips de lady Gaga. Les remixes et les vidéos amateurs émigrent sur d’autres plates-formes, où ils seront moins exposés aux robots fouineurs, à la pression des ayants-droits et aux messages automatiques de retrait des contenus.

Ce qui fut un temps la force de YouTube – être le premier carrefour d’audience de la vidéo en ligne – est désormais sa principale faiblesse. C’est parce que la plate-forme est le navire amiral du web qu’elle est devenue la cible de tous les distributeurs de culture au kilo. En 2005, on pouvait encore espérer que les législateurs emboîtent le pas des nouvelles formes de partage et adaptent les règles de la propriété intellectuelle à la « free culture » naissante. Il n’en a rien été. Loi après loi, accord après accord, les lobbies industriels ont patiemment rebouché les trous de la toile. Aux prises avec un « droit d’auteur » (qu’il serait plus juste d’appeler: « droit du distributeur ») plus puissant que jamais, YouTube n’a pas d’autre choix que se plier à la tyrannie du copyright.

Entretemps, un concurrent nouveau est apparu, appuyé sur la dynamique du groupe d’amis. En proposant une adaptation en ligne de la copie privée, Facebook a réalisé le seul espace web compatible avec l’avidité industrielle. Dont les conditions sévères sont la fermeture et l’inexportabilité des contenus.

Fin du rêve de la télé par tous. Il n’y aura pas d’espace de diffusion alternatif, puisque sa seule existence est déjà une menace. Depuis Susan Boyle, nous savons que YouTube a réintegré l’ample giron des mass médias. Sa normalisation se poursuit.

Après une brève période de concentration et de visibilité, la vidéo amateur va à nouveau s’éparpiller et se dissimuler. Revenir à la discrétion qui est la condition de son acceptabilité par le marché. C’est alors qu’on regrettera l’ère du « broadcast yourself« , cette parenthèse utopique qui faisait de chacun de nous le rival potentiel de la Metro Goldwin Mayer. Avec la complicité d’un pouvoir politique sourd et aveugle, les distributeurs ont gagné. On ne rigole pas avec Hitler.

A lire

12 réflexions au sujet de « Youtube, la chute du "broadcast yourself" »

  1. Ping : S.I.Lex
  2. Ping : Owni.fr
  3. Il y a eu la radio « Carbone 14 » et depuis si la radio à disparue ses animateurs sont toujours là, seul le ton a changé mais l’humour reste intacte. Il en va des mouvements d’expressions comme des politiques ou de la mode, ce n’est qu’un éternel recommencement et donc à quand la prochaine.

  4. Pour une bonne idée de la démence actuelle aux états-unis en ce domaine, il est intéressant de lire la bande dessinée « Les contes du domaine public: prisonnière de la loi? » accessible librement ici:
    http://www.law.duke.edu/cspd/comics/french

    Fait par le Centre pour l’Étude du Domaine Public (Duke center for the study of the public domain) et Jean-François Le Ruyet et ses étudiants de la faculté de droit à l’Université de Nantes pour cette traduction.


  5. Pour un soupçon d’humour et d’espoir dans ce monde de brutes avides, voici un lien vers la vidéo annonçant la création d’une Monty Python’s channel sur Youtube (qui diffuse gratuitement un certain nombre d’extraits des spectacles/films/chansons des Monty Python).
    Si vous êtes au courant d’une quelconque tractation financière obscure entre Youtube et les Monty Pythons pour la mise en place de cette chaîne ne me dites rien…je préfère vivre avec mes illusions.

  6. Le bras vengeur du copyright est aussi parfois aveugle et injuste. Une vidéo sans contenu sous copyright de tiers peut en faire les frais:

    Il y a peu, j’ai eu la désagréable surprise de recevoir un courriel de YouTube me signalant qu’un de mes contenus vidéos portait atteinte au « Digital Millenium Coyright Act » et diffusait du contenu déposé sans autorisation des ayants-droits. Cette plainte a été déposée par « Cass County Music », détenteur des droits des Eagles (rien que ça).

    Une petite recherche sur Google m’informe que Cass County music a lâché les chiens sur le net à large échelle pour faire valoir ses droits sur le catalogue des (excellents) titres du groupe, qui sont repris par des centaines de guitaristes sous forme de reprises, arrangements, cours payants ou gratuits.

    Tiens, aurais-je laissé trainer une vidéo de Hotel California en ligne ?

    Non, pas du tout en fait, il s’agit d’une de mes compositions personnelles à la guitare acoustique « Wasted time » (temps perdu). Je précise qu’à part le titre, le contenu musical est bien différent de la chanson (vous pouvez vérifier, « Wasted time » des Eagles sur Google, pour ma part je ne met pas de lien, pour ne pas « aggraver » mon cas en diffusant du contenu illégal). Il faut préciser qu’un titre ne se dépose pas, surtout si il s’agit d’une expression courante.

    Ce qui est inquiétant, c’est que « Cass County Music« dénonce le contenu sans le vérifier. Ensuite « YouTube » s’incline et supprime le contenu sans le vérifier (10 secondes d’écoute suffisent amplement pour se rendre compte).

    A « moi » maintenant de contester cette décision prise par deux « géants » (en remplissant des formulaires truffés de menaces de procès, de menaces de suspension de compte YouTube et de sous-entendus à propos de mon manque de respect des lois). A moi de subir un préjudice (léger, je le reconnais) en voyant la diffusion d’un de mes morceaux suspendue pour un temps indéterminé voire indéfiniment sous un prétexte fallacieux.

    Je ne suis pas convaincu de la pertinence de la chasse au sorcières à grande échelle en termes de copyright. Et dans ce cas précis (et particulier), il y a atteinte abusive à MON droit d’auteur.

    Après ma désillusion sur les services de production d’artistes en ligne, de duplication de CD, je me dis que le Web 3.0 « privatisé » et le modèle économique musical 2.1 ne nous promettent pas de beaux jours à nous, les petits artisans de la musique.

    Comme disait un ami: « Ça t’en fera une bonne d’histoire à raconter en concert ! » – Mouais … Selon que vous serez puissant ou misérable …

    Voici une liste non-exhaustive de groupes (très connus, peu ou pas connu) ayant des morceaux dénommés « Wasted time » … tous des plaignants potentiels à mon égard.

    Europe, Kings of Leon, Skid Row, Eagles, Lio, Fuel, The Everybodyfields, Edguy, Heavenly, Lionel Richie, Diving with Andy, Burning lady, Joe Jackson, Warren Haynes, Me’shell Ndegéocello, Appearance of nothing, Talking thru tin cans, Aztek trip, Confederate railroad, Eternal reign, Gob, Gufs, Harem scarem, Left alone, etc.

    D’innombrables groupes ont des titres du type: wasting time, waste my time, waste of time, wasted times … tout aussi condamnables si j’en venais à changer de titre.

  7. Ping : RTBF Labs
  8. Effectivement cette scène mythique avait été aussi reprise par des petits malins qui avaint fait de Hitler le PDG d’un grand fabricant d’appareils photos, histoire de se moquer de la politique tarifaire de la marque (vraiment un truc de geek). Au final, j’ai acheté le DVD de ce film, qui m’a beaucoup plus. Les producteurs devraient comprendre que c’est une pub formidable pour leur film, qui ne manquera pas de tomber dans l’oubli sans ce genre de plagiat.

  9. Ping : lyonelkaufmann
  10. (Lyonel commente le reenactement de La Chute par l’acteur Brandon Hardesty, voir ci-dessus. Vidéo: http://www.youtube.com/watch?v=0JpmvtPXQR4 )

    Ce reenactement est une idée géniale, très significative des ressources et de l’inventivité du web. Mais il est aussi un témoignage de la puissance de la règle, dont il faut imaginer un contournement pour préserver la fécondité du mème. Seule la viralité de cette séquence permettra de vérifier s’il s’agit d’un geste symbolique ou bien d’une véritable alternative.

Les commentaires sont fermés.